27 juin 2014

Souviens-toi de demain - Vanessa Caffin



En librairie depuis le 26 mars dernier, "Souviens-toi de demain" est un thriller écrit par la romancière française Vanessa Caffin, également auteure de "J'aime pas l'amour...ou trop peut-être", "Mémoire vive" ou encore "Rossmore Avenue".

Charlie Longe, 35 ans, est victime d'une agression qui la plonge dans le coma durant un mois.
A son réveil, non seulement elle n'a conservé aucun souvenir de son passé, mais elle n'est désormais plus capable d'enregistrer de nouvelles informations.
Chaque nouvelle journée s'annonce comme un éternel recommencement, même si le journal dans lequel elle consigne ses souvenirs lui fait gagner un peu de temps chaque matin.
Qui est-elle ? Où vit-elle ? Pourquoi a-t-elle été agressée ? Autant de questions auxquelles Charlie tentera désespérément de répondre, se heurtant au mutisme de certains collègues et à un proche qui n'en a pas fini avec leur histoire...


" Voilà ce qui la déstabilisait aujourd'hui, elle ne fonctionnait pas à l'affect. Elle avait l'impression d'un parcours d'obstacles.
La solitude est meurtrière, pensa-t-elle, parce qu'on finit par oublier qu'on est vivant.
Elle tenta de se remémorer la demeure de ses parents, mais aucune image ne lui vint, si ce n'est un décor fantasmé.
Elle ne se souvenait pas de s'être fâchée avec son père, ni ne ressentait la cicatrice de son absence.
Orpheline sans trauma. Et si cet accident était une bénédiction, l'occasion de se racheter, d'effacer l'ancienne Charlie Longe ?
Elle en vint à craindre de retrouver un jour la mémoire et la personnalité qui va avec.
Elle en vint même à prier que ce jour soit une nouvelle naissance. On gomme tout et on recommence, l'apprentissage des sentiments, les règles de socialisation.
On réapprend à aimer, tolérer, comprendre, pardonner. Mais avec qui ? Elle avait apparemment fait le vide autour d'elle.
Elle n'avait plus personne à aimer, plus rien à pardonner. Mauvaise idée. Remonter le fil, creuser profond, chercher et chercher encore." p.79

Tout le monde se souvient probablement de l'excellent "Un jour sans fin" (l'auteure y fait d'ailleurs allusion) qui mettait en scène un Bill Murray condamné à revivre la même journée à l'identique. Ou presque car il conservait néanmoins la mémoire des jours précédents, ayant ainsi la possibilité d'influencer le cours des journées suivantes.
Charlie, elle, ne peut compter que sur son journal, bien que celui-ci lui joue parfois de mauvais tours.
"Souviens-toi de demain" étant un thriller psychologique, vous vous doutez bien que tout le monde ne souhaite pas venir en aide à Charlie.
En parallèle à sa quête personnelle, nous suivons donc le quotidien d'un homme sans scrupules qui met tout en oeuvre pour exploiter son amnésie (ce qui est quand même bien crapuleux).
Charlie, du fait de sa perte de mémoire et de son manque de repères, s'avère être une proie facile et manipulable à souhait.
A-t-elle encore une place dans le monde ? A qui peut-elle faire confiance ?
Perdue, elle ne sait pas vraiment vers qui se tourner d'autant qu'elle ne peut même pas compter sur elle-même.
J'ai sincèrement eu pitié de cette femme qui nage en pleine confusion et je l'ai trouvée assez crédible dans ses réactions.
A quelques exceptions près. J'aurais notamment pris beaucoup plus de notes ou essayé, à l'aide d'une carafe de Redbull, de passer une nuit sans sommeil histoire de tester ma mémoire (il me semble que le personnage joué par Bill Murray tentait le coup).
La problématique de ce qu'on appelle la mémoire antérograde (amnésie à court terme) aurait pu selon moi être un peu plus approfondie.

Les circonstances de l'agression de Charlie sont connues dès les premières pages ce qui, loin de nous gâcher le suspense, installe d'emblée une tension qui ne retombera pas.
"Souviens-toi de demain" fait l'effet d'un long cauchemar éveillé. Un rendu accentué par des chapitres courts qui incitent à ne pas lâcher le livre, un rythme soutenu (sans être infernal) et un style simple mais efficace.
Bien que le sujet de la perte de mémoire soit un thème over-exploité dans ce type de thriller, j'ai trouvé cette lecture assez prenante, machiavélique et énervante comme j'aime, et qui se conclut par une fin qui aurait toutefois pu se passer de l'épilogue.
Un thriller parfait pour l'été qui m'a fait penser à du Pierre Lemaître (en moins tarabiscoté que "Robe de marié").

Je remercie les éditions Calmann-Lévy de m'avoir envoyé ce roman.




25 juin 2014

...à la folie - Sylvain Ricard & James


Publié en 2009, "...à la folie" est un album signé par les français Sylvain Ricard (scénario) et James (illustration).

Ils se sont cherchés du regard durant leurs études avant de s'aimer follement et de se marier dans la foulée. Il travaille dur. Elle reste à la maison. Il gagne assez pour deux.
Tous les matins, elle se lève avant lui, prend garde de ne pas le réveiller, lui prépare son petit déjeuner et le taquine sur ses choix vestimentaires.
Malgré un quotidien réglé comme du papier à musique, une dispute finit par éclater.
Pour trois fois rien et pourtant, la première gifle part. La première d'une longue série.


Le thème de la violence conjugale a déjà si souvent été abordé que j'avais l'impression d'en connaître (théoriquement) tous les rouages.
Or le sujet n'en finit pas de me révolter, me laissant toujours devant cette même interrogation : qu'aurais-je fait à la place de cette femme ?
N'ayant (heureusement) jamais connu pareille situation, la réponse me semble évidente.
Mais ce genre de chose est toujours plus facile à dire qu'à vivre.
Prenons cette femme, éperdument amoureuse d'un mari qui fait sa fierté et autour duquel elle a entièrement construit sa propre vie.
On ne lui connaît pas d'autre activité que de veiller à son bien-être. Quelques visites de sa mère ou de sa meilleure amie. Pas de quoi remplir un quotidien.
Au début, les coups sont visibles. Elle sait au fond d'elle qu'elle est une femme battue et que ce n'est pas normal. Sa mère lui conseille de relativiser et de mieux s'occuper de son mari. Une séparation ? Un divorce ? Ca passera avec le temps. Et puis le mariage c'est pour le meilleur et pour le pire.
De son côté, sa meilleure amie s'inquiète mais elle entre dans un mécanisme de défense, cherchant des excuses à cet homme dont elle apprend à anticiper les réactions pour mieux encaisser les coups.
Il a beaucoup de pression sur les épaules. Il vise une grosse promotion. Ca ira mieux après.
Lui est entièrement tourné vers son travail et son patron dont il s'apprête à prendre la relève. Il se décharge de sa frustration sur sa femme, tout en n'ayant absolument pas conscience de la gravité de la situation. Sa part du récit, égoïste, est d'ailleurs assez édifiante, bien qu'il prétende aimer sa femme.


La force de "...à la folie" réside justement dans ce double point de vue, mettant ainsi en lumière tout ce qui sépare le mari de sa femme. Chacun dans sa bulle si je puis dire.
Un aveuglement de part et d'autre. Alors que lui se fait encourager par son patron à ne pas se laisser marcher sur les pieds, elle entre dans une phase de déni avant de se laisser convaincre par sa meilleure amie de porter plainte contre son mari.
Mettra-t-elle fin à ce dangereux engrenage ?
Certains plans les montrant assis d'un bout à l'autre d'un canapé suggèrent une thérapie de couple.

J'ai eu un peu de mal au départ à apprécier le choix du zoomorphisme qui selon moi traduisait une certaine légèreté (on sait pourtant que ce procédé a fait ses preuves, notamment dans la série "Maus" de Spiegelman).
Or c'est justement cette apparente légèreté qui accentue toute la gravité du récit (hum...j'espère être claire là...).
Le discours est relayé par des illustrations sépias, sobres mais suffisamment explicites.
"...à la folie" nous montre que la violence conjugale ne se résume pas au nombre de coups portés mais participe aussi d'un processus d'enfermement psychologique.
Les victimes, bien souvent livrées à elles-mêmes, se laissent entraîner dans une terrible spirale de violence et de dépendance affective, au point d'en arriver à redéfinir leurs rapports de couple pour anticiper cette violence, au lieu d'y mettre fin.
Certaines parviennent à en sortir. Malheureusement pas toutes.
Un album à lire si le sujet vous intéresse.

Les avis de Choco (Joyeux anniversaire miss !) - Cuné - Sandrine


13ème participation à la bd du mercredi chez Mango

Logo BD noirLogo BD rouge


11 juin 2014

Blast, tomes 1 à 4 - Manu Larcenet


                               



 

"Blast" est une série en 4 tomes, publiés entre novembre 2009 et mars 2014 et réalisés par le dessinateur français Manu Larcenet, notamment connu pour la série "Le combat ordinaire".

Polza Mancini, ancien critique gastronomique de 38 ans, est placé en garde à vue pour l'agression de Carole Ondinot.
Interrogé par deux inspecteurs, l'homme revient sur les dernières heures de son père et sur cette fameuse nuit durant laquelle il connut son premier "blast" qui prend les traits d'une statue Moaï.


Exaltation. Transe. Révélation d'un monde sans morale.
Libre pour la première fois, Polza s'est affranchi du monde des hommes, des responsabilités, des liens affectifs pour se retirer dans le monde sauvage, entre isolement et contemplation.


J'ai profité de la sortie du dernier opus pour découvrir la série cul sec...Et on peut dire que j'ai plutôt été secouée par cette lecture. Dérangeante ? (In)humaine ?
Au premier degré, "Blast" pourrait se résumer au gros délire toxico-éthylique d'un obèse en mal de vivre.
En réalité, "Blast" est d'une profondeur inattendue. Sur le mode de la confession, le lecteur suit les errances d'un homme au physique ingrat (dont il s'amuse et qu'il cultive) en proie à des pulsions (auto) destructrices : un homme qui a choisi le suicide à petit feu et s'en donne les moyens. Pas de retour en arrière possible.
Marginal et hors normes, Polza symbolise tout ce que la société refuse de voir.

La série "Blast" porte en elle la violence sous toutes ses formes (la transition entre les deux premiers tomes et les deux derniers est assez saisissante !), celle infligée à soi-même (l'obésité morbide de Polza et son problème au foie ne l'empêchent pas de se remplir à l'excès dès qu'il peut) et aux autres.
Seuls ses moments de communion avec la nature et ses éléments ainsi que ses épisodes de blast - représentés par des dessins d'enfants colorés - rompent pour un temps seulement avec la noirceur ambiante.
N'allez pas croire qu'étant ivre et shooté la plupart du temps, Polza ne soit qu'un illuminé incapable de raisonnement logique ou d'une certaine sensibilité poétique.
Au contraire, il m'a surprise bien des fois dans ma naïveté. J'ai eu un certain mal à mettre le doigt sur ce qui m'avait tant déroutée dans cette série mais j'ai fini par trouver.
Certaines réflexions, pourtant à contre-courant et placées dans un contexte malsain, ont fait mouche en moi alors que je n'adhérais pas du tout à qui il était, ce qui était plutôt perturbant...
En résumé, "Blast" ne se lit pas, il se vit.
Et je n'ose même pas imaginer dans quel état d'esprit s'est plongé Larcenet pour en arriver à un tel résultat...

A découvrir si ce n'est pas encore fait et si l'on ne craint pas la nausée ou la dépression (ou les deux)...



12ème participation à la bd du mercredi chez Mango

Logo BD noirLogo BD rouge