30 avril 2014

Le bleu est une couleur chaude - Julie Maroh


       


Publié en 2010 et réédité en octobre 2013 suite à son adaptation cinématographique - La vie d'Adèle -, "Le bleu est une couleur chaude" est un album écrit et illustré par la française Julie Maroh, également auteure de l'album "Skandalon" (septembre 2013).

A sa mort, Clémentine lègue ses journaux intimes à Emma, l'unique amour de sa vie. Un amour passionné et authentique mais condamné par ses parents et autrefois par ses camarades d'école. Au fil de sa lecture, Emma retrouve Clémentine en 1994 alors qu'elle était encore lycéenne.
Clémentine sort alors avec Thomas mais toutes ses certitudes s'effondrent lorsqu'elle croise le regard d'Emma.
Perturbée par des sensations nouvelles, interdites, la jeune femme oscille entre envie, exaltation et honte.
Parviendra-t-elle à assumer son amour pour Emma ?






Assez déçue par "La vie d'Adèle" qui m'avait ennuyée, plus pour son scénario que pour son jeu d'actrices, et dérangée par ses scènes de sexe poussives et répétitives (sans doute parce que filmées par un homme), je m'étais laissée dire que l'album dont s'inspirait le film valait vraiment le coup.
Et j'ai bien fait de tenter la découverte !
J'ai terminé cet album le coeur serré, d'abord triste pour Clémentine qui se pose des tas de questions puis, lorsqu'elle sait ce qu'elle veut, ne parvient pas à l'assumer socialement.
Puis énervée face au rejet et à certaines réactions violentes. Puis triste à nouveau par rapport au dénouement de l'histoire.
Difficile de rester sans émotions face à cette histoire, comme de ne pas éprouver de tendresse pour Clémentine et Emma.
L'homosexualité dans notre société continue à faire couler beaucoup d'encre alors même que le simple fait d'en faire débat constitue une atteinte aux libertés individuelles.
Je suis d'avis que chacun devrait pouvoir gérer sa sexualité comme bon lui semble, tant que ça ne fait de mal à personne. Point.
L'album se focalise d'ailleurs beaucoup sur des plans entre Emma et Clémentine, presque comme seules au monde. Dans leur intimité. Dans ce qui ne devrait regarder qu'elles.

                                                                            




Le discours se veut simple mais essentiel, le dessin dans les tons noir-blanc-gris rappelle l'univers de la série Sambre jusque dans le choix d'une seule couleur vive (ici le bleu pour distinguer Emma).
Seul (petit) bémol : l'éditeur aurait pu corriger les quelques fautes d'orthographe présentes dans l'album à l'occasion de la ré-édition. Mais je chicane :)

Si je voulais me lancer dans une comparaison entre cet album et "La vie d'Adèle", je dirais que, hormis des libertés prises par le réalisateur par rapport au scénario d'origine, ce qui selon moi distingue clairement ces deux oeuvres, c'est leur angle de vue.
Pour ma part, il m'a semblé durant tout le film que le réalisateur s'employait à démontrer que cette histoire d'amour courait à sa perte en prenant le parti de creuser les différences entre les deux jeunes femmes.
Là où Julie Maroh s'échine à vouloir les réunir, à démontrer qu'elles sont faites l'une pour l'autre, même si leur relation n'est pas parfaite.

Je ne vous recommande pas forcément le film. En revanche je vous conseille vraiment la lecture de cet album.
L'avis de Julie Maroh sur "La vie d'Adèle" : ici



 
Dixième participation à la bd du mercredi chez Mango

Logo BD noirLogo BD rouge



21 avril 2014

Happy birthday grand-mère - Valérie Saubade


Publié en 1999, "Happy birthday grand-mère" est le premier roman de l'écrivaine française Valérie Saubade, notamment auteure des romans "Les petites soeurs", "Marche arrière" ou encore "Miss Sweety".

A la suite d'un AVC survenu deux ans plus tôt, Eléonore, 80 ans, s'est retrouvée hémiplégique et donc privée de la parole et condamnée à se déplacer en fauteuil roulant.
Sous prétexte de s'occuper d'elle, sa fille Elizabeth et son gendre emménagent chez Eléonore alors qu'avant sa maladie celle-ci avait toujours poliment éludé la question.
Il faut dire que les relations mère-fille sont loin d'être harmonieuses. Pianiste de renom et femme séduisante, trop occupée à privilégier sa carrière musicale et ses amants, Eléonore en a complètement négligé sa fille. Pour ne rien arranger, elle n'a jamais caché sa nette préférence pour son fils Brian.
Elizabeth compte bien lui faire payer au jour le jour ce manque d'affection, non sans s'assurer de toucher entièrement son héritage...

" Elizabeth ne manifestait pas une tendresse excessive à mon égard, mais il était clair qu'elle s'était prise d'une grande affection pour ma maison.
C'était peut-être le seul sentiment que nous partagions, elle et moi." p.34

J'avais reçu ce roman de la part de Clara pour mon anniversaire il y a quelques années.
Je suis tombée dessus par hasard en cherchant un titre dans ma bibliothèque et j'ai décidé qu'il était grand temps de faire honneur à ce cadeau :)
En découvrant la première phrase ("J'ai décidé hier après-midi de tuer ma fille") qui donne tout de suite le ton, je m'attendais à un récit centré sur de multiples tentatives d'assassinat des deux côtés.
Or le roman se concentre surtout sur l'ambiance électrique qui règne entre Eléonore et sa fille, particulièrement sur la cruauté d'Elizabeth qui prend un malin plaisir à humilier sa mère, à la priver de musique et de compagnie, à l'ignorer ou à l'"oublier" dans un coin et même à tenter de la déloger.
D'ailleurs, je n'ai pas trop compris ce qui empêchait Eléonore de faire appel à son vieil ami notaire pour faire dégager sa fille et son mari de chez elle.
Certes, elle se sert quand même de lui comme moyen de pression, sachant qu'elle reste libre de modifier son testament.


D'un bout à l'autre de ma lecture, j'ai ressenti toute l'impuissance et la frustration d'Eléonore à ne pas pouvoir claquer le bec à sa fille. Il est vrai qu'Elizabeth a des raisons légitimes de lui en vouloir. De là à s'en prendre à une vieille femme sans défense...

" Recroquevillée dans l'ombre, j'attendais tous les soirs que Madame Chabot eût terminé de récurer la cuisine pour venir me coucher. Une fois leur repas achevé, Elisabeth et Catherine se disputaient, tel un vieux couple, le privilège de choisir un programme de télévision.
Installées confortablement dans mes meubles, elles s'employaient à oublier jusqu'à mon existence.
Je luttais avec énergie pour sortir de cet exil intérieur. Je me sentais encore tellement vivante." p.161

Les mots sont durs dans la bouche d'Eléonore, narratrice de ce roman qui débute le jour de son quatre-vingtième anniversaire pour s'achever exactement un an plus tard.
Chacune à leur manière, toutes deux se montrent sans pitié l'une envers l'autre. Chaque page tournée me faisait me demander ce que l'une et l'autre mijotait.
J'étais donc partagée entre la curiosité amusée et le malaise face à cette tension permanente parfaitement bien rendue par l'auteure. Le récit est ponctué de quelques rebondissements bien dosés.
Le personnage d'Eléonore m'a vraiment séduite par son goût pour les plaisirs de la vie, sa sagacité et sa dignité.

J'aime ce genre de roman au ton acide qui m'a fait penser à du Willa Marsh, merci Clara pour ce cadeau pas empoisonné ;)


D'autres avis : Clara - Sandrine


18 avril 2014

De Sacha à Macha - Rachel Hausfater et Yaël Hassan






"De Sacha à Macha" est un roman écrit par les françaises Rachel Hausfater et Yaël Hassan.
Publié pour la première fois en 2001, ce titre est à nouveau disponible en librairie depuis le 16 avril.

Sacha, collégien triste et refermé sur lui-même, adresse des emails au hasard à des inconnus jusqu'au jour où il obtient une réponse de Macha, une adolescente qui contrairement à lui se montre très bavarde.
Au fil de leurs échanges virtuels, de confidences en confidences, se tisse une amitié sincère qui pourrait bien changer la vie de Sacha...

Pourquoi lis-je encore des romans jeunesse alors que je n'accroche que rarement à leurs histoires ?
Parce que je suis parfois curieuse de découvrir ce qui se fait pour la jeunesse (mais pas au point de me lancer dans des sagas young adult).
Mais surtout parce que je ne résiste tout simplement pas au genre épistolaire, que ce soit sous la forme d'échanges de lettres ou d'emails.
Malheureusement - et c'est le cas pour 3/4 des romans jeunesse que je me hasarde encore à lire - deux choses m'ont dérangée dans ce roman, à commencer par le style des narrateurs.
Une fois n'est pas coutume, j'ai senti le langage adulte derrière certains de leurs propos. Quel adolescent utiliserait un mot comme "parcimonie" ou des expressions telles que "rester lettre morte" ou "du lard ou du cochon" ?
Peut-être répètent-ils des mots entendus chez leurs parents mais je reste tout de même dubitative...

La deuxième chose qui m'a gênée est un manque de naturel dès les premières pages. Alors que Sacha s'est contenté d'une phrase lapidaire lancée au petit bonheur la chance, Macha lui envoie une grosse tartine en retour.
Qui donc prendrait la peine de répondre à ce genre de sollicitation qui pourrait très bien être un simple spam ? Certes, Macha mentionne qu'elle ne surfe sur internet que lorsque son frère est absent ou veut bien lui prêter son ordinateur.
On peut donc imaginer que celle-ci, peu habituée à ce qui se passe sur le web, ne se soit pas posée de questions.
A moins que sa curiosité l'ait emportée sur son appréhension ? Bref.
Le deuxième élément que j'ai trouvé artificiel est la rapidité avec laquelle Macha découvre précisément la situation dont souffre Sacha. Sacré coup de poker tout de même...
Et une fois le secret mis à jour, elle ne le lâche plus d'une semelle sur le sujet quitte à lui donner des ordres (!)
On peut dire que Macha est bien tombée puisque Sacha a justement besoin d'être bousculé.
A force d'impertinence, elle réussira à faire débloquer une situation qui résulte d'un manque de communication.
C'est bien la seule chose que j'ai aimée dans ce roman, le sujet de fond abordé : la communication entre les êtres est essentielle et permet de résoudre bien des conflits.
Dommage aussi qu'on ne sache finalement rien de Macha : si la communication se veut à double sens, le problème de Sacha s'avère être au centre de leurs discussions.

Vous l'aurez compris, je n'ai pas franchement accroché à ce livre...
Ceci dit, sachant que ce roman en est à sa 3ème édition et qu'il semble remporter l'adhésion des lecteurs et de beaucoup d'enseignants (la présente édition comporte d'ailleurs un cahier pédagogique), mon avis est d'autant plus à prendre avec des pincettes.

Merci aux éditions Flammarion de m'avoir envoyé ce roman.

L'avis de George


16 avril 2014

L'Esprit du Temps, tomes 1 et 2 - Benjamin Lacombe

 

"L'Esprit du temps" est une série en deux tomes - publiés respectivement en 2003 et 2005 -, la première (et seule à ce jour si je ne me trompe pas) bande-dessinée réalisée par Benjamin Lacombe.

La veille de son mariage avec le prince Xao Ping - futur empereur de Chine - la jeune Setsuko tombe sous le coup d'une malédiction proférée par Daïo, un de ses prétendants éconduits.
Derrière Daïo se cachait en réalité Daïtoku, dieu de la Mort qui, pour forcer la jeune femme à l'aimer, fait d'elle un Esprit du Temps.
Enfermée dans le temple de Daïtoku, Setsuko ne peut en sortir qu'en prenant possession d'un corps humain ayant franchi la porte du temple. Elle ne dispose que peu de temps car si elle ne rentre pas avant l'arrivée de la Lune, le "corps emprunté" rejoindra le royaume des Morts...
Au bout de deux siècles, Setsuko entame sa première sortie et découvre un monde nouveau...

Lorsque j'ai appris par hasard l'existence de cette série, je ne me suis pas trop posée de questions (si ce n'est : pourquoi n'en avais-je jamais entendu parler jusqu'ici ?) et me suis empressée de la commander.
J'ai tout d'abord été très surprise par le dessin, sensiblement très différent du style que l'on connaît à Benjamin Lacombe.
Passé le premier choc visuel, je suis rentrée très facilement dans ce premier tome, qui nous présente Setsuko et ses proches avant d'aborder la malédiction qui pèse sur elle.
Même si l'on assiste à la première sortie de Setsuko en samouraï à l'issue de ce tome, il reste principalement une introduction qui jette les bases d'un univers qui sera développé dans le second tome.
Dans le second tome, on découvre Setsuko en jeune femme, vraisemblablement plus âgée (ce qui est plutôt bizarre pour un esprit non ?) qui attend son heure pour pouvoir repartir dans le temps.
Elle se retrouve propulsée plusieurs siècles plus tard dans le corps d'une Portugaise à l'heure où les Portugais, esclavagistes, sont perçus comme des démons par les Japonais.
On retrouvera également Setsuko à Nagasaki dans la peau d'un kamikaze à l'heure de la seconde guerre mondiale.

 



Et là, alors que le mot de l'auteur à la fin du tome 1 nous promettait également une réflexion sur le Japon actuel, voilà que l'histoire s'achève brutalement durant la seconde guerre mondiale.
Kezako de la suite ? Il n'y en a pas car le tome 3 n'a apparemment jamais vu le jour.
La série "L'Esprit du Temps" n'est d'ailleurs pas mentionnée sur le site officiel de Benjamin Lacombe, ce qui laisse croire à l'abandon définitif de la série. A moins que l'auteur, insatisfait, ait choisi de renier son oeuvre ?
Dommage car je n'ai pas non plus pu connaître le mot de la fin quant au moyen évoqué pour lever la malédiction de Setsuko.

 




"L'Esprit du Temps" s'imprègne à la fois d'un monde de légendes et d'histoires tragiques comme on peut en rencontrer dans la littérature japonaise, mais également de l'univers de Disney dont l'auteur se dit particulièrement fan depuis l'enfance.
Certains ont d'ailleurs rapproché cette série du dessin animé "Mulan". Un avis que je partage.
Bien que Benjamin Lacombe ait complètement changé de style visuel par la suite, on retrouve déjà dans cette série ce thème de la différence et du rapport à l'autre et son goût pour les destinées tragiques et les amours contrariées par la malédiction.
Comme une esquisse de son magnifique album "Les Amants Papillons".

Neuvième participation à la bd du mercredi chez Mango

Logo BD noirLogo BD rouge


14 avril 2014

Crime parfait, Les Mauvaises Lectures - Eric Emmanuel Schmitt


"Crime parfait" et "Les Mauvaises Lectures" sont deux nouvelles extraites du recueil "La rêveuse d'Ostende" publié en 2007 et signé par Eric-Emmanuel Schmitt, notamment auteur de "Petits crimes conjugaux", "Oscar et la dame rose", "La part de l'autre" ou encore de "Ulysse from Bagdad".

En précipitant son mari Gab du haut d'une falaise dans les Alpes, Gabrielle pense avoir commis le "Crime parfait". A présent Gabrielle n'a qu'une hâte :  visiter la pièce secrète de Gab et découvrir enfin le contenu de cette cachette qui lui a toujours été interdite !
Son projet se voit malheureusement interrompu par l'apparition d'un témoin inattendu, un berger, qui affirme l'avoir vue pousser son mari dans le vide.
Les proches du couple se refusent à croire à une thèse autre que celle de l'accident. Tous s'entendent sur le fait que Gabrielle et son mari formaient un couple heureux et sans histoires, depuis 30 ans.
Gabrielle réussit à persuader son avocat de son innocence.
Mais au fond, qui tente-t-elle de convaincre ? Que reprochait-elle exactement à Gab au point de le tuer ?
Le professeur Maurice Plisson, pourtant grand lecteur, dénigre la fiction, forcément mensongère, sous toutes ses formes et méprise "Les Mauvaises Lectures" qu'il qualifie de passe-temps pour femmes seules.
Comme tous les ans, il part en vacances avec sa cousine Sylvie. Durant un arrêt au supermarché, celle-ci se précipite sur le dernier roman d'un certain Chris Black.
Maurice lève les yeux au ciel avant de s'intéresser d'un peu plus près au résumé du livre qui mentionne un mystérieux manuscrit du 16ème siècle.
Intrigué par cette allusion historique, Maurice cède à la curiosité et entame le roman, à l'insu de sa cousine.
Va-t-il se laisser prendre au jeu de la fiction ?

J'ai depuis quelques années renoncé à lire les derniers ouvrages d'Eric-Emmanuel Schmitt, lassée par sa tendance à la vulgarisation philosophique doucereuse.
Du moins était-ce le cas jusqu'à ce que je tombe (je ne sais plus comment) sur les billets très enthousiastes de Liliba et Sandrine, par rapport à la version audio du premier texte lu par Pierre Arditi.
Je les remercie toutes les deux pour cet excellent moment de lecture !

Comme le renseigne le sous-titre, "Crime parfait" et "Les Mauvaises Lectures" sont deux nouvelles à chute (et c'est peu de le dire...).
Ces deux textes ont pour point commun de présenter des personnages sûrs de leur jugement, persuasifs mais pas totalement dénués de curiosité.
C'est d'ailleurs cette curiosité qui se retournera contre eux, le doute et la paranoïa s'instillant de plus en plus au fil du récit, au point que Gabrielle et Maurice voient leurs certitudes s'effondrer insidieusement jusqu'à l'issue finale, terrible pour l'un comme pour l'autre.

"Plus on s'élève et plus dure sera la chute" comme le dit le proverbe chinois.
A l'image de ces deux-là, je suis tombée de haut. Malgré que leurs cheminements respectifs ne présageaient rien de bon, je me suis tout de même laissée surprendre !
J'ai également beaucoup apprécié l'humour déployé par l'auteur dans "Les Mauvaises Lectures". Dans la mesure où il est question d'un auteur à succès dont le lectorat est principalement féminin, j'y ai vu une certaine auto-dérision, un pied de nez aux critiques.
Même si, vu le nom du faux auteur (Chris Black) et le faux scénario, j'ai plutôt pensé à une caricature de Dan Brown et de son Da Vinci Code.

" Vérifiant que Sylvie et ses amies, absorbées par leur conversation, ne l'observaient pas, il retourna le volume d'un geste discret. "Combien de pages, ce pavé ? Huit cent pages ! Quelle horreur ! Quand je pense qu'on abat des arbres pour ça, imprimer les immondices de M. Chris Black...Il doit vendre des millions de volumes dans le monde entier, ce salaud... A cause de lui on détruit une forêt de trois cents ans à chaque best-seller, vlan, on coupe, la sève coule !
Voici pourquoi on bousille la planète, on supprime les poumons du globe, ses réserves d'oxygène, ses écosystèmes, pour que de grosses femmes lisent ces gros livres qui valent zéro ! Ca me dégoûte..." p.74

 " Ecrire des romans, c'est s'adresser à une population de femmes désoeuvrées, guère plus, et vouloir y chercher des suffrages ! N'était-ce pas Paul Valéry, un intellectuel respectable, qui refusait d'écrire un texte commençant par "La marquise sortit à cinq heures" ? Comme il avait raison !
S'il refusait de l'écrire, moi je refuse de lire : "La marquise sortit à cinq heures" !
D'abord, la marquise de quoi ? Où habite-t-elle ? A quelle époque ? Qui prouve qu'il était bien cinq heures, non cinq heures dix ou cinq heures trente ? Qu'est-ce que ça changerait d'ailleurs, si c'était dix heures du matin ou dix heures du soir puisque tout est faux ? 
Vous voyez, le roman, c'est le règne de l'arbitraire et du n'importe quoi." p.77

A ceux et celles qui ont lu le recueil "La rêveuse d'Ostende", toutes les nouvelles sont-elles du même acabit ?


11 avril 2014

Le bruit de la gifle - Emmanuelle Urien


En librairie depuis le mois de janvier, "Le bruit de la gifle" rassemble 10 nouvelles de la française Emmanuelle Urien, notamment auteure du recueil "Court, noir, sans sucre" et du roman "L'Art difficile de rester assise sur une balançoire".

Tous les ans, Armand se rend sur la même plage pour rendre hommage à son oncle et sa tante noyés en mer et pour savourer sa solitude au goût de "Pain, beurre, chocolat".
"Le bruit de la gifle" ou la rencontre entre un homme et une petite fille réfugiée dans sa librairie.
Dans "Les pieds dans le plat", Violette Vireux se fait interroger par deux policiers à la suite de l'annonce du décès de son mari.
Sur un coup de tête et pour échapper au vide de sa vie, une femme abandonne son mari et ses enfants pour aller vivre dans la maison de sa tante, tout juste décédée.
Pas sûr qu'elle parvienne à échapper à la "Mécanique de l'attente".
"Têtes mortes". Par une froide journée d'hiver, un agent du Samu social découvre, parmi les 13 nouveaux sans-abris, une personne qu'il a bien connue et qu'il aurait toutes les raisons de ne pas aider.
Un fils songe à se débarrasser de son père dont la maladresse est telle qu'il a derrière lui un véritable "Tableau de chasse".
Isabelle ne veut jamais rien faire tant elle voit le mal partout. Son mari, à qui elle essaie toujours de "Faire porter le chapeau" sort se promener pour échapper à leur routine.
"Bateau sur l'eau". Pour se venger de cette femme dont il n'arrive pas à se faire aimer, un homme lui dérobe son précieux bateau et se retrouve à la dérive, largué en pleine mer.
"The sock issue" ou la complainte silencieuse d'une épouse, réprimandée par son mari parce qu'elle ramasse systématiquement ses chaussettes abandonnées au pied du lit.
Dans "Insulaire", un homme souffre que sa vie de couple soit rythmée par les lectures de sa femme, paralysée suite à une maladie, et qui ne le regarde plus.

" Rien. Je n'attends rien.
C'est un soulagement. Un repos mérité, du corps et de l'esprit, après tant d'années à donner - donner, et tenacement espérer recevoir quelque chose en retour. Reconnaissance, affection, amour.
Comme sur les prospectus mal orthographiés des marabouts de pacotille.
Sans doute ai-je eu mon lot de tout cela, au fil du temps.
Un fil tendu à craquer, toujours prêt à s'effilocher davantage, mais qui a tenu bon jusque là, bien qu'usé jusqu'à la corde.
Le lent secret des hommes est de vider celles qui les nourrissent, ils leur soutirent leur substance, leur arrachent leur âme, ne leur laissent en échange que des bribes, des miettes - les bas morceaux des sentiments. Tant de luttes, de répétitions dans le vide, le vague, pour un simple merci, un morne s'il-vous-plaît.
Tellement de concessions, d'orgueil ravalé ou de juste colère rentrée, pour un baiser, sur la bouche au début, puis qui file sournoisement vers la joue, pour finir par simplement vous effleurer le front, en habitude distraite.
La même habitude qui vous fait vous laver les mains en sortant des toilettes. 
Cette mécanique de l'indifférence est leur arme mortelle pour réduire la femme à néant." p.45

Ma dernière rencontre avec Emmanuelle Urien et son roman "L'Art difficile de rester assise sur une balançoire" s'était soldée par une impression très mitigée.
Lorsque j'ai appris la sortie de son dernier recueil, j'ai espéré y retrouver le même engouement qu'à la lecture de l'excellent "Court, noir, sans sucre".
Si j'ai aimé la plupart de ces nouvelles, j'ai trouvé leurs chutes moins brutales et donc moins marquantes que celles du précédent recueil.
Ou bien en attendais-je trop tôt et me suis-je habituée au style de l'auteure au point de deviner plus facilement ses intentions ?
Certes, l'auteure reste ici dans le même registre amer - lequel lui sied d'ailleurs fort bien - en proposant des personnages qui ressentent tous le besoin de se libérer de quelque chose ou de quelqu'un qui les pèse depuis trop longtemps.
Certains continueront d'encaisser là où d'autres orchestreront leur délivrance.
"Les pieds dans le plat" m'a plu, sans doute parce que calqué sur le génial "Coup de gigot" de Roald Dahl.
J'ai également apprécié "Tableau de chasse", "Têtes mortes", "Insulaire" aux chutes les plus "spectaculaires". Ce n'est pas que j'ai détesté les autres mais je constate qu'elles n'ont rien déclenché de particulier en moi.
J'espère que "Tous nos petits morceaux" encore dans ma PAL me comblera entièrement.
 

D'autres avis : Sylire - Cathulu - Daniel

MERCI aux éditions Quadrature de m'avoir envoyé ce recueil

9 avril 2014

La Propriété - Rutu Modan


Publiée en hébreu en 2013 et disponible en français depuis le mois de février, "La Propriété" est une bande-dessinée de la dessinatrice israélienne Rutu Modan.

Deux mois après le décès de son père, Mica quitte l'Israël pour accompagner sa grand-mère Regina à Varsovie et récupérer la propriété de ses arrière-grands parents qui ont fuit le régime nazi en 1939.
Mais à leur arrivée à l'hôtel, sa grand-mère consulte l'annuaire et change brusquement d'avis.
C'est seule que Mica se rend dans les ruines du ghetto juif, encombrée par un lointain ami de la famille rencontré par hasard dans l'avion et qui la suit partout.
La jeune femme réussit à lui fausser compagnie grâce à Tomasz, un charmant guide touristique.
Restée à l'hôtel, sa grand-mère compose le numéro d'un certain Mr Gorski.
Qui est cet homme et pourquoi Regina souhaite-t-elle à présent rebrousser chemin ?

Rutu Modan nous propose un album assez dense, dont l'action est étalée sur 7 jours, et dont l'objet principal n'est pas, comme on pourrait le penser, l'extermination des Juifs (ce qui assez rare que pour être souligné je trouve).
Certes, ce thème apparaît en toile de fond, mais il n'est pas ici le propos premier de l'album, qui tourne surtout autour de la transmission, de la famille, de la jalousie et du souvenir.
L'intrigue consiste principalement en un enchaînement de malentendus et de fausses pistes liés à un secret de famille depuis longtemps enfoui.
J'ai beaucoup apprécié la distance critique et l'humour de l'auteur pour évoquer un contexte qui reste délicat encore aujourd'hui. Ah la scène de la reconstitution ! Ou encore celle de l'avion :


                    

 
Côté dessin, j'ai été frappée, dès les premières pages, par leur familiarité, aussi bien dans le trait que dans le choix des couleurs, avec l'univers d'Hergé.
D'ailleurs, le personnage de Regina, la grand-mère, m'a énormément fait penser à la Castafiore (d'autant que toutes deux ont un sacré tempérament !).
Un bon moment de lecture en somme :)


D'autres avis : Keisha - Aifelle


MERCI à Price Minister-Rakuten ainsi qu'à la librairie Pages après pages pour m'avoir envoyé cet album.

Huitième participation à la bd du mercredi chez Mango

Logo BD noirLogo BD rouge



5 avril 2014

Cette nuit, je l'ai vue - Drago Jancar


Publié en 2010 et disponible en français depuis le mois de janvier, "Cette nuit, je l'ai vue" est un roman de l'écrivain slovène Drago Jancar.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, dans une Yougoslavie désormais gouvernée par le communiste Tito, amant, ami, mère et gens de maison se relayent pour évoquer la disparition brutale, le jour du Nouvel An 1944, de Léo et Veronika Zarnik.
Certains s'en inquiètent, d'autres en témoignent.
Mais tous s'accordent à dire que si Léo se montrait assez réservé, Veronika était une femme lumineuse, pleine de vie, insouciante et vraisemblablement désintéressée de la chose politique.
Comment une telle femme aurait-t-elle pu être absorbée par la noirceur de la guerre ?

" On vit une époque où on ne respecte que les gens, vivants ou morts, qui étaient prêts à se battre, même à se sacrifier pour les idées qu'ils ont en partage. C'est ce que pensent les vainqueurs et les vaincus. Personne n'apprécie les gens qui ne voulaient que vivre. Qui aimaient les autres, la nature, les animaux, le monde, et se sentaient bien avec tout ça. C'est trop peu pour notre époque. Et même si moi, je peux me compter parmi ceux qui, bien que vaincus, ont combattus, au fond, moi je voulais seulement vivre. Que cela ait un sens m'a été révélé par cette femme, curieuse, joyeuse, ouverte à tout et un peu triste que j'ai rencontrée dans un pays lointain qui m'est proche. Veronika. Elle voulait seulement vivre en accord avec elle-même, elle voulait se comprendre et comprendre les gens autour d'elle."

Lorsque j'ai commencé ce roman, c'était guidée par l'envie de savoir ce qui était arrivé à ce couple et surtout à cette femme toute en contrastes vis-à-vis du monde qui l'entoure et donc pour le moins intrigante.
Or, plus je m'enfonçais dans le récit et plus ma curiosité allait à reculons. Il faut dire que ce roman polyphonique a pour particularité de converger toujours un peu plus, au fil des confessions des cinq narrateurs, vers le moment à la fois attendu et redouté de l'explication quant à la disparition des Zarnik.
Un vrai puzzle associé à une guerre qui impose de devoir forcément désigner un coupable et choisir son camp.
Partisans ou gestapistes, survivants ou suppliciés, au final personne n'est épargné, ne serait-ce que par sa conscience, traversée par les regrets ou soulagée par le déni.
Tour à tour, chaque personnage replonge dans la douleur de sa mémoire pour faire revivre le souvenir de ce couple et particulièrement de Veronika, cet être précieux dont le parcours s'inscrit fatalement dans la grande Histoire.
J'ai aimé ce juste équilibre, ce fondu entre réalité historique et fiction romanesque souligné par une aisance et une précision dans l'écriture.
L'auteur a selon moi réussi à mesurer et à reproduire toute la complexité des enjeux de cette période sombre en l'habitant de personnages nuancés, faillibles donc humains.
J'ai frôlé le coup de coeur (ah j'aurais aimé que l'officier Stevo ait un peu plus de place dans l'histoire) et j'ai achevé cette lecture non sur des larmes mais avec un profond sentiment de révolte et d'injustice.
Mais comme le dit l'expression, avec des "si" et des "mais", on ne refait pas le monde. Surtout pas celui-là.

J'ai volontairement fait en sorte de ne pas trop en dévoiler sur le contenu de ce roman car j'espère vraiment que mon billet vous donnera envie de le découvrir.
Si vous hésitez encore, l'excellent billet de Marilyne achèvera certainement de vous convaincre :)


MERCI à Babelio de m'avoir envoyé ce roman dans le cadre de sa dernière opération Masse Critique.

tous les livres sur Babelio.com

2 avril 2014

Ida, tomes 2 &3 - Chloé Cruchaudet














Publiés respectivement en 2011 et 2012, les tomes 2 et 3 de la trilogie "Ida" sont signés par la française Chloé Cruchaudet, notamment auteure de "Mauvais genre".

Comme je l'avais déjà indiqué il y a deux semaines, "Mauvais genre" m'avait fait forte impression et je m'étais donc procuré le tome 1 d'Ida que j'avais aimé, sans faire preuve d'un enthousiasme débordant, mais assez que pour avoir envie de terminer la trilogie.
Première déception à la découverte des tomes 2 et 3 : les couvertures.
Je ne suis pas très regardante pour ce qui est des jaquettes de romans mais je trouve que les couvertures ont leur importance dans les albums illustrés/bande-dessinées car elles permettent de se faire une idée au premier coup d'oeil du style de l'illustrateur.
Pour être honnête, sur cette base-là, je n'aurais sans doute pas acheté les tomes 2 et 3 si je n'avais pas apprécié le tome 1 (dont la couverture est vraiment plus belle à mon goût).


Malheureusement, ma désillusion ne fut pas qu'esthétique car il s'est trouvé que j'avais moins aimé le contenu du second tome au premier et nettement moins encore celui du troisième au second.
Bref, je n'ai cessé d'être un peu plus déçue au fil des pages, d'autant que j'espérais que les traits "changeants" d'Ida - dont j'avais parlé dans mon billet consacré au tome 1 - ne se sont pas améliorés dans les tomes suivants.

J'ai néanmoins apprécié deux choses dans ce second tome. La première est qu'il permet enfin de rentrer dans le vif du sujet.
En effet, le premier tome esquissait le profil d'Ida en tant qu'exploratrice tout en la présentant comme une touriste plutôt qu'une aventurière. Et je m'étais dit qu'elle s'en était plutôt bien tirée jusque là.
Disons que dans ce tome-ci, de tonalité plus sombre et moins humoristique, elle se frotte réellement au monde et se retrouve même en danger, en grande partie à cause d'un mélange de naïveté et d'égocentrisme.
Ce qui m'amène à la seconde chose que j'ai aimée dans ce tome 2 : l'épisode dans lequel Ida s'abrite dans une grotte pour la nuit et découvre un massacre à sa sortie.
Un épisode de grande angoisse, visuellement très parlant, qui m'a rappellé une scène du même ordre dans "Mauvais genre".
Ida prend conscience de ce dont les Hommes sont capables, particulièrement les Belges (nous sommes à l'époque de Léopold 2 le colonisateur) et les Français venus en Afrique pour y faire construire un immense réseau ferroviaire et s'enrichir en caoutchouc grâce à des esclaves locaux.
Ida réalise que sa nationalité et son rang ne la protègent pas pour autant.
Dans ce second tome, on apprend également que les guides de voyage d'Ida rencontrent un grand succès. Dommage qu'il ne nous soit pas donné d'examiner d'un peu plus près le contenu de ces carnets.
En ce sens, je nourrissais encore un peu espoir vis-à-vis du tome 3. A tort, hélas.

Le troisième tome tire vraiment l'histoire en longueur et n'était selon moi pas nécessaire dans la mesure où le scénario pouvait tenir en deux tomes.
Ida et Fortunée, sa dame de compagnie, ont rencontré une procession de soeurs catholiques fuyant la guerre.
Faute d'autre solution, toutes deux acceptent de revêtir la robe et de les accompagner dans leur mission de prosélytisme.
Je me suis plutôt ennuyée dans ce dernier tome, si ce n'est que j'ai souri de la façon maligne avec laquelle Ida négocie son retour au pays et au moment de la découverte faite grâce à son collègue explorateur Brazza.
Je l'avais imaginée, à l'image de son courrier au Club des explorateurs de Paris (que j'aurais aimé pouvoir lire), prononçant un discours devant l'assemblée en vue de dénoncer les conditions de vie déplorables des peuples colonisés.
Au lieu de ça, j'ai achevé cette histoire avec un personnage résigné (il n'y a pas un homme pour rattraper l'autre) et l'impression qu'Ida avait ouvert les yeux sur le monde pour les refermer immédiatement à son retour et reprendre sa vie d'avant.

Dommage au bout du compte. J'espère que j'apprécierai davantage "Groenland Manhattan" qui m'attend encore dans ma PAL.


Septième participation à la bd du mercredi chez Mango

Logo BD noirLogo BD rouge