10 septembre 2014

Mon ami Dahmer - Derf Backderf


Publié aux USA en 2012 et traduit en français en 2013, "Mon ami Dahmer" est un album écrit et illustré par l'américain Derf Backderf. Il a obtenu le prix Révélation lors du dernier Festival d'Angoulême.

Avant qu'il le redécouvre sous le macabre surnom de "Cannibale de Milwaukee", Derf/Jeff Backderf a côtoyé Jeffrey Dahmer durant leurs années au lycée de Revere High School.
A l'aide de ses souvenirs, de témoignages d'autres lycéens et d'informations collectées par le FBI, l'auteur reconstitue la descente aux enfers de Jeffrey Dahmer.
Adolescent timide et asocial, ce futur serial-killer ne manquait pourtant pas de faire rire ses camarades de classe en singeant les crises d'épilepsie de sa mère.
Une mère qui plus est dépressive et toujours en conflit avec son père, au point que celui-ci finira par déménager, abandonnant Jeffrey et son jeune frère à l'indifférence de sa femme.
Livré à lui-même, Dahmer se découvre homosexuel mais ne l'assume pas. Les 17 victimes qui lui valurent une peine de prison de 957 ans (!!!) étaient d'ailleurs toutes de jeunes hommes ou des mineurs.
Durant ses années de lycée, Dahmer laisse libre cours à sa fascination pour les cadavres d'animaux (qu'il brûle à l'acide ou dépece) et d'humains qu'il associe à une sexualité débridée.
L'alcool dont il s'enivre jour et nuit parviendra, pour un temps seulement, à calmer ses pulsions malsaines...





"Mon ami Dahmer" est le genre d'histoire qui vous fera passer mentalement en revue vos photos de classe à la recherche de la/du bizarre de l'époque qui tout bien considéré aurait très bien pu devenir un/une serial-killer en puissance (et si en plus vous êtes un peu parano comme moi, vous vous surprendrez à taper quelques noms dans Google...).
S'agissant des signes avant-coureurs présidant à la santé mentale de Dahmer, l'auteur reconnaît que lui et les autres jeunes ne prenaient pas vraiment son comportement étrange au sérieux.
En revanche, il pointe du doigt l'indifférence des adultes, qu'il s'agisse des parents ou du corps professoral.i
Personne n'a jamais signalé que Dahmer était ivre, même en cours.
Derf Backderf a volontairement choisi d'arrêter son scénario au moment où Dahmer commet son premier meurtre car, comme il l'affirme : "Mais une fois que Dahmer tue - et je ne le dirai jamais assez -, je n'ai plus aucune sympathie pour lui".
Et d'ajouter : "Ayez de la pitié pour lui mais n'ayez aucune compassion."

Il s'agissait donc avant tout de restituer sa relation avec Dahmer (on ne peut pas vraiment parler d'amitié) et d'établir la genèse d'un serial-killer.


Et on peut dire que l'album est réussi ! Le dessin, tout en noir et blanc, renvoie à cette génération MTV des années 90 (j'ai notamment pensé à Beavis & Butthead). Derf Backderf nous représente un adolescent au visage de marbre, inexpressif même lorsqu'il est bien entouré ou moqué, cruel sans même s'en rendre compte et dans l'indifférence générale.



A lire si ce type de profil vous intéresse :)

D'autres avis : Canel - Choco - Theoma - Val - Yaneck


17ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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7 septembre 2014

Aussi profond que l'océan - Jacquelyn Mitchard (livre + film)


Publié aux USA en 1996 et traduit en français en 1998, "Aussi profond que l'océan" est le premier roman de l'écrivaine américaine Jacquelyn Mitchard, notamment auteure de "Comme des étoiles filantes" dont je vous ai parlé il y a quelques jours.

Beth Cappadora quitte Madison avec ses trois enfants pour se rendre à Chicago où a lieu la 15ème réunion annuelle des anciens étudiants de son lycée.
Arrivée à l'hôtel, bondé pour l'occasion, elle confie sa petite dernière à la baby-sitter et demande à Vincent, son aîné, de surveiller Ben, son jeune frère.
Le temps de payer sa réservation, Beth se rend compte que Ben a disparu.
La police lance rapidement les recherches et les bénévoles ne manquent pas pour distribuer les avis de disparition.
Mais malgré leurs efforts, Ben reste introuvable.
Dix ans plus tard, alors que Beth et sa famille vivent désormais à Chicago, un garçon d'une dizaine d'années frappe à leur porte...

" - Oui, dit Beth. Je voudrais dire quelque chose à celui qui a pris mon fils dans le hall de cet hôtel.
Je vous en prie, ayez pitié de moi, pensait Beth. Faites preuve d'un peu de compassion et rendez-moi mon enfant, je vous en supplie. Ne lui faites pas de mal...
- Voilà, je n'espère pas que vous me rendiez Ben, dit Beth.
Sarah Chan eut l'air de s'étrangler, la cameraman tressaillit et Beth sentit Pat reculer, comme si une guêpe l'avait piqué.
Mais Candy Bliss leva la main comme un agent de la circulation, et Beth la regarda droit dans les yeux, longtemps.
Tant que les grands yeux bleus de Candy Bliss ne cilleraient pas, elle saurait qu'elle pouvait continuer.
- Je n'espère pas que vous me rendiez Ben, parce que vous êtes un salaud, un fou, et que vous n'avez pas de coeur.
- Madame Cappadora, souffla Sarah. Beth...
- Si vous avez pu faire ça, c'est que vous ne vous rendez pas compte de l'enfer que nous vivons à cause de vous. Ou que vous vous en fichez.
Elle s'éclaircit la gorge.
- Alors je ne vais pas vous supplier. Mais à tous les autres, je dis ceci : s'il vous arrive de reconnaître Ben, vous saurez que la personne qui est avec lui n'est ni moi ni Pat. Ni sa maman ni son papa. Et si vous avez un coeur, je vous demande de tout faire pour lui reprendre Ben.
Même lui faire mal si vous y êtes obligés. Pas de problème, je vous en récompenserai : moi, ma famille, mes amis, nous vous en récompenserons.
On vous donnera tout ce qu'on a. (Beth fit une pause). C'est tout, dit-elle." p.73

Le roman


A l'instar de "Comme des étoiles filantes", "Aussi profond que l'océan" évoque un foyer brisé par un drame. Une famille cernée par la douleur, la culpabilité et les non-dits.
Beth a perdu pied et sombre dans un état léthargique, s'abandonnant entièrement à sa douleur.
Son mari Pat se plonge dans le travail et tente de continuer à vivre malgré tout tandis que leur fils Vincent accumule les mauvais choix et souffre en silence du manque d'intérêt de ses parents pour lui.
Envoyé chez un psy, il lui confie progressivement ce qu'il a sur le coeur.
Des dissensions règnent au sein de la famille et de la belle-famille.
Persuadée que Ben est mort, Beth ne supporte pas que ses beaux-parents continuent à déposer des cadeaux pour Ben tous les Noëls.
Mais comment faire le deuil d'un enfant dont on ignore si il vit encore ou non ?

Contrairement à ce que j'avais déploré dans "Comme des étoiles filantes", la psychologie des différents personnages est ici très bien rendue, particulièrement dans les profils de Beth et de Vincent, qui chacun à leur manière se sentent responsables de la disparition de Ben : elle parce qu'elle a laissé ses enfants sans surveillance rien qu'un instant et lui parce qu'il a lâché la main de son frère.
L'inspecteur Candy Bliss, qui au fil des ans a développé une véritable amitié avec Beth, n'est pas en reste non plus en matière de culpabilité.

Ce qui m'a principalement gênée dans ce roman, ce sont deux grosses incohérences qui selon moi ne pardonnent pas.
Comment Ben a-t-il pu disparaître au milieu d'une foule de gens qui connaissaient tous Beth et ses enfants sans qu'il n'y ait pas un seul témoin ?
La situation semble d'autant plus invraisemblable lorsqu'on apprend qui a fait le coup...
Un scénario gros comme deux pâtés de maison.
Deux pâtés de maisons, c'est justement la distance qui sépare ce jeune garçon ressemblant étrangement à Ben de la maison des Cappadora qui ont déménagé à Chicago.
Un garçon qu'ils n'avaient jamais remarqué en 4 ans jusqu'à ce qu'il sonne à leur porte !
Je ne sais pas vous mais le hasard fait quand même (trop) bien les choses...

Le film




Sorti en salles en 1999 avec Michelle Pfeiffer, Treat Williams et Whoopi Goldberg dans les rôles principaux, le film présente une version allégée, plus "familiale" (genre téléfilm du dimanche après-midi...).
Bien que Michelle Pfeiffer se défende bien dans ce rôle d'épouse et de mère éteinte, le personnage de Beth m'a semblé moins complexe, plus fade que dans le roman où elle était tout de même présentée comme ayant du tempérament.
La relation amour-haine entre Beth et Vincent perd également en profondeur et en complexité.
Idem pour l'amitié entre Beth et Candy, cette dernière étant simplement présentée comme l'enquêtrice.
Pour ne rien arranger, je ne suis pas parvenue à me représenter Whoopi Goldberg dans un rôle sérieux. J'avais toujours l'impression qu'elle était sur le point de raconter une blague alors que la situation ne s'y prêtait pas du tout...
Les entretiens entre Vincent et son psy - probablement ce qui m'intéressait le plus dans le roman - sont carrément passés à la trappe.

A choisir, privilégiez plutôt le roman au film même si vous aurez bien compris que je ne ressors pas très emballée de cette lecture.



A croire qu'il me manque toujours quelque chose avec cette auteure...


Merci aux éditions des Deux Terres de m'avoir envoyé cet ebook.

3 septembre 2014

Ceux qui me restent - Damien Marie et Laurent Bonneau


En librairie depuis le 27 août, "Ceux qui me restent" est un album écrit par Damien Marie et illustré par Laurent Bonneau.

L'avenir de Florent et Jenny s'annonçait plein de promesses. Mais à 39 ans, Florent se retrouve veuf et seul avec Lillie, leur fille de 5 ans.
Durant la traversée qui les ramène en France, Lillie s'égare et, en état de panique, Florent la cherche partout.
Bien des années plus tard, dans sa maison de retraite, il la cherche encore et toujours...


"Ceux qui me restent" traite d'un sujet qui me touche profondément - la maladie d'Alzheimer - et que j'avais déjà évoqué dans mon billet sur "Alzheimer mon amour" de Cécile Huguenin.
Il m'a d'autant plus émue que j'ai perdu mon grand-père l'an dernier et que certains passages m'ont rappelé de pénibles moments.
Mon grand-père est mort seul dans une chambre d'hôpital et j'aime à penser qu'au moment fatidique, il lui restait ne fut-ce qu'une image paisible. Rien qu'une seule.

Florent est un vieil homme en prise avec de douloureux souvenirs qui lui font constamment chercher sa fille, alors que celle-ci vient lui rendre visite toutes les semaines.
Le lecteur entre dans sa mémoire (ou plutôt ce qu'il en reste) décousue par le biais de flash-backs entrecoupés par des scènes du quotidien le montrant entouré de sa fille ou du personnel médical.
Enfermé dans ses derniers zestes de mémoire, prisonnier entre passé et présent, Florent fugue constamment de sa maison de retraite pour retrouver sa fille.
Une fille avec laquelle il a perdu contact pendant un long moment et qu'il confond avec sa femme.


Damien Marie et Laurent Bonneau ont selon moi parfaitement su retranscrire toute la confusion qui règne dans l'esprit de ce vieil homme qui revit en boucle le même cauchemar au quotidien.
Le dessin sobre et légèrement flouté (certains remarqueront que le titre semble légèrement effacé), les couleurs passées, la narration éclatée rendent compte de la solitude extrême qu'impose la maladie d'Alzheimer.
Jusqu'à ce dernier plan montrant Florent à la dérive, seul sur une mer qui s'étire au loin, comme perdu à jamais.

Un album qui m'a laissée sans voix, submergée par l'émotion. Un coup de coeur comme ils se font trop rares ici. Et pas des moindres.

L'avis de Yaneck

16ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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