29 avril 2012

Le livre des brèves amours éternelles - Andreï Makine


Publié l'an dernier, "Le livre des brèves amours éternelles" est un roman de l'écrivain d'origine russe Andreï Makine, notamment auteur de "Testament français", "La Musique d'une vie", "La femme qui attendait" ou encore de "La Vie d'un homme inconnu".

Il y a cet orphelin dont le regard croise celui d'une femme pleurant son amour perdu dans les tribunes assignées aux deux défilés annuels. Le jeune garçon grandit parmi les ruines d'une Russie aux idéologies fatiguées, multipliant les rencontres. Ress, Maia, Vika, Léonora, Jorka, Kira, autant de femmes et de compagnons d'un jour au contact desquels il apprendra qu'il est possible de se réfugier dans la plénitude d'un instant, même fugace.

" La jeune femme assise sur les tribunes enneigées devint bien plus qu'un souvenir. Une façon de voir, de comprendre, une sensibilité, un ton sans lesquels ma vie n'aurait pas été telle qu'elle allait être.
Après notre fugitive rencontre, j'eus un regard tout autre sur les pesants symboles qui célébraient le projet messianique de ma patrie. Tous ces défilés, cérémonies, congrès, monuments,...Curieusement, j'avais désormais moins envie de les railler, de critiquer l'hypocrisie des dignitaires qui montaient sur les gradins, de dénoncer ces profiteurs pour qui le rêve d'une société nouvelle n'était qu'un vieux mensonge inutile.
Je devinais que la vérité ne se trouvait ni parmi eux ni dans le camp opposé, chez les contestataires.
Elle m'apparaissait simple et lumineuse comme cette journée de février, sous les arbres alourdis de neige. La beauté humble du visage féminin aux paupières baissées rendait dérisoires les tribunes, et leurs occupants, et la prétention des hommes de prophétiser au nom de l'Histoire.
La vérité était dite par le silence de cette femme, par sa solitude, par son amour si ample que même cet enfant inconnu qui descendait les marches en fut ébloui pour toujours." p.45

Je remercie Emmyne d'avoir mis ce roman sur ma route grâce à son billet ! Cela fait maintenant 3 jours que j'ai terminé ce roman et que je me demande quelle serait la meilleure façon d'en parler pour vous donner envie de vous précipiter en librairie.
Mon coup de coeur est double car si j'ai découvert avec émerveillement le parcours de ce jeune narrateur, je ne l'aurais sans doute pas autant apprécié s'il n'était pas porté par une écriture aussi magnifique !
Né en Sibérie et arrivé en France à l'âge de 30 ans, l'auteur a choisi de prendre la plume en français. Un pari risqué mais un résultat qui force l'admiration. Rares sont les écrivains francophones contemporains pouvant prétendre à une pareille maîtrise de la langue.
Mais ces histoires dans l'Histoire se dessinent avec une telle fluidité qu'à peine terminées, je n'avais d'autre envie que de m'en laisser conter à nouveau.

Le récit s'ouvre sur l'histoire de Ress, un dissident ayant voué sa vie à la propagande antisoviétique. Si les multiples condamnations et souffrances dont il fut l'objet tout au long de sa vie n'ont fait que renforcer son insoumission et sa colère vis-à-vis du régime en place, elles lui ont aussi laissé une santé chancelante qui à tout instant semble annoncer sa chute.
Comment cet homme a-t-il réussi à rester debout durant tant d'années ?
C'est qu'il y a eu une femme longtemps auparavant...
Il est d'ailleurs beaucoup question de femmes dans ce roman et à sa façon de les entourer d'une telle grâce, on sent combien l'auteur leur est attaché.
Dans chaque chapitre, le narrateur balaie la grande Histoire, source d'un désenchantement perpétuel, pour s'arrêter avec nostalgie sur ces liens invisibles tissés avec des êtres pourtant brièvement connus.
Je garderai longtemps en mémoire la vive émotion ressentie à travers le portrait de Jorka, cet homme défiguré dans sa jeunesse par des éclats d'obus qui n'aura vécu qu'un seul petit instant de bonheur par procuration.

" Il y a deux sortes d'invalides : ceux qui exposent leur mal, revendiquent bruyamment leur handicap, nous extorquent la compassion obligatoire, et ceux qui s'effacent, portent leur croix en silence et, surpris dans leur éloignement, nous font sentir le souffle d'une existence dont la douloureuse richesse rend notre vie de bien-portants étrangement pauvre." p.139

Le narrateur évoque ces moments de joie aussi furtifs que marquants, lesquels le préservent d'une haine contre son pays, le définissent et participent à entretenir en lui un certain rapport au monde.
Loin de la violence et des cris, il prend le parti d'une autre forme de révolte, celle qui invite à se placer en retrait pour revisiter ce qu'il reste au-delà des échecs, comme lorsqu'il se promène dans cette pommeraie héritée de l'ancien régime qui ne donnera aucun fruit mais arbore pourtant une végétation luxuriante.
S'attacher à l'essentiel, prendre le temps de savourer la douceur d'un instant, aussi éphémère soit-il. C'est une noble invitation que vous lance "Le livre des brèves amours éternelles". Acceptez-la :)

" Notre erreur fatale est de chercher des paradis pérennes. Des plaisirs qui ne s'usent pas, des attachements persistants, des caresses à la vitalité des lianes : l'arbre meurt mais leurs entrelacs continuent à verdoyer.
Cette obsession de la durée nous fait manquer tant de paradis fugaces, les seuls que nous puissions approcher au cours de notre fulgurant trajet de mortels.
Leurs éblouissements surgissent dans des lieux souvent si humbles et éphémères que nous refusons de nous y attarder. Nous préférons bâtir nos rêves avec les blocs granitiques des décennies. Nous nous croyons destinés à une longévité de statues." p.81

L'avis d'Emmyne

23 avril 2012

Journal d'un adieu - Pietro Scarnera


Publié en 2009 en Italie et disponible en français dès demain, "Journal d'un adieu" est le premier roman graphique de l'illustrateur italien Pietro Scarnera.

Durant 5 années, le quotidien de Pietro Scarnera s'est articulé autour de ses visites quotidiennes à l'hôpital où se trouvait son père qui, suite à un arrêt cardiaque, était plongé dans un état végétatif.
L'auteur retranscrit et illustre, étape par étape, l'attente interminable, prélude à la découverte d'un homme qui ne ressemble plus au père qu'il a connu autrefois, ce monde qui le sépare de médecins habitués à côtoyer toutes sortes de patients, la quête d'un regard ou d'un geste significatif, le moindre signe de vie qui lui donnerait l'espoir de pouvoir revoir son père tel que dans son souvenir.

Difficile d'évoquer un tel sujet sans tomber dans un certain pathos. Et pourtant Pietro Scarnera y est parvenu, un peu trop à mon goût...
J'ai apprécié le choix de la bichromie pour représenter ce lieu au temps suspendu, stérile et silencieux qu'est l'hôpital. Appuyé par un trait épuré voire même minimaliste, ce contraste noir et blanc renvoie également aux sensations de vide et de solitude éprouvées par le narrateur lorsqu'il tente d'entrer en contact avec son père ou se pose des questions quant à une possible amélioration de son état.
Bien que je ne sois pas très fan de ce genre de dessins (je m'amusais à colorier ce type de visages indifférenciés quand j'avais 5 ans), je reconnais que les images convoquées par l'auteur attestent d'un réalisme indéniable.



Seulement voilà, durant ma lecture de ces 80 pages, je suis restée sur cette impression de lire un manuel destiné à expliquer le coma aux enfants, utilisant par exemple le mot "docteur" pour "médecin" ou "mort de peur" là où "effrayer" aurait selon moi mieux convenu à un lectorat adulte.
Mais peut-être était-ce là la volonté de l'auteur que de nous renvoyer à ce sentiment de petitesse qu'entraîne la peur et l'impuissance face à la perte d'un être cher.
Quoiqu'il en soit, j'ai trouvé ce narrateur un peu trop simplet, lisse, clinique dans sa façon d'évoquer des souvenirs supposés douloureux et l'émotion n'a donc pas été au rendez-vous malgré le thème abordé.
J'aurais aimé que le dépouillement graphique soit soutenu par une plus grande maturité dans le discours.

Je remercie néanmoins les éditions et de m'avoir offert ce livre à l'occasion d'une opération Masse Critique spéciale bd.

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