29 septembre 2010

Ecrivains - Antoine Volodine


Paru le 2 septembre, "Ecrivains" est le 19ème roman de l'écrivain français Antoine Volodine, également connu sous les pseudonymes d'Elli Kronauer, de Manuella Draeger et de Lutz Bassmann.
7 chapitres, 7 personnages et autant de destins croisés. Placé en maison de santé, Mathias Olbane a pour habitude de jouer à la roulette russe avec son arme et, arrivé au décompte final, repousse sans cesse son suicide.
Linda Woo, enfermée dans une prison, évoque le post-exotisme et l'engagement politique des écrivains. Une femme nue du nom de Maria trois-cent-treize improvise en prison une conférence sur l'image. Un homme, torturé par ses compagnons d'asile, se rappelle ses souvenirs d'enfance pour échapper à la violence des coups et de cette fin qu'il sait toute proche.
Un autre remercie toutes les personnes ayant chacune contribué à leur façon à enrichir sa vie comme son oeuvre.
Bogdan Tarassiev commet plusieurs assassinats tandis que Nikita Kouriline qui s'est toujours senti coupable de la mort de sa mère, décédée en le mettant au monde, enquête sur les circonstances réelles de cette disparition pour en faire un roman qui ne sera jamais publié.

"Ecrivains" dresse une galerie de portraits d'écrivains plutôt atypiques, anonymes en raison d'un manque d'intérêt pour leurs publications ou parce que leurs tentatives de rédaction sont restées inabouties.
Sur le déclin, ils sont tous unis par cette même solitude engendrée par l'écriture comme par l'emprisonnement et l'inaccessibilité au monde extérieur.
Personnages en souffrance parfois malades, écrivains-justiciers voire kamikazes, ils touchent de près à la mort qu'ils savent inéluctable, une situation qui permet à l'auteur de revenir sur leurs antécédents.
Si les différents chapitres composant ce roman peuvent se lire comme des nouvelles, les personnages qui s'y retrouvent convergent tous vers ce que l'auteur dénomme le post-exotisme qui désigne une certaine forme de marginalité vis-à-vis des courants littéraires existants, concept qui se trouve d'ailleurs inscrit dans le reste de son oeuvre.

" Les écrivains post-exotiques n'étaient pas des scribouilleurs de pacotille, ils se sont engagés en politique avec des armes, ils ont pris le chemin de la clandestinité et de la subversion, et sans craindre ni la folie ni la mort ils se sont lancés dans une bataille où ils n'avaient qu'une chance minime de gagner, une chance infinitésimale, et ils se sont ainsi retrouvés soldats et solitaires, dérisoirement peu nombreux sur le front d'une guerre où, combat après combat, ils perdaient tout." p.32


" Ils se sont mis à ruminer sur les promesses non accomplies et ils ont inventé des mondes où l'échec était aussi systématique et cuisant que dans ce que vous appelez le monde réel.
(...) Leur parole a retenti dans un espace où les vivants se raréfiaient, dit-elle avec difficulté. Ainsi et seulement ainsi doit être perçue la littérature post-exotique : comme un dernier témoignage inutile et imaginaire, prononcé par des épuisés ou par les morts et pour les morts. Notre parole." p.36

Vous l'aurez compris, les portraits décrits ici se veulent majoritairement sombres et angoissants.
Or il arrive aussi qu'en écho au désespoir de chacun des protagonistes, un humour acerbe se manifeste de façon timide ou plus prononcée comme c'est le cas dans le chapitre "Remerciements" qui m'a valu plusieurs rictus.

" Parmi les personnes à qui je suis formidablement redevable de m'avoir soutenu dans les moments difficiles, une place toute particulière doit être réservée à Tatiana Vidal, à son mari Olaf et même à leur bébé Carmelita, pour les encouragements qu'ils m'ont prodigués alors que, songeant à me défenestrer, j'avais déjà enjambé le rebord du balcon de leur vingt-deuxième étage.
Sans leurs paroles réconfortantes, intelligentes et appropriées, et sans les sanglots stridents de Carmelita, je crois bien que je n'aurais jamais terminé mon roman Macbeth au paradis." p.76

" Sans établir de hiérarchie dans le mérite, je remercie ici vivement les codétenus avec qui j'ai partagé les quarante semaines de mon incarcération à Jogjakarta, et, en particulier, le chef de cellule Muslim Bang, qui a interdit aux prisonniers de l'étage de me sodomiser et m'a enseigné les subtilités de l'emploi des retardateurs plantés dans un pain de plastic, subtilités qui se sont développées dans Adieu nuages." p.78

"Ecrivains" est un roman qui requiert une attention minutieuse de la part du lecteur car si l'auteur ne fait pas l'économie du détail pour nous transmettre ces portraits fictifs et pourtant plus vrais que nature, son univers imaginaire est si particulier qu'il nécessite une immersion totale de la part du lecteur, chose à laquelle je ne suis pas toujours parvenue.
Une lecture que je qualifierais donc d'exigeante mais dont l'originalité du propos m'a troublée à plus d'un titre.

D'autres avis : Mobylivres - Sarawasti

Un grand MERCI à Hélène et à la librairie Dialogues !

26 septembre 2010

Le maître a de plus en plus d'humour - Mo Yan


Publié en 1999, "Le maître a de plus en plus d'humour" est un court roman signé Mo Yan, écrivain chinois dont l'oeuvre se compose de pas moins de 80 romans, nouvelles et essais tels que "Beaux seins, belles fesses" ou encore "La dure loi du Karma" paru l'an dernier.

A un mois seulement de la retraite, Ding Shikou dit "Le maître" se fait licencier de l'usine de fabrication de machines agricoles après 43 ans de bons et loyaux services.
D'autres employés suivent. Bien que la direction remercie Ding Shikou pour son dévouement et la constante rigueur apportée dans son travail, le désignant aux employés restants comme étant l'exemple à suivre, elle se montre complètement indifférente à son sort.
Alors que la plupart des employés éconduits rebondissent sur leurs pattes, Ding Shikou voit ses économies partir en fumée et se met en tête de trouver une idée qui lui permettrait de gagner sa vie.
Une caravane abandonnée tombe alors à point nommé...

Voici un personnage attachant que ce vieux monsieur frappé par la honte de se retrouver démuni alors qu'en toute logique, ce serait plutôt son ancien employeur qui devrait rougir de la situation dans laquelle il le place.
A travers le parcours de ce personnage naïf affublé d'une conscience, confronté à cette figure déshumanisée qu'est l'entreprise pour laquelle le rendement se veut la préoccupation majeure, Mo Yan dépeint une société individualiste dans laquelle chacun est laissé à son propre sort et où la débrouillardise côtoie la tentation de l'argent facile.
Le lecteur se prend de tendresse pour ce vieil homme qui loin de s'apitoyer sur son sort, reste digne et rebondit comme il peut, non sans éprouver de scrupules quant à cette nouvelle activité qui se veut plutôt cocasse pour un homme de son âge (et c'est bien en cela et non dans ses propos que le maître a de plus en plus d'humour).

" - Un homme qui ne peut pas gagner d'argent pour sa famille, c'est comme une femme qui ne peut pas avoir d'enfants, impossible de garder la tête haute devant les autres !

- Vous avez bien raison, maître.

- Donc je vais entreprendre quelque chose.

- A mon avis, c'est possible.

- Mais les rues sont remplies d'ouvriers au chômage et il y a en plus tellement d'ouvriers flottants! Ce qu'il est possible de faire, on dirait qu'il y a déjà quelqu'un qui le fait.

- C'est bien la réalité.

- Xiaohu, le ciel ne nous laisse jamais sans ressources, pas vrai?

- Maître, c'est une citation de Confucius, alors c'est la vérité, bien sûr !

- Ton maître a trouvé aujourd'hui un moyen de s'enrichir, mais il ne sait pas si il doit le faire...

- A part tuer, incendier, détrousser les gens, maître, je pense que tout est faisable.

- Oui, mais cette chose...j'ai l'impression que c'est un peu un crime..." p.51

Un petit conte sans prétention teinté d'une jolie leçon d'humanité dont l'écriture m'a fait penser à du Schmitt ou encore à "La petite fille de Monsieur Linh" de Claudel, rien de véritablement transcendant mais de temps en temps, c'est le genre de lecture qui fait tout simplement du bien.

24 septembre 2010

Harlequinades 2010 : Orgie et préjugés (suite et fin) - Jane Ose Team


Hier, nous avions laissé Elizabeth et Mr d'Aucy en bien curieuse posture : " Mais soudain, Mr d'Aucy la plaqua contre un pommier et se plaça derrière elle..."

Voici donc la suite de l'histoire :)

- Cueillez-moi Elizabeth !
- Jamais je n'y consentirai ! Je n'ai guère envie d'atterrir au fond de votre corbeille une fois la récolte terminée !
- Laissez-vous aller Elizabeth ! Ne voyez-vous pas que nos corps se pressent de se vider de leur jus?
- Votre réputation vous précède.
- Elle se trouve même juste derrière vous, prête à vous honorer.

Elizabeth sentit alors pousser dans son dos une branche dure et gorgée de sève.

Ouvrez-vous à moi Elisabeth ! Sentez comme Mère Nature nous appelle de ses voeux !

- On dit que vous avez perverti Miss Tetley au grand dam de son mari qui ne fut pas convié à l'occasion de cette sauterie.
- Miss Tetley? Non, les femmes mariées n'ont jamais été ma tasse de thé ! Qui a donc bien pu vous fournir une telle information?
- Je la tiens de votre cousine Lady Marmelade et j'ai toute confiance en un membre de votre propre famille.
- Laissez donc les membres en dehors de notre affaire !
- Je pensais qu'il en était justement question.
- Prenez garde, vous devenez grivoise.
- Seulement à votre contact.
- Dois-je déceler en cette remarque une proposition?
- Pas le moins du monde ! Et puis cessez de me prendre de haut !
- Je préfère le bas.
- Et mettez fin à vos obscénités !
- Dans ce cas, fermez votre bouche et je n'aurai plus à contempler vos lèvres si expertes à me juger mais si peu enclines à s'ouvrir à moi !
- Fort bien, la coupe est pleine Mr d'Aucy !

Bouleversée par la tournure tragico-érotique des événements, Elisabeth s'enfuit précipitamment, laissant Mr d'Aucy ruminer dans son jus.
Non loin de la maison, elle croisa Grany Smith qui à la vue des larmes de la jeune femme lui adressa un sourire mêlé d'inquiétude.

- Que se passe-t-il donc ma chère enfant?
- Votre petit-fils semble prendre plaisir à me contrarier. Il s'est comporté avec moi comme si ma société le dispensait de faire des manières. Mais je ne suis pas ce que l'on pense que je suis, vous comprenez?
- Ne vous mettez donc pas dans tous vos états très chère, il doit y avoir un malentendu. D'où tenez-vous que mon petit-fils ne vous tiendrait pas le moindre respect?
- Lady Marmelade m'a laissé entendre tout à l'heure que Mr d'Aucy avait pour habitude d'organiser des orgies ici même.
- Ma pauvre enfant, j'ai bien peur que Lady Marmelade se soit jouée de votre naïveté. Mon petit-fils et moi organisons tous les ans en fin de saison de grands repas destinés à écouler le stock de fruits invendus.
- Vous êtes en train de me dire que ces orgies sont en réalité de simples dîners? Mais pourquoi Lady Marmelade m'a-t-elle laissée croire que ces événements étaient d'une toute autre nature?
- C'est précisément la raison de votre venue ici. Votre chère mère qui fut ma plus tendre amie voulait s'assurer que vous trouveriez un bon mari et de mon côté, je n'avais aucune envie que mon petit-fils épouse Lady Marmelade qui, bien qu'elle soit sa cousine, est une femme prête à tout pour mettre le grappin sur mon petit-fils et ses terres.
Croyez-moi, cette coquine ne vous arrive pas à la cheville et il n'y a que vous qui ait suscité une telle inclination dans le coeur et le corps de mon petit-fils.

Sous le coup de cette brusque révélation, Elisabeth sentit le sol se dérober sous elle et s'évanouit.

- Mr d'Aucy !
- Que se passe-t-il mon brave?
- C'est Miss Bebett, elle est tombée dans les pommes !
- Lesquelles? Les Pink Lady? Les Cox? Les Jonagold?
- Hé bien heu...non, elle se trouvait à côté de la maison.
- Ah oui d'accord. Ne perdons pas un seul instant !

A l'issue d'une course effrénée à travers les champs, Mr d'Aucy rejoignit bientôt Miss Bebett qui commençait tout juste à retrouver ses esprits.

- Grany, que s'est-il passé?
- Je crains que ses pauvres nerfs n'aient été mis à rude épreuve, à force de vous chamailler pour des queues de cerise !
- Elizabeth?
- Mr d'Aucy. Où suis-je?
- Tout va bien, je suis là maintenant. Vous vous êtes évanouie.
- Heureusement qu'il n'en va pas de même de mon désir pour vous.
- On dirait que vous commencez à retrouver la pêche. Je vous escorte jusqu'à vos appartements.
- Je suis tellement désolée que mon esprit mal tourné m'ait fait me méprendre quant à vos intentions envers moi.
- Et je me suis moi-même fourvoyé sur votre personne. Lorsque ma cousine Lady Marmelade me laissa entendre à quel point vous étiez bonne, j'ai cru comprendre que cela faisait de vous une fille facile.
- N'en parlons plus. Vous disiez tout à l'heure que votre père était français.
- C'est exact.
- Vous êtes donc au fait des pratiques du pays. En maîtrisez-vous la langue?
- Autant que faire se peut.
- Dans ce cas, peut-être pourriez-vous m'initier au french kiss?
- Je m'évertuerai à vous l'enseigner si toutefois vous concédiez à me laisser goûter à tous vos fruits.
-Pour vous Fils William, tous les jours de ma vie je serai une salade composée.

Les deux coquins goutèrent tous deux aux fruits de la passion et s'étreignirent jusqu'à l'aube au grand bonheur de Fils William dont Elizabeth ne lâcha plus la grappe.

FIN.

23 septembre 2010

Harlequinades 2010 : Orgie et préjugés (épisode 1) - Jane Ose Team


C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit avoir envie de se vider les bourses, et si peu que l'on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu'une jeune pousse se veut conviée à résidence, cette idée est si bien fixée dans l'esprit des voisins qu'ils la considèrent sur-le-champ comme la propriété intime de l'un ou l'autre de leurs fils.

La présence de Miss Bebett à Applefield Park ne relevait en rien du hasard. Pour des raisons qu'Elizabeth ignorait, sa pauvre mère grabataire avait conclu une obscure entente avec Miss Smith, la propriétaire des lieux.
C'est ainsi que Miss Bebett, sans avoir eu vent des clauses dudit contrat, se trouvait à présent dans cette immense demeure jouxtant une coopérative agricole des plus prolifiques.

- Miss Bebett, vous voilà enfin ! Avez-vous fait bon voyage ma chère enfant?
- Sans vouloir vous vexer en aucune manière madame, il m'aurait été plus agréable encore si je n'avais été à ce point dérangée.
- Dérangée dites-vous ! Des brigands s'en sont-ils pris à votre véhicule?
- Non, pas exactement. A dire vrai madame, ce sont les pommes que vous m'aviez si gentiment fait parvenir la semaine dernière qui ont eu raison de mes intestins. J'espère par cet aveu ne point m'exposer à votre courroux.
- Ah, c'était donc fort peu de choses ! Dieu merci, j'ai bien cru qu'il vous était arrivé quelque malheur ! Approchez donc mon enfant que je vous introduise à mon petit-fils. Fils William, laissez-moi vous présenter ma jeune amie Miss Elizabeth Bebett.
Elizabeth, voici l'être qui fait ma joie depuis trente printemps, mon petit-fils Fils William d'Aucy.
- Comme c'est curieux, à entendre son prénom, j'aurais cru qu'il s'agissait de votre fils.
- Oh comme vous flattez mon âge Miss Bebett !
- Non je parlais du prénom de votre...
- Peu importe, à quoi bon se soucier de telles futilités n'est-ce pas ?
- Ne faites pas trop attention à Grany, elle n'a plus toute sa tête.
- d'Aucy. J'ignorais que c'était là votre nom de famille.
- Il est d'origine française et me vient de mon défunt père qui m'a légué cette propriété. De nombreux légumes poussaient autrefois sur ces terres pour ensuite rejoindre la ville où ils étaient mis en conserve.
Mais un jour mon pauvre père, dieu ait son âme, est tombé gravement malade. Il est devenu méconnaissable, végétant toute la journée et se refusant à quitter le lit. Un vrai légume en somme, quelle ironie du sort !
Aussi à sa mort, je ne pus me résoudre à alimenter ce dernier souvenir en poursuivant le commerce de toute une vie.
J'ai donc choisi de cultiver des fruits sur ces terres, et plus particulièrement des pommes.
- Je suis certaine que votre père aurait apprécié que vous vous absteniez d'un tel hommage à sa funeste personne.
- Je le crois aussi. Fort heureusement, cette reconversion ne m'astreint guère à m'abstenir d'autres plaisirs.

Elizabeth fut si touchée par la noblesse d'âme de ce fils dévoué qu'elle sentit la fièvre empourprer ses joues tandis que Fils William nourrissait secrètement le dessein de la croquer à pleines dents.

- Je vois que vous avez pu faire connaissance avec mon cousin Fils William.
- Pardonnez-moi madame mais je crois que nous n'avons pas eu le plaisir de nous voir présentées.
- Mais bien sûr, je manque à tous mes devoirs ! Lady Marmelade. Fils William est mon cousin. Vous m'avez l'air d'une jeune femme respectable. Je suis certaine que vous et moi deviendrons de grandes amies.
- Votre cousin s'est montré d'une fort agréable compagnie à mon égard et vous semblez lui témoigner une affection sans précédent.
- En effet, Fils William et moi nous connaissons depuis l'enfance. Il aime être entouré de femmes c'est certain comme il est assurément vrai que vous entrez totalement dans ses goûts.
Vous ne trouverez donc rien d'étonnant à ce que, comme ce fut le cas pour cette chère Miss Tetley, mon tendre cousin pousse la courtoisie jusqu'à vous convier un jour ou l'autre à l'une de ses orgies.
- Orgies dites-vous?
- Votre candeur vous honore mais je crois que vous et moi savons parfaitement quel sens donner à ce mot, Elizabeth.

Lady Marmelade toisa Elizabeth d'un regard coquin avant de se retirer dans le jardin.
Elizabeth, plantée dans le salon, songea à l'impression qu'elle avait pu faussement donner à Fils William.
Comment cet homme qui s'était montré si charmant envers elle avait-il pu penser qu'elle se donnerait à lui si aisément? Etait-ce donc là le traitement réservé aux jeunes filles de la ville que d'être assimilées à des femmes de mauvaise vie?
Alors qu'Elizabeth s'offusquât qu'on lui attribuât si peu de vertu, elle sentit poindre en elle le désir coupable de satisfaire à l'image que Mr d'Aucy s'était formé de sa personne.
Mais quand bien même elle décidait de s'offrir à lui, elle refusait d'être considérée comme l'une de ces pommes fraîchement tombées de l'arbre et prêtes à atterrir directement dans le panier du premier mâle en rut.
Plongée dans ses pensées contradictoires, elle rejoignit le jardin et croisa Mr d'Aucy, affairé à la fabrication d'une nouvelle pomme.

- Que vois-je donc là Mr d'Aucy? Serait-ce une nouveauté?
- Tout à fait Miss Bebett. Il s'agit d'une pomme d'amour.
Une pomme bien mûre est enduite d'un liquide brûlant légèrement sucré qui durcit instantanément au contact de la chair.
- Voilà une idée fort intéressante issue d'une imagination assurément fertile. D'où la tenez-vous?
- C'est vous qui me l'avez inspirée, Elizabeth.
En vain ai-je lutté. Rien n'y fait. Je ne puis réprimer mes sentiments. Laissez-moi vous dire l'ardeur avec laquelle je vous admire et je vous aime.

Elizabeth stupéfaite plongea son regard dans les yeux vert pomme de ce bellâtre avenant, s'efforçant de réprimer ce sourire évocateur que sa condition ne l'autorisait à afficher ostensiblement.
Mais alors que Fils William détaillait avec envie la moindre parcelle de son anatomie, s'arrêtant à la naissance des deux abricots qui caractérisaient sa modeste poitrine qu'une blonde chevelure en grappe dissimulait à peine, Elizabeth songea aux conséquences désastreuses qui suivirent ce même élan fougueux quelques années plus tôt.
La jeune femme avait consenti à l'époque à se donner à l'élu de son coeur dont les prétentions s'avéraient en tout point identiques à celles de Mr d'Aucy.
Mais ce traître de Beckham lui avait finalement préféré sa jeune soeur Victoria dont les appétissants ballons de football étaient parvenus à concurrencer ses minuscules balles de golf.
Beckham avait atteint son but en choisissant Victoria et tous deux avaient filé en douce dans le Bedfordshire, laissant Elizabeth seule avec des complexes qui la poursuivaient depuis des années.
Non, malgré son envie pressante de se jeter à corps perdu dans une nouvelle idylle, la jeune femme ne cèderait pas aux avances de Mr d'Aucy, aussi divinement séduisant fut-il.
Mais soudain, Mr d'Aucy la plaqua contre un pommier et se plaça derrière elle...

Suite et fin demain, même endroit, même heure :)

L'importance d'être constant - Oscar Wilde


"L'importance d'être constant" est la dernière pièce de théâtre, écrite en 1895, de l'écrivain et dramaturge irlandais Oscar Wilde.
"L'importance d'être constant" est l'histoire d'une double imposture. Alors qu'Algernon Moncrieff s'apprête à recevoir sa tante Lady Bracknell et sa cousine germaine Gwendolen Fairfax, son ami Constant Worthing débarque à l'improviste et prétend vouloir épouser Gwendolen.
Algernon lui demande alors des explications sur une certaine Cecily dont le nom figure sur l'étui à cigares de Constant.
Les deux hommes se rendent compte que pour échapper à certaines de leurs obligations, ils existent tous deux sous une double identité : Constant se fait prénommer Jack à la campagne et Algernon à la ville devient quant à lui Bunbury.

" J'adore les ennuis. Il n'y a que cela de sérieux." p.103

J'ai adoré retrouver les personnages de cette succulente comédie ! Wilde s'attaque avec un humour inégalable aux coutumes et institutions de ce microcosme qu'est la haute société anglaise à l'époque victorienne et dont il s'attache à souligner la superficialité et l'hypocrisie.
Religion, mariage, famille, propriété privée, argent. Sous le couvert de l'absurde, l'auteur glisse dans la bouche de ses personnages des considérations sur ce qu'il estime être des obstacles au bonheur et à la liberté de tout un chacun.

" Je ne vois pas très bien ce qu'il y a de romantique à faire une demande en mariage. C'est très romantique d'être amoureux. Mais il n'y a rien de romantique dans une demande en bonne et due forme. Après tout, on peut toujours vous dire oui ! Et c'est ce qui se produit, je crois, la plupart du temps. Après, la flamme retombe. L'essence même d'une histoire d'amour, c'est l'incertitude.
Si jamais je me marie, je suis certain que je ferai tout pour l'oublier." p.57

" La famille ne prête jamais d'argent et ne fait jamais crédit, même quand on a du génie. Elle fait penser au public, mais en pire." p.91

" Toutes les femmes finissent par ressembler à leur mère : voilà leur drame. Mais cela n'arrive jamais aux hommes : voilà le leur." p.93

" Mon cher, il est bien plus intelligent de dire des sottises que d'en écouter, et c'est également beaucoup plus rare, en dépit de ce que peut dire tout un chacun." p.195

" Je vous dirais franchement que je ne suis pas favorable aux longues fiançailles. Elles donnent l'occasion de découvrir la personnalité de son futur époux avant le mariage, ce qui, selon moi, est toujours à déconseiller." p.211

Adeptes de la farce et du second degré, je vous recommande vivement cette pièce pour ses quiproquos, son humour décapant et la finesse de ses dialogues ! Si vous avez l'occasion de la découvrir en anglais (ou en version bilingue comme ce fut mon cas), n'hésitez pas !

J'ajouterais que son adaptation cinématographique, réalisée par Oliver Parker en 2003, est particulièrement réussie !



D'autres avis : Karine:) - Manu

21 septembre 2010

Resplandy - Yves Bichet


"Resplandy" est le 16ème roman, paru le 19 août dernier, de l'écrivain français Yves Bichet, notamment auteur de "La Part animale", " La Femme-Dieu" ou "D'une rive à l'autre".
Alors qu'il attend impatiemment la fin de l'incinération de son père, Bertrand, professeur d'arts plastiques marié et père de deux enfants, croise la route de Resplandy, venue elle aussi récupérer les cendres d'un proche.
Tous deux couchent ensemble dans un motel et il se produit alors une chose bien étrange : avant de s'en aller, Resplandy saisit les deux urnes et mélange leurs cendres.
Troublé par cette femme et son geste, Bertrand se met en tête de la retrouver et entame alors une enquête qui s'avère plus personnelle que prévu...

Bertrand est visiblement perturbé par la mort de son père mais ce n'est pas tout. Resplandy le hante et il veut absolument revoir cette femme au comportement si étrange.
Entre sa femme qui, mise au fait de son infidélité, quitte le domicile conjugal sans piper mot, sa mère qui s'installe chez eux pour se transformer en fée du logis, sa fille qui se plaint constamment de crampes d'estomac et Benti, la collègue de sa femme, Bertrand ne sait plus où donner de la tête. Même son nouvel album ne parvient à le détourner de ses souvenirs d'enfance chamboulés ni de cette mystérieuse femme qui l'obsède.

" On ne comprend jamais les secrets de famille...On les débusque, on tombe dessus, mais on ne comprend rien.
Elle a un sourire las puis ramène ses cheveux sur le devant et, cachée derrière ce voile, cette sorte de rideau brillant, lisse, impénétrable, qui ondule à peine, me chuchote de tout laisser tomber." p.155

Si Bertrand est bien le narrateur de ce roman, c'est en qualité de témoin qui s'étonne constamment de ce que les femmes sont capables de faire pour arriver à leurs fins.
Car ce sont bien ici plusieurs femmes qui mènent la danse tandis que Bertrand, impuissant, essaie de tenir le rythme tant bien que mal.
Et il est difficile de les suivre ces femmes-là tant les rebondissements vont bon train ! C'est bien là ce que je reproche surtout à ce roman.
J'avais envie de savoir pourquoi cette Resplandy avait agi de la sorte et j'ai aimé découvrir la symbolique entourant ce geste ainsi que le morceau d'Histoire qui l'accompagne.
J'ai ainsi appris que durant la Guerre d'Algérie, des soldats rentrés chez eux avaient été rappelés une seconde fois, ce qui avait donné lieu en 1956 à une vague de protestations : les mères et les épouses se couchaient sur les voies afin d'empêcher le départ des trains en partance pour le front.
Il n'y avait nul besoin selon moi d'ajouter certaines scènes scabreuses pour transmettre au lecteur l'ambiance malsaine dont s'est entouré Bertrand.
Chaque personnage se révèle imprévisible, obéissant à une logique qui n'appartient qu'à lui et échappe à la compréhension du lecteur. Si j'ai été intriguée de bout en bout par le portrait de Resplandy, je n'ai absolument pas adhéré au comportement de la femme de Bertrand que j'estime ne pas être plausible en regard de la situation.

Je n'ai rien à reprocher à l'écriture de l'auteur que l'on sent maîtrisée mais je trouve qu'à trop vouloir donner dans le "sensationnellement mystérieux", on glisse vers l'invraisemblable.
Les mensonges et l'énigme entourant Resplandy auraient amplement suffi.

" Le devoir d'oubli...C'est peut-être ça, le message de mon père timide...Ne rien laisser derrière soi, diluer les ressentiments comme les souvenirs, dissoudre la mémoire au fil de l'eau, la rendre fluide et inoffensive.
Tout laisser couler, glisser, tourbillonner. Ne garder des amours passées qu'une trace d'eau filante où quelques visages miroiteraient par moments, à peine reconnaissables, eux-mêmes surpris de paraître là au moment où on ne les attend pas, eux-mêmes surpris de disparaître...
Resplendir en disparaissant." p.229

Un grand MERCI à Hélène et à la librairie Dialogues !

18 septembre 2010

Je suis l'Homme le plus beau du monde - Cyril Massarotto


Sorti le 26 août dernier, "Je suis l'Homme le plus beau du monde" est le troisième roman de l'écrivain français Cyril Massarotto, également auteur des romans "Dieu est un pote à moi" et "Cent pages blanches".
Comme l'indique son titre hautement présomptueux, ce roman nous conte les péripéties d'un jeune homme à qui la vie ne semble offrir aucun répit.
Né extraordinairement beau, surprotégé par une mère qui le traite comme un dieu, star d'un show télévisé au succès planétaire, l'homme le plus beau du monde possède tout ce que l'on peut rêver. Malheureusement, ce privilège a lui aussi un prix, la solitude.
Contraint de s'enfermer au risque de provoquer des émeutes, il décide de tout quitter pour rejoindre le Kenya où personne ne le connaît.
Perdu dans le désert, il y rencontre une vieille femme qui lui propose une potion lui permettant de réaliser son voeu le plus cher.
Le lendemain, il rentre chez lui pour devenir "L'homme le plus moyen du monde". Cette nouvelle position le met-elle à l'abri pour autant?

"Vivons heureux, vivons cachés" aurait pu être la morale de cette histoire tant il apparaît que qui qu'il soit, beau ou moyen, le narrateur ne semble pas réussir à passer inaperçu.
Simple pantin dépourvu d'identité, seul une étiquette lui colle à la peau. Les médias le présentent comme étant LA norme et le public crédule suit, faisant de lui un être-objet.

" - Mais il n'est pas possible que tous les humains me trouvent beau !
- Bien sûr que si ! Et sais-tu pourquoi? Car depuis des dizaines d'années, des personnes comme moi travaillent à faire partager nos goûts au plus grand nombre ! La télévision, le cinéma, la presse, tous les médias, tout le monde ! Et celui qui a terminé le travail, c'est toi. C'est toi qui as enfoncé le clou : aux quatre coins du monde, partout où nous sommes, tu as mis tout le monde d'accord." p.81

Victime de son succès, il n'aspire qu'à une vie normale, loin de tout engouement médiatique.
Alors qu'il se croit tiré d'affaire, c'est le même tintouin qui recommence et cette vie à laquelle il voulait renoncer se reproduit pour ainsi dire à l'identique.

Durant ma lecture de ce roman, j'ai repensé au "Truman Show", à "la Belle et la Bête" ou encore à "Edouard aux mains d'argent", à ces histoires qui à l'aide d'un soupçon de fantastique et d'une bonne dose de morale bien-pensante mettent en vedette des personnages naïfs victimes de la malveillance du plus grand nombre mais pour lesquels l'amour et l'amitié finissent par triompher.

" J'ai vu dans son regard qu'il était sincère, qu'il ne trichait pas. Ce regard...Il y avait un grand vide. Un gouffre. Je me suis rendu compte que je me trompais.
Mon jugement sur lui avait été aussi hâtif que le sien sur moi. Je croyais que parce qu'il avait tout, il était comblé et se permettait de dire ou faire des choses blessantes, cruelles.
Mais en fait, pas du tout. Il n'était pas celui que j'imaginais. Celui que j'avais devant moi, ce n'était plus l'Homme le plus beau du monde, mais juste un homme.
Car il n'avait pas tout. Il lui manquait le bonheur." p.223

"L'Homme le plus beau du monde" traite ainsi des apparences, de la superficialité, de l'acceptation de soi et bien entendu de l'effet pervers des médias et en particulier de la télé-réalité dont il dévoile l'envers du décor.
Mais mais mais...je m'attendais à un développement plus poussif, à une plume plus acérée et j'irais même jusqu'à dire "plus adulte", particulièrement dans la seconde partie où le narrateur est censé avoir grandi, mûri, ce qui ne se ressent pas du tout dans sa façon de s'exprimer.
Si je n'ai éprouvé aucun ennui durant ma lecture, je n'ai toutefois pas eu l'impression qu'elle s'adressait à moi mais bien à un public sensiblement plus jeune.

"Je suis l'Homme le plus beau du monde" était une lecture commune avec George et Hérisson (et pour laquelle je suis encore une fois en retard...).

Un autre avis : Mango

Un grand MERCI à de m'avoir offert ce livre !


15 septembre 2010

Hamaguri, Le poids des secrets (2) - Aki Shimazaki


Second volet de la pentalogie "Le poids des secrets" (pour rappel mon billet sur le tome 1 ici), "Hamaguri" ("palourdes" en japonais) raconte pour ainsi dire la même histoire que le premier tome mais éclairée cette fois par le point de vue de Yukio.
Yukio a 4 ans et vit avec sa mère Mariko qui travaille dans une église. Un homme vient régulièrement leur rendre visite, il est accompagné de sa fille avec laquelle joue Yukio.
Sa mère se marie et la nouvelle petite famille quitte Tokyo pour rejoindre Nagasaki.
Avant le départ de Yukio, la petite fille lui confie un hamaguri en lui demandant toutefois de ne pas l'ouvrir avant leur mariage.
" Je prends deux coquilles et j'essaie de les joindre, mais elles n'appartiennent pas à la même paire. Je les dépose par terre. ELLE continue. Puis, ce sera mon tour. Ainsi, nous répétons le jeu jusqu'à ce que nous ayons reformé les dix coquillages.
Aujourd'hui, ELLE a trouvé sept paires et moi, j'en ai trouvé trois. ELLE m'a dit : "Chez les hamaguri, il n'y a que deux parties qui vont bien ensemble". " p.22

8 ans plus tard, alors que le Japon vient d'attaquer Pearl Harbor, Yukio rencontre sa nouvelle voisine Yukiko.

Divisé en 2 parties, ce second tome retrace tout d'abord l'enfance de Yukio marquée par sa vie avec sa mère et ce beau-père qui sera pour lui un père admirable ainsi que par sa rencontre avec cette petite-fille et Yukiko qui sortira de sa vie assez brutalement.
La seconde partie nous plonge ensuite 50 ans après la bombe lancée contre Nagasaki. Yukio est retraité et vit avec sa mère et son épouse Shizuko avec laquelle il est marié depuis une trentaine d'années.
Que s'est-il passé durant tout ce temps ? Réponse dans les tomes suivants je présume...

Ce second tome permet une fois de plus à l'auteure d'explorer le thème du souvenir, de l'identité, de la paternité et du secret.
" Je me demande : " Où est ma petite soeur? Où est mon vrai père? Sont-ils encore vivants?" Ces questions me reviennent, sans cesse. Je ne me rappelle plus leur visage. Je ne sais toujours pas leur nom. Ma mère est la seule personne qui puisse répondre à mes questions. Pourtant, elle garde le silence même maintenant que mon père adoptif est mort il y a treize ans. " p.82
Etant donné que le secret de famille entourant ce récit nous est livré dès le premier tome, je n'aurais pas été contre une petite inversion avec ce tome-ci.
Cela dit, force est de constater que l'auteure ne souhaitait guère distiller ce secret au fil des tomes mais bien examiner son incidence sur la vie des différents protagonistes.
Si je ne suis toujours pas convaincue par le style très réducteur et trop factuel de l'auteure et par cette tendance qu'ont les personnages à se contenir pour laisser les symboles parler à leur place (des camélias dans le tome 1, des coquillages cette fois-ci), je dois bien admettre que c'est la seconde fois que je reste sur ma faim et que je suis donc bien disposée à découvrir les autres tomes pour en apprendre davantage sur les personnages.

"Hamaguri" était une lecture commune avec Manu, Choco et Restling dont je file découvrir les billets !

D'autres avis : Stephie - Pimprenelle - Marie - Clara - George - Leiloona - Aifelle - Abeille - Karine:)


11 septembre 2010

Tsubaki, Le poids des secrets (1) - Aki Shimazaki

"Tsubaki" ("camélia" en japonais) est le premier tome de la pentalogie du "Poids des secrets" débutée en 1999 et née de la plume japonaise Aki Shimazaki, également auteure des romans "Mitsuba" et "Zakuro".
Survivante de la bombe atomique dirigée contre Nagasaki, Yukiko a pris soin à sa mort de faire remettre à sa fille Namiko deux enveloppes dont une lui est destinée, l'autre étant réservée à son oncle. Namiko découvre une lettre dans laquelle sa mère lui révèle un terrible secret de famille qui n'est pas sans lien avec Yukio, cet amour de jeunesse auquel elle dut renoncer...

" Il y a des cruautés qu'on n'oublie jamais. Pour moi, ce n'est pas la guerre ni la bombe atomique." p.22

Narratrice, Namiko découvre en même temps que le lecteur une facette de sa mère qu'elle ne soupçonnait pas ainsi qu'un pan de l'Histoire de son pays dont elle ignorait les détails, tant sa mère s'évertuait à ne jamais y revenir.
Associant témoignage et confession, Yukiko évoque les ravages causés par les B29 américaines, le travail à l'usine au détriment des études, les maladies faisant suite aux radiations et au milieu de ce paysage ravagé par la guerre, un amour impossible et un secret jusque là bien gardé...

Difficile d'en dire davantage sur ce premier tome, étant donné que l'histoire n'en est ici qu'à ses débuts.
J'ai apprécié le souci de distanciation de l'auteure vis-à-vis de l'Histoire, notamment lorsqu'elle évoquait les enjeux stratégiques de la guerre, ainsi que son absence de parti pris pour son propre pays.

" - La guerre se terminera bientôt. Il le faut. On ne pourrait pas gagner la guerre même en faisant travailler les enfants. Il n'y a pas de liberté. Pas du tout. On n'a pas le droit de dire ce qu'on pense. Ce n'est pas à cause de la guerre. C'est une mentalité dangereuse qu'on a ici. On ne cherche que le pouvoir. On ne fait pas la guerre pour la liberté." p.56
Ce premier tome se lit facilement et là je ferai mon schtroumpf grognon en ajoutant "un peu trop facilement".
Je sais que la littérature asiatique fait bien souvent l'économie du pathos mais, étant donné que le récit nous est conté sous la forme d'une confession et vu la portée des événements relatés, je m'attendais à un peu moins de pudeur dans l'expression des sentiments qui ne sont finalement évoqués qu'en surface, comme si à l'image de ces camélias qui traversent le récit, ils étaient trop délicats que pour être saisis au lieu d'être simplement effleurés.

" Je voyais des boutons de camélias, bien tenus par les calices. C'étaient les camélias qui fleurissent en hiver. Dans la campagne près de Tokyo, quand il neigeait, je trouvais les fleurs dans le bois de bambous. Le blanc de la neige, le vert des feuilles de bambous et le rouge des camélias.
C'était une beauté sereine et solitaire." p.54

J'ai vraiment ressenti dans l'écriture de Shimazaki cette absence d'épanchement, cette retenue qui caractérise ces phrases courtes d'un style ni plat ni franchement époustouflant mais qui pourtant, mises bout à bout, forment un récit linéaire et intriguant qui incite le lecteur à tourner avidement les pages afin de percer les lourds secrets entourant cette famille.

Pour en savoir plus, rendez-vous au prochain épisode...le 15 septembre avec Manu, Choco et Restling !

D'autres avis : Manu - Choco - Clara - Pimprenelle - Stephie - George - Marie - Leiloona - Keisha - Karine:) - Aifelle - Canel - Abeille - Jules - Emilie - Restling


9 septembre 2010

La mécanique des femmes - Louis Calaferte


Publié en 1992, "La mécanique des femmes" est une oeuvre de l'écrivain français Louis Calaferte, auteur de nombreux recueils de poésies et carnets comme de pièces de théâtre ainsi que du très contesté "Septentrion".
Comme le suggère son titre, "La mécanique des femmes" dévoile une série d'instantanés présentés sous la forme de récits ou de dialogues abordant la sexualité féminine.

Narratrices de courts récits de vie ou initiatrices d'un dialogue avec le sexe opposé, les femmes sont ici présentées comme pleinement actrices de leur vie sexuelle.
Ni fausse pudeur ni sentiments. Calaferte semble vouloir inverser les codes habituels en assignant à ces femmes une sexualité instinctive, "bestiale" et un mode d'expression habituellement réservés aux hommes, tant et si bien que l'on peut se demander si l'auteur n'a pas simplement transposé ses fantasmes dans la bouche de ses héroïnes.
Il n'est d'ailleurs pas rare de lire au fil des pages qu'une femme "se branle" ou "urine debout".

" Dehors, admirée, désirée, elle se sent libre, heureuse, invinciblement supérieure." p.34

Volontairement provocatrices et demandeuses, toutes s'abandonnent et cèdent immédiatement et sans retenue au moindre de leurs désirs.
Les récits se déclinent en témoignages portant sur des thèmes tels que la mort, la solitude et la perte de désir au sein du couple, la crainte ou le refus de l'enfantement.

" Regarde. C'est à peine une cicatrice. Ils m'ont dit qu'avec le temps ça ne se verrait plus du tout. J'avais tellement mal les dernières semaines que je me suis décidée du jour au lendemain.
Sourire.

- Dans un sens, c'est aussi bien. Je ne crains plus rien. On pourra me jouir dedans sans histoires. "p.82

Les dialogues, assez répétitifs et introduits par quelques phrases plantant un décor pour ainsi dire théâtral, dépeignent des femmes qui s'approprient les désirs masculins, allant ainsi au devant de leur peur des hommes, anticipant leurs fantasmes, forçant une intimité afin de gagner leur respect voire leur affection.

" - Tu sais qui je suis?
Ironique.
- Une débauchée.
Son mouvement lascif.
- Débauchée, luxurieuse, corrompue, déréglée, voluptueuse, immorale, libertine, dissolue, sensuelle, polissonne, baiseuse, dépravée, impudique, vicieuse.
Me baisant la main avec une feinte dévotion.
- Et malgré tout ça, je veux qu'on m'aime." p.21

Je dois bien avouer avoir poussé quelques cris d'effarement en découvrant certains textes dont le propos (autant vous prévenir tout de suite que certaines scènes traitent clairement de pédophilie) et le langage m'ont paru trop crus.
Certaines images étaient tellement poussées à l'extrême qu'elles me paraissaient grotesques et m'ont en ce sens, bien fait rire. Je pense à la scène du chausson à la crème pour ceux qui l'ont lu ou encore à cette version remaniée d'Amélie Poulain.

" Ecossant des petits pois, elle plonge voluptueusement ses mains dans le récipient où ils s'entassent.

- Je les ai sous les doigts, c'est frais, doux. Je pense que c'est un tas de petites couilles et ça m'excite." p.60

Choc, rires, pleurs, beaucoup d'émotions fortes et quelques jolies phrases ciselées capturant l'instant.

" Large robe à fleurs qui lui prend la poitrine, les seins moulés, durcis. Elle a l'élégance, la simplicité d'une jeunesse étourdie." p.86


" A l'aube, sous le maquillage estompé, ses traits creusés, la fatigue au fond des yeux, un abandon, une lassitude triste." p.133


" Insectes de familles différentes se croisant sur un brin d'herbe. Quelques attouchements d'antennes, puis chacun repart de son côté." p.137

Une lecture inégale mais intéressante et loin de me laisser sans réaction. A recommander toutefois à un public averti...


"La mécanique des femmes" est le 5ème titre lu à l'occasion du Challenge Coups de coeur lancé par Theoma. Il s'agissait du choix de Cécile QD9.

4 septembre 2010

La vie adulte - Virginie Mouzat


Sorti en librairie depuis le 19 août, "La vie adulte" est le second roman de l'écrivaine française Virginie Mouzat dont le précédent opus "Une femme sans qualités" était paru l'an dernier.
1973. Dominique a 15 ans. Dans un quartier résidentiel à l'ouest de Paris, elle partage son quotidien avec un frère aîné, un père radiologue et une mère imprévisible, oisive et qui se soustrait volontiers à ce double rôle de mère et de femme au foyer que sa position de femme et les normes de la société tendent naturellement à lui faire endosser.
Sans laisser de mot, la mère quitte le domicile familial du jour au lendemain, un geste qui fera l'effet d'un ultime coup de grâce porté à un portrait de famille déjà bancal.
Dominique s'interroge. Pour quelle raison sa mère est-elle partie?

Narratrice de ce court roman, Dominique est une jeune femme en devenir dont le récit se partage entre les anecdotes vécues durant l'enfance et les épisodes marquant son accès au statut de femme.
Elle brosse le portrait d'une mère en retrait du cocon familial, lunatique, fantasque, constamment affublée d'un manteau en vison imbibé d'un même parfum, un fantôme dont l'esprit vogue vers une identité de femme, cet ailleurs que sa fille tente de se représenter.
Entre son frère de plus en plus absent et un père qui tente de compenser à sa manière, Dominique garde ses questions en suspens, guettant le retour de cette mère dont elle sent pourtant qu'elle ne reviendra pas.

" Partout il me semblait que j'étais seule, sans mon père. Mais avec elle, ma mère. Prégnance de son image, de son fantôme en fourrure, jambes nues, à l'angle des allées, dans les galeries, sur une marche d'escalator. Trace de Chamade. Pouvoir des absents.
Partout, je surprenais une femme qui ne m'aurait pas vue mais que j'aurais suivie, jusqu'à sa voiture puis jusque chez elle. J'aurais découvert par surprise le cadre de sa nouvelle vie.
Mon père était là, à mes côtés, je le sentais qui voulait prendre ma main mais je n'étais plus une petite fille, sa petite Dominique, sa petite Dom." p.44

A mesure que la jeune fille entre dans la vie adulte, ses interrogations se déplacent de la mère à la femme pressentie comme étrangère à sa propre vie.

" Mais ce qui comptait c'était de savoir. Savoir ce que savaient les autres femmes, pas celles de ma banlieue, pas celles de mon père fétichiste, pas les geishas-vendeuses du centre commercial, poupées de cabines d'essayage, mais celles des livres de ma mère, celles qui lui avaient donné envie de partir, de donner sa robe de velours. Ne plus être la même lorsque je regarderais l'aurore depuis la fenêtre de ma chambre. Ne plus être celle qu'avait laissée ma mère.
Me défaire de tout, et enfin, enfin, inverser la dynamique de sa fuite, me mettre en mouvement, cesser de l'attendre." p.117

Roman intimiste, "La vie adulte" apparaît tel une double quête où les interrogations de la narratrice autour des motifs entourant le départ de sa mère se confondent avec le questionnement que suscite en elle le passage à la vie adulte.
Phrases courtes, tout en retenue. Ambiance lourde, chargée de symboles et d'effluves rappelant sans cesse la figure de cette femme absente à qui l'instinct maternel fait défaut.
Si "La vie adulte" s'inscrit dans une époque soucieuse de faire reconnaître le droit aux femmes à pouvoir disposer librement de leur corps, Virginie Mouzat nous donne à penser que la question de la multiplicité des rôles assignés à la femme dans la société reste toujours d'actualité.

D'autres avis : Stephie - Stef

Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

1 septembre 2010

L'amour est à la lettre A - Paola Calvetti


Après "L'amour secret" (dont j'avais parlé ici), "L'amour est à la lettre A" est le second roman que je découvre de la romancière italienne Paola Calvetti.
A l'approche de la cinquantaine, Emma décide de lever le pied et d'ouvrir une librairie un peu particulière puisque celle-ci ne propose que des livres dédiés à un seul et même sujet, l'amour avec un grand A.
Un matin avant l'ouverture, elle découvre inséré dans un livre un numéro de téléphone laissé par son amour de jeunesse devenu architecte, Federico. Les anciens ados reprennent contact et entament une correspondance qui s'étalera sur plusieurs années.

Que dire, que dire? "L'amour secret" ne m'avait absolument pas plu mais puisque ce titre-ci figurait déjà dans ma PAL, je me suis joint à d'autres pour une lecture commune en me disant que c'était le moment ou jamais de découvrir ce roman.
En vérité, j'aurais du renoncer à l'auteure sur base de ma première déception car je n'ai rien trouvé dans "L'amour à la lettre A" qui puisse me réconcilier avec la plume de Paola Calvetti que j'assimile à une Katherine Pancol made in Italy.
Plusieurs éléments avaient pourtant de quoi susciter mon engouement. Roman épistolaire ayant pour toile de fond une double passion, l'une unissant un homme et une femme, l'autre une libraire et ses livres, "L'amour à la lettre A" n'a pourtant pas réussi à m'emporter dans son univers.
Pour commencer, si on me parlait d'une librairie appelée "Rêves&Sortilèges", je m'attendrais à y trouver des ouvrages de développement personnel ou de sciences occultes, mais des romans d'amour? Non, ça n'est pas ce qui me viendrait à l'esprit en premier lieu.
Le classement en typologies amoureuses réalisé par Emma ( "Amours et crimes", "Amours sans espoir", "Maintenant et pour l'éternité" - bon sang, on dirait un titre de Marc Lévy - "Missions impossibles",...) m'a paru aussi absurde (déjà que les quatrièmes de couverture en disent parfois trop, si les rayons annoncent d'emblée la couleur, merci mais non) que gnangnan.
Et lorsque celle-ci décide d'instaurer un système de bourse d'échange, c'en est trop.

" A la bourse de Rêves&Sortilèges, on peut acheter des romans neufs ou échanger les histoires d'amour qu'on apporte. Une histoire qui finit bien en vaut deux qui finissent mal, un roman où l'homme est un salaud s'échange contre deux romans où les femmes sont des peaux de vache." p.88

La vie d'Emma m'a semblé terne et dénuée d'intérêt et sa façon d'évoquer sa jeunesse disparue m'a donné l'impression que sa vie s'était arrêtée au début des années 70.
La seule chose qui ait un tant soit peu réussi à me faire esquisser un sourire, c'est lorsqu'Emma évoque son aversion pour les technologies actuelles et en particulier internet (point de vue que je partage en partie même si j'estime qu'internet est un outil formidable pour autant qu'on sache en faire usage à bon escient).

" Internet envahit nos existences sans la moindre pudeur, en prétendant apporter des réponses à toutes les questions possibles. Mêmes les plus impertinentes. Nous y sommes fichés, archivés, notre vie y est à la disposition des curieux et des fouineurs. Internet pousse à l'approximation, chercher dans les pages d'une encyclopédie est largement plus instructif. Savoir qu'on a toute la connaissance humaine dans le boîtier de son ordinateur rend forcément superficiel et paresseux.
J'ai sué sur des dictionnaires pour apprendre les langues étrangères, et voilà qu'on prétend utiliser des traducteurs automatiques, qui contraignent les mots à des métamorphoses forcées.
Inertes, les pauvres mots se taisent, alors qu'ils devraient crier, se défendre, protéger leur intégrité. Sur Internet règne un anglais appauvri, et le résultat est que Mattia, et avec lui une génération entière de cancres, se sent autorisé à mélanger anglicismes et acronymes.
Un mot charnu et soyeux comme câlin se hérisse en KL1; l'amour se recroqueville dans ce métallique jtm qu'ils écrivent à n'importe qui, sans aucune idée de ce qui les engage ainsi auprès d'une multitude de personnes." p.78
C'est là le seul aspect de la personnalité d'Emma qui ait trouvé grâce à mes yeux. Pour le reste, il m'a semblé que ses goûts littéraires n'étaient évoqués qu'en surface sous forme d'inventaires.
Malgré le nombre impressionnant de titres cités, à aucun moment je n'ai pu me délecter d'un passage me donnant envie de me plonger dans un roman en particulier.
En ce qui concerne Federico, j'ai trouvé ses lettres d'un ennui abyssal. Entre les descriptions ronflantes de la biographie de J.P Morgan et son déballage de savoir architectural qui ne semble intéresser que lui, c'est sans doute lui qui occupe la plus grande part de responsabilité dans mon abandon de ce roman page 223.

Hé oui, je ne saurai jamais comment se termine cette histoire et j'ai curieusement l'impression que je ne m'en porterai pas plus mal.
Calvetti c'est fini (je ne crois pas que j'y retournerai un jour).

D'autres avis : Canel - Schlabaya - Restling - Keisha - Doriane - Cunéipage - Lael

"L'amour est à la lettre A" était une lecture commune avec Miss Alfie, A propos de livres, George , Mango, Loulou et Enitram dont je file découvrir les billets. Il s'agit également de ma première participation au Challenge épistolaire lancé par Anneso.