25 août 2010

L'annulaire - Yoko Ogawa


"L'annulaire" est un court récit, paru au Japon en 1994 et traduit en français en 1999, de l'écrivaine japonaise Yoko Ogawa, notamment auteure de "La Formule préférée du professeur", "Parfum de glace", "Cristallisation secrète" ou plus récemment de "Les Tendres plaintes".
Employée dans une usine de fabrication de sodas, une jeune femme est victime d'un accident de travail qui lui fait perdre l'extrémité de son annulaire gauche.
Amputée d'une partie d'elle-même, elle entreprend de trouver un autre emploi et se fait rapidement embaucher dans un curieux laboratoire tenu par un naturaliste, M. Deshimaru.
Son travail consiste à recevoir les gens désireux de commander un spécimen.
Ils confient ainsi aux bons soins du laboratoire des objets de toute nature (des ossements, une partition de musique, des champignons, une cicatrice,...) souvent liés à un souvenir émotionnel fort qu'ils souhaitent oublier et que le laboratoire se charge de naturaliser et de consigner précieusement.
Si la jeune femme apparaît curieuse et fascinée par son travail, elle se montre tout autant intriguée par cet homme mystérieux qu'est le professeur...

J'ai toujours eu du mal à apprécier les romans (et les films) japonais. Cela tient principalement au fait que les histoires qui y sont contées sont souvent insaisissables voire dérangeantes, autant dans le fond (pour l'instant je n'ai lu que des drames...) que dans la forme (une écriture froide qui laisse place aux non-dits).
Cela dit, comme je ne demande qu'à être détrompée, je poursuis tant bien que mal ma découverte d'auteurs japonais. Ainsi, après Junichiro Tanizaki et Yukio Mishima, j'ai tenté une première incursion dans l'univers particulier de Yoko Ogawa.

On ne sait pas grand chose sur la jeune fille qui nous conte son histoire - pas plus que sur M.Deshimaru d'ailleurs - si ce n'est qu'avant de rejoindre le laboratoire, elle travaillait dans une usine de limonade, qu'elle a perdu une partie de son annulaire dans une machine et qu'elle est depuis incapable de boire un verre de soda sans imaginer son morceau de doigt flottant à la surface...

" - Alors ton annulaire ne sera jamais plus comme avant, c'est ça?
J'ai acquiescé en appuyant ma joue contre sa blouse blanche au niveau de sa poitrine.
Il n'a rien dit de plus. Nous étions restés tellement longtemps sans bouger que j'avais l'impression d'avoir été transformée en un specimen incorporé à lui." p.50

Le lecteur se voit parachuté au milieu de ce laboratoire, un ancien pensionnat pour jeunes filles à peine visité par quelques clients venus y déposer leurs souvenirs pénibles comme si il s'agissait d'un confessionnal. Il y règne une ambiance propice au mystère comme au rapprochement des deux personnages principaux.
La narratrice se retrouve ainsi sous la coupe de ce professeur autoritaire et fétichiste qui lui offre des chaussures et l'emmène régulièrement visiter la salle de bains...

" (...) jusqu'à présent je n'ai jamais eu de relation avec quelqu'un à qui j'aurais pu donner le nom d'amoureux. Je suis seulement sûre du sentiment et de la situation qui font que je n'arrive pas à le quitter. Si je désire être près de lui, ce n'est pas par facilité, je suis liée à lui d'une manière beaucoup plus essentielle et radicale." p.91

"L'annulaire" est avant tout une histoire de huis-clos qui aborde le thème du souvenir et de la soumission. Portée par une écriture ciselée, minutieuse, elle intrigue par son ambiance envoûtante en exerçant au fil des pages une étrange fascination.
Difficile d'en dire davantage sur les 95 pages qui constituent ce récit comme de me prononcer sur le talent de l'auteure. J'en sais cependant assez que pour avoir envie de continuer à la lire !

Le film

Comme j'étais curieuse de savoir de quelle façon le cinéma français avait pu s'emparer de ce court récit pour en faire un film d'1h40 et reprendre à sa sauce cette ambiance typiquement asiatique, je n'ai pas hésité à me le procurer.
Sorti en 2005 sur nos écrans, "L'annulaire" met en vedette l'actrice aussi japonaise que vous et moi Olga Kurylenko, mannequin et actrice que vous avez notamment pu apercevoir en James Bond girl dans "Quantum of Solace" ou encore dans le clip de Seal "Love's divine".

Comme je m'en doutais, j'ai relevé plusieurs différences notables entre le film et le récit d'origine.
Alors que le livre passait sous silence le nom de la narratrice et attribuait une identité au professeur, un choix qui évoquait la soumission de la jeune femme au maître, les rôles semblent être inversés dans le film où l'on découvre une jeune femme nommée Iris et un professeur frenchy au nom inconnu.
Là où le récit était pour ainsi dire exclusivement centré autour du huis-clos, le film semble vouloir faire sortir l'héroïne de cette ambiance confinée.
Nombreuses sont les interactions de la jeune femme avec le monde extérieur. Celle-ci partage une chambre de motel avec un inconnu qu'elle n'aperçoit qu'à travers quelques chassés-croisés, se promène dans les rues, se balance le long d'un harnais sur les docks.
Le film prend également pas mal de libertés concernant "l'intrigue" entourant ce récit.
J'ai ainsi pu remarquer que le scénario tendait à "combler les trous" de l'histoire d'origine en ajoutant un enfant qui sort d'on ne sait où et ne sert à rien ou en intégrant certains éléments censés faciliter la compréhension de l'histoire mais qui au final n'apportent rien si ce n'est un certain ennui.

Peut-être n'aurais-je pas du passer directement du livre à cette adaptation car j'ai eu le sentiment que le film, en cherchant à s'approprier le corps de l'histoire, l'avait dépossédée de son âme.
Quand le cinéma occidental tente de s'emparer du style asiatique pour le remanier à sa sauce, ça peut faire des dégâts. Ce film en est la preuve formelle.





D'autres avis : Leiloona - Marie - Yv - Katell - Calypso

"L'annulaire" était une lecture choisie dans le cadre d'un hommage à Yoko Ogawa proposé par Pimprenelle.


Une première pour le challenge de Miss Choco :)


Et ma 5ème participation au challenge lancé par Fashion.

Les Derniers Flamants de Bombay - Siddharth Dhanvant Shanghvi


Après "La fille qui marchait sur l'eau" paru en 2004, "Les Derniers Flamants de Bombay" est le second roman de l'écrivain indien Siddharth Dhanvant Shanghvi.
Disponible dès aujourd'hui en librairie, il est publié par les Editions des Deux Terres.

Photographe pour le "India Chronicle", Karan Seth est chargé par son patron de photographier Samar Arora, jeune pianiste à la retraite, pour un article consacré aux musiciens oubliés.
Suite à une série de clichés pris sur le vif, le jeune photographe réussit à obtenir une séance-photo officielle au domicile de Samar.
Si Karan ne semble pas prendre particulièrement en sympathie ce dandy excentrique et encore moins son amant américain Leo, il se lie d'amitié avec sa meilleure amie Zaïra, l'actrice fétiche du tout Bollywood.
Fidèle à son ambition de rassembler des archives photo de Mumbai, Karan se laisse convaincre par Zaïra de se rendre dans le quartier de Chor Bazaar pour y dénicher un fornicateur de Bombay.
Au cours de sa quête, Karan tombe sous le charme de Rhéa Dalal, une potière aussi intrigante que mariée...
Alors que les destins des uns et des autres semblent se fixer, Zaïra se fait assassiner dans un bar. Une tragédie débouchant sur un procès qui marquera bien des esprits...

Loin du guide touristique vantant la splendeur du Taj Mahal ou les multiples saveurs du poulet tandoori, "Les Derniers Flamants de Bombay" offre un regard plutôt pessimiste de l'Inde.
Divisé en 3 parties (pré-meurtre, procès, post-procès), ce roman glisse de la description d'un paysage bollywoodien habité par des figures aussi futiles qu'exubérantes au portrait d'un pays pollué, surpeuplé, animé par des tensions internes, intolérant et corrompu par un pouvoir qui semble intouchable.
Largement inspiré par l'assassinat de Jessica Lall qui avait défrayé la chronique indienne en 1997 ( et pour lequel le meurtrier vient seulement d'être condamné il y a quelques mois), le meurtre de Zaïra amorce une dénonciation des multiples magouilles entourant l'affaire.

" (...) même si tous les pays du monde étaient confrontés à la corruption au sein de leurs systèmes, l'Inde avait une bonne longueur d'avance en la matière : elle avait tout simplement pris acte qu'il existait un système au sein de la corruption. Une fois la fraude confortablement installée dans la conscience nationale, la machinerie politique s'était dispensée de chercher à rectifier le tir et avait embrassé ses idéaux. Au fil des ans, le ministre Prasad avait perfectionné cet art. Il savait obtenir les services de juges qui attendaient désespérément d'être promus d'un tribunal de seconde zone à la Haute Cour. Il savait intimider les témoins. Il savait soudoyer les inspecteurs. C'était cruel, certes, mais ces agissements étaient nimbés d'une lumineuse logique cosmique : une fois les morts disparus, la vie continuait, comme elle était censée le faire." p.254

Malheureusement, c'est là le seul aspect du livre ayant réussi à susciter mon intérêt.
Si j'appréciais les personnages et leur répondant dans la première partie, je n'ai pas été touchée par cette mélancolie ambiante qui les pousse à partir à la dérive et à fuir à la moindre occasion.
Qui suis-je ? Où vais-je? J'ai eu l'impression que ceux-ci ne faisaient que tourner en rond.

" - Je n'aurais jamais cru qu'il pourrait y avoir de la place pour des flamants perdus à Bombay.

- Qui l'aurait cru, en effet?

- Que les choses perdues échouent ici?

- Perdues et belles...

- Quelqu'un devrait s'occuper d'eux.

- Qu'on les laisse s'occuper d'eux-mêmes, c'est déjà bien. " p.82

La surabondance d'allusions au sexe a sans nul doute largement contribué à ma difficulté à prendre ces personnages au sérieux...

" " Elle est tellement canon qu'à elle seule elle fait grimper l'indice national de masturbation."
(...)
" La jubilation suinta de Natasha comme une goutte de sperme précoce. " p.18

"
Mantra songea que Priya avait l'aménité des bibliothécaires bourrues dont le seul salut était le gode." p.23


"
La prison est le nirvana de la planète Branlette!" p.51


"
Elle agita le quiqui de son mari, si désobligeamment flasque qu'elle lui trouva un air d'algue échouée sur la grève." p.228


"
Lorsqu'il était nerveux, le ministre Chander Prasad avait l'habitude de se gratter si sauvagement les bourses que ses morpions en avaient des orgasmes à répétition." p.240

" Les mots étaient sortis de la bouche du juge à son insu, comme une éjaculation précoce." p.242

J'ai également relevé plusieurs flashsback superflus et pas mal de lourdeurs dont je ne sais au juste si elles relèvent d'une mauvaise traduction ou d'une fantaisie stylistique de l'auteur.

"
Approchant, il pénétra dans la cosmologie privée de sa curiosité éhontée." p.67


Il faut dire que ce roman m'est parvenu il y a deux mois sous la forme d'épreuves non corrigées.
Peut-être a-t-il entre-temps fait l'objet de modifications. Pour ma part, cette version-ci est loin d'emporter ma totale adhésion...

D'autres avis : Keisha - Manu - Antigone - Caroline - Choco - Kathel - George







Un grand MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !

23 août 2010

La seule - Maud Basan


"La seule", premier roman de l'écrivaine française Maud Basan, est paru le 18 août aux éditions Denoël.
Récemment quittée par son compagnon, Perluète ne parvient pas à encaisser le choc de la rupture et entame un voyage au coeur d'elle-même et de ses souvenirs.

Voici un récit qui démarre sur les chapeaux de roues. C'est fini. L'autre est parti. Et la nouvelle tombe comme un couperet sur le lecteur comme sur Perluète.
Reste plus qu'à apprivoiser le silence, l'absence, le manque, les incertitudes, les questions, le temps suspendu, l'attente, la tristesse, les souvenirs, les lieux, les objets, les odeurs, les angoisses à toute heure du jour, la peur, la paralysie, l'air raréfié, l'inertie, le renoncement, le vide.
Imaginez/replongez-vous à l'instant de votre rupture. Celui/celle qui partageait votre vie vient de claquer la porte et vous voilà seul(e) dans cet endroit qui restera votre chez vous, mais au singulier cette fois.

" Nous n'existe plus nous devient autre, totalement incongru imprononçable contresens impensable de folie mortelle." p.54

Une rame de feuilles, un stylo et vous commencez à coucher sur le papier tout ce qui vous passe par la tête sur le moment.
Bien entendu, dans votre tête, tout ce que vous écrivez tombe sous le sens mais honnêtement, il n'est pas certain qu'un lecteur extérieur comprenne ce flot de pensées (souvent inabouties) avec la même évidence.
C'est là l'effet que m'a procuré ce roman.
J'ai cru déceler dans la démarche de l'auteur une volonté de restituer au lecteur les pensées en vrac de la femme quittée, de lui faire partager la confusion de l'esprit et la succession de chamboulements physiques qu'occasionne la séparation.
Maud Basan use d'une écriture instantanée, presque automatique, qui évolue par saccades à l'image de pulsations cardiaques, ne s'encombre pas de règles de ponctuation, se joue de la syntaxe pour ne s'attacher qu'aux mots, laissés en pâture au lecteur.

" Pas de mots mis ensemble qui conviennent qui ressemblent qui disent cela, seulement des bouts de phrases où l'on se perd on part ailleurs, manque le montage la syntaxe, les mots les phrases se figent s'ankylosent puis déploient leur plumage ouvrent leurs bras s'allongent, offertes." p.170

Et à l'image de Perluète, le lecteur perd tous ses repères. Il n'y a plus vraiment de notion du temps, entre le passé qui n'est plus, l'amour au conditionnel et le présent en suspens.
Les souvenirs se chamaillent, rejaillissent sous forme d'inventaire (toutes les premières fois, le nombre de fois, les dernières fois sans savoir que ce sont les dernières) et se heurtent à la réalité.

" Le réel est irracontable. Ca pourrait ressembler, mais non. C'est rempli envahi saturé d'absence, ça occupe tout, on ne voit que ça, mais on ne voit rien justement, c'est fait de son absence à lui, à laquelle s'ajoute la négation d'elle (ôtée d'elle-même, vidée de sa substance, quelque chose s'est entièrement écoulé par une brèche laissée ouverte), c'est fait d'absences qui s'additionnent, somme de valeurs négatives, combinaison impossible, ça n'existe doublement pas, ça donne le tournis, absences pas en abyme, non, juxtaposées, en chiens de faïence, immobiles et pétrifiées, sans issue, pas de chemin, cela dépasse l'entendement." p.33

"La seule" est donc un roman qui évoque plus des sensations qu'il ne raconte une histoire.
Malheureusement, si j'ai vraiment apprécié la démarche originale de l'auteure, j'ai toutefois peiné à arriver au bout de cette lecture.
Appliqué à la nouvelle ou à la poésie, ce style d'écriture peut contribuer à alléger un texte et à laisser les mots à l'appréciation du lecteur mais s'agissant d'un roman de 224 pages, ce rendu m'a semblé trop fastidieux à la lecture...

Un autre avis : Clara

Ce livre a été chroniqué dans le cadre d'un partenariat avec et


21 août 2010

La Femme auteur - Madame de Genlis


"La Femme auteur" est une nouvelle extraite des "Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques" publiés pour la première fois en 1806 et issus de la plume de Madame de Genlis, femme de lettres française contemporaine de Madame de Staël et de George Sand, gouvernante du dernier roi de France Louis-Philippe 1er et auteure de plusieurs ouvrages éducatifs passablement oubliés.

Orphelines élevées dans un couvent parisien, Dorothée et Natalie sont aussi liées de tendre affection qu'opposées en caractère. Si l'une n'aspire qu'à satisfaire aux exigences voulues par la bonne société en se montrant raisonnable en toutes circonstances, l'autre apparaît beaucoup moins docile et envisage d'alimenter son goût pour le romanesque par l'entremise de l'écriture.
Craignant que la fantaisie de sa soeur entache sa réputation, Dorothée avertit Natalie des risques que comporte une telle entreprise, particulièrement lorsqu'on est une femme.

" La condition des femmes est, ainsi que toutes les autres, heureuse quand on a les vertus qu'elle demande; malheureuse, quand on se livre aux passions violentes, à l'amour qui nous égare, à l'ambition qui nous rend intrigantes, à l'orgueil qui nous corrompt et nous dénature. L'homme qui désirerait être une femme serait un lâche, la femme qui voudrait pouvoir devenir un homme ne serait déjà plus une femme.
(...)
Ne faites donc jamais imprimer vos ouvrages, ma chère Natalie; si vous deveniez auteur, vous perdriez votre repos et tout le fruit que vous retirez de votre aimable caractère. On se ferait de vous la plus fausse idée.

(...)
Vous perdriez la bienveillance des femmes, l'appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Ils n'adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d'un homme.

(...)
La gloire pour nous, c'est le bonheur; les épouses et les mères heureuses, voilà les véritables héroïnes. " p.27
Elle parvient ainsi à faire entendre raison à Natalie.
Deux années s'écoulent et Natalie perd son mari. Une fois la période de veuvage passée à la campagne, elle revient à Paris et fréquente à nouveau les salons où elle retrouve Germeuil, un charmant jeune homme épris d'une femme mariée, la comtesse de Nangis.
Si Germeuil apprécie les qualités et la modestie de Natalie, son coeur n'en est pas moins déjà pris.
Alors que Natalie entreprend de lui rendre visite, elle découvre une romance écrite par Germeuil à l'attention de la comtesse et s'amuse à l'apprendre par coeur.
La connaissance d'un tel secret sauvera la mise des deux amants qui lui témoigneront tous deux la plus vive reconnaissance, bien que la comtesse en retire également une certaine jalousie.
Commence alors un triangle amoureux dont Natalie tente de s'éloigner, non sans cette abnégation à laquelle est sensible Germeuil.

" La grandeur d'âme qui s'élève au-dessus de l'envie et de la jalousie excite la surprise et l'admiration dans les hommes, et touche dans les femmes; il semble que toutes les vertus généreuses ne peuvent leur coûter d'efforts; elles ont en elles plus de charme que d'éclat, on les confond avec leurs grâces." p.56

Mais la comtesse de Nangis tombe gravement malade et décède rapidement. Germeuil semble accuser le coup facilement et déclare enfin ses sentiments à Natalie qui, méfiante, accepte de l'épouser à condition que tous deux observent un délai de réflexion.
Natalie se retire alors pendant plusieurs mois et rédige plusieurs textes dont un roman qu'elle accepte de faire publier afin de venir en aide à une famille nécessiteuse.
Si le roman se veut salué à l'unanimité, son auteure connaîtra un tout autre destin...

Voici un texte fort intéressant qui, par le biais d'une intrigue amoureuse, nous renseigne sur la mentalité d'une époque décidément peu encline à laisser les femmes disposer d'une quelconque indépendance.
"La femme auteur", d'inspiration largement autobiographique, évoque avec finesse et sans demi-mesure les dangers qu'encourent les femmes à faire preuve d'esprit, et plus encore, à en faire publiquement la démonstration.
Procès d'intention et avanie engendrée par la méfiance des femmes, l'intransigeance et la jalousie des hommes, tel est le sort réservé aux femmes de lettres.

Bien qu'ayant déjà lu cette nouvelle il y a deux ans, j'avais envie de me replonger dans cette courte histoire qui comporte pourtant son lot de rebondissements, de retrouver la candeur de Natalie cédant à l'amertume de l'auteure et de redécouvrir cette prose élégante dont je ne me lasse décidément pas.
Si mon billet n'a pas réussi à vous convaincre de découvrir cette nouvelle, j'espère que ces quelques maximes y parviendront ;)

" Elle ignorait que les hommes qui aiment le mieux les femmes ne regardent jamais fixement que celles qui sont jeunes, jolies et modestes; la galanterie, à cet égard, ressemble à l'amour; elle craint de blesser et de profaner son objet, elle n'ose le contempler qu'à la dérobée, et c'est ainsi qu'en admirant la beauté, elle rend hommage à la pudeur." p.32



" Les personnes vives et profondément sensibles ne peuvent s'abuser longtemps sur ce qu'elles éprouvent; leur imagination les mène trop vite et trop loin, pour qu'elles puissent conserver des sentiments indécis et concentrés." p.40



" L'amour n'apprécie que le temps présent, c'est de tous les sentiments celui qui s'occupe le moins de l'avenir; il craint d'y jeter les yeux, il n'est jamais sûr de s'y retrouver." p.60



" Les passions se forment et s'enflamment plus facilement dans le monde que dans la retraite; mais c'est dans la solitude qu'elles se nourrissent : c'est là qu'il est dangereux de porter l'amour; il n'y guérit point." p.64

Pour ceux/celles qui se demandent d'où provient l'illustration en couverture, il s'agit d'une partie du tableau "Woman reading by a paper-bell shade" d'Henry Robert Morland (1766).


D'autres avis : Gio - Cappuccinette




19 août 2010

Le dernier amour de George Sand - Evelyne Bloch-Dano


"Le dernier amour de George Sand" est une biographie rédigée par la française Evelyne Bloch-Dano, chroniqueuse au Magazine littéraire et auteure d'autres biographies telles que "Madame Proust" ou "Madame Zola".
L'auteure, qui semble volontiers s'intéresser aux parcours de femmes, s'est penchée sur 15 années de la vie de George Sand.

Décembre 1849. Alors âgée de 45 ans, George Sand traverse une période sombre nourrie par une succession de déceptions. Abattue par la violence des événements survenus en juin 1848, inconsolable depuis la mort de son ancien amant Frédéric Chopin et la perte de nombreux amis, brouillée avec sa fille Solange dont elle ne cautionne pas la vie dissolue, elle déserte l'agitation parisienne pour rejoindre son fils Maurice et quelques amis à Châteauroux.
A l'abri dans cette campagne qu'elle affectionne tant pour la beauté de ses hivers, elle fait la connaissance d'Alexandre Manceau, graveur de 13 ans son cadet avec lequel elle connaîtra une relation paisible durant 15 ans.
Si cette période marqua un tournant dans la vie de la femme, elle s'avéra également extrêmement féconde pour l'écrivain qui, entre 1850 et 1865, publia pas moins de 50 livres dont 26 romans.

Si je connaissais surtout George Sand pour sa fantaisie vestimentaire et sa vie amoureuse tumultueuse avec ses célèbres amants que furent Alfred de Musset et Frédéric Chopin, je ne savais pas grand chose de la vie de l'auteure.
Aussi, quand j'ai reçu cette biographie des éditions Grasset, je craignais de me retrouver parachutée au beau milieu d'une tranche de vie sans en connaître les antécédents et d'ainsi voir mon ignorance m'empêcher d'apprécier pleinement ce livre.
De plus, comme je l'ai déjà mentionné ici, j'ai généralement tendance à fuir les biographies pour leur préférer les correspondances, selon moi plus authentiques.
Ne jamais dire "fontaine...". C'est bien la leçon que je tirerai de cette lecture que j'ai trouvé passionnante à plusieurs égards.

"Mon coeur est un cimetière". Ce premier chapitre revient sur les événements phares ayant contribué à obscurcir l'état d'esprit d'une femme qui, en ce mois de décembre 1849, apparaît dépitée et loin de soupçonner que sa vie n'est assurément pas terminée.
Au fil des chapitres s'esquisse le portrait d'une personnalité aux multiples facettes.

Epistolière (environ 45 000 lettres à son actif) et travailleuse acharnée, elle ne cesse d'engranger de nouvelles oeuvres pour des raisons monétaires mais aussi parce que l'écriture lui permet d'échapper à la tristesse notamment liée au décès prématuré de sa petite-fille Jeanne "Nini" comme aux nombreux tracas que lui causent ses enfants.
Entre Solange, la mal-aimée, avec laquelle elle entretient une relation houleuse (qui trouve d'ailleurs écho dans sa propre histoire familiale), cette fille à qui elle ne pardonne pas sa part de responsabilité dans sa rupture avec Frédéric Chopin et dont elle fustige la paresse et la frivolité, et Maurice le fils chéri auquel elle passe tout y compris l'absence de réussite, la mère ne sait plus où donner de la tête.

" Solange, comme ces enfants de stars qui brûlent leurs ailes à la gloire de leurs géniteurs, semble une caricature ratée de sa mère. Mariée au même âge, séparée comme elle, elle se veut libre mais se fait entretenir par de riches amants. Elle souhaiterait écrire, entreprend des recherches et rédigera quelques chroniques et deux romans; mais elle n'a pas de talent ni surtout de persévérance. Notons au passage que George lui interdit de prendre Sand comme nom de plume, alors que son fils signe Maurice Sand. " p.246

Heureusement, il y a Manceau, ce compagnon de tous les instants avec lequel elle connaît une union salvatrice et équilibrée. Un changement radical pour cette éternelle passionnée n'ayant jusque là connu que des hommes-enfants qu'il lui fallait constamment materner.

" On est dominé toujours par les êtres faibles. Peut-être avec un coeur fort aurai-je l'égalité. "

La femme, régulièrement sujette à la mélancolie et volontiers entourée d'amis par peur de la solitude, peut enfin se reposer sur les épaules d'un homme aux petits soins qui canalise ses humeurs, partage son goût pour le théâtre et fait montre d'un dévouement sans faille frisant l'abnégation.
Secrétaire puis diariste, infirmier, "bouffon de la reine", premier lecteur, amant et confident, il sera présent sur tous les fronts et rédigera avec elle ses "Agendas".

" Il est laborieux comme elle, mais ils ne sont pas en rivalité. L'écart d'âge protège leur ego. Chacun donne à l'autre ce qu'il lui manque, leur couple est placé sous le signe de la complémentarité. Moins narcissique, moins romanesque que celui que George formait avec un Musset ou avec un Chopin, il ne se réduit pas pour autant à un simple compagnonnage.
Son chevalier servant l'honore, y compris au sens amoureux du terme." p.95

Comme on peut s'y attendre, la fréquentation de cet homme plus jeune et d'un rang social moins élevé suscite bien des médisances de la part de son cercle d'amis qui qualifie le jeune graveur d'arriviste et attise la jalousie de Maurice, qui craint de se voir délaissé par sa mère.
Mais George Sand n'aura de cesse que de défendre bec et ongles cet amour si cher qui sera son dernier...

" Il est ma force et ma vie. "

Mais plus qu'une saga familiale ou le simple récit d'une relation amoureuse, cette biographie est aussi l'occasion d'aborder le contexte politico-social de la France du 19ème siècle et ses figures de proue auxquelles George Sand appartient.
Anticléricale et progressiste sans être militante, elle offre son aide au plus grand nombre dans la mesure de ses modestes moyens et lutte pour faire valoir les droits civils en sollicitant régulièrement le pouvoir en place en vue d'obtenir la libération de nombreux prisonniers et déportés. Une position qui ne fit pas que des heureux...

" Quant à l'abstinence! "Abstinence! de quoi? imbéciles. Abstenez-vous toute la vie de ce qui est mal. Est-ce que Dieu a fait ce qui est bon pour qu'on s'en prive? Abstenez-vous de sentir ce beau soleil et de regarder fleurir les lilas." Sans relâche, elle dénonce l'hypocrisie et l'intolérance de l'Eglise." p.279

Femme de lettres, femme passionnée, femme engagée, femme de nature aussi que la vie ne cessera de ramener à Nohant, domaine qui lui inspira de nombreuses pièces champêtres et abrita autant de représentations théâtrales.
Un lieu enchanteur au sein duquel elle trouva la sérénité et le repos éternel en 1876.

Pour illustrer les considérations de l'auteure, de nombreux extraits issus de la correspondance personnelle de George Sand, de son autobiographie "Histoire de ma vie" ainsi que de témoignages de personnalités proches de l'auteure jalonnent cette biographie.
Bien sûr, j'ai parfois retrouvé ce qui me gêne dans les biographies : des détails d'ordre vestimentaire ou médical, des notices généalogiques de personnages secondaires, des éléments qui font surtout selon moi l'intérêt des vrais passionnés.
Une déception des plus mineures car j'ai vraiment aimé découvrir ces moments de la vie de George Sand et leur résonance sur ses oeuvres et j'ai apprécié que l'auteure fasse usage de l'hypothèse lorsque subsistait une zone d'ombre et opte pour un ouvrage à tiroirs qui autorise ainsi la compréhension de certains événements antérieurs.
Je salue également la liberté de ton utilisée par l'auteure ainsi que le recours à l'indicatif présent qui tendent à rapprocher la femme-écrivain du lecteur comme à souligner la grande modernité dont George Sand sut faire preuve en regard de son époque.

Vous l'aurez compris, j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette biographie qui m'a d'ailleurs donné envie de goûter à la prose de George Sand !

"Le dernier amour de George Sand" sera disponible en librairie dès le 15 septembre.

Un grand MERCI à Aline Gurdiel et aux de m'avoir offert ce livre !


17 août 2010

Origine - Diana Abu-Jaber


"Origine" est le troisième roman, paru aux USA en 2007 et le premier traduit cette année en français, de l'écrivaine américaine d'origine jordanienne Diana Abu-Jaber, également auteure de "Arabian Jazz" et "Crescent".
Technicienne de labo officiant à la criminelle, Lena Dawson est spécialisée dans les empreintes digitales. Une position idéale pour cette jeune femme timorée qui préfère rester dans l'ombre et éviter la confrontation directe aux scènes de crimes comme aux parents des victimes.
Mais Lena possède ce 6ème sens, une sensibilité supérieure au monde qui l'entoure, qui lui permet de voir au-delà des apparences.
Elle est ainsi appréhendée par Erin Cogan, une mère persuadée que son bébé n'est pas décédé des suites d'une mort subite du nourrisson tel que l'ont conclu les enquêteurs mais a selon elle été assassiné.
D'autres nouveaux-nés trouvent la mort dans des circonstances similaires et Lena se voit dès lors embarquée dans une affaire qui s'avèrera plus personnelle qu'elle l'aurait cru...

Depuis maintenant plusieurs mois, je ne cesse de lire d'élogieux billets vantant la qualité des thrillers parus aux éditions Sonatine. Aussi étais-je curieuse d'en découvrir un à mon tour.
En ce qui me concerne, ce ne fut malheureusement pas une bonne pioche.
Il faut dire que, comme le signale la quatrième de couverture, "Origine" est un thriller un peu particulier.

La narratrice, qui n'est autre que Lena Dawson, est une jeune femme au passé nébuleux dont elle ne conserve que quelques souvenirs diffus, notamment celui d'avoir eu initialement pour mère une guenon...
Elevée par une famille d'accueil avec laquelle elle n'entretient que des rapports épisodiques, elle a toujours ignoré la raison pour laquelle elle n'avait jamais fait l'objet d'une adoption officielle.

" Les parents de substitution se bousculent dans ma vie, tout comme les enfants des autres. Même quand j'ai essayé d'être une femme mariée, mon mari n'était pas à moi.
Tout est bricolé, créé de toutes pièces. Pour autant que je puisse dire, les liens du sang sont des promesses creuses. Rien ne peut vous trahir davantage que votre propre famille.
Mais les gens parlent de la "famille nucléaire" comme si c'était une entité inscrite au niveau cellulaire. Comme si c'était davantage qu'une protéine et de l'ADN." p.185

Encore en quête d'elle-même, Lena se montre difficile d'accès, peu ambitieuse et passe son temps entre son appartement délabré, son voisin schizophrène, son ex envahissant et son lieu de travail, véritable gynécée où les commérages vont bon train.

Alors que je m'attendais à entrer de plein pied dans cette enquête entourant de mystérieux décès de nourrissons, j'ai découvert le personnage de Lena en long, en large et en travers, au point de me demander à quel moment du roman interviendrait enfin ce que je croyais être l'intrigue principale.
Or il semblerait que toute l'histoire tourne autour de Lena et de ses origines et que l'enquête policière ne soit qu'un prétexte à mettre ce personnage principal en valeur et auquel je n'ai absolument pas réussi à m'attacher.
Lena harcelée par les journalistes, Lena met sa parka et part acheter son pain, Lena et la jalousie de ses collègues, Lena a chaud, Lena a froid, Lena et son ex, où est Lena?
J'ai passé mon temps à tournicoter avidement les pages en espérant découvrir autre chose que les sempiternels états d'âme de Lena façon Mowgli lobotomisé, les sensations que lui évoquent chaque lieu et chaque personne, ses nombreuses fuites et envies de prendre l'air, tous ces détails d'une longueur ennuyeuse qui m'ont découragée de la suivre dans sa quête et qui, de surcroît, barraient la route à tout rebondissement.

Même si l'enquête policière présente un lien étroit avec la quête personnelle de Léna, j'aurais préféré que ces deux aspects soient plus équilibrés dans le récit.
Cette asymétrie a du coup pour effet de faire stagner la résolution de l'énigme et d'y mettre fin par des raccourcis plus qu'hasardeux, comme si l'auteure s'était souvenue à la dernière minute qu'une enquête devait encore être élucidée.
La fin? Les services de police du monde entier en rêveraient...
Je n'ai pas non plus adhéré à cette manie de l'auteure de présenter les réactions des personnages ainsi que leurs propos en mêlant discours direct et parenthèses.

" "Eh bien, vous avez peut-être l'impression qu'en contribuant à résoudre cette affaire...(Céleste s'interrompt, puis ajoute avec beaucoup de douceur:) Peut-être qu'une partie de vous a l'impression que cela pourrait vous aider à résoudre...d'autres questions?"

Il y a cette pensée irrationnelle : découvrir ce qui a tué les bébés, et découvrir ce qui m'est arrivé. Et de nouveau, je me sens bêtement fautive d'avoir eu des idées pareilles, aussi intéressées et absurdes. Et je me sens pitoyable." p.116

Entre un personnage principal froid qui court dans tous les sens et une enquête policière qui fait du surplace, j'ai fini par m'essouffler. Un thriller certes différent mais que j'aurais justement voulu... différent.

D'autres avis : Pimprenelle - Amanda Meyre - Canel - Esmeraldae - Calypso - Jostein

Un grand MERCI à et à de m'avoir offert ce livre !

11 août 2010

Ecrivain et cinéma

Suite à un article du Buzz Littéraire consacré à la figure de l'écrivain au cinéma, j'ai décidé de mener ma petite enquête.
Voici donc une compilation de films qui mettent en scène des (aspirants) écrivains.



N'hésitez pas à compléter cette liste et à donner vos avis sur un ou plusieurs de ces films !

6 août 2010

Harlequinades 2010 : Prisonniers du désir - Susan Stephens


"Prisonniers du désir" est un roman publié le 1er mars 2007 (pour rappel, 8 romans paraissent le 1er de chaque mois...) aux éditions Harlequin et signé de la britannique Susan Stephens, également connue pour des titres tels que "Une seule nuit d'amour", "Un séduisant adversaire" ou "Coup de foudre imprévu".
Lisa Bond, jeune femme aussi brillante que séduisante, est à la tête de Bond Steel, entreprise métallurgique initialement fondée par son père.
Mais les affaires vont mal et un bel et richissime homme d'affaires du doux nom de Costas Zagorakis (au bon lait de brebis) souhaite lui racheter ses parts, ce qui conduirait à un licenciement collectif.
Lisa, ne pouvant se résoudre à un tel sacrifice, décide de prendre sur elle en acceptant la proposition de Costas : séjourner sur son île privée en sa compagnie durant 5 jours...

J'avais juré qu'on ne m'y prendrait pas mais en découvrant les billets de mes copines blogueuses, j'ai fini par hésiter (allez quoi, juste un pour la blague!) pour finalement céder et me rendre chez mon bouquiniste, parée d'un chapeau et de lunettes de soleil (j'exagère à peine).
Arrivée au fameux rayon bleu (mon bouquiniste n'a QUE la collection "Azur", rendez-vous compte), il m'a fallu sélectionner un titre. Après avoir gloussé à la vue des couvertures, j'ai entrepris de lire quelques résumés avant de porter mon choix sur "Prisonniers du désir".
Il faut dire que le nom du personnage masculin, Costas Zagorakis, me rappelait celui de mon agent fédéral grec (rappel des faits ici).
Je passerai sur le lourd passage en caisse mais croyez-moi, ce fut épique...

Je ne sais pas si vous vous souvenez du film "Proposition indécente" (avec Demi Moore, Woody Harrelson et Robert Redford). La trame de ce roman s'en rapproche très fort !
Nous sommes en présence de deux personnages principaux. Lisa Bond, fille de Jack Bond (ça aurait pu être James mais il s'agit ici d'un roman sérieux, non d'une parodie), est une jeune femme qui a tout pour elle. Carriériste, elle entend se donner à fond dans son travail et maintenir l'entreprise familiale à flot coûte que coûte.
Aussi ses relations avec les hommes ont toujours été d'ordre strictement professionnel. Mais pourquoi cette belle jeune femme, dont les goûts musicaux oscillent entre la trompette de Miles Davis et "la voix sublime de Maria Anna Sophia Cecilia Kalogeropoulos", a-t-elle fait le sacrifice de l'amour?

" Après sa fuite de la communauté, elle avait été poursuivie pendant plusieurs années par d'horribles cauchemars. Pour y échapper, elle s'était jetée à corps perdu dans le travail.
A l'âge où les autres enfants ne pensaient qu'à s'amuser, elle avait soif d'apprendre et réclamait toujours plus de devoirs." p.16

Costas Zagorakis est un homme d'affaires aussi intriguant que charmeur. Il possède une villa, la villa Aphroditi (!!!), logée sur son île privée, l'île de Sophianissos. Mais il ne faut pas croire qu'il soit né le cul dans la feta.
Ayant passé son enfance dans un orphelinat, il fut recueilli par Sophia qui lui offrit une chance de se construire une vie (raison pour laquelle il lui rendit hommage en baptisant son île à son nom...).
Envahi par de troublants cauchemars, Costas ne s'attache à personne.

" Quelle ironie...Il était assez riche pour se payer tout ce qui pouvait s'acheter sur terre, mais en réalité il était un homme pauvre, car incapable de sentiment." p.84

Vous l'aurez compris, ces deux personnages ont en commun une enfance difficile dont ils peinent à écarter les souvenirs douloureux. Concentrés sur leurs affaires, ils ne s'autorisent aucun sentiment amoureux.

Bien sûr, au moment de leur rencontre, tous deux ne soupçonnent pas de telles affinités.
Si elle n'est pas insensible aux charmes de ce riche éphèbe, Lisa ne se montre pas moins farouche, tentant de garder à l'esprit l'avenir de son entreprise.
Mais Costas a plus d'un tour dans son sac et réussit, au terme d'un odieux chantage, à lui faire accepter de rester sur son île, ce qui n'était pas prévu au programme de Lisa.

" Elle rentra dans la chambre. Mieux valait s'habiller, même si elle n'avait aucune envie de remettre le pantalon de son tailleur. Malheureusement, elle n'avait pas le choix.
N'ayant pas prévu de rester plus d'une nuit sur l'île, elle n'avait emporté que des dessous et un corsage en soie." p.70

Même lorsque Costas l'emmène faire une partie de pêche à bord de son voilier, Lisa doute de sa sincérité : la mène-t-il en bateau pour la faire renoncer à son entreprise ou est-il réellement attiré par elle? Lisa ne sait plus à quel saint se vouer...

Rien à dire, tout est là ! La belle et vertueuse héroïne aux yeux émeraude, le ténébreux (et macho) businessman aux prunelles noires et au corps athlétique, l'intrigue sommaire, la tension sexuelle ambiante assortie d'une kyrielle d'expressions évocatrices (le regard pénétrant, la voix caressante, la fleur humide, la virilité gorgée de désir,...), les monologues intérieurs, l'initiation à la langue grecque (despinis, guinekamou, theemou, opa, nai, kalimera,...) et aux us du pays (le lecteur apprendra ainsi que les Grecs sont des marins dans l'âme et qu'ils ornent leurs maisons de bouquets de fleur le 1er mai) et bien entendu les coups de rein (mais, toujours dans le souci du détail, l'auteure a pris soin d'user d'un vocabulaire marin).

" Il accéléra peu à peu le rythme, tout en la couvrant de caresses expertes. Renversée en arrière, elle sentit déferler la première vague et poussa un cri rauque.
Au même instant, il se perdit en elle, et ils furent balayés par une gigantesque lame de fond qui les propulsa dans une autre dimension.
- Et maintenant, allons dîner, dit-il de longues minutes plus tard, quand le cyclone finit par s'éloigner, les laissant fourbus de plaisir." p.127

En un mot, laissez-vous tenter par les plaisirs divins de la mer Egée...


"Prisonniers du désir" était une lecture réalisée dans le cadre des Harlequinades 2010 lancées par Fashion et Chiffonnette.
A venir pour terminer dignement (ou pas) ce défi : une nouvelle Harlequin de mon cru et pour laquelle je vous réserve une petite surprise :)

4 août 2010

Haute fidélité - Nick Hornby


"Haute fidélité" est le second roman, publié en 1995, de l'écrivain britannique Nick Hornby, également auteur de titres tels que "Slam" ou "About a boy" et plus récemment de "Juliet, naked" dont j'avais parlé ici.
Propriétaire d'un magasin de disques situé dans le nord de Londres, Rob passe le plus clair de ton temps entouré de ses amis Barry et Dick, deux geeks passionnés de musique qui se plaisent à snober les gens qui ne partagent pas leurs goûts et à établir des classements de toutes sortes : les 5 meilleures faces A, les 5 meilleurs morceaux pour un enterrement, les 5 meilleures chansons pour faire l'amour,...
Rob vit avec Laura mais leur couple bat de l'aile et Laura finit par le quitter pour emménager chez leur ancien voisin.
Rob décide alors de faire le point sur ses premières amours et ruptures et dresse le top 5 des femmes qui lui ont fait le plus de mal.
Bien décidé à comprendre le fondement de cette tyrannie de répétitions amoureuses, Rob entreprend de revoir chacune de ses ex.
Vers quel genre de révélation ce plongeon dans le passé le mènera-t-il ?

Je l'avais déjà signalé dans mon billet consacré à "Juliet, naked", Nick Hornby parvient à nous plonger au coeur de son sujet dès les premières lignes.
Nous découvrons ainsi sous la forme d'une liste les portraits des 5 femmes ayant le plus marqué le coeur de Rob. D'Alison, sa copine de bac à sable, à Sarah la femme Kleenex, en passant par la sulfureuse Charlie, chacune d'entre elles a laissé son empreinte et donné à Rob une raison de verser dans l'amertume.

" On dirait que toutes mes histoires d'amour sont une version bâclée de la première." p.13

Et bien sûr il y a aussi Laura que Rob tente de reconquérir... à sa manière. Si il apparaît au départ tel un mal-aimé, un malchanceux sur lequel on s'apitoie volontiers, force est de constater au fur et à mesure qu'il est en grande partie responsable du tournant qu'a pris sa vie et qu'il n'a pas volé ce qui lui arrive.
Tout en s'interrogeant sur son rapport aux femmes et à la musique (deux sujets bien souvent mis en parallèle), Rob préfère toutefois contourner le fond du problème et éviter l'introspection en se persuadant que ce sont les autres qui lui ont causé du tort et que lui de son côté, bénéficie toujours de circonstances atténuantes, selon une logique qui n'appartient qu'à lui (ainsi qu'à d'autres specimens de la gente masculine mais je vous laisse avec vos souvenirs émus en la matière :)).

Ainsi lorsque Laura évoque son nouvel amant, la seule chose qui intéresse Rob est de savoir si le sexe est meilleur avec l'autre qu'avec lui. Quand Laura lui répond qu'ils n'en sont pas encore là, Rob est rassuré et s'empresse d'aller coucher avec une autre femme...
Certes, il a quelques principes, mais ils ont presque toujours pour but de servir son intérêt avant tout. Si il se rend à l'enterrement du père de Laura, ça n'est pas pour lui témoigner son soutien mais uniquement pour tenter de la récupérer.

" On dirait que les gens jouent tous des seconds rôles dans le film de ta vie." p.186

Mais il y a quelque chose de touchant chez Rob qui fait qu'on lui pardonne son égocentrisme puéril.
Peut-être parce qu'on sent bien que dans le fond, il n'est pas un homme foncièrement mauvais, plutôt un mec paumé qui n'a pas trouvé de réel but dans l'existence ni toujours su prendre les bonnes décisions, notamment en ce qui concernait les femmes. Peu sûr de lui, il s'est entiché de femmes qui ne lui correspondaient pas et a préféré laisser passer les autres ou tout gâcher, incapable de s'engager dans une vraie relation lorsqu'elle était à sa portée.
A trop fantasmer la réalité, il se retrouve au pied du mur, arrivé à un âge où il faut cesser de jouer les enfants et faire des choix.

" Peut-être que nous vivons tous de façon trop aïgue, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu'en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d'une relation stable, solide." p.136

"
Pas étonnant qu'on soit tous à côté de nos pompes. On est comme Tom Hanks dans Big. Des petits garçons et des petites filles coincés dans des corps d'adultes et obligés de se débrouiller. Et c'est bien pire en vrai, parce qu'il n'y a pas que les flirts et les lits superposés." p.197

Tout comme c'était le cas dans "Juliet, naked", nous retrouvons ici des héros faisant figure de grands gamins, autocentrés mais pas mauvais bougres, pour qui la musique représente davantage qu'un simple hobby, c'est une vraie façon de vivre (le roman est d'ailleurs parsemé de références musicales, principalement soul et pop rock).
Clowns tristes ou farceurs, tantôt attachants tantôt agaçants, rêveurs ou désabusés.
Sans fausse note et au détour d'un irrésistible mélange de réalisme et d'humour, Nick Hornby s'attache à mettre en musique la difficulté à trouver sa place dans l'existence.
Comme me le disait une amie il y a de cela quelques jours, être libre, ce n'est pas tant se garder toutes les options ouvertes que de pouvoir poser des choix et les assumer.
Je crois que c'est en quelque sorte la morale de ce roman...

Dans mon top 2 des livres lus de Nick Hornby, " Haute fidélité" figure de loin à la première place !

Le film

Je n'allais donc pas m'arrêter en si bon chemin !
Sorti en 2000 et réalisé par Stephen Frears, réalisateur des "Arnaqueurs" et des "Liaisons dangereuses" (avec John Malkovich, Glenn Close, Uma Thurman, Michelle Pfeiffer et Keanu Reeves ^^) pour ne citer qu'eux, le film offre une adaptation réussie du livre.

N'étant pas une fan inconditionnelle de John Cusack et encore moins de Jack Black (qui me fait penser à une caricature bouffie de Jim Carrey, c'est tout dire...), j'ai néanmoins trouvé que tous deux campaient fort bien leurs personnages respectifs (personnages qui les ont d'ailleurs bien (pour)suivi dans la suite de leur carrière il me semble).
Les autres personnages (on notera la présence de Catherine Zeta Jones incarnant l'insupportable Charlie et de Tim Robbins, l'amant de Laura, travesti en une version New-age de Steven Seagal) ne sont pas en reste mais j'ai vraiment trouvé que c'était les deux précités qui portaient le film.
Je me souviendrai encore longtemps de l'étonnante prestation de Jack Black sur "Let's get it on" de Marvin Gaye ("Let's love suga!") comme de la scène hilarante où l'amant de Laura se rend dans le magasin de Rob pour le provoquer, ce qui amène Rob à examiner les différentes possibilités qui s'offrent à lui (cette scène était un peu moins drôle dans le livre vu qu'elle se passait au téléphone).




Hormis un détail géographique (l'action se situe ici aux USA et non plus en Angleterre), quelques subtilités capillaires (c'est vrai que Catherine Zeta Jones en blonde, ça ne l'aurait pas fait...) et affectives (le personnage de Marie laSalle avec qui couche Rob est beaucoup plus approfondi dans le livre) et la suppression de quelques scènes notamment l'anniversaire de Rob, le film a su préserver l'essentiel du roman, son dynamisme, son humour et bien entendu sa musique !


Bref, lisez le livre, voyez le film ou mieux encore, faites les deux !

D'autres avis : Mango - Miss Orchidée - Saxaoul - Ys

"Haute fidélité" était une lecture choisie dans le cadre d'un hommage à Nick Hornby, proposé par Pickwick (et pour lequel j'ai 3 jours de retard, oups) et ma 4ème participation au challenge lancé par Fashion.