10 septembre 2014

Mon ami Dahmer - Derf Backderf


Publié aux USA en 2012 et traduit en français en 2013, "Mon ami Dahmer" est un album écrit et illustré par l'américain Derf Backderf. Il a obtenu le prix Révélation lors du dernier Festival d'Angoulême.

Avant qu'il le redécouvre sous le macabre surnom de "Cannibale de Milwaukee", Derf/Jeff Backderf a côtoyé Jeffrey Dahmer durant leurs années au lycée de Revere High School.
A l'aide de ses souvenirs, de témoignages d'autres lycéens et d'informations collectées par le FBI, l'auteur reconstitue la descente aux enfers de Jeffrey Dahmer.
Adolescent timide et asocial, ce futur serial-killer ne manquait pourtant pas de faire rire ses camarades de classe en singeant les crises d'épilepsie de sa mère.
Une mère qui plus est dépressive et toujours en conflit avec son père, au point que celui-ci finira par déménager, abandonnant Jeffrey et son jeune frère à l'indifférence de sa femme.
Livré à lui-même, Dahmer se découvre homosexuel mais ne l'assume pas. Les 17 victimes qui lui valurent une peine de prison de 957 ans (!!!) étaient d'ailleurs toutes de jeunes hommes ou des mineurs.
Durant ses années de lycée, Dahmer laisse libre cours à sa fascination pour les cadavres d'animaux (qu'il brûle à l'acide ou dépece) et d'humains qu'il associe à une sexualité débridée.
L'alcool dont il s'enivre jour et nuit parviendra, pour un temps seulement, à calmer ses pulsions malsaines...





"Mon ami Dahmer" est le genre d'histoire qui vous fera passer mentalement en revue vos photos de classe à la recherche de la/du bizarre de l'époque qui tout bien considéré aurait très bien pu devenir un/une serial-killer en puissance (et si en plus vous êtes un peu parano comme moi, vous vous surprendrez à taper quelques noms dans Google...).
S'agissant des signes avant-coureurs présidant à la santé mentale de Dahmer, l'auteur reconnaît que lui et les autres jeunes ne prenaient pas vraiment son comportement étrange au sérieux.
En revanche, il pointe du doigt l'indifférence des adultes, qu'il s'agisse des parents ou du corps professoral.i
Personne n'a jamais signalé que Dahmer était ivre, même en cours.
Derf Backderf a volontairement choisi d'arrêter son scénario au moment où Dahmer commet son premier meurtre car, comme il l'affirme : "Mais une fois que Dahmer tue - et je ne le dirai jamais assez -, je n'ai plus aucune sympathie pour lui".
Et d'ajouter : "Ayez de la pitié pour lui mais n'ayez aucune compassion."

Il s'agissait donc avant tout de restituer sa relation avec Dahmer (on ne peut pas vraiment parler d'amitié) et d'établir la genèse d'un serial-killer.


Et on peut dire que l'album est réussi ! Le dessin, tout en noir et blanc, renvoie à cette génération MTV des années 90 (j'ai notamment pensé à Beavis & Butthead). Derf Backderf nous représente un adolescent au visage de marbre, inexpressif même lorsqu'il est bien entouré ou moqué, cruel sans même s'en rendre compte et dans l'indifférence générale.



A lire si ce type de profil vous intéresse :)

D'autres avis : Canel - Choco - Theoma - Val - Yaneck


17ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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7 septembre 2014

Aussi profond que l'océan - Jacquelyn Mitchard (livre + film)


Publié aux USA en 1996 et traduit en français en 1998, "Aussi profond que l'océan" est le premier roman de l'écrivaine américaine Jacquelyn Mitchard, notamment auteure de "Comme des étoiles filantes" dont je vous ai parlé il y a quelques jours.

Beth Cappadora quitte Madison avec ses trois enfants pour se rendre à Chicago où a lieu la 15ème réunion annuelle des anciens étudiants de son lycée.
Arrivée à l'hôtel, bondé pour l'occasion, elle confie sa petite dernière à la baby-sitter et demande à Vincent, son aîné, de surveiller Ben, son jeune frère.
Le temps de payer sa réservation, Beth se rend compte que Ben a disparu.
La police lance rapidement les recherches et les bénévoles ne manquent pas pour distribuer les avis de disparition.
Mais malgré leurs efforts, Ben reste introuvable.
Dix ans plus tard, alors que Beth et sa famille vivent désormais à Chicago, un garçon d'une dizaine d'années frappe à leur porte...

" - Oui, dit Beth. Je voudrais dire quelque chose à celui qui a pris mon fils dans le hall de cet hôtel.
Je vous en prie, ayez pitié de moi, pensait Beth. Faites preuve d'un peu de compassion et rendez-moi mon enfant, je vous en supplie. Ne lui faites pas de mal...
- Voilà, je n'espère pas que vous me rendiez Ben, dit Beth.
Sarah Chan eut l'air de s'étrangler, la cameraman tressaillit et Beth sentit Pat reculer, comme si une guêpe l'avait piqué.
Mais Candy Bliss leva la main comme un agent de la circulation, et Beth la regarda droit dans les yeux, longtemps.
Tant que les grands yeux bleus de Candy Bliss ne cilleraient pas, elle saurait qu'elle pouvait continuer.
- Je n'espère pas que vous me rendiez Ben, parce que vous êtes un salaud, un fou, et que vous n'avez pas de coeur.
- Madame Cappadora, souffla Sarah. Beth...
- Si vous avez pu faire ça, c'est que vous ne vous rendez pas compte de l'enfer que nous vivons à cause de vous. Ou que vous vous en fichez.
Elle s'éclaircit la gorge.
- Alors je ne vais pas vous supplier. Mais à tous les autres, je dis ceci : s'il vous arrive de reconnaître Ben, vous saurez que la personne qui est avec lui n'est ni moi ni Pat. Ni sa maman ni son papa. Et si vous avez un coeur, je vous demande de tout faire pour lui reprendre Ben.
Même lui faire mal si vous y êtes obligés. Pas de problème, je vous en récompenserai : moi, ma famille, mes amis, nous vous en récompenserons.
On vous donnera tout ce qu'on a. (Beth fit une pause). C'est tout, dit-elle." p.73

Le roman


A l'instar de "Comme des étoiles filantes", "Aussi profond que l'océan" évoque un foyer brisé par un drame. Une famille cernée par la douleur, la culpabilité et les non-dits.
Beth a perdu pied et sombre dans un état léthargique, s'abandonnant entièrement à sa douleur.
Son mari Pat se plonge dans le travail et tente de continuer à vivre malgré tout tandis que leur fils Vincent accumule les mauvais choix et souffre en silence du manque d'intérêt de ses parents pour lui.
Envoyé chez un psy, il lui confie progressivement ce qu'il a sur le coeur.
Des dissensions règnent au sein de la famille et de la belle-famille.
Persuadée que Ben est mort, Beth ne supporte pas que ses beaux-parents continuent à déposer des cadeaux pour Ben tous les Noëls.
Mais comment faire le deuil d'un enfant dont on ignore si il vit encore ou non ?

Contrairement à ce que j'avais déploré dans "Comme des étoiles filantes", la psychologie des différents personnages est ici très bien rendue, particulièrement dans les profils de Beth et de Vincent, qui chacun à leur manière se sentent responsables de la disparition de Ben : elle parce qu'elle a laissé ses enfants sans surveillance rien qu'un instant et lui parce qu'il a lâché la main de son frère.
L'inspecteur Candy Bliss, qui au fil des ans a développé une véritable amitié avec Beth, n'est pas en reste non plus en matière de culpabilité.

Ce qui m'a principalement gênée dans ce roman, ce sont deux grosses incohérences qui selon moi ne pardonnent pas.
Comment Ben a-t-il pu disparaître au milieu d'une foule de gens qui connaissaient tous Beth et ses enfants sans qu'il n'y ait pas un seul témoin ?
La situation semble d'autant plus invraisemblable lorsqu'on apprend qui a fait le coup...
Un scénario gros comme deux pâtés de maison.
Deux pâtés de maisons, c'est justement la distance qui sépare ce jeune garçon ressemblant étrangement à Ben de la maison des Cappadora qui ont déménagé à Chicago.
Un garçon qu'ils n'avaient jamais remarqué en 4 ans jusqu'à ce qu'il sonne à leur porte !
Je ne sais pas vous mais le hasard fait quand même (trop) bien les choses...

Le film




Sorti en salles en 1999 avec Michelle Pfeiffer, Treat Williams et Whoopi Goldberg dans les rôles principaux, le film présente une version allégée, plus "familiale" (genre téléfilm du dimanche après-midi...).
Bien que Michelle Pfeiffer se défende bien dans ce rôle d'épouse et de mère éteinte, le personnage de Beth m'a semblé moins complexe, plus fade que dans le roman où elle était tout de même présentée comme ayant du tempérament.
La relation amour-haine entre Beth et Vincent perd également en profondeur et en complexité.
Idem pour l'amitié entre Beth et Candy, cette dernière étant simplement présentée comme l'enquêtrice.
Pour ne rien arranger, je ne suis pas parvenue à me représenter Whoopi Goldberg dans un rôle sérieux. J'avais toujours l'impression qu'elle était sur le point de raconter une blague alors que la situation ne s'y prêtait pas du tout...
Les entretiens entre Vincent et son psy - probablement ce qui m'intéressait le plus dans le roman - sont carrément passés à la trappe.

A choisir, privilégiez plutôt le roman au film même si vous aurez bien compris que je ne ressors pas très emballée de cette lecture.



A croire qu'il me manque toujours quelque chose avec cette auteure...


Merci aux éditions des Deux Terres de m'avoir envoyé cet ebook.

3 septembre 2014

Ceux qui me restent - Damien Marie et Laurent Bonneau


En librairie depuis le 27 août, "Ceux qui me restent" est un album écrit par Damien Marie et illustré par Laurent Bonneau.

L'avenir de Florent et Jenny s'annonçait plein de promesses. Mais à 39 ans, Florent se retrouve veuf et seul avec Lillie, leur fille de 5 ans.
Durant la traversée qui les ramène en France, Lillie s'égare et, en état de panique, Florent la cherche partout.
Bien des années plus tard, dans sa maison de retraite, il la cherche encore et toujours...


"Ceux qui me restent" traite d'un sujet qui me touche profondément - la maladie d'Alzheimer - et que j'avais déjà évoqué dans mon billet sur "Alzheimer mon amour" de Cécile Huguenin.
Il m'a d'autant plus émue que j'ai perdu mon grand-père l'an dernier et que certains passages m'ont rappelé de pénibles moments.
Mon grand-père est mort seul dans une chambre d'hôpital et j'aime à penser qu'au moment fatidique, il lui restait ne fut-ce qu'une image paisible. Rien qu'une seule.

Florent est un vieil homme en prise avec de douloureux souvenirs qui lui font constamment chercher sa fille, alors que celle-ci vient lui rendre visite toutes les semaines.
Le lecteur entre dans sa mémoire (ou plutôt ce qu'il en reste) décousue par le biais de flash-backs entrecoupés par des scènes du quotidien le montrant entouré de sa fille ou du personnel médical.
Enfermé dans ses derniers zestes de mémoire, prisonnier entre passé et présent, Florent fugue constamment de sa maison de retraite pour retrouver sa fille.
Une fille avec laquelle il a perdu contact pendant un long moment et qu'il confond avec sa femme.


Damien Marie et Laurent Bonneau ont selon moi parfaitement su retranscrire toute la confusion qui règne dans l'esprit de ce vieil homme qui revit en boucle le même cauchemar au quotidien.
Le dessin sobre et légèrement flouté (certains remarqueront que le titre semble légèrement effacé), les couleurs passées, la narration éclatée rendent compte de la solitude extrême qu'impose la maladie d'Alzheimer.
Jusqu'à ce dernier plan montrant Florent à la dérive, seul sur une mer qui s'étire au loin, comme perdu à jamais.

Un album qui m'a laissée sans voix, submergée par l'émotion. Un coup de coeur comme ils se font trop rares ici. Et pas des moindres.

L'avis de Yaneck

16ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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29 août 2014

Comme des étoiles filantes - Jacquelyn Mitchard


Publié aux USA en 1996 et disponible en ebook depuis le mois de mai, "Comme des étoiles filantes" est un roman de l'écrivaine américaine Jacquelyn Mitchard, particulièrement connue pour son premier roman "Aussi profond que l'océan" (adapté au cinéma en 1999 avec Michelle Pfeiffer et Whoopi Goldberg) dont je vous parlerai bientôt.

Durant une partie de cache-cache, Veronika Swan, alors âgée de 12 ans, assiste à la mort de ses deux petites soeurs, égorgées par un homme dérangé.
Scott Early, diagnostiqué schizophrène, signe des aveux écrits et est placé en institution pour une durée maximum de 7 ans.
Pour Veronika, traumatisée depuis ce fameux jour, le verdict n'est pas suffisant.
Contrairement à ses parents qui, fidèles à la doctrine mormone, finissent par accorder leur pardon, la jeune femme ne parvient pas à tourner la page.
A l'annonce de la libération de Scott Early et de la grossesse de sa femme, Veronika part pour San Diego...

Les Swan m'ont fait l'effet d'une famille parfaite du type "Sept à la maison", entre scolarité à domicile, lectures choisies et multiples visites à l'Eglise. Rien qui dépasse.
Mais le meurtre de Becky et Ruthie va bouleverser les vies de Veronika et de ses parents.
La mère de Veronika, artiste, passe désormais la plupart de son temps à dormir.
Enceinte au moment du drame, elle accouche seulement deux semaines après d'un petit garçon auquel elle fournit les soins élémentaires mais sans parvenir à lui donner son amour.
C'est donc essentiellement Veronika qui s'occupe de son petit frère alors que son père est constamment absent, errant dans la forêt pour tenter d'apaiser son chagrin et trouver la force de continuer.
La jeune fille se retrouve livrée à elle-même. D'abord en proie à un profond sentiment de culpabilité qui lui fait imaginer en rêve d'autres fins plus heureuses, elle est prise d'une envie de vengeance.
Une faille au sein de ce système éducatif bien rôdé et qui laisse ses parents désarmés.
Le roman est centré sur l'évolution morale de Veronika à laquelle se greffe la question du pardon : est-il sans limites ?
La délivrance passe-t-elle par le pardon ou la vengeance ?

Heureusement que le personnage principal de Veronika m'intéressait car les autres m'ont semblé faire pâle figure, trop lisses et pas assez creusés.
L'auteure, sans être mormone, consacre une large part de son récit à la démystification du mormonisme et aux préjugés qui lui sont liés, comme la polygamie qui n'est plus de mise depuis la fin du 19ème siècle sauf chez les fondamentalistes.
Ou sur les raisons pouvant expliquer que les mormons aient beaucoup d'enfants.

" On trouve différentes théories expliquant pourquoi les mormons ont autant d'enfants. Personnellement, je crois qu'au début, quand Joseph Smith a lancé la religion, c'était probablement parce qu'ils avaient besoin de monde, afin qu'au moins l'un d'entre nous survive aux terribles persécutions à venir.
De nombreux mormons pensent encore que plus il y aura de mormons, mieux cela vaudra pour propager la bonne parole, raison d'être des missions.
L'Eglise enseigne que nous vivons tous au ciel avant de naître, et qu'il faut que nous ayons beaucoup d'enfants pour offrir des corps terrestres à ces âmes, tout comme ont été créés les corps physiques de Dieu et de Jésus, de façon qu'elles puissent descendre sur terre pour y être mises à l'épreuve.
Les êtres sont mis à l'épreuve afin de pouvoir tendre vers l'image de Dieu, et ça continue ainsi - chacun s'efforce de devenir meilleur et de faire le bien - même après, une fois mort." p.21

Pour ma part, j'ai su en lisant ce passage que je ne deviendrais jamais mormone :))

" Quand Clare et moi avons bu le thé Earl Grey que nous avions chipé dans l'une des boîtes de Madame Sissinelli, nous l'avons avoué et ne nous sommes presque pas fait gronder. Mon père a dit : " Tout le monde dépasse un peu les bornes de temps en temps". Nous avons du présenter des excuses à Madame Sissinelli et faire une rédaction sur la dépendance à la caféine." p.26

Bien que l'aspect religieux m'ait intéressée, je l'ai trouvé trop présent, étouffant, comme si le reste était un prétexte. Ca frôle l'apologie, au point que j'étais persuadée que l'auteure était mormone.
L'éducation que Veronica a reçue a, il est vrai, son importance dans sa décision finale mais j'ai trouvé que celle-ci aurait du peser davantage dans ce débat pardon/vengeance.
Je n'ai pas ressenti cette violence intérieure qu'on imagine dans ce genre de situation.
Globalement concernant le fond, et cela vaut aussi pour la forme, ça manquait malheureusement de tripes.
  
J'espère que "Aussi profond que l'océan" me plaira davantage. Mon souvenir du film est très flou, j'essaierai d'enchaîner les deux.

Merci aux éditions des Deux Terres de m'avoir envoyé cet ebook.

27 août 2014

Le captivé - Christophe Dabitch et Christian Durieux



En librairie depuis le mois de mai, "Le captivé" est un album écrit par le français Christophe Dabitch et illustré par le dessinateur belge Christian Durieux.

Bordeaux, 1886. Albert Dadas se présente à l'hôpital Saint-André où il reçoit l'aide de Philippe Tissié, jeune interne en psychiatrie auquel il va raconter son parcours de "voyageur involontaire".
Régulièrement pris de nausées et de sensations d'angoisse, Albert a pris l'habitude de fuguer depuis son plus jeune âge. Capable de marcher sur de très longues distances, il ne se souvient jamais de la raison l'ayant poussé à partir.
Ses voyages l'ont notamment amené en Algérie, en Russie, en Belgique ainsi que dans plusieurs villes de France. Mais Albert, souvent pris pour un fou, a surtout passé la plupart de sa vie en prison ou en hôpital psychiatrique.

Intrigué par les pulsions de son patient, Tissié, contre l'avis de ses confrères qui penchent pour un traitement au bromure, obtient des résultats probants grâce à l'hypnose.
Mais pour un temps seulement...

Albert Dadas a bel et bien existé et son cas fit le tour des colloques psychiatriques de l'époque. Plusieurs théories virent le jour le concernant : épilepsie, hystérie ou simple comédie.
Mais Tissié finit par le classer en tant qu'"hystérique somnambulique diurne appartenant à la classe des captivés. Car il utilisait le joli terme de captivé : prisonnier du voyage, captif de l'idée du voyage, séduit par l'ailleurs".

Le lecteur découvre son parcours et ses voyages au travers de plusieurs témoignages mais surtout au cours de ses entretiens avec Philippe Tissié. Tous deux noueront d'ailleurs une certaine relation d'amitié, Tissié étant totalement fasciné par le cas d'Albert.
Les illustrations sobres, toutes en noir et blanc, collent efficacement à l'époque décrite et nous montrent un homme à l'air constamment ahuri, perdu, errant tel un somnambule.
Impossible de ne pas ressentir quelque pitié pour cet homme qui n'est à sa place nulle part, seul avec lui-même et avec les autres.
Un genre de Forrest Gump du 19ème siècle.


J'étais on ne peut plus intriguée par le sujet de cet album mais malheureusement, le scénario tient finalement à peu de choses alors qu'il aurait été possible de rendre cette histoire fascinante.
J'ai appris plus de choses sur Albert Dadas en lisant la postface que l'album en lui-même.
Dommage que le scénario manquait d'épaisseur car j'ai beaucoup apprécié le coup de crayon de Christian Durieux.


15ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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24 août 2014

Kinderzimmer - Valentine Goby




Publié en août 2013, "Kinderzimmer" est le 8ème roman de l'écrivaine française Valentine Goby, notamment auteure de "Qui touche à mon corps je le tue", "Banquises" et plus récemment de "La Fille surexposée".

Une nuit d'avril 1944, Mila, Lisette et près de 400 autres femmes quittent la France occupée pour rejoindre Ravensbrück, le plus grand camp de travail pour femmes en Allemagne.
Au bout d'une semaine de quarantaine, elles découvrent des milliers d'autres femmes et tentent de survivre malgré le travail, les coups, la faim, le froid, la maladie et les sélections.
Enceinte, Mila dissimule sa grossesse et s'interroge sur ce corps épuisé, amaigri mais lequel, contre toute attente, porte la vie.
A la naissance de son fils James, elle découvre l'existence d'une Kinderzimmer, une pouponnière abritant plusieurs dizaines de nouveaux-nés...

" Ravensbrück c'est la mort certaine, pas immédiate, pas celle des chambres à gaz que des prisonnières non juives droit venues d'Auschwitz ont raconté avec effroi.
Car qui a vu ce que nous voyons parlera. Dira ce qu'il a vu. Ses yeux cracheront les images, sa bouche, son corps, tout en nous vomira ce qu'ils ont fait et ce que nous ne pouvons pas imaginer encore, et c'est pourquoi nous sommes déjà mortes, quelle que soit la fin de l'Histoire, mortes pour nous taire.
Ravensbrück, a dit Marianne, veut dire pont des corbeaux. Les corbeaux se perchent sur les toits des Blocks et des bâtiments SS dans le rose du soir, tous les soirs.
Les corbeaux se nourrissent de déchets et de cadavres. Ils nous attendent. Il n'y a pas un bébé dans ce camp, pas une mère parce que mettre au monde c'est mettre à mort.
Alors se détacher de l'enfant. Tout de suite. L'ignorer désormais comme tout ce qu'on ignore au fond des corps, quand par exemple on n'a pas eu de mère, ou même lorsqu'on en a eu une, toutes ces pièces étranges et molles entassées au-dedans dont on ne connaît pas les formes, l'aspect, faire de l'enfant un viscère supplémentaire, un bout d'intestin, d'estomac, organe digestif non doué de vie propre, tout de suite le deuil de l'enfant condamné comme nous toutes.
Qu'on ne dise pas à Mila que rien ne vaut la vie." p.58

A sa sortie l'an dernier et à mesure que les billets enthousiastes fleurissaient ici et là, je ne parvenais pas à me décider quant à mon envie de découvrir ou non ce roman.
Ayant déjà lu "Les cendres froides" de Valentin Musso (oui, le frère de l'autre :)) sur le thème des Lebensborn, je craignais les "redites".
Je m'entendais alors dire que de toute façon, on ne parlerait jamais assez des atrocités commises par les nazis. Alors oui, sauf que quand même au bout d'un moment, il faut pouvoir espacer un minimum ce genre de lecture.
Et donc me voici, un an après tout le monde, découvrant ce roman inspiré de la vie de la résistante Marie-José Chombart de Lauwe (Sabine dans le roman), puéricultrice de la Kinderzimmer.
J'ai trouvé dommage que l'auteure ne parle pas davantage de cette jeune femme (elle n'avait que 16 ans alors) au rôle si particulier.
Comment a-t-elle fait pour tenir psychologiquement, alors qu'elle voyait défiler tous ces bébés qui ne vivaient pas plus de trois mois ?

Du reste, ce roman est assurément un coup de coeur, tant sur le fond que sur la forme.
Une lecture intense, physique même puisque j'ai vraiment eu l'impression de vivre ce récit de l'intérieur, de ressentir une proximité avec ces femmes.
Il faut dire que l'écriture de Valentine Goby se veut très olfactive. Tout est palpable : odeurs, moiteur, peur, maladie, faim, saleté, froid.
Le récit est d'autant plus troublant qu'il se déroule sous les yeux du lecteur qui suit ainsi Mila et les autres "en temps réel". Les termes allemands qui parsèment le récit ajoutent à ce sentiment de réalité.
Au centre de ce roman se trouve la notion de collectivité. A leur arrivée au camp, les femmes sont dépouillées de la plupart de leurs affaires, dont leurs robes que d'autres revêtiront.
Nul doute que leurs géôliers souhaitaient entretenir l'idée que toutes étaient interchangeables.
Et ce sentiment perdure au fil du roman. Ce qui m'a probablement le plus émue, ce sont les réactions "pragmatiques" de ces femmes qui n'ont pas le temps de pleurer leurs morts.
Quand l'une d'entre elles décède, on lui prend rapidement ses chaussures, sa brosse à dents, n'importe quel objet pouvant servir. A la mort d'un bébé, on propose à la mère d'en allaiter un autre.
Autant de réflexes de survie qu'on aurait du mal à concevoir aujourd'hui. Difficile d'imaginer la profondeur des traumatismes pour celles qui ont survécu.
Il n'y avait alors pas de place pour la douleur de la perte. Tenir bon, survivre, se soutenir mutuellement pour ne pas sombrer. "Vivre est une oeuvre collective".
Renoncer c'était mourir et accepter cette carte rose tendue par les Allemands, promesse d'un repos éternel...

Quelle claque !


D'autres avis : Canel - Clara - Liliba - Theoma - Stephie - Argali - Alex - Sandrine - Val - Leiloona - Jérôme - Noukette - Tiphanie - Karine:)

9 août 2014

Carnation - Xavier Mussat




En librairie depuis le 28 mai, "Carnation" est le second album autobiographique - après "Sainte Famille" - de l'illustrateur et scénariste français Xavier Mussat.

1993. Xavier termine ses études artistiques à Angoulême et trouve un boulot qui paie bien mais ne l'enthousiasme pas vraiment et renforce son sentiment de solitude.
Il rencontre Alice, une jeune mère au foyer mariée avec laquelle il entretient une relation platonique et pour qui il dépense sans compter.
Alice finit par divorcer et trouve du boulot à Paris. Xavier, sentant qu'elle n'a plus besoin de lui se détache à son tour. Alors qu'Alice finit pourtant par lui céder, son désir pour elle s'évanouit complètement.
Xavier s'investit dans un projet de grande envergure qui l'occupera durant 2 ans : "Kirikou et la sorcière".
Au terme du projet, il sait qu'il ne pourra plus jouer les moutons comme avant et démissionne, sans réel plan de carrière.
C'est à cette période qu'il croise la route de Sylvia, jeune femme paumée, éternelle insatisfaite et toujours en colère, qu'il aimera plus que de raison...


Bien que "Carnation" soit centré sur la relation toxique que Xavier entretient avec Sylvia, il rend également compte d'un background qui devait fatalement les réunir.
Sylvia a quitté la Bretagne pour Angoulême avec dans l'idée de rencontrer des artistes et de se faire une place dans leur monde. Or elle ne semble pas cultiver un talent particulier et vivote en attendant que quelque chose se passe.
Ce qui est aussi le cas de Xavier qui cherche vaguement l'inspiration et vit du RMI.
Il n'y a ni ambition ni projet derrière leur refus de la norme, seulement un déni de l'échec.


Xavier et Sylvia se sont enfermés dans une relation casse-gueule qui se veut plus de l'ordre de la dépendance affective que de l'amour.
Xavier voit peut-être en Sylvia un challenge, un coeur à conquérir, mais la jeune femme est tellement imprévisible qu'il ne parvient pas à s'en saisir et se retrouve finalement enchaîné à elle. 

Les amis ont progressivement disparu. Autoritaire et égoïste, Sylvia isole Xavier de tout et de tout le monde, surtout de lui-même.
Trouvant toujours un moyen de le tirer un peu plus vers le bas, elle passe son temps à le culpabiliser, à souffler le chaud et le froid, poussant le chantage affectif à l'extrême.
Repliés sur eux-mêmes dans une spirale malsaine que chacun entretient à sa manière, ils ne peuvent en sortir qu'à condition que l'un des deux coupe les ponts.




La première partie - l'avant Sylvia - m'a beaucoup fait penser à l'univers de Larcenet. Personnage central en pleine crise existentielle et créative, incapable de s'engager avec une femme ou de gérer la relation compliquée avec son père, il prend parfois l'envie à Xavier de quitter le monde civilisé pour lui préférer la nature.
La comparaison s'arrête là.
Du reste, le choix du noir et blanc et les illustrations parsemées de symboles et de concepts rendent compte du caractère chaotique de cette relation et de l'état d'esprit du narrateur.
La représentation des deux personnages principaux ne laisse aucun doute quant à qui mène la barque: Xavier, qui arbore un monosourcil qui lui barre le front et lui donne un air constamment soucieux, courbe l'échine, éreinté et recroquevillé sur lui-même, face à une Sylvia dont la malice se devine à ces yeux énormes et ce petit nez pointu.

 
Il faudra du temps à Xavier Mussat pour réaliser la portée de la violence psychologique subie au quotidien et 10 ans pour parvenir à coucher son introspection sur 250 pages.

On ne lit pas "Carnation" sans émotion et sans l'envie de jouer les arbitres et de secouer Xavier pour lui éviter de s'enliser complètement.
Un album riche, fort dont j'ai vraiment aimé la profondeur psychologique appuyée par un traitement graphique vraiment original.
Je suis certaine que "Carnation" trouvera ses lecteurs si ce n'est pas déjà fait :)







Je remercie Babelio de m'avoir envoyé cet album dans le cadre de sa dernière opération Masse Critique bd.

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