Publié aux USA en 2011 et disponible en français depuis le 30 août dernier, "Certaines n'avaient jamais vu la mer" est le second roman, après "Quand l'empereur était un dieu" de l'écrivaine américaine d'origine japonaise Julie Otsuka.
Agées de 12 à 37 ans et vierges pour la plupart, au moment d'embarquer dans un bateau pour San Francisco, non seulement certaines n'avaient jamais vu la mer mais toutes ces jeunes femmes n'avaient jamais vu les vrais visages de leurs futurs maris, japonais tout comme elles venus trouver exil aux USA.
A bord, elles s'échangent les portraits et les lettres envoyées par ces hommes bien sous tous rapports, pensent à leurs soeurs vendues comme geishas et à leurs parents restés au pays, s'interrogent sur leur capacité à pouvoir satisfaire un homme et trouvent un peu de réconfort en songeant aux perspectives prometteuses que leur apportera leur nouvelle condition.
Autant dire que la déception sera lourde au terme de cette longue traversée de l'Océan Pacifique...
Ni belles carrières ni foyers confortables. Manipulées par de fausses promesses, abusées dès la première nuit sans tendresse ni respect, certaines d'entre elles cèdent rapidement au désespoir.
Mais la plupart s'accroche, basculant parfois dans la prostitution, travaillant aux champs ou à la ville comme femmes de ménage au service des Blancs vis-à-vis desquels elles s'arrangent pour demeurer invisibles.
Et elles ne seront pas au bout de leur peine. Car bientôt il se murmure que les USA entrent en guerre et qu'ils envisagent la déportation en masse...
" Nous nous jetions à corps perdu dans le travail, obsédées par l'idée d'arracher une mauvaise herbe de plus. Nous avions rangé nos miroirs. Cessé de nous peigner. Nous oubliions de nous maquiller.Bien que d'origines et de milieux sociaux différents, toutes ces femmes sont logées à la même enseigne, toutes à la fois esclaves de leurs maris qui décident pour elles et des Blancs pour lesquels elles se tuent à la tâche.
Quand je me poudre le nez, on dirait du givre sur une montagne.
Nous oubliions Bouddha. Nous oubliions Dieu. Nous étions glacées à l'intérieur, et notre coeur n'a toujours pas dégelé. Je crois que mon âme est morte.
Nous n'écrivions plus à notre mère. Nous avions perdu du poids et nous étions devenues maigres. Nous ne saignions plus chaque mois. Nous ne rêvions plus. N'avions plus envie. Nous travaillions, c'est tout.
Nous engloutissions nos trois repas par jour sans dire un mot à nos maris pour pouvoir retourner plus vite aux champs.
"Une minute de gagnée, c'est une mauvaise herbe arrachée", cette pensée ne me quittait plus l'esprit.
Nous écartions les jambes pour eux tous les soirs mais nous étions si fatiguées que nous nous endormions avant qu'ils aient fini. Nous lavions leurs vêtements une fois par semaine dans des baquets d'eau bouillante. Nous leur préparions à manger. Nous nettoyions tout pour eux. Les aidions à couper du bois.
Mais ce n'était pas nous qui cuisinions, lavions, maniions la hache, c'était une autre. Et la plupart du temps nos maris ne s'apercevaient même pas que nous avions disparu." p.47
Sans pathos, en prenant soin d'aller à l'essentiel, Julie Otsuka a donc choisi de leur donner la parole à toutes, au travers de ce "nous", pour évoquer leur histoire commune.
Et pourtant de cette même histoire se détachent autant de singularités, de nuances que l'auteure a choisi d'énumérer, passant ainsi du collectif au particulier pour donner vie à chacune de ces femmes.
Un procédé contesté par certains lecteurs qui ont jugé ces énumérations fastidieuses à la lecture mais que pour ma part j'ai trouvé fort efficace tant il m'a semblé que cette accumulation contribuait à donner plus de relief et de poids au sujet comme à amplifier mon sentiment de consternation au fil des pages.
Ce roman-témoignage aurait pu être un coup de coeur si il n'y avait pas eu cette seconde partie, reprenant le même procédé mais cette fois consacrée au point de vue américain.
Je suis d'avis que l'indifférence américaine était déjà comprise entre les lignes de la première partie et je n'ai donc pas trouvé que la seconde partie apportait un plus au récit.
Que sont devenus ces milliers de Japonais ? Où ont-ils été emmenés ? Peu d'Américains semblent s'être posés la question ou du moins, pas fort longtemps.
Malgré ma réserve quant à la seconde partie, je recommande cette lecture courte mais intensément grave dédiée à un volet si peu connu de l'Histoire !
"Certaines n'avaient jamais vu la mer" vient d'être récompensé, à juste titre, du prix Fémina étranger.
D'autres avis : Kathel - Canel - Theoma et bien d'autres ici
Lu aussi! La brièveté (relative) du roman permet de ne pas se lasser du procédé.
RépondreSupprimerEffectivement ça doit jouer !
SupprimerMais euh !! Toi aussi, tu es cruelle ! Je me défends de l'acheter en espérant qu'on me l'offrira pour mon anniversaire. Tant pis, je ne vais pas tenir jusque-là !!
RépondreSupprimerHeureusement que ton anniversaire tombe bientôt ;)
SupprimerPour l'instant, j'ai son premier roman paru dans ma PAL. Je compte bien lire celui-ci aussi.
RépondreSupprimerJe m'intéresse aussi à son premier roman du coup :)
SupprimerJ'ai très envie de le lire. je ne le connaissais pas avant qu'il ne reçoive ce prix. J'espère que la seconde partie ne me contrariera pas trop!
RépondreSupprimerC'est un livre qui me tente depuis sa sortie, mais voilà que j'en ai trop entendu parler... je vais laisser passer un peu de temps, je dois faire une face à une surdose d'infos littéraires. Faudrait que je débranche :-)
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé et la narration avec les nous, et cet épisode historique que je ne connaissais pas du tout...
RépondreSupprimerPrimé à juste titre malgré ta réserve ?
RépondreSupprimerCe que les américains ont fait subir aux immigrés japonais mériterait bien plusieurs romans. C'est bien que Julie Otsuka se penche sur ce sujet.
RépondreSupprimerIl me fait très envie mais en attendant, j'ai acheté son premier roman ;-)
RépondreSupprimerJe ne l'ai pas tout à fait terminé mais pour l'instant j'aime beaucoup...
RépondreSupprimerBel article. Le sujet est tentant.
RépondreSupprimerEffectivement, je n'avais jamais entendu parler de ce pan de l'histoire. Je note.
RépondreSupprimerIl faut que je le lise !!!!!!!!!
RépondreSupprimerUn coup de coeur pour de nombreux lecteurs et lectrices, je le comprend mais ne le partage pas.
RépondreSupprimerBeau livre qui pourtant ne m'a pas transcendée...
RépondreSupprimerJe viens de lire un billet très élogieux, je note ton bémol. ;)
RépondreSupprimerJ'ai adoré ce livre que je trouve vraiment magnifique. je ne comprends juste pas pourquoi tu expliques que l'indifférence américaine était décrite dans la deuxième partie alors qu'en fait elle ne l'est que ds le dernier chapitre qui fait quelques pages. Le reste du temps, l'attitude américaine est peu abordée. Je me permets de citer ton billet sur mon blog. Au plaisir de te lire !
RépondreSupprimerMaintenant, je veux savoir ce qu'il leur est arrivé justement à tous ces gens déportés
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