Publié en 1997, "La honte" est un récit autobiographique de la romancière française Annie Ernaux, auteure de "Les années", "La Place" ou encore "L'Evénement".
En 1952, Annie Ernaux a 12 ans lorsqu'elle assiste à une violente dispute entre ses parents dans la cuisine familiale. Dans un accès de fureur, son père manque de tuer sa mère. Une tentative avortée qui insufflera à l'auteure un sentiment de honte dont elle ne parviendra pas facilement à se défaire...
" Il y a ceci dans la honte : l'impression que tout maintenant peut vous arriver, qu'il n'y aura jamais d'arrêt, qu'à la honte il faut plus de honte encore." p.120
"Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l'après-midi." La première phrase préfigure un ton sans équivoque.
Annie Ernaux confesse ici sa difficulté à évoquer le premier souvenir marquant de sa jeunesse, à le figer et se l'approprier avec des mots.
" J'écris cette scène pour la première fois.
Jusqu'à aujourd'hui, il me semblait impossible de le faire, même dans un journal intime.
Comme une action interdite devant entraîner un châtiment. Peut-être celui de ne plus pouvoir écrire quoi que ce soit ensuite. (Une sorte de soulagement tout à l'heure en constatant que je continuais d'écrire comme avant, qu'il n'était rien arrivé de terrible.)
Même, depuis que j'ai réussi à faire ce récit, j'ai l'impression qu'il s'agit d'un événement banal, plus fréquent dans les familles que je ne l'avais imaginé.
Peut-être que le récit, tout récit, rend normal n'importe quel acte, y compris le plus dramatique.
Mais parce que j'ai toujours eu cette scène en moi comme une image sans mots ni phrases, en dehors de celle que j'ai dite à des amants, les mots que j'ai employés pour la décrire me paraissent étrangers, presque incongrus. Elle est devenue une scène pour les autres." p.17
Au gré de sa mémoire et de "traces matérielles" (photos, journaux d'époque), elle entreprend de re-situer ce souvenir, de l'inscrire dans un contexte pour le rattacher à la réalité d'une époque qui pour elle fut marquée par la discipline chrétienne inculquée à l'école privée et relayée par sa mère à la maison.
Plus de quarante ans après les "non-faits", elle part à la recherche de la petite fille qu'elle était en 1952 et de celle qu'elle devint après qu'elle vit "ce qu'il ne fallait pas voir".
La scène à laquelle elle assista en ce dimanche de juin fit naître en elle un sentiment de honte, l'impression soudaine d'être devenue indigne du schéma de perfection véhiculé par l'école privée où elle étudiait.
Ses parents, pourtant si conformistes et soucieux du qu'en dira-t-on, se révèlent à elle sous un jour différent. Elle mesure alors le fossé qui les sépare des gens aisés. La honte devient son "mode de vie".
" Depuis plusieurs jours, je vis avec la scène du dimanche de juin. Quand je l'ai écrite, je la voyais en "clair", avec des couleurs, des formes distinctes, j'entendais les voix.
Maintenant, elle est grisée, incohérente et muette, comme un film sur une chaîne de télévision cryptée regardé sans décodeur.
L'avoir mise en mots n'a rien changé à son absence de signification. Elle est toujours ce qu'elle a été en 52, une chose de folie et de mort, à laquelle j'ai constamment comparé, pour évaluer leur degré de douleur, la plupart des événements de ma vie, sans lui trouver d'équivalent." p.31
Aïe aïe aïe, je sens que je vais me faire quelques ennemies à cause de ce billet. Non que ce roman ne m'ait fait ni chaud ni froid mais j'ai tout de même éprouvé quelques difficultés avec le style d'Annie Ernaux.
Si j'ai aimé la façon dont l'auteure retranscrit ses souvenirs tels qu'ils ressurgissent coup par coup dans sa mémoire, j'ai moins apprécié l'utilisation récurrente de l'inventaire point par point, un procédé que, pour ma part, je juge peu "littéraire".
Plus que le récit en lui-même des événements, j'ai aimé les passages dans lesquels Annie Ernaux évoque les "conditions de son écriture", une démarche intéressante qui permet de faire état du recul que porte un auteur sur son oeuvre.
Mais pourquoi user de si longues parenthèses alors que ces propos-là sont bien plus intéressants selon moi que le récit qui en est la source ?
Alors, ai-je ou non aimé "La honte"? Oui et non. Oui parce que j'ai aimé le sang-froid, la distanciation de l'auteure par rapport à sa propre histoire et non parce que les énumérations et les parenthèses ont barré le passage à l'émotion.
Je retenterai peut-être l'expérience avec cette auteure, sauf si l'on me dit que tous ses romans sont dans la même veine...
" (Après chacune des images de cet été, ma tendance naturelle serait d'écrire "alors j'ai découvert que" ou "je me suis aperçue de" mais ces mots supposent une conscience claire des situations vécues. Il y a eu seulement la sensation de honte qui les a fixées hors de toute signification.
Mais rien ne peut faire que je n'aie éprouvé cela, cette lourdeur, cette néantisation. Elle est la dernière vérité.
C'est elle qui unit la fille de 52 à la femme en train d'écrire. (...) ) " p.133
Tu es toujours mon amie...Et même si tu n'as pas aimé le syle d'Annie Ernaux!
RépondreSupprimerTous ses romans sont un peu de la même veine, difficile de te dire le contraire. Je l'avais d'ailleurs abandonnée à cause de çà. Par contre, essaie "les années" qui m'a réconciliée avec elle, un "balayage" superbe de sa vie qui rejoint le collectif.
RépondreSupprimerComme toi, avec Annie Ernaux,j'oscille toujours entre attrait et perplexité. J'ai eu beaucoup d'admiration pour ses premiers livres à leur sortie puis je me suis éloignée et lassée de ce style trop distancié pour moi.
RépondreSupprimer@Clara : ouf, ça va alors ;)
RépondreSupprimer@Aifelle : me voilà prévenue ;) Je tenterai peut-être "Les années" mais pas tout de suite.
@Mango : Apparemment c'est tout ou rien avec cette auteure !
Pas un des romans que je préfère de cette auteure.
RépondreSupprimerPas un livre pour moi, je crois que cela ne t'étonne pas ;-)
RépondreSupprimerJe n'ai vraiment pas envie de découvrir cette auteur : qu'est-ce que ça a l'air déprimant !
RépondreSupprimerInutile de te cacher les choses, mais l'intérêt d'Annie Arnaux réside dans ce style si particulier et cette distanciation avec les événements ! C'est pour cela que je l'apprécie tant, personnellement ... Cela dit, elle n'est pas toujours très accessible de par ce style, justement. Je pense que "Les années" pourrait te réconcilier avec cette écrivain majeur.
RépondreSupprimerJe ne suis pas fan d'Annie Ernaux mais j'ai adoré Les Années. Alors, il est peut-être fait pour toi aussi.
RépondreSupprimerMoi aussi j'ai du mal avec Annie Ernaux. J'ai essayé Les armoires vides et je ne suis pas allée bien loin. Je me demande encore si je vais réessayer
RépondreSupprimerJ'avais adoré Les Armoires vides et récemment "L'autre fille", à savoir que tout est autobiographique dans son oeuvre. Le style n'est pas facile et je n'en lirais pas deux à la suite...J'ai Les années dans ma PAL, prévue en LC d'ailleurs...^^
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