Paru le 27 octobre dernier, "Fragonard. L'invention du bonheur" est signé de la française Sophie Chauveau, également auteure des romans "L'Obsession Vinci", "Le Rêve Boticelli" ou encore de "Diderot, le génie débraillé".
C'est à Grasse, en plein siècle des Lumières, que naquit le jeune Fragonard, enfant sensible essentiellement élevé par une mère pragmatique mais toujours soucieuse de son bien-être.
Alors qu'il manifeste un talent certain pour le dessin et la peinture, sa mère l'emmène chez François Boucher, grand portraitiste de son temps plébiscité par Madame de Pompadour, maîtresse du roi Louis XV.
Après un séjour chez le peintre Chardin, Fragonard rejoint le cercle des apprentis de Boucher qui voit en lui le futur détenteur du prix de Rome.
Et il a vu juste ! Mais à son arrivée à la capitale, Fragonard accepte mal l'ambiance stricte qui règne à l'académie. Il pourra heureusement compter sur l'amitié d'Hubert Robert et de Saint-Non, puis plus tard de son maître Natoire, pour encourager ce talent dont il doute tant.
Tous apprécient la compagnie de ce petit homme chaleureux, toujours enjoué, dont les toiles respirent la joie de vivre et l'émerveillement que lui inspirent les femmes, la nature, les animaux, les enfants.
Au diable la peinture d'histoire, c'est dans les paysages bucoliques et les scènes de genre que le jeune peintre éprouve le plus de plaisir à décliner son art.
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A Rome, ses amis et lui mènent une vie de bohème, heureux de leur succès sans cesse renouvelé auprès des femmes. Mais voilà qu'il est temps de rentrer à Paris où Fragonard souhaite trouver son indépendance.
Pour gagner de quoi vivre, il accumule les commandes légères, que certains qualifieront de "licencieuses".
La mort du peintre Deshays lui fera hériter de son atelier au Louvre où il rejoindra le clan des Illustres.
Malgré la vétusté de l'endroit, l'ambiance entre artistes y est fraternelle et propice à l'échange plus qu'à la rivalité.
Alors qu'il vient d'essuyer un cuisant échec au Salon de 1767 où on lui reproche de s'être dispersé dans tous les genres et d'avoir laissé le vice contaminer son talent, il recroise Marie-Anne Gérard, fille de la meilleure amie de sa mère, qui deviendra sa femme.
Peintre tout comme lui, elle seule le comprend, lui offre l'équilibre dont il a besoin ainsi qu'une fille, Rosalie.
Marie-Anne est rejointe par sa soeur Marguerite qui deviendra l'élève (mais pas seulement) de Fragonard.
Tous formeront une famille épanouie par ce même amour pour l'art, ambiance propice pour le peintre à la réalisation de nombreuses toiles représentant des scènes familières disant le bonheur intime.
La mort de sa fille Rosalie, qui n'arrive pas à trouver sa place dans cette famille d'artistes, jettera un voile définitif sur la personnalité joviale du peintre tandis que la Révolution, déclarée un an plus tard, le plongera dans une totale indifférence.
Son absence de parti pris lui vaut le statut de contre-révolutionnaire alors que Fragonard ne demande qu'à retrouver cette insouciance qui est le leitmotiv de sa peinture.
Chapeauté par son ami David, Fragonard se voit confier le catalogage des oeuvres qui trouveront leur place dans le futur Musée de France, une mission dont il aura la charge tout au long de la Révolution, de la Convention et du Directoire et laquelle lui permettra de sauver des flammes bien des oeuvres issues du pinceau d'amis peintres et même du sien !
Aussi, si le peintre nous a laissé une quantité de toiles pleines de ce jaune vie dont lui seul avait le secret, c'est aussi grâce à sa connaissance sensible de l'art que de nombreuses oeuvres peuvent encore se dresser sous nos yeux aujourd'hui...
" Les arrivages de la Belgique annexée font remuer à Frago des centaines de tableaux pour les identifier. Ensuite, à lui d'attester un nom sur chaque oeuvre. Il reconnaît et repêche un Ribera dit l'Espagnolet. Des dessins des maîtres de Cologne aux grands tableaux de Rubens venus d'Anvers, des Rembrandt du Stathouder de Hollande, c'est lui qui les accueille, les trie, les identifie. Irremplaçable dans sa connaissance des petits maîtres décadents. Il est le plus précis sinon le plus expert dans l'identification des dessins. Il y met tout son coeur. La minutie, la patience qu'il déploie le tiennent éloigné des lieux où l'on verse le sang de leurs propriétaires. Il redoute de croiser sur une charrette un ci-devant avec qui il aurait jadis soupé, qu'il aurait portraituré...il préfère aller arpenter au loin les allées des parcs privés, ou s'enfermer pour rédiger des rapports sur les propositions d'acquisitions ou sur les restaurations en cours. Il inaugure toutes sortes de métiers, de conservateur de musée à directeur du personnel. S'inquiétant de la sécurité des collections à la rémunération ou l'approvisionnement en bois de chauffage des gardiens." p.334
Lorsque Les Agents Littéraires m'ont proposé de découvrir la vie de Fragonard, j'ai eu comme un doute. Fragonard, le parfumeur ? Non, le peintre. Ah.
Ce n'est qu'en me rendant sur Google images que j'ai pu relier certaines toiles connues à ce nom de famille derrière lequel se cache en fait plusieurs artistes.
Pour info, il n'existe aucune parenté entre la marque de parfums et 'Frago', simplement un hommage au peintre qui comme la marque vit le jour à Grasse (peut-être aussi parce le jaune liquoreux du peintre rappelait la couleur du parfum ?)
Si tout comme moi, Fragonard le peintre ne vous dit rien au premier abord, vous le connaissez certainement grâce à cette oeuvre : "La liseuse".
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Il n'en fallut pas plus pour que je me laisse charmer par la luminosité et la grâce qui émanaient de chacune des toiles aperçues.
"Fragonard. L'invention du bonheur" m'a fait l'effet d'un curieux objet littéraire oscillant entre biographie et roman historique.
Si le respect d'une certaine chronologie et une vraisemblance dans le récit laissent penser à une biographie, le lecteur ne trouvera ici aucune notice bibliographique attestant de la véracité des faits énoncés.
Qui plus est la qualité de l'écriture et le style vivant de l'auteure contrastent quelque peu avec l'austérité présente dans bon nombre de biographies et le rapprochent davantage du roman.
Aussi le qualifierais-je de "biographie romancée".
La passion investie par Sophie Chauveau dans ce texte est indéniable. Non seulement pour explorer la palette d'émotions ressenties par le peintre et l'homme à la lueur d'événements marquants tout au long de sa vie, mais également pour réhabiliter le rôle majeur des femmes ayant gravité autour de lui.
Une femme et une mère pour ainsi dire identiques, des femmes organisées sans être autoritaires, admiratrices de son talent et protectrices vis-à-vis de ce clan grassois qui à l'image d'une mafia souhaiterait voir l'homme renoncer à la peinture pour des occupations plus lucratives.
Ses femmes tout comme ses amis peintres formaient une famille d'artistes veillant toujours à ce que Fragonard puisse pleinement déployer son talent.
C'est sans doute au nom de ce même talent et de toutes les personnes qui l'ont soutenu que Sophie Chauveau a voulu ici rendre hommage à l'homme et réhabiliter dans nos mémoires le peintre qu'il était.
" Rarement avant Fragonard, le dessin et surtout la sanguine n'ont été pris si au sérieux ni n'ont occupé un tel rang. Au-delà de l'observation attentive du feuillage des arbres, du scintillement de la lumière, du clapotement des eaux, du bruissement du vent, de la chaleur étouffante de l'air, on peut lire dans ses dessins un hymne à la végétation, cette végétation exubérante, folle, enfiévrée par le climat romain.
Un souvenir d'enfance ? Un amour pour cette vie de l'enfance où les corps sont libres dans un air toujours chaud.
La nature de Frago ne nie jamais l'homme, ne cherche pas non plus à l'inquiéter. La nature fût-elle grandiose enchante, et à qui l'admire, promet l'émotion." p.100
Pari fort réussi selon moi ! J'ai d'ailleurs passé autant de temps à lire ce livre qu'à admirer ses toiles sur mon écran.
Un portrait d'autant plus intéressant qu'il s'inscrit dans un contexte historique particulièrement riche (et lourd, faut-il le préciser), l'occasion d'en apprendre davantage sur l'administration des arts et le statut réservé aux artistes à l'aube et au lendemain de la Révolution.
MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !
j'aime bien le peintre et ses toiles mais je connais peu sa vie, presque pas du tout en fait. Je lirai bien ce livre. Je le retiens.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup le peintre mais pour avoir déjà essayé du Sophie Chauveau, je me contenterai d'admirer les œuvres ou de lire une vraie bio... J'avais lu son roman sur Lippi et j'avais trouvé cela particulièrement mal écrit.
RépondreSupprimerje note le livre, car j'aime bien fragonard et sophie chauveau dont j'ai un livre dans ma PAL (si je le retrouve :D )
RépondreSupprimerJ'ai un livre de cette auteure dans une de mes PALs... quelque part, enfoui sous d'autres livres. A quand les livres avec GPS intégré ?
RépondreSupprimer@Mango : je connaissais à peine 2-3 toiles mais j'ai aimé découvrir son oeuvre et y relever des détails en rapport avec sa vie
RépondreSupprimer@Voyelle et Consonne : pour Lippi je ne saurais le dire mais dans le cas présent, je trouve que l'auteure lui a bien rendu justice à travers sa prose.
Peut-être son style s'est-il amélioré depuis "Lippi" ?
@Niki et Clara : vous commencez à avoir trop de livres les filles, il faut penser à débroussailler ;)