14 juillet 2014

Une si longue lettre - Mariama Bâ


Initialement publié en 1979 et réédité en 2005, "Une si longue lettre" est le premier roman de la sénégalaise Mariama Bâ, également auteure du roman "Le Chant écarlate".

Ramatoulaye écrit à Aïssatou, son amie d'enfance, pour lui annoncer son récent veuvage.
Elle lui raconte le défilé sans fin des proches à l'hôpital (le défunt est enterré dès le lendemain) et les visites de condoléances interminables (cela peut durer jusqu'à 40 jours).
Comme le veut la tradition, Ramatoulaye est obligée d'héberger chez elle Binetou, sa jeune "co-épouse", le temps des funérailles.
A la douleur du deuil se greffe la peur de tout perdre car non content d'avoir abandonné sa femme et leurs 9 enfants sans revenus, son mari a également contracté des dettes et mis la maison de Ramatoulaye sous hypothèque pour entretenir sa nouvelle femme et financer leur villa...
Pourtant Ramatoulaye se souvient encore de leurs heureuses années de mariage et de l'insouciance de deux amies dont les choix de vie auraient pu être différents.

" La confidence noie la douleur." p.11

Mariama Bâ initie le lecteur à quelques coutumes locales pas vraiment enviables, à commencer par la polygamie qui n'arrange bien souvent que les hommes.
Au contraire de son amie Aïssatou qui a fait le choix de ne pas l'accepter et de vivre sa vie, Ramatoulaye s'en était accommodée, bien qu'elle ait appris les secondes noces de son mari d'une autre personne que lui et une fois celles-ci célébrées (il s'était bien gardé de la prévenir).
Mais quitte à donner dans le manque de respect, il a préféré les abandonner elle et leurs enfants.
Pour ne rien arranger, le soir du 3ème jour de deuil, tous les membres de la famille se rassemblent et font circuler des liasses de billets de banque à l'attention de la famille du défunt. Chaque veuve est tenue de doubler sa part, peu importe qu'elle ait été mariée 5 ou...30 ans.
Vient ensuite le tour de la mère de sa co-épouse qui exige de Ramatoulaye qu'elle paie la rente à vie que son beau-fils avait promis à sa fille.
A la fin de la période de deuil, voilà qu'on se dispute Ramatoulaye en vue d'un remariage.
Autant vous dire que la femme n'est nullement tenue en respect et tout au plus perçue comme une marchandise.

Bien qu'"Une si longue lettre" ne soit pas un témoignage direct, je l'ai lu en tant que tel et me suis prise d'affection pour la narratrice, une femme si seule dans sa douleur et pourtant si forte.
A travers le récit de Ramatoulaye, Mariama Bâ nous livre ici une vision pessimiste d'une mentalité qui respecte plus les coutumes que les gens.
Ramatoulaye peut heureusement compter sur ses enfants pour lui prêter main forte et sur son amitié avec Aïssatou.

" L'amitié a des grandeurs inconnues de l'amour. Elle se fortifie dans les difficultés, alors que les contraintes massacrent l'amour. Elle résiste au temps qui lasse et désunit les couples. Elle a des élévations inconnues de l'amour." p.103

Mais à l'instar de l'auteure, Ramatoulaye a foi dans le changement et la nouvelle génération. Elle
distille d'ailleurs dans ce roman son amour pour l'enseignement.

" Et nous vivions. Debout, dans nos classes surchargées, nous étions une poussée du gigantesque effort à accomplir, pour la régression de l'ignorance.
Chaque métier, intellectuel ou manuel, mérite considération, qu'il requière un pénible effort physique ou de la dextérité, des connaissances étendues ou une patience de fourmi.
Le nôtre, comme celui du médecin, n'admet pas l'erreur.
On ne badine pas avec la vie, et la vie, c'est à la fois le corps et l'esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu'un assassinat.
Les enseignants - ceux du cours maternel autant que ceux des universités - forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés.
Armée toujours en marche, toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant.
Cette armée-là, déjouant pièges et embûches, plante partout le drapeau du savoir et de la vertu." p.50

Mariama Bâ savait manier la plume mais sans s'encombrer de fioritures (ce qui n'empêche pas l'émotion). On sent dans son écriture une volonté d'aller à l'essentiel, de livrer une histoire et un message, pas de se la raconter.
J'ai relevé quelques tournures désuettes, de celles que l'on retrouve je crois dans le "french african" (bien que je n'ai pas relevé le fameux "présentement" :)).
Curieuse et agréable impression de redécouvrir ma langue !
J'ai été touchée et révoltée par cette correspondance de femme à femme sincère et terriblement lucide. Que faut-il de plus pour vous convaincre de lire ce roman ? :)


16 commentaires:

  1. J'avais aussi beaucoup apprécié cette longue lettre...

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  2. J'ai toujours eu un peu peur du côté instit de l'écriture de Mariama Bâ. En même temps, ton billet est plutôt tentant et le thème évidemment intéressant. Je me laisserai peut-être tenter

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    1. Elle met en avant l'importance de l'enseignement et évoque des changements progressifs dans son pays. Mais l'écriture n'est pas scolaire, il y a plutôt quelques tournures qui peuvent nous sembler étranges, bien que nous soyons francophones. Ce serait dommage de passer à côté pour cette raison :)

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  3. Il est dans ma PAL depuis... un bon paquet d'années. Il va falloir que je l'en sorte ;)

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  4. Lu il y a un bon bout de temps (et finalement, je me demande si "présentement" est si utilisé que cela en Afrique?

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    1. Disons que "présentement"est le premier mot qui me vient à l'esprit par rapport au français africain. Je ne sais pas si il est encore utilisé, c'est peut-être juste un cliché que nous, européens, véhiculons :)

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  5. J'ai tente de le lire à 2 reprises te j'ai abandonné à chaque fois à cause de l'écriture...

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    1. J'ai tiqué sur quelques phrases mais rien qui me déconcerte au point de laisser tomber. Laisse-lui sa chance miss ^^

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  6. Pourquoi pas si je le croise à la bibliothèque... tu es convaincante !

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    1. Je crois savoir qu'en plus, tu es souvent attirée par les titres de cet éditeur :)

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  7. J'avais moi aussi trouvé cette "longue lettre" (qui se lit en un rien de temps) très émouvante, et fort bien écrite...

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    1. Très émouvante effectivement. C'est apparemment un incontournable de la littérature africaine :)

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  8. Réponses
    1. Chouette ! Il ne te reste plus qu'à te rendre en librairie ou en bibliothèque :)

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