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30 novembre 2009

Nous sommes au regret de... - Dino Buzzati


"Nous sommes au regret de..." est un recueil de textes tirés du journal intime de l'écrivain italien Dino Buzzati. Paru une première fois en 1960, il vient d'être réédité aux éditions Robert Laffont.
Au fil de près de 100 pensées écrites sur le vif, d'extraits de revues ou de courtes nouvelles, ce recueil nous offre un aperçu des thèmes dichotomiques chers à l'auteur que sont la vie/la mort, la justice/l'injustice, la jeunesse/la vieillesse, l'illusion/la déception.

Voici un ouvrage à picorer ou à savourer d'une traite! Bien que revêtant un aspect décousu de prime abord, ce recueil m'a fait penser à ces dessins réalisés en reliant des numéros, nombres tous différents mais qui, une fois réunis, forment un tout cohérent.
Dans "Pourquoi ne changez-vous pas?", l'auteur nous dit d'ailleurs ceci :

" (...) mais tous les écrivains et les artistes, dans leur vie, aussi longue qu'elle puisse être, ne disent qu'une seule chose! Certains avec beaucoup de souffle, d'autres avec beaucoup moins, mais ils sont toujours identiques à eux-mêmes. Forcément. Autrement ils ne seraient pas sincères." p.168


Au détour d'historiettes rédigées bien souvent sous forme d'anecdotes, l'auteur pose un regard caustique sur la société et les individus qui la composent et dont il n'hésite pas à pointer les moindres failles.
Guichets, hôpitaux, tribunaux, Buzzati s'attaque avec force à tout ce qui s'approche de la bureaucratie et de ses effets pervers (les experts diraient "hum...très kafkaïen") comme dans le texte "Soumis" racontant l'histoire d'un homme condamné à la prison car il n'a pas osé dire non au bon moment ou dans "Ibi" où un individu est acquitté alors qu'il revendique haut et fort sa culpabilité.
Obsédé par le temps qui passe, l'auteur souligne avec justesse nos inquiétudes les plus profondes face à la vieillesse et la mort, deux notions auxquelles il associe l'oubli.
Ainsi, dans "Les miroirs", deux femmes mûres s'étonnent de ne plus attirer le regard des jeunes hommes et avancent que les miroirs ne sont plus fabriqués aussi bien qu'autrefois en ce qu'ils montrent à présent des visages irréguliers et ridés.
Dans "Enigme canine", un chien se demande ce que les humains cachent dans les cercueils.

" Va donc deviner, toi, ce qu'on peut bien enfermer dans ces magnifiques coffres, et pourquoi les gens les laissent emporter, sous leur nez, comme ça, sans opposer la moindre résistance...
Ils pleurent comme des veaux, mais ne bougent pas le petit doigt pour empêcher leur départ. Quels gens curieux! " p.97

A noter que le chien revient régulièrement dans les récits de Buzzati, de même que les prénoms en G. Un habitué de l'auteur en connaît-il la raison?
J'ai beaucoup aimé "Eau close" qui décrit ce moment où, alors que nous avons trop bu lors d'une soirée, nous nous rendons aux toilettes et contemplons effarés la personne face à nous dans le miroir tout en nous disant "Mais qu'est-ce que je fous au juste?".
Un texte qui m'a franchement fait rire, "La maison idéale", où l'auteur prétend que de petites pièces lui suffiraient à l'exception des toilettes qui devraient mesurer au moins 40m2 et être équipées avec le plus grand luxe. Et Buzzati de conclure :

" Il est facile de supporter la misère lorsqu'on peut chier en grand seigneur." p.104

Une lecture qui m'a donc beaucoup amusée malgré la dureté des thèmes abordés et une plume que j'ai hâte de recroiser!


D'autres avis : Calypso - Heureuse


Un grand MERCI à et aux pour m'avoir offert ce livre!

12 octobre 2009

Le dernier jour d'un condamné - Victor Hugo


" Le dernier jour d'un condamné" est le journal d'un homme condamné à la peine capitale pour avoir fait couler le sang. Son identité ainsi que la description de son crime ne sont pas dévoilés.
Le journal se décline en 47 chapitres inégaux qui constituent le long monologue intérieur de cet homme à qui il ne restait que 6 semaines à vivre avant la décapitation par guillotine.
La description des lieux (le Bicêtre, la Conciergerie, l'Hôtel de ville), des rencontres avec des personnages souvent maladroitement cruels (le gêolier, l'aumonier, l'huissier, le bourreau), des réactions poignantes d'une enfant et d'une foule implacable mais aussi de la mise au fer et des rudes conditions de détention des prisonniers permettent de rendre compte de toute l'angoisse ressentie à l'attente d'une mort certaine.

Victor Hugo n'a jamais caché son opposition à la peine de mort qu'il assimilait à de la barbarie et, en choisissant de ne donner ni l'identité ni le récit du crime de ce condamné, l'auteur dédie ce roman à tous ces accusés dont le crime sera sanctionné par une sentence fatale.
Le "héros" est dépeint comme un homme presque ordinaire, ni foncièrement bête ni d'une grande intelligence, qui nous emmène dans les coins sombres de sa prison et de son esprit, faisant de nous lecteurs les spectateurs de chaque instant précédant son exécution.
Un homme qui suscite un certain attachement de par ses réactions d'une touchante simplicité mais à qui le manque de repentir fait également défaut.
Serait-ce en raison d'une (trop) courte période d'emprisonnement que le condamné ne fait qu'appréhender sa propre mort au lieu d'évoquer avec regret celle de sa victime ou la culpabilité serait-elle plutôt, comme il le dit, un sentiment précédant la condamnation?
A moins de connaître pareille situation, il est sans doute impossible de pouvoir répondre à cette question.
En revanche, "Le Dernier jour du condamné" invite chacun de nous à réfléchir à la question de la légitimité de la peine de mort, pratique abolie dans quasiment toute l'Europe mais qui reste encore de mise aux USA ainsi que dans la plupart des pays d'Afrique et d'Asie.

Extraits :

" Condamné à mort! dit la foule; et, tandis qu'on m'emmenait, tout ce peuple se rua sur mes pas avec le fracas d'un édifice qui se démolit. Moi, je marchais, ivre et stupéfait. Une révolution venait de se faire en moi. Jusqu'à l'arrêt de mort, je m'étais senti respirer, palpiter, vivre dans le même milieu que les autres hommes; maintenant je distinguais clairement comme une clôture entre le monde et moi. " p.13

" Les hommes sont tous condamnés à mort avec des sursis indéfinis." p.14

" Une fois rivé à cette chaîne, on est plus qu'une fraction de ce tout hideux qu'on appelle le cordon, et qui se meut comme un seul homme. L'intelligence doit abdiquer, le carcan du bagne la condamne à mort; et quant à l'animal lui-même, il ne doit plus avoir de besoins et d'appétits qu'à heures fixes." p.36

" Non, folie! Plus d'espérance! Le pourvoi, c'est une corde qui vous tient suspendu au-dessus de l'abîme, et qu'on entend craquer à chaque instant, jusqu'à ce qu'elle se casse. C'est comme si le couteau de la guillotine mettait six semaines à tomber." p.38

" Ils disent que ce n'est rien, qu'on ne souffre pas, que c'est une fin douce, que la mort de cette façon est bien simplifiée. Eh! qu'est-ce donc que cette agonie de six semaines et ce râle de tout un jour? Qu'est-ce que les angoisses de cette journée irréparable, qui s'écoule si lentement et si vite? Qu'est-ce que cette échelle de torture qui aboutit à l'échafaud?
Apparemment ce n'est pas là souffrir." p.77


Pour la version écrite du texte intégral : ici
Pour la version audio :