Publié aux USA en 1890, "La Séquestrée" est une nouvelle de l'écrivaine américaine Charlotte Perkins Gilman, auteure d'une dizaine de romans et essais et de plus de 180 nouvelles.
En attendant la fin des travaux de leur future demeure, un médecin et son épouse emménagent dans une maison de location en retrait de la ville. John, le mari, décide de les installer dans une ancienne chambre d'enfants, la seule pourvue de fenêtres grillagées.
Il faut dire que l'épouse souffre d'une maladie des nerfs pour laquelle le diagnostic de son mari préconise le repos et le renoncement à tout ce qui pourrait faire empirer son état. La fréquentation des amis est ainsi perçue comme dangereuse et toute activité intellectuelle, à commencer par l'écriture, se veut sévèrement proscrite.
Cloitrée dans cette chambre qui lui refuse le sommeil, l'épouse développe une obsession autour du papier peint jaune cramoisi qui orne les murs. Bientôt s'en dégagent des formes étranges dont elle est bien décidée à percer le secret.
" J'ai mis longtemps à comprendre ce qu'était cette forme floue, en retrait, mais je suis certaine à présent qu'il s'agit d'une femme.
De jour, elle est asservie, tranquille. Je suppose que c'est ce motif qui la retient ainsi séquestrée. Cela me tourmente. M'absorbe pendant des heures.
Je reste étendue de plus en plus longtemps. John dit que cela me fait du bien et que je dois dormir le plus possible.
Il a même pris l'habitude de me forcer à me coucher une heure après chaque repas.
C'est une mauvaise habitude, j'en suis convaincue, car, voyez-vous, il m'est impossible de dormir.
Du coup, cela m'incite à la fourberie car je ne leur dis pas que je suis éveillée - oh non !
Le fait est que je commence à avoir un peu peur de John." p.35
J'avais entendu parler de cette nouvelle chez George et si j'étais bien décidée à me la procurer, je me demandais comment je réussirais à acquérir cet ouvrage qui n'est plus édité.
C'était sans compter sur le hasard d'une visite dans l'une de mes cavernes d'Ali-Baba (comme j'aime les bouquinistes !).
Voici une nouvelle plutôt courte mais pas moins représentative de la condition des femmes en cette fin de 19ème siècle ouverte à la modernité tant qu'elle n'incluait pas l'émancipation féminine.
La brillante postface de Diane de Margerie, très justement intitulée "Ecrire ou ramper", nous instruit de ce qu'étaient les moeurs de l'époque et des possibilités restreintes qui se voyaient offertes aux femmes.
Impossible pour elles de concilier carrière et mariage. La première option, pourvu qu'elle soit financièrement réalisable, engendrait une telle pression sociale qu'il fallait bien finir par céder à la seconde, avec les terribles conséquences que cela engendrait.
Réduites à leurs rôles d'épouse et de mère, astreintes à l'accomplissement de leurs devoirs conjugaux, nombreuses furent ces femmes à se soustraire de leur condition pour se réfugier dans ce qui fut qualifié de "neurasthénie".
Se heurtant à l'incompréhension des hommes, culpabilisant de ne pouvoir se satisfaire de ce que ceux-ci attendaient d'elles, elles se soumettaient toutefois à leur jugement, optant pour une passivité traduite en un repos forcé et espérant ainsi retrouver leur équilibre.
La paranoïa qu'engendre la vision de ce papier peint chez cette femme, séquestrée au sens matériel et psychique, trahit en réalité une révolte silencieuse présentée comme un combat intérieur au nom de toutes ces autres femmes qui comme elles rampent à même le sol, renoncent à l'imagination créatrice, subissent le manque de liberté inhérent à leur condition.
"La Séquestrée", débarrassée de son ton volontairement naïf, fait état d'une folie foncièrement lucide, réinterprétée et encadrée de façon pernicieuse par le genre masculin.
Cette nouvelle qui fait largement écho à la vie de l'auteure renvoie également, comme nous le rappelle la postface, aux destins de ses contemporaines Alice James (soeur d'Henry) et Edith Wharton qui avait également régulièrement recours aux visions fantomatiques (Le Miroir, Ethan Frome) pour permettre à ces héros d'accéder à une vérité que leur refuse le monde extérieur.
"La Séquestrée" ou l'histoire d'une femme et de bien d'autres qui se débattent dans l'existence et partent à la rencontre d'elles-mêmes.
Si tout comme moi vous avez la chance de croiser cet ouvrage délicatement subversif, ne le laissez surtout pas filer !
" Pourtant je dois m'exprimer d'une façon ou d'une autre, je dois réfléchir - c'est un tel soulagement ! Mais l'effort est en train de dépasser le sentiment de délivrance." p.27
D'autres avis : George - L'Ogresse
Et oui, être une femme n'a pas toujours été facile. Encore aujourd'hui, la société attend un certain comportement de la femme et si on s'écarte d'une certaine "normalité", on passe bien souvent pour une marginale.
RépondreSupprimerOui, bien que nous ayons plus de libertés que ces femmes-là, il règne encore dans certains esprits cette idée selon laquelle la capacité à donner la vie confère automatiquement à une femme l'envie d'être mère.
SupprimerOn en avait déjà parlé dans les commentaires de ton billet sur le roman de Linda Le. Les mentalités s'assouplissent un peu mais le choix de ne pas enfanter reste difficile à assumer au quotidien.
très tentant, mais si je ne me trompe pas, je l'ai en anglais - faut que je fasse des recherches dans ma pal "féministe"
RépondreSupprimerC'est fort possible que tu l'aies en anglais ("The yellow wallpaper" si je ne me trompe pas)
SupprimerDans une très récente lecture, j'ai croisé Anne Bradstreet, épouse, mère et première poétesse américaine, dit-on, et c'est certainement vrai puisqu'elle vivait au XVIIe siècle. Étonnant. Pas grand chose de disponible à son sujet, mais le peu que j'ai pu traduire m'a semblé intéressant, une figure pour le moins originale.
RépondreSupprimerJe vais me renseigner, merci Ys :)
SupprimerReste plus qu'à trouver un bon bouquiniste pour pouvoir le lire....
RépondreSupprimerOu une bibliothèque assez fournie ;)
SupprimerTiens par chez moi il est disponible à la BM ! Y en a même une autre version intitulée "Le papier peint jaune" mais qui a l'air réduite (moins d'une cinquantaine de pages). J'y jetterai un œil alors merci de cette curiosité !
RépondreSupprimerNon le titre anglais en réfère bien au papier peint jaune. Peut-être est-ce une édition précédente ?
SupprimerEffectivement, j'aimerais bien moi aussi tomber par hasard sur ce livre... Chouette billet !
RépondreSupprimerMerci Noukette ! Je te souhaite de le croiser ;)
SupprimerJe ne savais pas qu'il était plus édité, il va devenir collector !!! contente qu'il t'ait plu et surtout que tu aies pu mettre la main dessus !
RépondreSupprimerEn tous cas c'est ce que m'ont dit 2 librairies. Mais peut-être existe-t-il encore des exemplaires invendus dans certaines librairies
SupprimerCette nouvelle ne me tente pas plus que ça, par contre tu m'as donné envie de découvrir l'auteur!
RépondreSupprimerJe n'ai pas vraiment encore pris le temps de me renseigner sur ses autres écrits mais d'après ce que j'ai compris, le thème de la condition de la femme, de l'enfermement, est récurrent dans son oeuvre.
SupprimerEst-ce que par hasard, ta séquestrée voyagerait ? ;-)
RépondreSupprimerBon, ça faisait longtemps que je n'étais pas venue te lire, eh bien, c'est malin, j'ai déjà allongé ma LAL de plein de titres...
Dis, tu ne voudrais pas lire de temps en temps un bon nanar ? (remarque, j'ai aussi envie de les lire, je me souviens de Béa !!!!!)
La Séquestrée arrivera chez toi dans quelques jours ;) Ravie d'avoir réussi à remplir ta LAL ^^ Les nanars me tombent dessus par hasard (souvent des SP d'ailleurs) ^^
SupprimerVous avez aimé lire
RépondreSupprimerCharlotte PERKiNS GiLMAN et Monique WiTTiG?
vous devez lire
UNE TERRE À ELLES
vers un féminisme du possible
de Kate ROSE
docteur en Lettres modernes de l’Université de Montpellier III
professeur à l’Université Chinoise des Mines, de Xuzhou (Chine)
Souscription sur internet en cliquant sur : http://www.bordulot.fr/detail-une-terre-a-elles-171.html