12 mai 2012

Séraphine : La vie rêvée de Séraphine de Senlis - Françoise Cloarec


Publiée en 2008, "Séraphine : La vie rêvée de Séraphine de Senlis" est une biographie signée de l'écrivaine, essayiste et peintre française Françoise Cloarec.

Enfant du 19ème siècle, Séraphine Louis-Maillard est la benjamine d'une fratrie frappée par les deuils. Tout juste un an après l'avoir mise au monde, sa mère décède et sera suivie de près par son époux. La petite fille est alors confiée aux bons soins de sa soeur qui à peine mariée perdra rapidement son mari. Séraphine participe comme elle peut aux travaux domestiques et garde le bétail des fermes voisines.
A 13 ans, elle quitte la maison pour travailler comme bonne à tout faire chez des particuliers puis au sein d'un couvent.
Mue par un besoin d'indépendance (et parce que, dira-t-elle plus tard, elle aurait vu se passer des choses pas très catholiques parmi les soeurs), Séraphine quitte le couvent en 1902 pour s'installer à Senlis, se mettant au service de plusieurs maisons bourgeoises.
Pieuse, ne manquant jamais une messe, elle fréquente assidument Notre-Dame de Senlis, cathédrale où lui vint, en 1905, la révélation de la Vierge Marie : il lui faut consacrer sa vie au dessin.
Alors âgée de 42 ans, elle commence ainsi ses premiers essais à l'aquarelle, peu concluants, puis opte définitivement pour le Ripolin, peinture à l'huile au séchage rapide.
Après de longues journées de labeur, Séraphine rejoint son unique pièce de vie qui lui tient également lieu d'atelier.
Les heures tardives défilent, Séraphine peint des fleurs, des feuilles, des arbres, des animaux en entonnant des cantiques, demandant à ne pas être dérangée.


Sa rencontre avec Wilhem Uhde, collectionneur allemand, lui assure un succès timide et il lui faudra attendre l'exposition de Senlis en 1927 pour voir son talent reconnu.
La critique parisienne s'enflamme et le succès est au rendez-vous, au point que Uhde, devenu son mécène, lui achète ses toiles et lui fournit son matériel. Séraphine gagne en assurance, abandonne ses "travaux noirs" pour se consacrer totalement à son art.
Devant l'ampleur de ses dépenses (vaisselle, bibelots, tissus, argenterie et même un trousseau de mariée), Uhde tente de la raisonner, d'autant que cette année 1929 pourrait bien amorcer une crise économique sans précédents. A court de moyens, il ne peut plus subvenir à ses besoins.

Le comportement de Séraphine change. On la savait réservée, " dans son monde" mais voilà que prise d'angoisses et d'hallucinations, elle erre dans les rues, refuse désormais de se nourrir par peur d'être empoisonnée, boit plus que de raison jusqu'à définitivement perdre pied un soir de janvier 1931 alors que, munie de toutes ses affaires, elle est retrouvée devant le bureau de police.
Séraphine est transférée la nuit-même à l'hôpital pour être ensuite internée à l'asile de Senlis où elle passera les 10 dernières années de sa vie, sans toiles ni pinceaux, à l'image de Camille Claudel qui, tout comme elle, rejoindra la fosse commune.

Autodidacte, femme solitaire, sans attaches, toujours vêtue de noir, âme pure et dévote entièrement tournée vers l'art, la nature et la religion, 3 dimensions qui se confondent indéniablement dans son oeuvre, le personnage de Séraphine de Senlis fascine autant qu'il inspire la tristesse et l'indignation.
Si il est ici fait mention de certains de ses tableaux, il est surtout question du quotidien de la femme, de l'artiste et des conditions difficiles dans lesquelles elle exerçait son art.
Séraphine aspirait à mener une vie tranquille mais dérangeait les classes supérieures. Nombreux furent les villageois qui, devant son acharnement artistique jugé trop arrogant en regard de son rang, frappaient régulièrement à sa porte pour tenter de la dissuader, la menaçant de brûler ses toiles.
N'oublions pas que l'époque est celle de "La Séquestrée", qu'une femme se doit de rester à sa place de servante ou d'épouse ( ce qui, à quelques différences près, revenait au même).

Même le succès lui joue des tours. Peut-être était-ce cette célébrité subite, arrivée sur le retard, dont la crise la privera ensuite, qui signa son basculement vers la folie.
Françoise Cloarec évoque les conditions de vie déplorables dans lesquelles vivaient les malades, à l'époque où les asiles (l'appellation "hôpital psychiatrique" arrivera plus tard), surpeuplés et en manque d'effectifs, les abandonnaient à l'indifférence générale.
A partir du jour de son internement, Séraphine ne peindra plus, préférant la plume qu'elle emploiera à rédiger des lettres de plus en plus obscures dont plusieurs extraits figurent parmi les pages de cet essai.

Bien que je n'aurais pas refusé une analyse plus approfondie de certaines toiles, j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir la vie tourmentée de cette femme, figure d'une créativité empêchée puis injustement malmenée par son époque.

" Elle est hors du temps, étrangère aux autres, perdue dans ses fantasmes de gloire mondiale et d'opulence.
Quand rien de tout cela ne se produisit, il apparut qu'il n'y avait en elle nul ressort de résistance, elle avait dépensé, généreusement prodigué, toute la substance de son âme dans une oeuvre qui maintenant se dressait, détachée d'elle, dans sa splendeur.
Il ne restait plus que l'esprit dépouillé et le corps usé d'une pauvre vieille femme qui avait été un génie, une sainte et une héroïne." p.119

Durant toute ma lecture, je n'ai cessé de me représenter la magistrale Yolande Moreau campant, incarnant même, Séraphine de Senlis.



Un essai à lire (même si comme moi vous n'êtes pas forcément fan de tous les tableaux de l'artiste), Un film à voir. Un destin à découvrir.


D'autres avis : Antigone - Emmyne

14 commentaires:

  1. Je l'ai lu ( pas de billet) et j'ai vu le film qui je trouve est un bon complément.

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  2. Ah, j'ai beaucoup aimé cette lecture, un essai particulier tout de même, lu à l'époque du film et surtout de l'expo. Voir ses toiles, c'était... c'est un grand beau souvenir ( fan :) )

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  3. Un moment que je louche sur cette biographie. Le film est en effet magnifique.

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  4. vu ton enthousiasme, je le note - d'autant plus que j'ai raté le film avec yolande moreau :)

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  5. J'ai tellement été emballée par le film (grâce en grande partie à Yolande Moreau) que je ne suis pas pressée de plonger dans le livre, qui est pourtant dans ma PAL depuis longtemps. J'ai été un peu freinée aussi par la polémique autour de l'accusation d'emprunts portée contre l'auteur par un autre biographe.

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  6. Voilà un film que je n'ai toujours pas vue....

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  7. Je n'ai pas été emballée par cette lecture mais j'ai souvent du mal avec le thème de la folie.

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  8. Hum, j'ai vu le film et je suis restée scotchée à la prestation de Yolande Moreau. Je pensais avoir lu le livre aussi, mais un doute m'habite ...

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  9. Quelle coïncience ! Moka revient d'un weekend à Senlis (ici : http://au-milieu-des-livres.over-blog.com/article-belle-echppee-senlisienne-105033997.html) et je lui disais que j'avais adoré moi aussi me balader dans ce village et découvrir les oeuvres de cette peintre que j'apprécie beaucoup. Quelle bonne surprise de tomber sur cette biographie chez toi. Un titre de plus à rajouter dans ma LAL (tu deviens ma source d'inspiration majoritaire sur la blogo, bravo !) :)

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  10. Ah j'ai justement vu deux ou trois de ses toiles au LAM de Villeneuve d'Ascq il y a 10 jours...

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  11. Pour ma part j'adore ses toiles... Le film m'avait bouleversé et j'ai vraiment très envie de livre ce livre, surtout maintenant pour ses extraits de lettres dont tu parles à la fin de ton billet...

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    1. Je suis artiste peintre et je partage votre admiration pour la remarquable interprétation de Yolande MOREAU dans le film sur Séraphine DE SENLIS. J'ai fait d'ailleurs son portrait que vous pouvez retrouver sur mon site web : www.pascalfilleau.fr
      Merci. Monsieur Pascal FILLEAU

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  12. je suis artiste-peintre et je fais en particulier des portraits de personnalités, ce que j'appelle des "tempéraments". J'ai fait le portrait de la remarquable Yolande MOREAU incarnant à la perfection Séraphine DE SENLIS. Vous pouvez trouver mon tableau sur mon site web: pascalfilleau.fr en allant sur OEUVRES puis sur STARS. En espérant qu'il vous plaira, sachez qu'il est à vendre. Un grand merci pour votre site.
    Monsieur Pascal FILLEAU

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  13. Je suis artiste-peintre et je m'adonne en particulier aux portraits de personnalités, ce que j'appelle des "tempéraments".
    J'ai donc fait tout naturellement celui de la remarquable Yolande MOREAU incarnant Séraphine DE SENLIS. Vous pouvez trouver le tableau sur mon site web: www.pascalfilleau.fr en allant sur OEUVRES puis sur STARS. Sachez que ce tableau est à vendre. Un grand merci pour votre site ! Monsieur Pascal FILLEAU

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