22 août 2009

J'habite dans la télévision - Chloé Delaume


" Ce que nous vendons à Coca-Cola c'est du temps de cerveau disponible " disait Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1.
Chloé Delaume est partie de ce constat et à choisi de se livrer à une expérience consistant à ingurgiter non pas des hamburgers comme Morgan Spurlock dans "Super Size me" mais du contenu télévisuel ( en grande partie de la publicité et des émissions de téléréalité).
Du coup je me suis posée la question : si je devais choisir entre l'expérience de Spurlock et celle de Delaume, laquelle accepterais-je de vivre?
Sachant que Chloé Delaume a passé 16 mois ( au lieu des 22 initialement prévus) devant la télévision ( à raison de 1451 heures sur un trimestre, ça donne une moyenne de 16 heures par jour devant la téloche, mazette!), a pris 7kg et récolté un papillome à l'oeil.
Et que de son côté Morgan Spurlock a, durant un mois, choisi de s'empiffrer de Mac Do à toutes les sauces et à tous les repas, en s'astreignant à ne faire que 5000 pas par jour.
Résultat : une prise de poids de 11kg en 30 jours et une santé revenue à la normale après seulement un an.
Vu comme ça, je crois que j'opterais pour l'expérience télévisuelle...

"J'habite dans la télévision" est présenté sous forme de 27 pièces constituant un dossier destiné au Ministère de la Culture et du Divertissement.
Certaines pièces ressemblent davantage à des notes de terrain qu'à des chapitres de roman tandis que d'autres, consacrées aux modifications corporelles et comportementales subies par l'auteur, présentent une forme déjà plus rédigée.
Que trouve-t-on dans ces pièces? Un peu de tout. Des anecdotes, des sélections de citations, des mentions de découvertes scientifiques, des principes de neuromarketing, des faits historiques qui servent de matériau à l'auteur pour rendre compte des effets de la télévision sur son rapport au monde et aux médias.
Le fond comme la forme donnent à ce roman un effet brouillon. J'avais l'impression que l'auteur y balançait ses idées de la même façon qu'elle zappait les chaînes sur la télécommande.

Sans compter un style d'écriture particulier, expérimental pour les uns, psychédélico-déliro-énervant pour d'autres (et qui ferait la joie du pasticheur Pascal Fioretto) :

" Vous devriez vous inquiéter d'un songe empoissé glu euphémistique. Mieux vaut encore un oracle bègue que l'échine d'un fils de cyclope.
(...) à quoi bon s'imposer ce vulgaire narcotique alors qu'est nôtre l'accès sybarites délassements, snobinez-vous sans cesse juchés montres à gousset."(p.13)
" Vos ergots s'avarient bacilles de fatuité, gallinacées entrailles bouffies d'une farce lardée interactions subliminales grossiers ficelages purée châtaignes bio." (p.15)

J'en étais à peine arrivée à la page 15 (sachant que le roman débute à la page 9) qu'une envie me prenait déjà de céder à l'abandon.
Les exemples cités plus haut ne sont pas assez représentatifs mais je crois que même mon dictionnaire avait envie de se pendre...
J'avais les yeux grands comme des soucoupes à la lecture de cette logorrhée extraterrestre au point que j'ai cru à un pari de l'auteur façon "chiche que j'arrive à mettre plein de mots que personne n'utilise".
Ca c'était avant qu'une sotte idée ne me traverse l'esprit : ce style n'était en fait qu'une image nous renvoyant à cette maudite zapette.
Que nenni, c'est apparemment le style récurrent de l'auteur!

Toujours à propos de ce livre, j'ai lu une critique sur le net qui pointait l'absence totale de descriptions du contenu visuel.
Effectivement, l'auteur cite les émissions visionnées mais ne décrit pas ce qu'elle voit, elle se contente de décrypter.
Ses deux années de chroniqueuse pour l'émission "Arrêt sur image" ont sans doute quelque peu déteint sur la présentation de son roman.
Cela dit les émissions visées sont tellement connues que le manque de description de leur contenu n'est pas un handicap à la compréhension de leur mécanisme, même pour les sans-télé comme moi.
J'ai particulièrement aimé la pièce 23 sur la Starac et intitulée " Du programme de téléréalité comme narration soumise aux principes de Vladimir Propp : étude du personnage du candidat gagnant" dont voici 2 extraits :

" Grâce aux cours de Raphaëlle Ricci qui s'ouvrent sur l'humeur du jour, les téléspectateurs sont informés du taux d'orphelins, d'anorexiques, de sujets atteints de déficiences diverses ou pulmonaires présents dans chaque promotion, ainsi que de l'évolution de leur dépression nerveuse.
(...) Raphaëlle Ricci dit à Magalie qu'elle n'a pas d'univers artistique (Saison 5), à Grégory qu'il a retenu ses émotions (Saison 4), à Elodie que y en a marre de la voir chialer pour rien (Saison 3), à Nolwenn qu'elle chante comme une vieille Montmartroise (Saison 2) et à Jenifer qu'elle a la silhouette d'un hamster (Saison 1).
Parfois le dommage peut être une nomination." p.127

" Le candidat perdant met deux ans à sortir un disque que seule sa famille se procure. S'il est belge, la justice lui remet la main dessus. S'il est Emma Daumas, il se fait posséder par l'esprit d'Avril Lavigne." p.132

La fin du roman évoque Jean-Claude Mignon, maire de Dammarie-les-Lys, un village de 20000 habitants rendu célèbre par son château occupé par la Starac'.
Chloé Delaume n'accuse pas ouvertement mais cite l'homme et énonce les faits survenus durant son mandat (manifestations, bavures policières, propos racistes, tolérance zéro) de sorte à ce que tout le monde comprenne que le type n'est pas aussi sympa que le laisse penser sa prestation de " L'amitié ce n'est pas un feu de bois" sur le plateau de la Starac' ou durant ses campagnes électorales.
Chloé Delaume a-t-elle été inquiétée suite à ce passage? Absolument pas.
Frédéric Beigbeder n'a pas eu cette chance puisque son dernier roman, "Un roman français", s'est vu censuré de 4 pages suite à une plainte de Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris et personne visée dans les 4 fameuses pages.
Pourtant, à la lecture de l'article du Figaro, les passages de Beigbeder m'ont semblé beaucoup moins conséquents que ceux de Chloé Delaume.
Comme quoi la censure est surtout affaire de médiatisation.

Bref. "J'habite dans la télévision" est un roman qui peut rebuter de prime abord de par son style alambiqué mais qui peut se montrer divertissant une fois que l'on "surmonte" les premières pages.
Divertissant, pas indispensable.
"Dans ma maison sous terre" ne me dit rien du tout. En revanche, je me laisserais bien tenter par "La nuit je suis Buffy Summers" car il s'inspire des "livres dont vous êtes le héros" dont j'étais fan ( et aussi parce que sans être réellement fan je n'ai manqué aucun épisode de la série "Buffy contre les vampires"...tututu).

D'autres avis : Raison et sentiments - Miss Orchidee - Restling






5 commentaires:

  1. Je ne regarde quasiment plus la télé.Ce soir je voulais visionner le film sur Arte "L'homme qui tua la peur " avec John CASSAVETES et vu l'heure, j'attendrais qu'il repasse...
    J'aime bien le style de tes articles,au moins eux, on a envie de les lire jusqu'au bout.
    Passe une bonne soirée

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  2. J'étais très enthousiaste le jour où j'ai emprunté ce livre qui s'est révélé très rapidement d'un ennui mortel. Le seul chapitre que j'ai trouvé "intéressant" était également celui sur la Star Academy, c'est dire !
    Par contre, je ne savais pas du tout que Chloé Delaume avait bossé pour "Arrêt sur image" qui, contrairement à son bouquin, est une émission passionnante.
    Malgré tout ça, je lirais bien "La nuit je suis Buffy Summers" ^^

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  3. @JanSheng : Dommage mais je pense que certains films peuvent être vus en streaming sur le site d'ARTE non?
    Du reste, merci;)

    @Emma : c'est sûr qu'elle a un style assez reconnaissable qu'on aime ou qu'on déteste.
    J'attends de lire (et de trouver) "La nuit je suis Buffy Summers" pour me fixer une opinion sur Chloé Delaume.

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  4. Je n'avais pas du tout aimé ce livre. Par contre, je n'avais jamais entendu parler de "La nuit je suis Buffy Summers", ça m'intrigue fortement !

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  5. " Certainement pas " me tente bien aussi vu que j'adorais le Cluedo :

    http://www.evene.fr/livres/livre/chloe-delaume-certainement-pas-11253.php

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