31 mars 2010

Soie - Alessandro Baricco


"Soie" est un roman de l'écrivain italien Alessandro Baricco publié en 1996.
Lavilledieu, 1861. Hervé Joncour a 32 ans et exerce la profession de négociant séricicole.
Chaque année, parce que les élevages européens sont infestés, Hervé s'en va quelques mois, le temps de franchir la Méditerranée et de ramener des oeufs sains dont la vente leur assure, à lui et à sa femme Hélène, une vie paisible le reste de l'année.
Mais l'infection se propage au-delà de l'Europe et le seul territoire encore en mesure de lui fournir des oeufs viables est le Japon, une contrée encore hostile à la venue de l'étranger.
Hervé n'a pas d'autre choix que de voyager vers l'inconnu. Les expéditions se soldent par de francs succès, faisant d'Hervé un homme riche.
Mais une guerre se déclare au Japon et pourtant Hervé ne peut se résoudre à rester au pays, d'autant que là-bas, à des milliers de kilomètres de lui, réside une femme qui a su le troubler...

Il peut m'arriver parfois de ressentir une envie subite et précise de relire un livre que j'ai particulièrement aimé. La chose est rare, tant je privilégie les lectures qu'il me reste encore à découvrir, mais se produit de temps à autre.
Dans ces moments-là, je laisse tout en plan. La vaisselle, le ménage, parfois même le repas, se voient dès lors remis à plus tard.
C'est ainsi que j'ai laissé le temps suspendre son vol il y a quelques jours et que j'ai décidé de relire "Soie". Et, une chose en entraînant une autre, j'en ai profité pour découvrir le film qui en avait été tiré et sorti en août dernier.
Mais le livre d'abord, toujours.

Et là, alors que je m'apprête à vous vanter les mérites de ce livre qui m'a tant émerveillée, je me rends compte que j'ai du mal à en parler. J'ai l'impression que quoi que j'en dise, mes propos ne pourront jamais être à la hauteur de l'oeuvre.
Mais si je me contentais de vous dire "Lisez-le", je ne sais pas si ces 3 syllabes suffiraient à elles seules à vous faire vous précipiter en librairie pour acquérir ce petit bijou.
Considérez donc ce billet comme un essai, une tentative presque désespérée de vous faire découvrir ce qui est assurément l'une de mes plus belles lectures.

"Soie", c'est l'histoire d'un couple qui traverse le temps et les absences. Hélène est une femme qui aime son mari au point de le laisser partir tout en guettant impatiemment son retour, souffrant en silence de le retrouver plus absent à chaque retour qu'il ne l'était avant de partir.
C'est un être tout en dévotion mais néanmoins une épouse qui est loin d'être crédule.
Hervé aime sa femme mais c'est un homme qui ne s'ancre nulle part, partagé entre deux mondes, le réel symbolisé par le quotidien avec Hélène, cette facette de sa vie qu'il pense acquise et éternelle, et l'inaccessible incarné par cette femme mystérieuse dont il ne sait rien.

"Etendue près de lui, la tête posée sur ses genoux, il y avait une femme. Ses yeux n'avaient pas une forme orientale, et son visage était celui d'une jeune fille. Baldabiou écouta, en silence, jusqu'à la fin, jusqu'au train à Eberfeld. Il ne pensait rien. Il écoutait. Il eut mal d'entendre, à la fin Hervé Joncour dire doucement - Je n'ai même jamais entendu sa voix. Et un instant plus tard : - C'est une souffrance étrange. Doucement - Mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais. " p116
Hervé Joncour est un homme qu'on aurait envie de secouer comme un prunier, une sorte d'âne de Buridan qui subit sa vie au lieu de la prendre en main. On peut se demander si il a un jour été heureux tant son esprit ne semble jamais connaître la tranquillité.
" A acheter et à vendre des vers à soie, Hervé Joncour gagnait chaque année une somme suffisante pour assurer à sa femme et à lui-même ce confort qu'en province on tendrait à nommer luxe. Il jouissait avec discrétion de ses biens, et la perspective, vraisemblable, de devenir réellement riche, le laissait tout à fait indifférent. C'était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre. On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie." p.13
La force de ce roman réside sans doute dans sa capacité à dire beaucoup en peu de mots, à faire parler les silences, à laisser le lecteur imaginer ce qu'il souhaite de la vie de chacun des personnages dont les états d'âme se devinent plus qu'ils ne s'étalent.
Le style est épuré, tout en concision. Les chapitres numérotés et espacés rappellent les haïku japonais.
Pas de fioritures s'illustrant dans des descriptions sans fin des aller-retour d'Hervé. Juste la redondance de quelques phrases rappelant ces longs trajets jusqu'au bout du monde (mais qui sonnent pourtant comme de fausses routines).
L'histoire de ce roman a beau être triste, on en ressort étrangement serein, métamorphosé, peut-être même grandi.
Loin pourtant de verser dans une fable moralisatrice sur l'importance des priorités dans l'existence, "Soie" touche à l'essentiel en initiant une profonde réflexion sur la place que tiennent nos proches dans notre vie et qu'il ne faut jamais tarder à aimer.
Tout est inscrit entre les lignes, remis entre les mains du lecteur. Et c'est bien là ce qu'il y a de magique avec ce livre. Il y a autant de lectures qu'il y a de lecteurs et plusieurs lectures pour chacun d'entre eux.
C'est sans doute pour cette raison que ce livre peut être relu et conseillé à souhait : parce qu'il touche à l'infini. Mille merci Monsieur Baricco.

Un livre tout simplement Magnifique. Bref. Lisez-le :)


Le film

Evidemment, en tenant compte de mon haut degré d'appréciation du roman, mes attentes vis-à-vis de l'adaptation cinématographique n'en pouvaient être que proportionnelles.
J'éprouvais également une certaine curiosité à l'égard de ce film qui se défendait de pouvoir transposer en 1h47 une oeuvre courte et dense en même temps.
Ce n'est qu'après m'être insurgée contre le choix des acteurs ("Keira Knightley l'insipide, ai-je bien lu? Non c'est pas possible! Michael Pitt et sa tête de jeune riche toxico? Naaaaa!) que j'ai découvert les premières images du film.
Les dialogues (peu nombreux dans le livre) ont été fidèlement retranscrits et l'esprit du roman fut globalement respecté ( je dis globalement parce que le réalisateur n'a quand même pas pu s'empêcher de vouloir "combler les trous" ici et là).
Hormis deux erreurs de casting confirmées (cf. les deux susnommés), j'ai bien aimé le jeu des acteurs et plus particulièrement la prestation d'Alfred Molina (aka le mari de Frida Kahlo dans le film éponyme) dans le rôle de Baldabiou et de...heu...(excusez du peu, les noms asiatiques c'est pas ma tasse de thé au jasmin) dans celui de Madame Blanche.
Le réalisateur a toutefois pris quelques libertés en jugeant bon de faire joujou avec la chronologie (ce qui en soi n'était pas dérangeant) mais s'est également permis de couper tout l'aspect, si pas sensuel, érotique, de la lettre adressée par... (ah merde je ne peux pas dévoiler l'identité de l'expéditeur, je vous spoilerais votre bon plaisir) à Hervé.
Du coup, l'histoire s'achève dans un esprit bon enfant, mièvre, moralisateur, bref toutes les facilités auxquelles échappait le livre.
Moralité (et généralité) : préférez-lui le roman. Néanmoins, pour qui n'a pas lu le roman, ce film reste passable...




D'autres avis chez BOB !

"Soie" était ma première lecture dans le cadre du Challenge Lunettes noires sur Pages blanches organisé par Fashion.

26 commentaires:

  1. Les trois syllabes suffisent à me convaincre !

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  2. il est sur ma PAL donc je ne lis pas ton billet en détail, j'y reviendrai. Je suis allée à l'essentiel je vois que tu as aimé, chic !

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  3. Cela fait longtemps que je me dis qu'il faudrait que je lise ce livre, d'autant que le sujet des vers à soie m'intéresse (mais si, c'est mignon, ces petites bêtes !)

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  4. Allez moi aussi, je vais en rester aux 3 syllabes et le noter illico sur ma LAL.

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  5. @Clara : Dans ce cas ^^

    @SD49 : j'ai hâte de lire ton avis!

    @Kathel : tu n'y apprendras pas grand chose sur les vers à soie je le crains mais il vaut quand même largement la peine d'être lu ;)

    @Restling : YES !!! ;)

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  6. On aurait pu en faire une lecture commune, vu la proximité de nos publications.
    J'ai hâte de voir le film. Un ami l'a trouvé, ce sera au programme demain soir!

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  7. Ouais t'as raison, il faut absolument que je le relise !

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  8. Soie je le mets dans ma PAL.Il me fait bien envie apres ton billet.

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  9. Un livre que j'ai moi aussi énormément aimé et que je relirai sûrement un jour. Délicieusement poétique, j'ai adoré le principe des répétitions en début de chapitre, et puis on a vraiment envie de savoir comment va se terminer l'histoire, à lire !!!

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  10. Un très beau livre en effet !
    Je ne savais pas qu'un film avait été fait en adaptation ...

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  11. J'avais beaucoup aimé cette lecture, je ne savais pas qu'il avait été adapté !

    Merci :)

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  12. J'ai adoré ce livre et j'ai peur de le relire !! peur de ne pas retrouver la même magie une deuxième fois. Le film pas question, je veux garder mes images.

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  13. Je suis moins enthousiaste que toi sur le livre. Je n'y ai pas retrouvé la magie de Novecento. Mais le film m'intrigue car je n'arrive vraiment pas à imaginer une adaptation de ce livre. Il va falloir que je le trouve en DVD.

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  14. J'ai déjà entendu parler de ce livre (et repéré). Ton avis confirme mon envie de le lire... je n'ai pas tout lu pour garder su suspense... les 3 syllabes me suffisent !! ;o)

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  15. j'ai bien aimé cette lenteur, cette quête de la soie.

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  16. J'ai moi aussi lu ce livre il y a quelques années, et il reste parmi un de mes préférés. Un de ces livres à garder précieusement et à relire de temps en temps...

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  17. c'est un livre qui m'a beaucoup touché aussi ...une merveille !!

    je suis par contre vraiment choqué par les remarques plus qu'insultantes que vous avez eu de cet auteur ...que je n'ai jamais lu mais qui me parait bien peu mature pour la stature de Sage qu'il veut porter !!!!
    Continuez ainsi à exprimer vos avis vos sentiments même si cela ne plait pas toujours ;D

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  18. Je regrette vraiment que ce magnifique roman ne se soit pas retrouvé parmi les finalistes étrangers du prix Qd9... Peut-être sera-t-il à nouveau en lice l'an prochain... qui sait, j'en ai fait un livre voyageur et peut-être séduira-t-il quelques juré(e)s à cette occasion ?

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  19. Les mails de l'auteur et de l'éditeur XY auront au moins eu le mérite de me faire découvrir ce blog !

    Et ce billet celui de me donner envie de re-lire Soie dont je ne conservait que le souvenir d'une émotion si forte qu'elle a effacé le reste (histoire etc...).

    Et peut-être le film, après.

    Au plaisir de vous relire !

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  20. Les messages de l'auteur et de l'éditeur XY ont au moins l'avantage de me faire découvrir ce blog !

    Et ce billet de me donner envie de re-lire Soie qui ne m'avait laissé que le souvenir d'une lecture si passionnante et émouvante que les autres détails se sont évanouis.

    Je me réjouis de revenir par ici découvrir d'autres de tes avis !

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  21. j'ai découvert ce roman par le CD offert par mes enfants. Lu par Jacques Bonnafé c'est simplement sublime. J'aime "écouter" les livres dans ma voiture.Pour SOIE, la première fois il y une dizaine de jours,je me suis arrêtée en rase campagne et je me suis laissée envoûter par la magie du texte. Depuis je le réécoute en boucle. Pour moi c'est une vrai merveille! Ce roman très court est d'une précision "millimétrique" ( pour employer un mot de l'auteur). Et tous ces non-dit laissent à chacun sa propre interprétation. J'aime à penser qu'Hervé Joncour n'est pas si passif que çà et qu'il a vu et vécu ce qu'il a voulu voir et vivre.
    Doit-on toujours se battre pour être heureux? Dans la trame SOIE, on sait bien que Baldabiou se sert de Hervé Joncour et que sa relation avec Hélène n'est pas si "claire" que çà. Sinon pourquoi aurait-elle écrit cette lettre? Comment a t'elle pu savoir? En bref je suis subjuguée et je n'ai qu'un regret : ne pas avoir "écouté" ce livre plus tôt. Maintenant je vais le lire.Et peut être voir le film....

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  22. Histoire ennuyeuse, style inexistant, beaucoup voient dans ce roman de la poésie, je n'y vois pour ma part que de l'ennui. Bof.

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  23. J'avais lu noveccento..bof, pas de quoi se relever la nuit. J'ai retenté avec Soie, même reproche, c'est plat, et ennuyeux. Pas de relief

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  24. Personnellement , je trouve que la fin porte à confusion . Est -ce sa femme qui envoie les derniers mots que Hervé va faire traduire chez la dame blanche ? Est-ce bien une autre femme qu'il rencontre au Japon ?
    j'ajoute que j'ai beaucoup aimé le livre mais que certains passages sont néanmoins dénués de clarté .
    :)

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  25. Très bel article pour un très beau livre. "Un couple qui traverse le temps et les absences", c'est tout à fait ça. Mais, j'ai tout de même préféré "Océan Mer" et sa galerie de personnages atypiques. Baricco a une belle "petite musique" même si sur la longueur, je trouve qu'elle devient, peut-être, un peu prévisible.

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  26. J'ai adoré ta critique!! Je l'ai lue parce que juste après avoir refermé ce livre, je ne sais juste pas quoi dire ;.. et bien tu as tout dit et superbement :)

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