"Mort d'un parfait bilingue" est le premier roman de l'écrivain belge Thomas Gunzig, publié en 2001. Thomas Gunzig est notamment l'auteur des romans jeunesse "Nom de Code Super- Pouvoirs" et "De la terrible et magnifique histoire des créatures les plus moches de l'univers" (dont j'avais parlé ici ) mais également du recueil de nouvelles "Carbowaterstoemp et autres spécialités"(réédité récemment par le Diable Vauvert sous le titre "Assortiment pour une vie meilleure") que j'évoquerai certainement un jour prochain.
" Les aventures d'un jeune homme, amoureux par nature, cruel par instinct de survie et ironique par nécessité, au pays de la sale guerre." Voici ce que nous annonce à juste titre le quatrième de couverture.
Mars 1978. Le récit s'ouvre sur le portrait de Chester, le narrateur, et sur l'aveu d'un meurtre commis alors qu'il était affamé et désargenté. La victime? Pierre"Petit Pois" Roberts, beau-frère de son meilleur ami slovène Moktar assassiné à la demande de ce dernier. Loin d'être fier de son crime, Chester se console comme il peut dans les bras de Mini-Trip, serveuse au "Bateau qui se plante" et épouse du chanteur populaire Jim-Jim Slater. Mais leur liaison tourne mal et le mari adultère force Chester à payer sa dette en tuant sa concurrente d'audience, Caroline Lemonseed.
La tâche s'avère ardue, obligeant Chester à intégrer les "Pluies de l'automne", une unité militaire chargée de la défense de la chanteuse durant le concert qu'elle donnera en faveur des troupes présentes sur le front.
Mais Chester sait-il exactement dans quel genre de guerre il met les pieds?
Autant vous le dire tout de suite, voilà un roman qui ne dévoile pas la meilleure part des hommes (ni des femmes d'ailleurs). Tour à tour criminels, imposteurs, violeurs et j'en passe, tous les personnages de ce roman ont commis des actes répréhensibles et sont happés par un monde où l'immoralité fait la loi, où la sale guerre est partout, sur le champ de bataille comme sur les écrans de télévision.
La narration se partage entre le présent du narrateur, paralysé et catatonique, et le récit des événements passés qui nous apparaissent tel qu'ils lui reviennent petit à petit en mémoire.
Entre ses amours, tantôt râtées tantôt inavouées, son ami Moktar qui s'est amouraché d'une vieille femme et tente de sauver sa soeur de la drogue et de la prostitution, et la mission pour laquelle il s'est engagé à contrecoeur, Chester découvre une guerre sponsorisée dans laquelle des hommes paumés improvisés soldats sont instrumentalisés et formés au jeu d'acteur à défaut de savoir livrer bataille. Une guerre où les pertes se mesurent avant tout en chiffres d'audience.
" Les épouvantés nous avaient regardés faire sans, manifestement, rien comprendre à notre manège jusqu'à ce qu'on les mette à contribution. La première prise dut mettre en scène deux soldats (Moktar et moi) apportant le miracle de la barre Snikers, son caramel, ses cacahuètes, son sucre raffiné aux victimes de la guerre. Il fallait que David, François, Emilie et Elodie nous sautent dessus en riant (pas facile à tourner, mauvaise volonté des petits comédiens), tandis que leurs parents versaient des larmes (facile) avec un regard plein de reconnaissance (pas facile).
La deuxième prise ressemblait à la première à la différence qu'elle devait figurer les parents apportant des céréales à leurs enfants malades." p.174
Ce qui est particulièrement intéressant dans ce roman, c'est l'angle adopté par l'auteur pour dénoncer de manière incisive les atrocités et les absurdités de la guerre exploitée par les médias.
Sous le couvert d'une apparente légèreté, Gunzig nous présente une vision sombre, dérangeante en ce qu'elle tend même à l'absurde et dont on ne sait trop quoi faire, tiraillé entre l'envie de sourire au style imagé de l'auteur et celle de céder aux larmes en regard de la situation dépeinte.
" En plein été la ville ressemblait à une pomme au four. Le soleil vous arrivait dessus, toutes griffes dehors, s'attaquant à la peau du nez, des oreilles ou des avant-bras avec une voracité de termite africain. On était obligé de rester chez soi, assis à poil devant les machines à air conditionné, à siroter des baccardi-coca, à regarder la météo et des dessins animés japonais. Les gens qui se retrouvaient dehors faisaient des grimaces d'haltérophiles, dans les rangs des petits vieux c'était une hécatombe, leurs coeurs ridés s'ébouillantaient comme de vieux oursins, des ambulanciers trempés de sueur venaient les chercher et les embarquaient par trois ou quatre pour gagner du temps." p.16
Un roman qui m'a fait penser au film "Truman Show" comme à "Embuscade à Fort Bragg" (roman de Tom Wolfe dont j'avais parlé ici) et que je ne suis certainement pas prête d'oublier !
Le blog de l'auteur
Une nouvelle de l'auteur en écoute libre : " La Gambas "
L'avis de Cécile qui saura vous convaincre si je n'ai réussi à le faire à travers ce billet. En parlant de Cécile justement, cette lecture fait suite à ma participation en tant que jurée du prestigieux Prix QD9 2010. Les résultats de la sélection francophone ont été annoncés chez Cécile hier et ô joie, "Mort d'un parfait bilingue" a été retenu !!!
Pour connaître les sélections françaises et étrangères de tous les membres du jury et bien plus encore, cliquez sur le logo ci-dessous.
Bravo pour ton billet!!
RépondreSupprimerEt Cécile ne chôme pas! Il me semble que le Prix 2009 vient seulement d'être remis!!
La couverture m'effraie un peu ...
RépondreSupprimerMais pourquoi pas ?
Tout à fait un livre pour moi : je retiens surtout des choses graves dites avec légerté... donc je note !
RépondreSupprimerJe suis mitigée. Ca a l'air tellement déjanté que je me demande si je saisirai le message sous-jacent.
RépondreSupprimerJe note aussi, ton billet m'a convaincue !
RépondreSupprimerCynthia, rien avoir avec le billet, juste te confirmer ma participation à la lecture commune de Pennac, je ne sais pas si tu as reçu mon mail ou si il s'est faufilé dans las spamssssssssssss ... passe un bon week end
RépondreSupprimerTiens c'est bête, j'avais fait une invitation à un challenge littérature belge à la suite de ma lecture de Grégoire Polet (Excusez les fautes du copiste). Invitation à laquelle personne n'a répondu malheureusement... Et voilà le deuxième livre de suite que tu lis d'un auteur belge... Si c'est pas dommage, ça, hein ! :p
RépondreSupprimer@ Lili Galipette : le prix Qd9 2009 a été remis un peu en accéléré car le prix a été créé en novembre ou décembre 2009 (sur les lectures 2008) d'où l'impression de "surmenage" mais l'édition 2010 (sur les lectures 2009) et les suivantes se dérouleront sur plus de temps : sélection des livres en début d'année et annonce des gagnants en octobre ou novembre et remise du prix en décembre.
RépondreSupprimer@ Manu : A mon avis, tu ne peux pas ne pas le saisir car je ne le qualifierais pas de sous-jacent mais d'omni-présent
Je n'aime pas du tout la couverture !
RépondreSupprimerBonne fin de semaine ! Merci pour ces beaux textes ! Pascal.
RépondreSupprimermerci pour tes questions
RépondreSupprimerTon billet me fait aussi penser au livre "Acide sulfurique" de Nothomb.
RépondreSupprimerSuis plongée dedans, j'aime beaucoup !
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