"La Femme auteur" est une nouvelle extraite des "Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques" publiés pour la première fois en 1806 et issus de la plume de Madame de Genlis, femme de lettres française contemporaine de Madame de Staël et de George Sand, gouvernante du dernier roi de France Louis-Philippe 1er et auteure de plusieurs ouvrages éducatifs passablement oubliés.
Orphelines élevées dans un couvent parisien, Dorothée et Natalie sont aussi liées de tendre affection qu'opposées en caractère. Si l'une n'aspire qu'à satisfaire aux exigences voulues par la bonne société en se montrant raisonnable en toutes circonstances, l'autre apparaît beaucoup moins docile et envisage d'alimenter son goût pour le romanesque par l'entremise de l'écriture.
Craignant que la fantaisie de sa soeur entache sa réputation, Dorothée avertit Natalie des risques que comporte une telle entreprise, particulièrement lorsqu'on est une femme.
" La condition des femmes est, ainsi que toutes les autres, heureuse quand on a les vertus qu'elle demande; malheureuse, quand on se livre aux passions violentes, à l'amour qui nous égare, à l'ambition qui nous rend intrigantes, à l'orgueil qui nous corrompt et nous dénature. L'homme qui désirerait être une femme serait un lâche, la femme qui voudrait pouvoir devenir un homme ne serait déjà plus une femme.Elle parvient ainsi à faire entendre raison à Natalie.
(...)
Ne faites donc jamais imprimer vos ouvrages, ma chère Natalie; si vous deveniez auteur, vous perdriez votre repos et tout le fruit que vous retirez de votre aimable caractère. On se ferait de vous la plus fausse idée.
(...)
Vous perdriez la bienveillance des femmes, l'appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Ils n'adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d'un homme.
(...)
La gloire pour nous, c'est le bonheur; les épouses et les mères heureuses, voilà les véritables héroïnes. " p.27
Deux années s'écoulent et Natalie perd son mari. Une fois la période de veuvage passée à la campagne, elle revient à Paris et fréquente à nouveau les salons où elle retrouve Germeuil, un charmant jeune homme épris d'une femme mariée, la comtesse de Nangis.
Si Germeuil apprécie les qualités et la modestie de Natalie, son coeur n'en est pas moins déjà pris.
Alors que Natalie entreprend de lui rendre visite, elle découvre une romance écrite par Germeuil à l'attention de la comtesse et s'amuse à l'apprendre par coeur.
La connaissance d'un tel secret sauvera la mise des deux amants qui lui témoigneront tous deux la plus vive reconnaissance, bien que la comtesse en retire également une certaine jalousie.
Commence alors un triangle amoureux dont Natalie tente de s'éloigner, non sans cette abnégation à laquelle est sensible Germeuil.
" La grandeur d'âme qui s'élève au-dessus de l'envie et de la jalousie excite la surprise et l'admiration dans les hommes, et touche dans les femmes; il semble que toutes les vertus généreuses ne peuvent leur coûter d'efforts; elles ont en elles plus de charme que d'éclat, on les confond avec leurs grâces." p.56
Mais la comtesse de Nangis tombe gravement malade et décède rapidement. Germeuil semble accuser le coup facilement et déclare enfin ses sentiments à Natalie qui, méfiante, accepte de l'épouser à condition que tous deux observent un délai de réflexion.
Natalie se retire alors pendant plusieurs mois et rédige plusieurs textes dont un roman qu'elle accepte de faire publier afin de venir en aide à une famille nécessiteuse.
Si le roman se veut salué à l'unanimité, son auteure connaîtra un tout autre destin...
Voici un texte fort intéressant qui, par le biais d'une intrigue amoureuse, nous renseigne sur la mentalité d'une époque décidément peu encline à laisser les femmes disposer d'une quelconque indépendance.
"La femme auteur", d'inspiration largement autobiographique, évoque avec finesse et sans demi-mesure les dangers qu'encourent les femmes à faire preuve d'esprit, et plus encore, à en faire publiquement la démonstration.
Procès d'intention et avanie engendrée par la méfiance des femmes, l'intransigeance et la jalousie des hommes, tel est le sort réservé aux femmes de lettres.
Bien qu'ayant déjà lu cette nouvelle il y a deux ans, j'avais envie de me replonger dans cette courte histoire qui comporte pourtant son lot de rebondissements, de retrouver la candeur de Natalie cédant à l'amertume de l'auteure et de redécouvrir cette prose élégante dont je ne me lasse décidément pas.
Si mon billet n'a pas réussi à vous convaincre de découvrir cette nouvelle, j'espère que ces quelques maximes y parviendront ;)
" Elle ignorait que les hommes qui aiment le mieux les femmes ne regardent jamais fixement que celles qui sont jeunes, jolies et modestes; la galanterie, à cet égard, ressemble à l'amour; elle craint de blesser et de profaner son objet, elle n'ose le contempler qu'à la dérobée, et c'est ainsi qu'en admirant la beauté, elle rend hommage à la pudeur." p.32
" Les personnes vives et profondément sensibles ne peuvent s'abuser longtemps sur ce qu'elles éprouvent; leur imagination les mène trop vite et trop loin, pour qu'elles puissent conserver des sentiments indécis et concentrés." p.40
" L'amour n'apprécie que le temps présent, c'est de tous les sentiments celui qui s'occupe le moins de l'avenir; il craint d'y jeter les yeux, il n'est jamais sûr de s'y retrouver." p.60
" Les passions se forment et s'enflamment plus facilement dans le monde que dans la retraite; mais c'est dans la solitude qu'elles se nourrissent : c'est là qu'il est dangereux de porter l'amour; il n'y guérit point." p.64
Pour ceux/celles qui se demandent d'où provient l'illustration en couverture, il s'agit d'une partie du tableau "Woman reading by a paper-bell shade" d'Henry Robert Morland (1766).
D'autres avis : Gio - Cappuccinette
Il est sur ma PAL (enfin dans un carton), je l'en ressors après mon déménagement ;-)
RépondreSupprimerJe suis définitivement à la bourre pour mon challenge des classiques!!!!
RépondreSupprimerje la connaissais de nom, mais je n'ai rien lu de madame de genlis ;)
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas, mais je te rassure, je suis convaincue.
RépondreSupprimersi, si tu m'as tout-à-fait convaincue! Pas difficile avec ces citations en plus!
RépondreSupprimerTu m'as aussi convaincue, si je le vois, je l'embarque :-D
RépondreSupprimeraussi à la bourre dans les challenges...
RépondreSupprimerliste de mes envies de lire... pleine... mais bon, tentée, je vais luis faire une petite place a ce livre...
bonne journée
bises
Je ne connais pas mais je note, pour deux euros, autant ne pas se retenir ;)
RépondreSupprimeril faut que je me remettes au challenge 2€....
RépondreSupprimerje le note, je ne connais pas du tout
RépondreSupprimerJe l'ai dans ma PAL et je comptais le lire prochainement : tu m'as convaincue !
RépondreSupprimerje n'avais jamais vu celui-ci encore en folio 2€
RépondreSupprimer@Stephie : bonne lecture et surtout bon courage pour le déménagement ;)
RépondreSupprimer@Pimprenelle : oui, il faut dire qu'avec toutes les tentations actuelles, on ne sait plus où donner de la tête !
@Niki : je n'en avais jamais entendu parler avant de découvrir ce livre, comme quoi cette collection "femmes de lettres" a du bon ;)
@Estellecalim : chouette alors ;)
@Mango : mon crayon et mon carnet de citations étaient bien affairés durant cette lecture !
@Manu : tu vas peut-être devoir le commander. La collection 2 euros semble être en mouvement constant et pas toujours facile à dénicher !
@Mazel : il en vaut la peine !
@Hathaway : exactement ;)
@George : comme il n'y a pas de date limite, il n'y a pas d'urgence ;)
@zorane : c'est une belle petite lecture qui se lit vite ;)
@Céline : bientôt un billet alors ;)
@Lilibook : je l'ai acheté il y a deux ans mais il est encore édité ;)
Début XIXe siècle, grande époque! Je vais voir si je peux trouver ce petit livre; il est remarquable que ces textes, rares a priori, soient disponibles dans une collection à prix doux! Bravo les deux euros!
RépondreSupprimerEt bien je cherchais une idée pour mon challenge 2euros, elle est toute trouvée. Merci Cynthia!
RépondreSupprimerJe possède ce petit Folio 2€ dans ma PAL ! Reste plus qu'à le déterrer, le lire et cela fera quatre pour ce challenge ... Mais l'année n'est pas terminée, et j'en ai d'autres dans mon interminable PAL ;-D
RépondreSupprimerJe ne connais pas du tout Mme de Genlis et ton billet me donne envie de découvrir cette auteure. Les femmes de lettres étaient assez mal vues à l'époque... Est-ce qu'elles le sont mieux maintenant?
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