28 novembre 2011

La cote 400 - Sophie Divry


Publié l'an passé, "La cote 400" est le premier roman de la française Sophie Divry.
Il est ici question de l'histoire ou plutôt du monologue enflammé d'une bibliothécaire de province, responsable du rayon géographie, qui se plaint de...à peu près tout et tout le monde. Collègues, hiérarchie, lecteurs. Et quand il s'agit d'évoquer la fantaisie ambiante ou la démocratisation de la culture, elle a plus que son mot à dire...

" Mais ce que je n'ai supporté, ce qui fut une énorme erreur, c'est d'avoir déplacé les langues de la classe 400 à la classe 800. Et qu'a-t-on mis à leur place ? Qu'a-t-on mis ? Rien.
Ce qui fait que la cote 400, en ce moment, est inoccupée, vide.
Vous êtes d'accord, c'est une ineptie. Moi, cela me donne le vertige, cette cote vacante.
Qu'est-ce qui viendra l'occuper ? Quel domaine de la culture et du savoir humain, que nous n'estimons pas à sa juste valeur, viendra plus tard en prendre possession ? Je préfère ne pas penser à cette cote creuse, ça me fait peur." p.16

Dès les premières lignes, je me suis demandée si j'arriverais à supporter cette femme aux airs supérieurs durant 65 pages. Celle-ci m'a d'emblée fait penser à ces gens/boulets qui vous harponnent pour ne plus vous lâcher avant d'avoir vidé leur sac, sans vous donner la possibilité de couper court.
Cette bibliothécaire s'adresse à un lecteur retenu prisonnier depuis la veille et découvert juste avant l'ouverture mais franchement, au vu de sa solitude avouée, je me suis demandée si elle ne s'adressait pas simplement à elle-même.
Psychorigide, aigrie et maniaque du classement, cette femme vit totalement repliée sur elle-même, se privant de loisirs, de vacances et de la présence d'un homme dans sa vie.

" De toute façon, qu'est-ce qu'un Américain sinon un Européen qui a raté le bateau du retour ? Moi, d'ailleurs, je ne voyage plus. Ah, ne parlons pas de bateau, j'ai des bouffées. L'avion ? Jamais ! Vous plaisantez ? Je ne voyage plus. Franchement, ça ne sert à rien.
On n'a jamais assez de temps pour comprendre ce qu'on visite et je ne supporte pas de connaître les choses à moitié. Visiter un musée en deux heures, c'est une imbécilité." p.25

Reste son métier, ingrat, qui consiste à ranger le désordre laissé par des lecteurs peu respectueux en ce qu'ils n'hésitent pas à arracher des pages, à surligner ou à annoter des passages de livres.
Ces lecteurs qui ne sont là que pour draguer, profiter du chauffage ou lire des navets.
Ses collègues et le conservateur de la bibliothèque ne sont guère mieux lotis. Confortés dans leurs métiers, ils ne semblent pas prêts à changer les choses, à orienter les lecteurs vers d'autres livres en prenant le risque de les détourner des classiques habituellement prescrits à l'aveuglette.
De toute façon, personne ne l'écoute !

" Excusez-moi si je m'énerve, mais c'est dur d'être minoritaire. Je me sens la ligne Maginot de la lecture publique. Je me sens si seule parfois. Je ne sais pas si vous comprenez. J'en doute." p.42

Et pourtant, au fil de sa tirade se dessine l'envie d'être remarquée, de signifier quelque chose pour quelqu'un, que ce soit pour ses lecteurs qui ne l'abordent jamais pour lui poser des questions ou pour Martin, ce jeune homme bien sous tous rapports (et à la nuque splendide) dont elle essaie en vain d'attirer l'attention dans ce sous-sol sinistre qu'est son lieu de travail.

"La cote 400" présente une vision amère du métier de bibliothécaire dont les tâches se résument à "classer, ranger, ne pas déranger".
Ne fréquentant plus les bibliothèques depuis plusieurs années, je ne saurais attester de l'universalité de ce sombre portrait. Néanmoins, je dois reconnaître que mes souvenirs de bibliothécaires ressemblent beaucoup au portrait dessiné ici.
Il me reste l'image d'une quinquagénaire avachie sur sa chaise, soupirant quand un lecteur lui demandait de l'aide pour repérer un livre et désignant de loin le rayon plutôt que de se déplacer, préférant continuer à rédiger ses fiches de rappels destinées aux retardataires.

Je reste néanmoins convaincue que tous les bibliothécaires ne sont pas à mettre dans le même sac et que l'auteure a volontairement choisi le mode de la caricature en plaçant dès le départ son personnage dans de mauvaises dispositions propices à la frustration.
Ayant échoué au CAPES, cette femme n'a pas envisagé le métier de bibliothécaire comme une vocation mais plutôt comme un second choix qui lui a permis de suivre un homme qui la quittera ensuite.
Elle se retrouve qui plus est dans une bibliothèque municipale si peu fréquentée qu'on pourrait entendre les mouches voler, et affectée au rayon géographie !
Dans mes jeunes années, je pense avoir fréquenté ce rayon une seule fois, pour consulter un atlas car j'avais oublié le mien dans mon casier...
L'aspect "conseil" du métier est donc ici totalement éludé faute de lecteurs à aiguiller.

" Et je fais ce métier depuis vingt-cinq ans, vingt-cinq ans sur le même principe immuable.
Même si on m'appelle en haut à la banque de prêt, ce n'est pas mieux.
Enregistrer les livres au départ ou au retour en faisant bip-bip avec les codes-barres, c'est créatif peut-être ? Bip-bip, "Pour le 26 septembre, au revoir"; bip-bip, "Pour le 14 mai, merci".
Etre bibliothécaire n'a rien de valorisant, je vous le dis : c'est proche de la condition d'ouvrier.
Moi, je suis une taylorisée de la culture." p.12


"La cote 400" est un petit roman qui se lit d'un seul souffle mais, comme le soulignait Reka, avec des pincettes (même si il y a malheureusement du vrai dans ses plaintes) car il s'agit ici, comme dans tous les livres qui traitent d'un métier en particulier, d'une et non pas de LA vision du métier de bibliothécaire.
Malgré que cette femme m'ait tapé sur le système dans les premières pages, je dois reconnaître avoir beaucoup aimé son humour cynique lorsqu'elle abordait le statut du livre au fil de l'Histoire.
A tenter avec un certain recul !

" Des fois j'ai des accès bizarres. Un jour, par exemple, dans les waters, j'ai lu un graffiti sur le mur : JEUNE HOMME CHERCHE JEUNE FEMME AIMANT CRITIQUE DE LA RAISON PURE POUR AVENTURE KANTIENNE;
Il y avait même un numéro de portable. Vous ne le direz pas au conservateur, mais en dessous, c'est moi qui ai gribouillé en réponse : FEMME MURE CHERCHE HOMME JEUNE APPRECIANT CRITIQUE DE LA RAISON DIALECTIQUE POUR ROMANCE SARTRIENNE;
Evidemment, ce n'est pas à la portée du premier venu. Personne ne m'a répondu. " p.53

D'autres avis : Reka - Alex - Clara - George - Soukee - DeL

12 commentaires:

  1. Malgré le côté antipathique de la dame,je tenterais bien la lecture de ce livre,je crois!

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  2. Il vaut mieux être averti que ce roman n'est pas une sinécure.

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  3. Je pense qu'elle m'énerverait vite cette bonne femme

    PS : tu connais au moins une bibliothécaire qui n'est pas comme ça : Ys :-D

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  4. Qu'est ce qu'il m'a énervée ce livre.
    Même si la narratrice finit par devenir comique (à force, oui, c'est bizarre), j'ai toujours envie de foutre un bourrepif à l'auteure - journaliste ! - de s'être permise d'écrire ce livre. Il y a du vrai, mais ça ne devrait pas. Ca me donne des petits boutons partout. Mert.

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  5. C'est un très bon petit livre, attachant malgré son personnage principal. Un long monologue qui se lit sans effort et qui dit, par la bande, beaucoup de choses justes, avec un esprit pince-sans-rire que certains ne goûtent pas, dirait-on.
    Ce n'est pas grave : à chacun ses plaisir de lecture !

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  6. @Mango : il pourrait bien te plaire ;)

    @Alex : c'est que le caractère de la dame agace dans un premier temps ;)

    @Manu : ah mais je ne la connais pas dans son travail (Ys pas taper^^)

    @Reka : je pense qu'il ne faut pas prendre tout ça pour argent comptant mais plutôt comme une caricature telle qu'il en existe pour d'autres métiers ;)

    @Nicolas Ancion : il n'y a que les vrais passionnés pour s'énerver de la sorte. Cette femme-là en est mais on ne le saisit pas forcément tout de suite.

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  7. J'avais beaucoup aimé et beaucoup ri à la lecture de ce roman, l'ayant au second degré ! Bien sûr le trait est volontairement noirci mais elle dit quelques vérités qui font mouche, et au final je l'aime bien cette bibliothécaire !

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  8. Ton livre voyagerait-il, par hasard ??? Il me tente bien !

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  9. @George : elle devient plus attachante sur la fin c'est sûr !

    @Liliba : no problemo, je te le poste très vite ;)

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  10. Pas plus tentée que cela car j'ai lu pas mal d'avis très mitigés...
    Ensuite, je me demande si un lieu ne devient pas ce que l'on en fait non ???

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  11. J'ai aimé ce livre qui était un coup de coeur de ma biblio!

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  12. je n'ai pas lu le roman de la demoiselle, mais ai apprécié sa dénonciation des éco-tartuffes:
    http://www.dailymotion.com/video/x3ti48_sophie-divry-journaliste-contre-gre_news

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