Deux histoires s'entremêlent dans ce roman : celle de Carthew Yorston, un agent immobilier texan venu déjeuner le 11/9/2001 au World Trade Center avec ses fils et celle de l'écrivain lui-même qui, au sommet de la Tour Montparnasse, imagine un an et demi plus tard ce qu'auraient pu être les derniers instants des victimes du restaurant situé au 107 ème étage de la tour nord.
L'histoire se déroule entre 8h30 et 10h29, chaque minute constituant un chapitre.
Et Beigbeder de souligner : " Ceci n'est pas un thriller; juste une tentative - peut-être vouée à l'échec - de décrire l'indescriptible." (p. 76)
Pourtant, à l'instar d'un thriller, la tension monte.
Des premiers coups de fil à la famille jusqu'à l'effondrement final de la tour nord, chaque personnage révèle sa part d'humanité face à un acte qui en est totalement dépourvu.
Le récit se resserre peu à peu autour du personnage de Carthew Yortson.
Tout comme son personnage Octave Parango partait en Russie pour trouver le nouveau visage d'une marque de cosmétiques nommée "L'Idéale", l'auteur voyage, sonde, enquête et attribue un visage bien que fictionnel aux attentats du 11 septembre, comme pour compenser tous ces visages occultés par les médias américains et internationaux.
Même le titre "Au secours pardon" (rédigé 4 ans plus tard) aurait pu être celui de "Windows on the World" tant le double tableau de ce roman dépeint à la fois la détresse étouffée des victimes et le repentir de l'auteur quant à son comportement d'homme (je pense notamment à ce passage zolesque intitulé "Je m'accuse"). C'est selon moi dans leur représentation de l'image du père que Carthew Yortson et l'auteur se confondent le plus.
Minute après minute, les certitudes, les utopies, les libertés, la société s'écroulent suite à ce drame qui creusera une brèche et sèmera le doute dans les esprits de millions de citoyens américains (et non-américains).
Bien que les dernières heures des victimes soient présentées sous l'angle de l'imagination de l'auteur, je n'ai pas pu m'empêcher de m'imaginer qu'elles ne devaient pas être si éloignées de la réalité. S'ajoute une riche documentation récoltée par Beigbeder qui nous apprend une quantité de choses sur l'histoire des différents pays gravitant autour du drame.
Dans un portrait consacré à l'auteur, on dit de lui qu'"il frime dans la provocation mais pas dans ce qu'il est vraiment c'est-à-dire un homme extrêmement cultivé".
Une phrase qui prend tout son sens lorsque l'on découvre ce roman. Bien sûr, il y a la "touche Beigbeder"qui donne à l'auteur son côté provocant mais " Windows on the World" ne saurait être résumé à cela tant la réflexion est juste et poussée et que l'humour noir est utilisé, tel que le glisse l'écrivain, comme "bouclier fugace contre l'atrocité".
Néanmoins, écrire sur les attentats du 11 septembre était un pari risqué parce que le 11 septembre, c'était hier. C'était hier il y a 8 ans.
A un moment donné, Beigbeder dresse une typologie de ce qu'ont pu être les différentes réactions possibles face à ce drame presque vécu en direct.
Du coup j'ai repensé à la mienne, du temps où j'avais encore la télévision, à cette transition brutale d'une série neuneu à un flash spécial montrant un vrai avion s'écrasant contre une vraie tour.
Je me souviens avoir pris le téléphone pour appeler une amie afin de savoir si elle voyait la même chose que moi, si tout cela était bien réel. Nous sommes restées au téléphone un long moment, en silence, chacune devant nos écrans à laisser défiler ce film qui se passait de tous commentaires, tant il était inimaginable.
Je sais que ce n'est certainement pas un hasard si j'ai attendu 6 ans pour lire (et apprécier) ce roman poignant, sans doute le plus grand de Beigbeder.
Extraits :
" Le luxe des skyscrapers, c'est de permettre à l'être humain de monter au-dessus de lui-même. Tout gratte-ciel est une utopie. Le vieux fantasme de l'homme a toujours été de bâtir ses propres montagnes. En élevant des tours jusqu'aux nuages, l'être humain se prouve à lui-même qu'il est plus grand que la nature." p.29
" Nous vivons une époque étrange; la guerre s'est déplacée. Le champ de bataille est médiatique : dans ce nouveau conflit, le Bien et le Mal sont difficiles à départager.
Difficile de savoir qui sont les bons et les méchants : ils changent de camp quand on change de chaîne.
La télévision rend le monde jaloux. Avant, les pauvres, les colonisés, les opprimés ne contemplaient pas la richesse tous les soirs sur un écran, dans leurs bidonvilles. Ils ignoraient que certains pays possédaient tout tandis qu'eux ramaient pour rien.
En France, la Révolution aurait eu lieu beaucoup plus tôt si les serfs avaient eu un petit écran pour regarder le luxe des Rois et des Reines.
(...) Ce phénomène est récent : on l'appelle la mondialisation mais son vrai nom est télévision.
La mondialisation est économique, audiovisuelle, cinématographique et publicitaire, mais le reste ne suit pas : ni le politique, ni le social." p.145
"Ecoute, je suis chrétien, il est musulman et t'es juif, ce qui veut dire qu'on croit tous dans le même Dieu, OK? Alors tu te calmes. On a qu'à prier dans nos trois religions, comme ça Dieu aura trois fois plus de chances de nous entendre et d'ouvrir cette goddam door!" p.183
" J'en veux beaucoup à l'inventeur du parachute de bureau de n'en avoir eu l'idée qu'après la tragédie. Ce n'est pourtant pas une création très compliquée : tu n'aurais pas pu y penser avant, pauvre connard? J'aurais aimé voir des centaines d'hommes et de femmes se jeter dans le vide avec leur sac sur le dos, et leur parachute s'ouvrir au-dessus de WTC Plaza. J'aurais aimé les voir planer dans le bleu, narguer la pesanteur et les terroristes, poser le pied sur le béton, tomber dans les bras des pompiers." p.184
" Débris de gens du monde entier. United Colors of Babel." p.188
" Le Windows of the World était une chambre à gaz de luxe. Ses clients ont été gazés, puis brulés et réduits en cendres comme à Auschwitz. Ils méritent le même devoir de mémoire." p.334
D'autres avis : Praline - Restling - Daniel Fattore
L'homme public ne me donne pas du tout envie de découvrir l'écrivain, c'est plus fort que moi
RépondreSupprimerMoi aussi au départ je ne voulais pas lire Beigbeder à cause de son image "public" ou tout du moins ce que j'avais entendu de lui même si j'avais adoré le film de 99 F.
RépondreSupprimerMais ensuite je l'ai vu la semaine dernière dans La grande librairie et tous mes préjugés sont tombés à l'eau pour me donner envie de le lire enfin.
J'ai chez moi, Nouvelles sous ecstasy et 99 F mais celui-là me tente bien maintenant.
PS / C'est raison et sentiments qui a enfin pu te poster un commentaire =D
J'ai mis un bout de temps avant de lire Beigbeder. Tout comme toi, le personnage public m'agaçait et il est vrai que contrairement à d'autres écrivains, l'oeuvre est difficilement séparable de l'auteur.
RépondreSupprimerUne amie me disait : "Beigbeder est comme tous les autres hommes, il a juste besoin d'un gros câlin"^^
@ Raison et sentiments : Je ne savais pas qu'il y avait un problème pour poster des commentaires :/
RépondreSupprimer" Nouvelles sous ectasy" est le livre que j'ai le moins aimé.
Je ne le conseillerais pas à qui veut commencer à lire l'auteur.
Mais j'ai lu que Cécile QD9 l'avait aimé et je crois que c'est de toutefaçon une bonne chose de lire cet auteur dans l'ordre de ses publications pour se rendre compte à quel point il se bonifie avec le temps (enfin c'est mon avis) ;)
Marrant de lire les commentaires et j'ai envie de dire "pareil" : j'ai lontemps résisté à la lecture de cet auteur car l'homme et surtout le battage médiatique m'exaspéraient.
RépondreSupprimerJ'ai changé d'avis avec "L'Egoïste romantique". L'homme avait muri, cabotinait moins et surtout le thème m'intéressait. Depuis j'ai lu 4 de ses livres et je les ai tous aimés (avec un petit bémol pour 99 francs).
Cela dit, je ne suis pas encore prête à lire celui-ci car pour moi le 11/09 c'était hier et je ne supporte toujours pas l'idée de lire un roman sur le sujet. Mais ça viendra, je le sens.
oui j'ai aimé les nouvelles mais je ne conseillerais pas de commencer par ça car je trouve que les nouvelles ne sont pas représentatives de l'oeuvre d'un auteur.
RépondreSupprimerJ'ai également mis quelques livres en attente par crainte d'avoir à affronter de trop vives impressions.
RépondreSupprimerLa littérature est affaire de sensibilité et de moment.
C'est aussi la raison pour laquelle j'aime posséder les livres : pour pouvoir m'y replonger lorsque l'envie du moment m'y pousse.
J'avais aimé aussi mais c'est toujours avec beaucoup d'émotion que j'y repense. Surtout en ce moment avec toutes les commémorations autour du 11 septembre...
RépondreSupprimerCe livre m'a glacée tout un été et pourtant j'étais alors dans la chaleur de la Sicile mais, rien à faire, ces vacances-là restent avant tout marquées par le souvenir de cette lecture! Je ne m'attendais pas à tant de sérieux chez cet auteur!
RépondreSupprimerSon dernier livre est encore meilleur!
Oui, j'ai de plus en plus de mal à attendre sa sortie en Poche :)
RépondreSupprimerUn beau billet que voilà! Sur un ouvrage effectivement bien écrit.
RépondreSupprimerMerci pour le lien!
C'est vrai qu'on oublierait presque Beigbeder dans ce livre s'il n'avait le mauvais gout de rapporter tout à lui. Bon je critique mais j'avais bien aimé sur le coup.
RépondreSupprimerJ'ai aimé ce livre de Beigbeder, pourtant moi aussi je trouve le personnage public insupportable.
RépondreSupprimerJe n'ai pas aimé ce roman. Je trouve inadmissible que l'écrivain mette en parallèle sa vie et l'événement du 11 septembre. C'est à la fois choquant et inintéressant.
RépondreSupprimer@Nicolas : Je pense que des événements comme celui-là donnent à réfléchir sur notre place dans le monde, sur les notions de vie/mort, sur nos erreurs.
RépondreSupprimerC'est dans cette optique que j'ai lu et apprécié ce livre.
Mais je comprends que la démarche puisse être jugée narcissique et choquante, les attentats du 11/9 nous avaient tous secoués à l'époque et restent un sujet sensible.