"Plage de Manaccora, 16h30" est le 8ème roman, paru en 2009, de l'écrivain français Philippe Jaenada, salué par la critique et le Prix de Flore pour son roman "Le Chameau Sauvage".
Voltaire, écrivain quadragénaire, passe ses vacances d'été dans le Sud de l'Italie avec sa femme Oum et leur fils Géo.
Mais un événement interrompt rapidement les vacances : un feu de forêt se déclare au milieu de cette région aride exposée à un soleil de plomb et parsemée de pins.
Comme les autres vacanciers, Voltaire et sa famille se retrouvent coincés dans un incendie qui se propage à une vitesse folle et les pousse à prendre la fuite d'un point à un autre, pour un répit toujours de courte durée.
" Pour nous, le monde, maintenant, se réduisait à un bout de plage. Il n'y avait rien devant nous, juste une statue de la Vierge et un mur vert infranchissable, et rien derrière, une barrière de flammes puis la désolation noire.
Plus rien d'autre ne pouvait nous servir de décor que ce bout de plage, qui rétrécissait." p.147
Je ne connaissais Philippe Jaenada que de nom et lorsque Cécile m'a offert ce roman, je ne savais pas du tout de quoi il était question.
Comme vous l'aurez compris, "Plage de Manaccora, 16h30" est un récit catastrophe.
Il ne faut pas longtemps au lecteur pour deviner qu'un malheur se prépare et pour entrer dans l'action.
Les différents personnages sont à peine esquissés au début et l'on devine que l'intérêt de l'auteur est de les examiner par le prisme d'une situation extrême pour révéler leurs vraies personnalités.
Certains se montrent vaillants, d'autres beaucoup moins. Parmi eux se trouve Voltaire, le narrateur, qui apparaît comme un homme effacé derrière une femme habituée à endosser toutes les responsabilités du couple. A mesure que le danger et la tension montent, il va peu à peu s'affirmer dans son rôle de père de famille soucieux de protéger les siens, raison pour laquelle on lui pardonne ses petites lâchetés.
" - Oum ! (J'ai un peu regretté, mais c'était sorti.)
- Il faut que j'aide la dame !
J'ai eu envie de dire quelque chose comme : "Laisse-la, elle a bien vécu!", mais cette fois, je me suis retenu. Pourtant, c'était sincèrement ce que je pensais : je ne trouvais pas normal que nous mourions en essayant de sauver une vieille femme. Je ne voulais pas mettre en jeu la vie de mon fils (et celle de ses parents, soyons honnête) pour que cette brave grand-mère reste quatre ou cinq ans de plus sur terre.
J'ai continué à avancer avec Géo, en ralentissant tout de même un peu pour ne pas abandonner Oum. Je voyais la femme que j'aimais à la traîne, ma raison d'être, sur fond de flammes et de fumée, et ça m'ouvrait les entrailles - tout ce que je réussissais à penser, c'était : "Laisse-la griller, et tu pourras filer." (C'est dans les situations délicates qu'on comprend qu'on est moins altruiste qu'on l'espérait. J'ai été obligé d'admettre à cet instant, et pour le restant de mes jours, que je n'étais pas prêt à risquer la mort, encore moins celle de ma femme et de mon fils, pour sauver quelqu'un. C'est la honte, mais c'est la vie.)" p.60
Mais cette position est un leurre : Voltaire a peur et s'abrite derrière les souvenirs et le second degré pour relativiser ce qu'il vit.
L'auteur nous gratifie dès lors d'anecdotes savoureuses qui permettent non seulement de faire plus ample connaissance avec l'attachant Voltaire et son rapport à la mort mais présentent également l'avantage de casser le rythme effréné du récit, de relâcher la tension, pour faire souffler le lecteur (un peu comme dans un épisode de "Lost", la schizophrénie en moins).
Un choix narratif des plus judicieux pour moi qui ne suis pas férue des récits apocalyptico-anxiogènes (je suis inhumaine, vous l'ignoriez?)
" Avant que nous ayons tout à fait quitté le parking, un bruit violent de verre explosé nous a stoppés : le tatoué chauve qui tournait autour des voitures venait de lancer une pierre (je suppose) dans la vitre d'une petite Fiat rouge. Il a ouvert la portière et plongé sous le volant, certainement pour arracher et connecter les fils ( je crois que je n'aurais jamais l'occasion d'essayer ça, mais j'aimerais bien, on doit se sentir gangster désinvolte, la caméra sur soi - et fuck them all). Ce devait être un voyou, à la ville, un petit braqueur de quartier (on y pense pas, mais ils ont bien le droit d'aller se baigner de temps en temps). C'est parfois très utile, comme formation, ça donne un net avantage sur les autres quand il s'agit de foutre le camp de ce traquenard.
Sous les yeux incrédules des indécis (pas un touriste tremblant ne s'est risqué à monter à côté de lui, les voyous ont leurs propres codes et des réactions imprévisibles - "Vire-moi ton bermuda d'ici, papa, ou je te saigne comme un mouton"), il a démarré en quelques secondes, tout le monde ayant conscience qu'il était en train de condamner à mort une gentille petite famille encore dans la montée ("Va doucement, mémé, on a le temps"), et s'est fait la belle en trombe - en trombe de Fiat, tout est relatif, Fuck them all, sourire édenté.
(Deux jours plus tard, dans La Gazzetta del mezzogiorno, je lirais trois lignes sur le cadavre anonyme retrouvé calciné dans la carcasse d'une Fiat. Ses amis truands de supérette, à Naples, se demandent où il est passé.)" p.128
Pour le reste, la patte de l'auteur est bien là : un humour décalé, de longues phrases traversées de parenthèses voire de doubles parenthèses, un style qu'il m'a fallu apprivoiser non sans mal.
J'ai trouvé certaines phrases interminables et il n'est pas rare que je dusse en décomposer certaines pour arriver à comprendre leur sens.
Autre bémol : la fin ! J'aurais préféré que l'auteur s'en tienne au retour au pays de Voltaire et de sa famille, les fausses frayeurs (le problème de bateau et l'incident du parachute pour ceux qui l'ont lu) n'ajoutant selon moi rien au récit.
" L'habitude, quand même, a aussi du bon, je me disais. Ca souligne les souvenirs. J'aime les souvenirs, c'est à peu près tout ce qu'on a de sûr, d'intime et dense, une collection précieuse, inaccessible, dedans, : ils se polissent d'eux-mêmes sans qu'on y pense, et prennent, les bons comme les mauvais, une charge de douceur rassurante, lointaine, une enveloppe aimable.
Ils restent là, on peut en profiter quand on veut. J'aime me revoir dans le passé, me rappeler ce que j'étais, ce que j'ai fait à tel endroit où je me trouve maintenant, plus vieux, je m'émeus tout seul, nouille." p.16
J'ai donc eu un coup de coeur pour l'humour de l'auteur mais nettement moins pour l'histoire dans sa globalité. J'ai bien l'intention de lire "Vie et mort d'une jeune fille blonde" déjà dans ma PAL et pourquoi pas "Le Chameau sauvage"?
"Plage de Manaccora, 16h30" fait partie de la sélection française du Prix QD9 lancé par Cécile.
D'autres avis : Amanda Meyre - CécileQD9 - Yv - Cunéipage - L'Ogresse - Cathulu
C'est pour moi le roman le plus decevant de Jaenada. 'Le Cosmonaute', 'Le chameau sauvage' et 'Vie et mort de la jeune fille blonde' lui sont bien superieurs.
RépondreSupprimer@L'Ogresse : tant mieux alors si il me reste les meilleurs ;)
RépondreSupprimer"un humour décalé, de longues phrases traversées de parenthèses voire de doubles parenthèses" : moi, c'est justement ce qui m'a plu dans "Le chameau sauvage" !
RépondreSupprimer@Ys : l'humour oui mais parfois l'auteur abusait trop des parenthèses et pour moi ça devenait illisible.
RépondreSupprimerC'est quitte ou double ;)
j'attends ton avis sur un prochain titre
RépondreSupprimerLes extraits que tu cites me donnent envie de découvrir cet auteur (j'en avais déjà envie en fait) mais ce roman-ci ne m'a jamais attiré. Je choisirai donc un autre titre.
RépondreSupprimerDes doubles aprenthèses ? Je comprends que ce soit un peu rude à lire au départ.
RépondreSupprimer@Anne Sophie : ça marche ;)
RépondreSupprimer@Manu : oui, apparemment mieux vaut se tourner vers "Le Chameau sauvage" ou "Vie et mort d'une jeune fille blonde" ;)
@Alex : il faut s'y habituer, j'y arrivais la plupart du temps mais parfois c'était loooooooong ^^
J'ai lu le chameau sauvage mais je n'en garde pas de souvenirs précis....
RépondreSupprimerIl est dans ma PAL aussi. J'avais adoré l'humour du Chameau sauvage, ... l'histoire un peu moins. Aussi ! :)
RépondreSupprimerheureuse que cette première incursion dans l'univers Jaenadesque se soit bien passée et qu'elle te donne envie de récidiver. Tu connais mon inconditionnel admiration pour Le Chameau Sauvage qui est pour moi le must, la cultitude faite roman. Eh bien je crois que Vie et mort de la jeune fille blonde est celui qui vient juste après dans mon palmarès personnel.
RépondreSupprimerInconnu encore! Je vais commencer aussi avec le chameau, par prudence!
RépondreSupprimerCe roman me faisait de l'oeil à sa sortie, puis je l'ai oublié. Mais je dois avoir un titre de cet auteur dans ma super PAL ! :P
RépondreSupprimerTa remarque sur la longueur des phrases me donnent pa très envie. En tout cas, la couverture est remarquable.
RépondreSupprimeret mon avis : http://liliba.canalblog.com/archives/2011/03/08/19999035.html
RépondreSupprimer(adoré)