31 août 2011

Des bleus à l'âme - Françoise Sagan


Publié en 1972, "Des bleus à l'âme" est le 9ème roman de l'écrivaine française Françoise Sagan, notamment auteure de "Un peu de soleil dans l'eau froide", "Bonjour Tristesse", "Un certain sourire", "Les merveilleux nuages" ou encore du journal "Toxique".

Sébastien et Eléonore Van Wilhem, frère et soeur issus de l'aristocratie suédoise, débarquent à Paris sans un sou.
Sébastien, soucieux d'offrir une vie royale à Eléonore, réussit sans peine à rentrer dans les bonnes grâces de la riche Nora Jedelman, tandis que sa soeur passe le plus clair de son temps dans leur petit appartement, à lire des romans policiers en attendant impatiemment son retour.
Mais Eléonore s'ennuie, les journées sont longues sans Sébastien, jusqu'au jour où leur ami Robert la présente à Bruno Raffet, jeune premier du cinéma qui tombe rapidement dans ses griffes...

" Ce ne sont pas les plages qui se dévident dans des décors de rêve, ce n'est pas le Club Méditerranée, ce ne sont pas les copains, c'est quelque chose de fragile, de précieux que l'on saccage délibérément ces temps-ci et que les chrétiens appellent "l'âme". (Les athées aussi, d'ailleurs, sans employer le même terme).
Et cette âme, si nous n'y prenons pas garde, nous la retrouverons un jour devant nous, essoufflée, demandant grâce et pleine de bleus...
Et ces bleus, sans doute, nous ne les aurons pas volés." p.132

Voici en quelques lignes le résumé de cette histoire dont la trame ne surprendra en rien les lecteurs de Sagan.
Sébastien et Eléonore m'ont parfois fait penser au vicomte de Valmont et à la marquise de Merteuil, les deux héros des "Liaisons dangereuses", en raison de leur personnalité aventureuse qui ne s'embarrasse pas de scrupules.
Complices blasés, "incapables capables de tout", tous deux vivent au jour le jour, se laissant volontiers entretenir par leurs amants de passage et éprouvant un plaisir cynique à plaisanter de leur situation.
Bien qu'ils soient conscients de leurs actes, ils gardent toutefois une certaine insouciance et ne se doutent pas des effets dévastateurs que leurs combines peuvent avoir sur des vies.
Si j'ai rapidement été exaspérée par leur parasitisme, j'ai également pris en pitié ces deux êtres toujours indifférents à ceux qui les entourent et auxquels Sagan se charge d'ailleurs bien de faire payer le prix fort...
Jusque là, rien de bien neuf sous le soleil me direz-vous...

" Il avait trop d'atouts, elle n'en avait plus assez, il tenait trop à ceux qu'il avait, elle ne tenait plus à ceux qui lui restaient.
Dans les rapports passionnels, il faut bien considérer que le seul "Panzer" indestructible, le seul canon à très longue portée, la seule mine inévitable et en plus, horreur, la seule bombe qu'on ne puisse pas jeter à la tête des autres, celle qui, du même coup, prolonge affreusement le combat, c'est l'indifférence.
Elle en avait derrière elle un stock suffisant pour ravager les champs meubles qu'étaient la poitrine de ce garçon et ses flancs, ses flancs semés de poils dorés comme autant de moissons; elle avait assez de canons fatigués pour viser droit ce coeur battant dans le noir, près du sien." p.121

Mais, là où "Les bleus à l'âme" sort des sentiers habituellement empruntés par la romancière, c'est lorsque celle-ci, en marge de son récit, prend la plume en son nom, se raconte et assume ses doutes, ses colères sur des sujets aussi variés que Dieu, l'argent, l'égalité entre les sexes, la mort, la drogue, l'alcool, le couple, le nouveau roman, son rapport à l'écriture, à ses lecteurs ou encore aux critiques.

" Eléonore et le jeune homme dansaient dans une boîte de nuit...
Catastrophe ! Qu'ai-je dit ? Me voici retombée dans le petit monde de Sagan et des boîtes de nuit...
En ce moment il est curieux, pour moi qui lis les journaux, de voir à quel point un auteur, qu'il s'appelle Troyat ou Jardin, ou n'importe qui, à l'instant où il fait entrer ses personnages dans une boîte de nuit, évoque aussitôt aux yeux des critiques mon joli nom.
Il semblerait que je sois devenue l'Hélène Martini de la littérature." p.107

"Des bleus à l'âme" offre une construction hétérogène, qui suit le fil des pensées de l'auteure, partagée entre son envie de "digresser" sur des sujets qui lui viennent spontanément à l'esprit, et la nécessité d'avancer dans l'écriture de son roman.
Durant ma lecture, j'ai souvent eu l'impression que l'oeuvre fictionnelle n'était qu'un prétexte pour l'auteur à parler d'elle ouvertement, un moyen de se soustraire un temps à son rôle d'écrivain.
Et je m'en réjouissais, tant Sagan m'est apparue comme une femme libre, réfléchie, modeste, franchement cynique, moqueuse (y compris envers elle-même) et bien plus profonde que ses romans le laissent croire !
Il m'était facile de me la représenter assise à sa table de travail, perdue dans ses pensées, se rappelant de temps à autre que ses personnages attendaient leur sort.
J'ai particulièrement aimé cette fin habile orchestrée par Sagan pour rencontrer ses personnages !

"Des bleus à l'âme" est un roman assurément autobiographique - tant la fiction semble ici secondaire - et qui, à mon sens, ravira tout lecteur curieux d'en découvrir davantage sur la personnalité riche de Sagan, à travers ses propres mots.
Un vrai coup de coeur qui vient d'ailleurs de détrôner "Un peu de soleil dans l'eau froide" au rang de favori et que je suis certaine de relire plus d'une fois, tant nombreux de ses mots ont trouvé écho en moi :)

" Il est évident aussi que je n'en ai pas pour autant la moindre estime pour moi-même, n'ayant jamais cultivé vis-à-vis de moi que le goût infernal et incessant de plaire. Jamais celui d'être respectée.
Le respect m'est complètement indifférent, et cela tombe bien, d'ailleurs, car entre mes Ferrari conduites pieds nus, les verres d'alcool et ma vie débridée, il serait bien extravagant que quelqu'un me considérât comme respectable - à moins que, parfois, une phrase, dans un de mes livres, ne l'ait atteint et qu'il s'en souvienne et me le fasse savoir.
Mais là, il me semble toujours que cette phrase, ce projectile affectif a été tiré par moi au hasard, comme par un fusil au canon coudé, et que j'en suis aussi peu responsable que de l'air du temps." p.126

D'autres avis : Delphine - George - Lili Galipette - Anne (de poche en poche) - Asphodèle


15 commentaires:

  1. Encore un très beau livre de Sagan, parmi mes préférés aussi. Quelle lucidité envers elle-même et quelle façon élégante de se raconter

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  2. J'ai beaucoup aimé ce livre ! http://fibromaman.blogspot.com/2009/10/francoise-sagan-des-bleus-lame.html

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  3. Et beh !! Tu en parles vachement bien !!! :)

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  4. Pour moi aussi, ce livre-là garde une place très particulière, on a tant l'impression de sonder l'âme de Sagan !

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  5. ps: tu peux plutôt mettre le lien vers le nouveau blog ? Merci http://delphinesbooksandmore.fr/des-bleus-a-lame-de-francoise-sagan

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  6. Cela me fait penser que j'en ai toujours un à lire de Françoise Sagan dans ma PAL.

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  7. Si, je t'assure ma zaz, tu es une fille très estimable et très respectable ! :D

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  8. Fascinante femme que Sagan, écrivaine, révoltée, incomprise, en avance sur son temps, libre à mourir à petit feu, avec des palliatifs pour s'accepter ou être acceptée dans cette société formatéeet d'uniformisme!

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  9. Un coup de coeur pour moi aussi, découvert juste après avoir vu le biopic avec Sylvie Testud au ciné.

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  10. Suite à ton billet, je me suis acheté "un peu de soleil sous l'eau froide" que je ne connaissais pas. Et je n'ai même pas encore eu le temps de le lire que tu présentes un autre titre, tout aussi inédit dans mon cerveau, et qui semble tout aussi incontournable...

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  11. j'ai beaucoup aimé dans ce roman les passages autobiographiques, les doutes de l'écrivain, sa difficulté à écrire, son regard distancié sur son oeuvre !

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  12. je le note donc, car j'ai envie de découvrir d'autres lectures de sagan, en dehors de celles de ma PAL ;)

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  13. Il est dans ma PAL et comme tout le monde semble avoir aimé.

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  14. Il va falloir que je me décide un jour où l'autre à découvrir cette romancière si riche, dense et profonde qu'était Françoise Sagan. Alors qu'elle me paraissait être de façade, superficielle et légère, je rencontre un auteur réfléchi, très intelligente et brillante ... A lire très vite, alors !

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  15. Je ne l'ai jamais lu et il doit être vraiment intéressant. Je le note.

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