Publié en 2009, "Ru" est le premier roman de l'écrivaine québecoise d'origine vietnamienne Kim Thuy.
A l'âge de 10 ans, l'auteure s'est vue contrainte de quitter son pays, le Vietnam, avec une partie de sa famille et quelques 2000 autres "boat people". Avant de rejoindre le Québec, ces hommes et ces femmes échouent en Malaisie, dans un camp de réfugiés à l'espace limité et aux conditions sanitaires plus que douteuses.
Kim Thuy évoque la misère et l'arrivée des communistes sur sa terre natale, la débrouillardise de chacun mais aussi la solidarité pour pouvoir survivre.
Peu importe la dureté de son climat, l'auteure salue la générosité de sa terre d'accueil et de son peuple qui lui ont offert à elle et ses proches un nouveau départ et une indépendance auxquels ils ne pensaient plus pouvoir prétendre.
" Je crois que la guerre et la paix sont en fait des amies et qu'elles se moquent de nous.
Elles nous traitent en ennemis quand ça leur plaît, comme ça leur convient, sans se soucier de la définition ou du rôle que nous leur donnons. Il ne faut donc peut-être pas se fier à l'apparence de l'une ou de l'autre pour choisir la direction de notre regard. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui ont pu préserver leur regard, peu importe la couleur du temps, du moment.
(...) La vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite." p.22
"Ru" apparaît comme une histoire de départ, de sacrifices et de rencontres.
Kim Thuy raconte les difficultés et la peur de l'exil vers une terre promise qui demeure inconnue et le sentiment de déracinement du au manque de repères face à une culture diamétralement opposée.
Le rapport à la famille et à la maternité est également très présent dans ces lignes. Si l'auteure affiche un certain détachement pour les choses matérielles et l'amour d'un seul homme, elle laisse entrevoir un lien très fort avec ses parents, ses oncles, ses tantes et ses deux fils dont elle prépare l'avenir en leur inculquant les notions de vie simple et de partage.
" J'avais oublié que l'amour vient de la tête et non pas du coeur. De tout le corps, seule la tête importe.
Il suffit de toucher la tête d'un Vietnamien pour l'insulter, non seulement lui mais tout son arbre généalogique. C'est ainsi qu'un timide Vietnamien de huit ans s'est transformé en tigre furieux quand son coéquipier québecois a frotté le dessus de sa tête pour le féliciter d'avoir attrapé son premier ballon de football.
Si une marque d'affection peut parfois être comprise comme une offense, peut-être que le geste d'aimer n'est pas universel : il doit aussi être traduit d'une langue à l'autre, il doit être appris.
Dans le cas du vietnamien, il est possible de classifier, de quantifier le geste d'aimer par des mots spécifiques : aimer par goût (thich), aimer sans être amoureux (thuong), aimer amoureusement (yeu), aimer avec ivresse (me), aimer aveuglément (mu quang), aimer par gratitude (tinh nghia).
Il est donc impossible d'aimer tout court, d'aimer sans sa tête.
J'ai de la chance d'avoir appris à savourer le plaisir de lover ma tête dans le creux d'une main, et mes parents ont de la chance de pouvoir capter l'amour de mes enfants quand ces derniers leur donnent des baisers dans les cheveux, spontanément, sans protocole, pendant une session de chatouilles au lit.
Moi, j'ai touché la tête de mon père une seule fois. Il m'avait ordonné de m'appuyer sur lui pour sauter par-dessus la rampe du bateau." p.102
Au récit de sa propre histoire, l'auteure mêle des témoignages d'autres Vietnamiens qui comme elle ont connu l'horreur de la guerre et en ont gardé des séquelles ou qui au contraire se sont sacrifiés pour que d'autres puissent aspirer au "rêve américain".
Le schéma narratif de ce roman est particulièrement intéressant. Dépourvu de chapitrage et ménageant de larges espaces entre chaque bloc de phrases, il évoque cette mémoire qui vous prend par surprise, par flash-backs, le dépaysement, la difficulté de composer avec des réalités présentes et passées, de passer d'une culture à une autre tout en gardant son identité.
Chaque histoire semble se clore sur elle-même avant de se prolonger quelques pages plus loin.
Aussi, bien que le roman parte un peu dans tous les sens, je ne me suis pas sentie perdue pour autant.
Pour ne rien gâcher, l'écriture sensible et pudique de ce roman est magnifique ! J'étais d'autant plus impressionnée quand j'ai appris que Kim Thuy avait écrit ce premier roman en français.
Malgré la dureté des histoires rencontrées, le ton ne se veut en rien misérabiliste. Ici la douleur se devine plus qu'elle ne s'expose et il se dégage finalement de ce roman un puissant hymne à la liberté.
Un coup de coeur pour 2012 et pas des moindres, youhou !
D'autres avis : Kathel - Keisha - Jules - Val - Mango - Choco - Cathulu
Un excellent souvenir de lecture. C'est écrit magnifiquement.
RépondreSupprimerOui et pour cette raison, je serais curieuse de découvrir d'autres titres de cette auteure !
SupprimerComme Mango, un excellent souvenir de lecture. J'ai aimé ce mélange des genres et cette narration particulière, sa simplicité et sa subtilité. Oui, yohouu :)
RépondreSupprimer( oups, je t'ai taguée -)
J'ai vu le tag et j'y réponds demain normalement ;)
SupprimerJe suis toujours contente de voir une auteure avoir du succès surtout lorsque son livre traite de sujets douloureux sans être trop lourd... Un beau souvenir pour moi également!
RépondreSupprimerOui, elle a trouvé le ton juste pour aborder des sujets pourtant difficiles !
SupprimerUn coup de coeur pour moi aussi... comme tu as dû t'en rendre compte ;-)
RépondreSupprimerJ'espère qu'elle écrira de nouveau.
J'espère aussi qu'elle en écrira d'autres et que ce n'est pas l'auteure d'un seul livre, comme c'est parfois le cas d'écrivains qui débutent par l'autofiction et ne savent plus quoi écrire ensuite.
SupprimerUne piqure de rappel...je l'ai noté, emprunté à la biblio sans avoir eu le temps de le lire ( honte à moi!)
RépondreSupprimerOui honte à toi car il n'est pas très long en plus :P Cela dit, j'ai quand même pris mon temps pour le lire, pour ne rien perdre de cette belle écriture !
SupprimerIl est noté depuis longtemps, il me reste à trouver un (petit) créneau pour le lire.
SupprimerJe suis ravie que tu aies eu ce coup de coeur ! C'est un livre touchant, poétique et simple malgré les thèmes abordés.
RépondreSupprimerOui je ne m'attendais pas à une lecture aussi forte et pudique en même temps, une jolie découverte !
Supprimertentée ! C'est marrant, je viens aussi de lire un livre d'une auteur d'origine Vietnamienne, un livre dont j'ai fait un coup de coeur, dont l'histoire du Vietnam et l'histoire des exilés n'est qu'en back ground dans l'intrigue, mais un ensemble génial tout de même : La double vie D'Anna SOng, de Minh Tran Huy !
RépondreSupprimerJe l'ai acheté à l'occasion de sa sortie poche et c'est l'une de mes prochaines lectures ;)
SupprimerBonjour, j'ai moi même adoré Ru, savez vous qu'elle a aussi écrit un 2e livre: À Toi, publié par Liana Levi, en novembre dernier.
RépondreSupprimerUne autre belle découverte.
J'aime ton enthousiasme ! Je me le suis offert il y a peu, j'ai hâte !
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