Publié aux USA en 1911 et traduit en français en 1969, "Ethan Frome" est un roman de l'écrivaine américaine Edith Wharton, notamment auteure des romans "Le temps de l'innocence", "Les Boucanières", "Chez les Heureux du monde" ou encore des recueils de nouvelles "Les lettres" et "Le miroir".
Starkfield, Massachussets. Ethan Frome occupe une ferme en retrait avec sa femme Zenobia et sa parente Mattie Silver, chargée de prendre soin de cette maîtresse de maison aux maux étranges.
Alors que Zenobia se montre particulièrement dépensière, silencieuse et tyrannique, Mattie offre à Ethan la présence chaleureuse que lui refuse sa femme depuis longtemps, une oreille et une voix qui ont tôt fait d'égayer son quotidien.
Complices, tous deux finissent par éveiller la jalousie de Zenobia qui entend bien éloigner la jeune fille de son mari.
Ethan est-il prêt à affronter les foudres de Zenobia pour garder près de lui la femme qu'il aime désormais ?
" Il semblait faire partie du muet paysage mélancolique, être l'incarnation de sa désolation glacée, tout ce qui en lui était chaleureux et sensible amarré ferme sous la surface; mais il n'y avait rien d'inamical dans son silence.
Je sentais simplement qu'il vivait dans un isolement moral trop profond pour qu'on y eût accès fortuitement, et j'avais l'impression que cette solitude n'était pas seulement le fruit de son sort, quelque tragique qu'il pût être, mais qu'elle recélait le froid, accumulé couche après couche, de maints hivers à Starkfield." p.27
Troisième rencontre avec Edith Wharton et je dois dire que j'ai davantage été conquise par ce roman que par mes deux précédentes lectures.
Sue le thème de l'amour impossible, l'auteure nous propose la terrible histoire de deux amants qui auraient bien mérité leur chance d'être heureux.
Mattie Silver est une jeune femme enjouée qui subit sans broncher les humeurs de son hôtesse qui malgré leur parenté, ne se montre en rien reconnaissante.
Zenobia reste sa seule famille et sans l'aide de celle-ci, elle n'aurait pas su que faire de sa vie.
Ethan est une malédiction à lui seul, sans cesse entouré par des femmes qui nécessitent son aide. Dans cette ferme qui l'a vu grandir, il a perdu sa mère, décédée des suites d'une lourde maladie.
Zenobia lui fut d'une aide inestimable à l'époque - chose qu'elle ne manque d'ailleurs pas de lui rappeler -, aussi songea-t-il tout naturellement à l'épouser. Mais voilà que son épouse devient à son tour étrangement souffreteuse.
En réalité, cette femme s'avère être d'une fourberie sans pareille et c'est non sans amertume que le lecteur découvrira, à l'issue d'une ingénieuse pirouette, que c'est finalement elle, la prétendue victime chétive, qui s'en sortira le mieux, au grand dam d'Ethan sur lequel le sort continue de s'abattre.
A croire que ce pauvre homme auquel rien n'est épargné se veut condamné à séjourner dans sa ferme, cloîtré avec des femmes qui instiguent en lui un profond sentiment de culpabilité.
Quelques années plus tard, un homme de passage revient sur les aléas de cette triste vie.
Voici une histoire tragique qui aurait pu trouver une fin magnifiquement triste à la façon de "Tristan et Iseult" ou de "Roméo et Juliette", sauf que...Edith Wharton est passée par là.
Elle nous offre ici un roman cruel sur la solitude subie, les ambitions et les amours empêchées, un récit construit autour d'un huis-clos dont les personnages recèlent chacun une part de mystère.
J'ai parfois songé à l'influence du roman gothique dans les abondantes descriptions de cette nature sombre qui semble attendre son heure comme dans le passage où Ethan, pris d'une vision fantomatique de son épouse, scellera son propre sort, condamné à vivre.
Bien que les passages dialogués fassent état d'un fossé culturel évident entre le narrateur et les protagonistes, le style élégant et incisif de l'auteure parvient à remettre ces derniers à leur juste place, en les dotant d'une intelligence émotionnelle qui nous les rend attachants.
j'aime beaucoup cette collection d'autant plus quand il s'agit d'Edith Wharton, je le note donc dans mes tablettes !
RépondreSupprimerJe lis ton billet en diagonale parce que je compte bientôt me procurer ce roman.
RépondreSupprimerOui, je suis Edith-Wharton-addicted ! :)
Un très bon Wharton, c'est vrai. Mon préféré reste quand même "Chez les heureux du monde" ("The house of mirth"). J'ai évidemment beaucoup aimé aussi "Le temps de l'innocence" mais je n'arrive plus à la dissocier du magnifique film de Scorsese.
RépondreSupprimerEdith Wharton n'a pas toujours su me séduire et je ne pense pas que celui-ci me plairait.
RépondreSupprimerJ'ai lu plusieurs romans d'Edith Wharton, toujours avec plaisir, celui-ci non, il ne me dit rien. Je le note.
RépondreSupprimerCe roman, très différent des autres romans de Wharton que j'ai lu, est mon préféré. La construction en est parfaite, et l'histoire terriblement cruelle.
RépondreSupprimerC'est stupéfiant comme votre analyse et votre choix rejoignent parfaitement l'avis de Maurice-Edgard Coindreau, le traducteur à la magnifique écriture des Faulkner, Steinbeck, Caldwell, Goyen, etc.
SupprimerVotre argument d'ailleurs pourrait convaincre Manu de le lire, car sa conviction rappelle paradoxalement l'opinion de ce traducteur.
Coindreau, en effet, considérait que Wharton était l'une des dernière représentante de la lignée des "écrivains polis" influencés par la littérature anglaise, avant que n'émerge la créativité proprement américaine des Dreiser, Lewis, Anderson, sans oublier plus tard des écrivaines comme C.McCullers, F.O'Connors, H.Ross Miller, K.Anne Porter, etc.
Dans son "Aperçus de littérature américaine", 1946 Gallimard, il observait néanmoins page 12: "Le groupe des écrivains polis ne compte plus guère que des auteurs finissants et quelques jeunes de nature timide. Bien que n'étant pas sans mérites, ces romanciers pourraient diparaître sans laisser un grand vide. Edith Wharton, disciple de Henry James, qui écrivit au moins un chef-d'oeuvre Ethan Frome (1911), nous apparaît comme la reine mère de cette cour un peu archaïque... etc."
Même s'il précise par ailleurs:"...Edith Wharton que la société bostonienne, trouvant ses livres trop audacieux, avait mise à l'index, et qui avait élu domicile en France, près de Paris et sur la Côte d'Azur..." ("Mémoires d'un traducteur" entretiens recueillis sur France Culture en 1971, Gallimard 1974, page 51).
Résolution 2012 : sortir les boucanières de ma PAL!
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