15 avril 2012

Extrêmement fort et incroyablement près - Jonathan Safran Foer (roman + film)


Publié en 2005 aux USA et traduit en français l'année suivante, "Extrêmement fort et incroyablement près" est le second roman de l'écrivain américain Jonathan Safran Foer, également auteur de "Tout est illuminé" et "Faut-il manger les animaux ?".

Oskar Schell, petit garçon surdoué de 9 ans, a du mal à accepter la disparition injuste de son père dans les attentats du 11 septembre.
Alors qu'il s'aventure dans la chambre de ses parents, il brise un vase et trouve, parmi les débris, une enveloppe au nom de "Black" contenant une clé.
Cette découverte initiera durant plusieurs mois de nombreuses rencontres à travers New-York, à la recherche de la fameuse serrure.
Livré à lui-même tandis que sa mère se plonge dans le travail, Oskar arpente la ville en long et en large, laissant de côté ses nombreuses angoisses et questionnant tous les "Black" susceptibles d'avoir connu son père.
Oskar retrouvera-t-il la serrure, parviendra-t-il à se libérer de sa colère, de son chagrin et de ce lourd secret ancré en lui ?
Et qui est donc ce mystérieux "Locataire" qu'héberge sa grand-mère ?

" J'ai pensé à toutes les choses que les gens se disent, et au fait que tous les gens vont mourir, que ce soit dans une milliseconde, dans des jours ou dans des mois, ou dans soixante-seize ans et demi, quand on vient de naître.
Tout ce qui naît doit mourir, ce qui veut dire que nos vies sont comme des gratte-ciel.
La fumée monte plus ou moins vite, mais ils sont tous en feu, et nous sommes tous pris au piège.
On peut voir les choses les plus magnifiques depuis la terrasse panoramique de l'Empire State Building. J'ai lu quelque part que les gens dans la rue sont censés ressembler à des fourmis, mais ce n'est pas vrai. Ils ressemblent à des gens tout petits. Et les voitures ressemblent à de toutes petites voitures. Et même les autres immeubles ont l'air petit.
C'est comme si New-York était une réplique de New-York, ce qui est sympa, parce qu'on peut voir à quoi ça ressemble vraiment, au lieu de l'impression qu'on a quand on est en plein dedans.
On est extrêmement seul là-haut et on se sent loin de tout.
C'est très effrayant aussi, parce qu'il y a tellement de façons de mourir.
Mais on se sent en sécurité, en même temps, parce qu'on est entouré de tellement de gens.
En gardant toujours une main contre le mur, j'ai prudemment fait le tour de la terrasse en m'arrêtant à chacun des points de vue.
J'ai vu toutes les serrures que j'avais essayé d'ouvrir et les 161 999 831 qui me restaient." p.344

Le livre

"Extrêmement fort et incroyablement près" m'avait été chaudement recommandé par Reka et bien que je n'aie pas été aussi conquise qu'elle, je ne regrette toutefois pas cette lecture.
J'ai, au départ, éprouvé beaucoup de mal à entrer de plein pied dans cette histoire et à suivre Oskar sans avoir envie de lui coller des baffes.
Petit garçon à part, plus éveillé que la moyenne, doté d'une imagination très fertile, Oskar, de par sa différence, est sujet aux moqueries de ses camarades de classe.
Aussi bavard que maladroit, il a souvent tendance à imposer l'étendue de son érudition même auprès de ceux qui n'ont rien demandé, chose qui m'a vraiment agacée.
Il m'a fallu sans cesse garder à l'esprit qu'Oskar, malgré une certaine maturité (parfois un peu trop poussée à mon goût lorsqu'il utilise des expressions comme "sauter" ou "se faire tailler une pipe"...), reste un enfant et que le fait de détenir tant de réponses a pour lui quelque chose de rassurant, sans doute parce qu'elles lui permettent de se raccrocher à ce qu'il connaît dès qu'il se voit confronté à un élément inconnu ou à un sujet sensible qui le met mal à l'aise.
Totalement obnubilé par cette recherche de la serrure qui lui permet de prolonger sa complicité avec son père, il en oublie souvent qu'il n'est pas le fils unique du tout New-York, que sa sensibilité n'est pas la seule à devoir être ménagée et que son chagrin n'est pas une excuse pour pouvoir tout exiger.
Lorsqu'il dit à sa mère qu'il aurait préféré que ce soit elle qui meure à la place de son père, j'ai ressenti un vrai malaise, l'impression qu'au fond de lui il le pensait vraiment.
Il faut dire que tout le roman met en avant la relation père-fils au détriment de la mère, personnage toujours en retrait jusqu'à cette fin surprenante qui m'a laissée perplexe et que j'ai trouvée beaucoup trop "happy end".
Difficile finalement de cerner Oskar, capable de tenir des raisonnements d'adulte mais dont le comportement et le discours restent très enfantins, marqué par des expressions récurrentes comme " se fendre la pêche", "mer de Chine", "tordant", "semelles de plomb", "mille dollars", "raisons d'être",...
Nul doute que le choix d'un jeune narrateur surdoué ait permis à l'auteur de nous emmener plus loin qu'il ne l'aurait fait avec un petit garçon ordinaire en jouant sur la complexité de ses sentiments.

S'agissant du schéma narratif de ce roman, je l'ai trouvé plutôt brouillon dans les débuts.
Chronologie pas forcément limpide, personnages portant le même prénom, incursions épistolaires délivrées sans explication, plusieurs éléments qui ont bien failli me détourner de ce roman avant la fin.
Mais à partir du moment où j'ai compris qui était qui, où et quand, il m'a été plus facile de comprendre et d'apprécier la suite.
Parallèlement à la quête d'Oskar, j'ai découvert l'histoire de ses grand-parents, drôle de couple ayant passé son temps à se dire adieu, et celle du mystérieux "Locataire" muet logeant chez sa grand-mère.
Ce personnage du "Locataire" m'a fascinée mais je ne peux pas trop vous en dire au risque de révéler une partie de l'histoire.
A travers son récit de vie marqué par le bombardement de Dresde en 1945, on comprend qu'il partage avec Oskar cette difficulté à trouver la paix intérieure en passant outre cette douleur à devoir faire le deuil d'un être cher dont tous deux savent que la sépulture ne renferme rien.

Aussi, si cette lecture ne fut pas un coup de coeur, je suis contente d'avoir pu côtoyer ces personnages secondaires qui se révèlent être des personnages à part entière et lesquels m'ont permis d'''oublier" un peu Oskar.

Le film



Comment était-il possible de transposer à l'écran un roman aussi dense ? En pratiquant des coupes dans l'histoire tout en essayant de faire en sorte que le tout tienne encore la route.
Et sur ce coup-là, je dois dire que j'ai été déçue par les choix de Stephen Daldry, particulièrement par ses libertés prises vis-à-vis du manuscrit original.
J'ai découvert un Oskar encore plus à vif, insolent (par exemple dans cette scène où il insulte le gardien de son immeuble), retournant sa colère contre lui même au point de s'auto-mutiler (dans le roman, il se faisait des bleus) et se promenant durant les 2h du film avec un tambourin faisant office de grigri pour les moments difficiles par exemple lorsqu'il lui faut traverser le pont de Brooklyn alors qu'il a une peur bleue des ponts.
Je n'ai pas réussi à m'émouvoir de cette scène comme je n'ai pas du tout adhéré à la fin qu'offre le réalisateur à son personnage, décrétant que comme Oskar a été déçu à l'issue de la recherche de la serrure, il a du coup bien mérité une petite compensation pour avoir enquêté durant des mois (le mot sous la balançoire pour ceux qui ont vu le film).
Cette scène finale va selon moi totalement à l'encontre de la leçon que Jonathan Safran Foer souhaitait inculquer à Oskar : qu'il lui faut accepter de ne pas pouvoir maîtriser son environnement, que certaines questions n'obtiennent pas de réponses et qu'il est indispensable de devoir parfois lâcher prise si l'on veut continuer à vivre.
Et que dire du personnage du "Locataire" ? Pas grand chose car celui-ci se voit presque totalement éclipsé du film.
Si il apparaît à l'écran, on ne sait quasiment rien de son histoire à commencer par la raison de sa présence.
Du coup la révélation quant à sa véritable identité tombe comme un cheveu dans la soupe.

Au final, le fait d'avoir vu le film a fait remonter le roman dans mon estime tant celui-ci se veut extrêmement plus subtil et incroyablement plus intelligent que cette production privilégiant les temps forts et l'émotion à la réflexion profonde.


D'autres avis : Reka - Manu - Mango - Kathel - Liliba - Alex - Keisha - Karine:) - Sandrine - Theoma

31 commentaires:

  1. Ha mais non. On ne met pas de claque à Oskar sans m'affronter auparavant! ;)
    Désolée que le roman ne t'ait pas conquise autant que moi, j'espère que tu n'as quand même pas l'impression d'avoir perdu ton temps...
    Tout à fait d'accord au sujet du film, en revanche : ravie que celui-ci ait permis de mettre en évidence les bons côtés du livre.

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    1. Perdu mon temps ? Non du tout ! D'après les billets que j'ai pu lire à gauche et à droite, les avis sont rarement mitigés : on aime ce roman ou on le déteste.
      Pour ma part, je suis entre deux chaises, partagée entre l'exaspération provoquée par Oskar et l'attachement éprouvé pour ses proches.
      J'ai fini par m'habituer à la narration particulière de ce récit mais je ne peux pas nier avoir eu toutes les peines du monde à y entrer.
      Quant au film vu hier soir, l'homme et moi nous sommes regardés d'un air dubitatif et avec cette impression que le réalisateur nous avait dit durant 2h : " voilà c'est à cet instant-ci qu'il faut pleurer".
      Finalement je me suis retrouvée à dire à l'homme "ah mais tu sais ce n'est pas du tout comme ça dans le roman" et étrangement à défendre ce roman.
      Le seul regret que j'ai est de ne pas avoir réussi à l'apprécier autant que toi ;)

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  2. Ah ben et mon avis ? J'ai moi aussi beaucoup aimé ce roman, je n'ai pas rencontré toutes tes difficultés. Par contre, tu me donnes envie de fuir le film !

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    1. Oups désolée c'est de la distraction car je savais fort bien que tu l'avais lu (et apprécié) :)
      Oh eh bien le cinéma s'est comme souvent emparé des moments forts d'un livre pour en faire un film à Oscar (sans mauvais jeu de mots ^^) racoleur qui fait pleurer dans les chaumières.
      Cela dit, certaines personnes qui ont vu le film sans avoir lu le roman ont un avis plus enthousiaste.

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  3. ma première tentative avec cet auteur (tout est illuminé) m'a découragé de tenter de lire un autre roman de lui

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    1. Apparemment ces deux romans sont très différents. Cela dit je constate que "Tout est illuminé" n'a pas conquis les foules

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  4. Je suis allergique aux romans du genre "raconté par un enfant" et j'ai pourtant été complètement emballé par "EFEIP". Derrière le fouillis très maitrisé, c'est un grand livre sur le vide, le silence, l'absence, ... Pour le film : aucune envie!

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    1. En fait je crois que tu viens peut-être de mettre le doigt sur le fond du problème : il est vrai que j'ai du mal avec les jeunes narrateurs (Holden m'avait aussi agacée dans "L'attrape-coeurs".
      Oui enfin le silence ça vaut surtout pour le Locataire parce que bon Oskar une fois qu'il est lancé :P
      Blague à part, je reconnais que ce schéma est original mais forcément accessible de prime abord. Il m'a fallu un peu de temps pour m'en accommoder

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  5. Mince, moi qui me demandais justement comment un tel roman avait pu être adapté à l'écran, je crois que je ne vais même pas prendre la peine de voir ce film ...

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    1. Très décevant quand on sort du roman en tout cas (et comme cela arrive souvent) :/

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  6. J'ai été moins persévérante que toi : je n'accrochais pas donc j'ai laissé tomber.

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    1. J'ai bien failli aussi mais je suis contente de l'avoir terminé car je serais restée sur une impression beaucoup moins enthousiaste

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  7. Je n'ai ni lu le roman, ni vu le film. La seule tentative que j'ai faite avec l'auteur "tout est illuminé" s'est soldée par un abandon.

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    1. Peut-être que celui-ci te plairait dans la mesure où ce n'est pas du tout le même genre de roman

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  8. Je pense tout de même aller voir le film =)

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  9. Je me souviens bien d'avoir beaucoup aimé ce roman mais je viens de m'apercevoir que j'en ai même fait un coup de cœur! En revanche, je n'ai pas très envie de voir le film, vu ce que tu en dis.

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    1. Disons que le film n'est qu'une pâle copie du roman, et encore "copie" est à prendre avec des pincettes car certaines libertés dans le film m'ont vraiment dérangée

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  10. je suis une des rare à m'être ennuyée.

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    1. C'est clair qu'il faut s'accrocher, surtout au début !

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    2. Je vais finir par me laisser tenter. La photo de couverture est sympa, les commentaires plutôt positifs dans l'ensemble et le film qui vient de sortir... tout cela attise ma curiosité.

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    3. Dans ce cas, mise plutôt sur le roman pour commencer. Malgré mes réticences, je dois dire qu'il y a de bonnes choses dans ce roman (et que l'on ne retrouve vraiment pas assez dans le film d'ailleurs).

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  11. pas envie du livre ni du film...( c'est grave doc?)

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    1. Nope, c'est même tout à fait normal et rassurant de ne pas être tenté par tout :)

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  12. J'ai tenté de lire ce livre mais je me suis très vite arrêtée car comme toi, j'ai eu du mal à rentrer dans cette histoire. Mais au contraire de toi, je l'ai lamentablement abandonnée ; peut-être qu'un jour je réessaierai...!!

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    1. Pour ma part, je ne regrette pas de m'être accrochée. Sans cela, je n'aurais pas découvert l'histoire des grand-parents d'Oskar :)

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  13. Je n'arrive pas à me décider à lire ce roman... Ton billet - et surtout ton commentaire sur le schéma narratif - ne m'aide pas à faire pencher la balance en sa faveur...

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  14. J'avais beaucoup aimé le roman, très beau et très intelligent malgrté son aspect brouillon mais je passe sur le film !

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    1. Oui, je pense effectivement que lorsqu'on a aimé ce roman, mieux vaut en rester avec ses bons souvenirs :)

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  15. Je viens de finir ce bouquin, je suis assez d'accord avec ta critique même si je me suis laissée embarquer... J'étais curieuse de l'adaptation cinématographique mais je crois que je vais m'en passer ! Par contre, je lirais bien "Faut-il manger les animaux?" qui a apparemment créé pas mal de polémiques...

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