Publié en juin de cette année, "Alzheimer mon amour" est un témoignage rédigé par la française Cécile Huguenin.
L'auteure nous parle de Daniel, son mari atteint de la maladie d'Alzheimer et nous livre son point de vue d'épouse, d''aidante", impuissante face à la métamorphose graduelle de cet homme aimé et admiré durant 30 ans.
" Moi seule existe pour toi. Je sens bien que tu m'enfermes. Prudemment, avec tout le tact et la délicatesse qu'on reconnaît à mon entêtement, on commence à m'alerter sur les risques que je prends, sur ce courage insensé qui court à notre perte. Mais je ne suis pas encore prête à l'entendre.
J'ai envie de t'accompagner dans ce néant douillet où lentement tu te dissous. Je m'obstine à inventer notre mythe, je cherche encore un refuge pour nous deux, à l'abri d'un monde que tu as fui et où je ne trouve plus notre place." p.78
Je n'avais au départ pas prévu de lire ce témoignage, tant son sujet me touche personnellement.
Mais une interview de Cécile Huguenin m'a fait changer d'avis et la proposition de Brize d'en faire un livre voyageur a achevé de me décider.
Je n'ai pas l'habitude de m'épancher ici sur ce qui appartient à ma sphère privée. Néanmoins, il me serait impossible d'expliquer la vive émotion que m'a procuré ce livre, sans faire mention de ma propre expérience.
Cela fait maintenant quelques années que mon grand-père souffre, non de la maladie d'Alzheimer, mais de démence sénile.
La décision de le placer en maison de retraite, bien qu'indispensable, ne fut pas facile à prendre pour mon père. Mon grand-père était un homme indépendant. Il y a quelques années encore, soit à plus de 80 ans, il escaladait le toit de sa maison pour changer une tuile, conduisait, nettoyait sa maison et sortait manger à l'extérieur, sans demander de l'aide à personne.
En quelques années de temps, nous l'avons vu passer de vieil homme à vieillard. Cela a commencé par de petites pertes de mémoire (oubli de clés, de médicaments, confusions entre les noms/dates) presque anodines en regard de son âge.
Jusqu'au jour où mon père l'a trouvé en piteux état. Dépareillé, hagard, il avait oublié de s'alimenter et de boire, mélangé sans le vouloir ses médicaments et, pris de vertige, était tombé sur le sol de la salle de bains.
Devenu un danger pour lui-même, il devait désormais compter sur les autres pour pouvoir continuer à vivre.
Mon grand-père fêtera ses 92 ans le mois prochain. Il suit actuellement un traitement qui prévient les chocs électriques produits dans son cerveau. Cependant, les dégâts occasionnés sont irrémédiables.
Chaque visite est source de déchirement pour nous, son entourage, et de confusion pour lui, comme si il ne nous avait plus vu depuis 10 ans. Pris par l'émotion, il pleure, s'essouffle, nous prend dans ses bras pour ensuite retourner à son monde.
Son regard devient vitreux, il marmonne, sans se soucier des discussions autour de lui. Il n'y a plus de dialogue possible avec lui.
Parfois je souris en repensant à une visite il y a deux ans au cours de laquelle mon père lui avait demandé son âge :
- J'ai 90 ans.
- Et tu es né quand ?
- Bah, il y a 90 ans !
J'ai espacé mes visites, trop douloureuses. Aller le voir pour constater l'ampleur des dégâts, dire à chaque fois adieu à l'homme qu'il était, le regarder mourir au ralenti, toujours un peu plus.
Anticiper le pire. Me reconnaîtra-t-il cette fois ? Car il est déjà arrivé que ce ne soit pas le cas.
Appréhender ce jour où toutes les connexions se seront éteintes pour ne laisser qu'une carcasse vide de tout souvenir.
Il est question de tout cela dans "Alzheimer mon amour". Daniel Huguenin a commencé par perdre l'usage des mots. Quoi de plus cruel lorsqu'on a consacré sa vie à la poésie ?
Ensuite vinrent les hallucinations, les chutes, la mémoire qui défaille, les sollicitations de plus en plus nombreuses qui finissent par pousser sa compagne à le faire interner dans un centre d'accueil de jour, puis par la suite dans une institution spécialisée.
Un abîme se creuse entre eux. Elle se sent seule, culpabilise et souffre de l'éloignement de certains amis, trop effrayés par cet inconnu qu'ils admiraient autrefois.
Lui se complaît dans une certaine insouciance. Bien manger, bien dormir : ses seules préoccupations sont ramenées à des besoins primaires.
Pendant ce temps, Cécile Huguenin cherche des réponses auprès des médecins mais l'impuissance de la science n'en finit pas de décupler sa colère.
Désorientée, elle songe au "crime d'amour", au dépaysement à l'étranger. Elle creuse son histoire de vie, tente de comprendre sa maladie et de faire le deuil de cet homme qu'elle aime malgré tout.
" Les visiteurs entrent armés de courage avec un petit bouquet d'amour biodégradable, des chocolats qui ne seront pas mangés, des livres qui ne seront pas lus.
Et pourtant c'est dans l'imminence de l'instant, dans la rencontre entre ceux du dehors et les exilés du dedans que surgit une étincelle d'humanité." p.115
Au-delà de la résonance de ce témoignage avec ma propre expérience, j'ai aimé la justesse du propos dans la façon dont Cécile Huguenin rend compte des obstacles rencontrés et souligne
le caractère imprévisible des maladies neuro-dégénératives.
L'auteure réhabilite le statut d'aidant et dit la détresse et l'épuisement à devoir sans cesse tenter d'apprivoiser l'inconnu et composer avec de nouvelles humeurs et exigences.
Elle évoque la solitude née du sentiment d'avoir perdu un compagnon pour hériter d'un enfant, dépendant d'elle jusqu'à l'étouffer.
La première partie est rédigée à la 3ème personne, comme pour illustrer la difficulté de l'auteure à prendre part à ce qui leur arrive, à accepter que leur histoire, leur couple, ne soit pas immuable.
Le récit est étayé de citations émanant de livres, qu'il s'agisse d'ouvrages en rapport direct ou non avec la maladie ou de morceaux de textes issus de son mari, comme pour célébrer celui qu'il était autrefois.
Jamais Cécile Huguenin ne s'apitoie sur son mari, préférant rester dans la recherche de solutions que déclarer forfait.
Restent les interrogations, nombreuses, dont le fameux : pourquoi ?
" Elle cherche à entrer par effraction dans son désir d'oubli, tout en sentant confusément qu'elle le blesse. Elle a besoin de violer, de creuser des galeries de lumière dans sa nuit compacte pour trouver un début d'explication, une mince empreinte qui lui permettrait de remonter vers l'origine du mal.
Cette quête inutile lui semble le dernier recours pour maintenir un lien entre eux.
A tort, puisqu'elle n'avance pas en connaissance, ni ne progresse en sagesse.
Leurs violences s'affrontent. Chez lui, la passivité massive, impénétrable, la force de l'effacement.
Chez elle, la frustration de l'impuissance, le déni d'abandon, le sentiment de trahison." p.36
Bien que manquant ostensiblement d'objectivité, je ne peux que vous recommander la lecture d' "Alzheimer mon amour" tant je pense que de manière générale, ce récit peut se destiner à quiconque connaît ce sentiment d'impuissance face à la maladie.
MERCI à toi Brize d'en avoir fait un livre voyageur !
Retrouvez ici l'interview de Cécile Huguenin.
D'autres avis : Keisha - Clara - Sandrine - Kathel - Aifelle
Ton billet est très, très émouvant. BIZ
RépondreSupprimerHistoire terrible à vivre mais pour l'instant que faire, sinon, quand on le peut, écrire un énième livre sur la question de l'impuissance face à cette maladie? Sinon, se taire et quand tout est fini chercher à oublier le pire pour ne garder que le meilleur!
RépondreSupprimerTrès joli billet ma Zaz :)
RépondreSupprimerc'est un beau billet, mais je fais l'impasse sur ce type d'histoire
RépondreSupprimerMerci les filles ! Je me suis sentie moins seule en lisant ce témoignage (qui plus est, très bien écrit, ce qui ne gâche rien).
RépondreSupprimerJ'ai d'ailleurs acheté samedi "Le cerveau de la mémoire" de Jonathan Franzen pour avoir un autre angle d'approche.
Une de mes grands-mères est morte de cette maladie et ce que tu dis sur le déchirement, la tristesse que l'on ressent à voir "partir" ainsi quelqu'un qu'on a aimé est très juste. C'est une épreuve douloureuse pour tout le monde. Ce livre a été commandé par ma médiathèque, si j'ai l'occasion je le lirai...
RépondreSupprimerTrès bel article et très émouvant témoignage. Merci de la part de Cécile.
RépondreSupprimerSi j'ai accompagné le livre de Cécile Huguenin c'est qu'il a été pour moi, Mango, le contraire d'un livre d'impuissance. Il m'a donné des réponses que j'aurais bien aimé avoir plus tôt. Quand je n'ai plus pu accompagner ma tante pour toutes les raisons que chacun peut désormais imaginer. J'ai compris depuis ce livre qu'au lieu de fuir la rencontre avec une "mort-vivante", j'aurais du continuer à aller la voir, lui sourire, l'embrasser, la caresser. Bref continuer à l'aimer même si elle n'était plus la même. Elle restait une femme vivante. C'est ce que je retiendrai d'Alzheimer mon amour.
Christian Sauvage
éditeur de ce livre
On lit ce livre avec notre vécu ou nos craintes et il résonne en nous durablement, je m'en rends compte, mais pour moi c'est aussi intimement lié à l'écriture de l'auteur, juste et belle à la fois.
RépondreSupprimerJe suis en train de lire un témoignage de Serge Reznani sur la maladie d'Alzheimer (son épouse en a souffert). C'est extremement emouvant. Je ne suis pas tentée par celui-ci dans l'immédiat parce que c'est un sujet difficile, mais qu'on se le dise : "L'éclipse" vaut aussi la peine d'être lu.
RépondreSupprimerUn livre qui a l'air très fort, mais que je ne lirai pas, je pense.
RépondreSupprimerDe mon côté, justement parce que (comme toi) j'ai une grand-mère âgée à qui on a diagnostiqué un Alzheimer, je ne lirai pas ce livre, aussi juste soit-il.
RépondreSupprimerJe pense qu'une lecture du livre peu être intéressant quand meme, histoire de se faire sa propre opinion
RépondreSupprimerJe pense que ce livre apporte beaucoup et d'autant plus quand on a quelqu'un proche atteint de maladie neuro-dégénérative.
RépondreSupprimerLa grand-mère de mon mari a commencé à souffrir de démence sénile à ses 93 ans. Elle retombait en enfance, ne nous reconnaissait pas. J'appréhendais d'aller la voir et en même temps, même si ça faisait mal, j'étais contente de la voir...
Quel beau billet, Cynthia ! Très sensible, très juste par rapport au livre et en résonance avec de nombreuses expériences possibles de lecteurs. Je pense qu'être capable d'accepter l'impuissance, être seulement présent est un pas énorme. PAs seulement dans l'accompagnement de ce genre de maladie.
RépondreSupprimerAvec ce livre j'ai revécu la vie de mon père dans ses dernières années. La même maladie, mais quoique pas tout à fait les mêmes symptômes, parfois conversation normale avec des gens connus depuis longtemps, mais perte des capacités physiques, marche, etc... J'allais le voir régulièrement dans l'établissement où il était, faisant aussi connaissance d'autres malades, les familles, etc, je ne regrette pas le temps passé là!Maintenat il est parti, mais j'ai quand même des souvenirs forts.
RépondreSupprimerVisiblement un livre choc... J'aime beaucoup ton billet !
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerNous avons en commun, ce qui n'est pas anodin d'avoir aimé "Alzheimer mon amour"
De notre côté il s'agit d'adapter théâtralement le récit de Cécile Huguenin paru aux édition Héloïse d'Ormesson et de l'accompagner de temps de créations partagées.
nous souhaitons vous solliciter pour nous aider à financer cette création de spectacle et les temps de créations partagées avec des aidants/soignants ou avec des résidents de maisons de retraite, nous avons lancer une opération de mécénat via le site de Kisskissbankbank (crowdfunding ) http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/alzheimer-mon-amour/
Pourriez vous nous aider :
- soit en faisant vous même un don (déductible à60% pour les entreprises, et à 66% pour les personnes physiques)
- soit en diffusant, votre compte facebook, twitter, votre site, votre fichier de mail cette information : http://us3.campaign-archive2.com/?u=71b2318c0c16f2e1016ff258d&id=4f3e9b6fe6
merci d'avance
cordialement
Bertrand foly
pour l'équipe de La Pluie d'Oiseaux