19 novembre 2011

Les Femmes - T.C Boyle


Publié aux USA en 2009 et traduit en français l'année plus tard, "Les Femmes" est un roman de l'écrivain américain T.C Boyle, également auteur des romans "America" ou "Talk Talk" ou plus récemment de "L'enfant sauvage".

"Les Femmes" nous emmène à Taliesin, domaine situé dans le Wisconsin, lequel appartenait à l'architecte américain Frank Lloyd Wright, célèbre pour son approche organique de l'architecture comme pour ses frasques amoureuses.
Haut-lieu de la vie conjugale de Wright, Taliesin sera le théâtre de nombreux conflits opposant Frank aux femmes qui partagèrent sa vie et le rempart contre les multiples invasions de la presse qui juge d'un oeil sévère les moeurs de l'homme.
C'est dans cet endroit d'une beauté audacieuse que le jeune apprenti Tadashi Sato fera ses premières armes auprès de Wright.
Bien des années plus tard, il retrace le chemin de vie de cet homme ô combien déconcertant.


Bâti en 1911, Taliesin fut incendié à 2 reprises, en 1914 et en 1925, et sans cesse remanié par Wright qui y passa 48 ans de sa vie. Les fondations comme toutes les oeuvres habillant chaque pièce dénotaient un goût prononcé de l'architecte pour l'Extrême-Orient.
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En marge de l'immense passion vouée à son métier, Frank Lloyd Wright était également connu pour être un grand collectionneur de textiles, gravures, paravents, sculptures, poteries (autant de pièces qui lui servirent souvent de monnaie d'échange pour éponger ses dettes) mais aussi de femmes !
Après avoir quitté son épouse Kitty et leurs 6 enfants, il vivra quelques temps avec Mamah qui devait être la femme de sa vie mais qui trouva la mort dans le premier incendie de Taliesin.

" Personne ne devrait vivre dans une maison de poupée, personne. Or si une femme devient mère sans connaître le vertige de l'amour, elle ressent la maternité comme une dégradation; car ni enfant ni mariage ni amour ne lui suffit, seul le grand amour peut la satisfaire. Or, où était son grand amour ? Où se trouvait son âme soeur ? A Oak Park. Il l'attendait." p.535

L'année suivante signe sa rencontre avec Miriam, femme sanguine dont l'obstination lui donnera bien du fil à retordre au moment de la séparation.
Il faut dire qu'en l'absence de celle-ci, un enfant a été conçu avec une autre femme, Olgivanna, qui tout comme Mamah avant elle, devra accepter de passer pour une gouvernante afin de calmer les médias.

" Les draps pesaient sur Olgivanna comme une pierre tombale. Elle ne s'était jamais sentie aussi lasse. "C'est pourtant ta femme, Frank. Comment est-ce possible ? Comment as-tu pu l'aimer ?"
Il ne vint pas à elle, ne lui prit pas la main, ne lui passa pas le bras autour de la taille, ne lui caressa pas les cheveux pour les tirer en arrière afin qu'ils ne lui tombent plus sur le visage : non, il continua de faire les cent pas, et la question, la question de l'amour, ici et maintenant, resta en suspens. Tout à coup, la chambre parut rétrécir, rapetisser.
Olgivanna eut l'impression de se trouver dans une cellule de prison, mais qui était le geôlier? Lui. C'était Frank." p.144

Frank Wright passa une bonne partie de sa vie en exil ou cloitré à Taliesin en attendant des jours meilleurs, travaillant à longueur de journée dans son atelier tandis que sa compagne du moment et ses apprentis faisaient tourner le domaine du maître.

Frank Lloyd Wright entouré de ses apprentis.
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Sacré bonhomme que cet homme-là ! Avare, constamment endetté (et à juste titre surnommé "Frank l'Ardoise") mais toujours capable de ressources insoupçonnées quand il le fallait, Wright apparaît comme un homme soucieux du qu'en dira-t-on mais uniquement lorsque celui-ci tourne à son avantage.
Séducteur et chaleureux avec les femmes, il savait se faire aimer d'elles et les installer dans son domaine en maîtresses de maison corvéables à souhait.
Au diable les tensions puisqu'il pouvait toujours s'absenter inopinément pour un quelconque chantier...
Même chose pour ses apprentis qui, après s'être acquittés d'une somme conséquente, disposaient du droit de séjourner à Taliesin sous la férule du maître comme de celui d'éplucher ses patates...

Si Boyle dresse un regard chaleureux sur l'architecte et ses créations en totale communion avec la nature, l'ironie est certes bien présente dans la voix de ce jeune narrateur faussement naïf quand il s'agit d'évoquer l'homme et l'époux, particulièrement dans les notes de bas de pages qui m'ont décoché plus d'un sourire !

" Trois maîtresses, trois Taliesin. On ne peut qu'imaginer ce qu'Olgivanna dut ressentir face à cette lignée. Compte tenu de son éducation, elle devait certainement connaître la biographie d'Henri VIII d'Angleterre." p.105
" Il paraissait toujours entretenir une relation conflictuelle avec ses clients, devant lesquels il avait la sensation de devoir s'abaisser pour pouvoir pratiquer son art. Il les "blousait" donc avec des surcoûts et leur réclamait avances sur avances : qu'à cela ne tienne, il jugeait que ce n'était que son dû.
Inutile de préciser qu'il abandonnait ces gens et les projets avec eux, qu'il n'avait aucune intention de compléter hormis par procuration.
Comment dit-on, déjà ? Prends le fric et barre-toi ? " p.543

J'ai particulièrement aimé les descriptions vivantes du domaine de Taliesin, personnage à part entière abritant les humeurs de ses pensionnaires, un lieu qu'il me plairait de visiter un jour.
Si j'ai été émue par les portraits de Mamah et Olgivanna, deux femmes dociles et impressionnables acceptant sans cesse son autorité, j'ai vraiment été excédée par l'hystérie et le manque de dignité de Miriam dont les interventions se voulaient sans cesse reléguées par une presse voyeuriste et inquisitrice (merci l'époque) !
Tout chez elle m'horripilait, de sa façon de critiquer sans arrêt tout et tout le monde depuis le premier jour à son acharnement dans les multiples attaques portées à son mari pour violation du Mann Act, banqueroute volontaire, adultère, "aliénation d'affection" et j'en passe.
Il faut dire que Wright a le don de susciter l'admiration comme la rancoeur ! En tant que femme, génie ou pas, j'aurais débarrassé le plancher vite fait...

Malgré mon engouement pour ce roman, j'ai tout de même souffert de quelques longueurs s'agissant du mal de mer de Wright (on le saura!), des périodes d'exil avec ses femmes et des discussions y afférant, un peu comme si toutes ces situations s'avéraient interchangeables.
Mais n'était-ce pas finalement le seul mode de vie connu de Frank Wright ? Une existence faite de dettes, de tensions, de séparations, de secrets ?

Olgivanna, Miriam, Mamah, autant de femmes et de chapitres qui s'entrecroisent dans ce roman remarquable de précision pour dévoiler la face cachée, intime du génie.

"Les Femmes" était une lecture commune avec Manu et Zarline dont je file voir les billets !

7 commentaires:

  1. Comme je dis dans mon billet, Loving Frank donne à voir un autre jour mais beaucoup plus fouillé, très journalistique de l'homme, de son oeuvre, des théories sur lesquelles travaillaient Mamah, ... Si tu veux voir d'autres aspects ;-)

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  2. J'ai lu un roman de cet auteur, il y a bien longtemps qui parlait d'immigration illégale aux USA et que j'avais beaucoup aimé.

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  3. Toi et Manu m'avez convaincue... Noté dans mon carnet LAL!

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  4. Je ne connaissais pas ce roman de Boyle, un auteur que j'aime bien mais que j'ai un peu délaissé;

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  5. Je partage totalement ton irritation pour Miriam. Alala, je me réjouissais d'être débarrassée d'elle. Mais dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé cette lecture, peut-être un peu moi que Loving Frank par contre. Si tu as aimé le personnage de Mamah, je te recommande vraiment ce livre. Chez Boyle, je l'ai trouvée presque effacée et odieuse comparée au personnage de Nancy Horan qui m'a beaucoup marquée.
    Merci pour cette LC et vivement la prochaine ;-)

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  6. Un roman en complément de "Loving Franck" alors.

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  7. Il va falloir que je mette un autre TC Boyle à mon programme de lecture... au fait, "L'enfant sauvage" n'est pas un recueil de nouvelles, juste un court roman.

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