24 janvier 2012

Sur la plage de Chesil - Ian McEwan


Publié en 2007 et traduit en français en 2008, "Sur la plage de Chesil" est un roman de l'écrivain anglais Ian McEwan, notamment auteur des romans "Expiation", "L'enfant volé", "Délire d'amour" ou encore du recueil "Psychopolis et autres nouvelles".

Angleterre, 1962. A 22 ans, Edward et Florence s'apprêtent tous deux à perdre leur virginité au cours de leur nuit de noces.
Mais à l'issue du repas, alors que le jeune marié trépigne d'impatience à l'idée de consommer son mariage, Florence, elle, commence à réaliser tout ce qu'implique un engagement "corps et âme"...

" C'était encore l'époque - elle se terminerait vers la fin de cette illustre décennie - où le fait d'être jeune représentait un handicap social, une preuve d'insignifiance, une maladie vaguement honteuse dont le mariage était le premier remède.
Presque inconnus l'un de l'autre, ils atteignaient, étrangement réunis, un des sommets de leur existence, ravis que leur nouveau statut promette de les hisser hors de leur interminable jeunesse - Edward et Florence, enfin libres !
Un de leurs sujets de conversation favoris était leur enfance, moins ses plaisirs que le brouillard de préjugés comiques dont ils émergeaient, ou que les diverses erreurs de leurs parents et leurs pratiques d'un autre âge, qu'ils trouvaient désormais pardonnables." p.14

Au commencement de ce roman, je me suis demandée si cette union ne flairait pas simplement le mariage arrangé.
Or il apparaît que ces deux jeunes gens tiennent l'un à l'autre, malgré un manque évident d'intérêts communs.
Tandis qu'Edward fréquente assidûment les pubs et la bibliothèque du British Museum, toujours fourré dans ses livres d'histoire, Florence ne jure que par les réunions entre copines mais surtout par la musique et les concerts donnés au Wigmore Hall, nourrissant l'ambition tenace d'apparaître un jour sur cette scène en tant que première violoncelliste.
Ce qui réunit ces deux jeunes mariés réside sans doute plus dans cette vision idyllique de l'amour comme dans cette même envie de quitter le monde de l'enfance pour rentrer de plein pied dans cette promesse de liberté que représente pour eux la vie adulte.
Malheureusement, leur manque de communication et leur naïveté maladroite vont quelque peu entraver leur vision du bonheur conjugal.
Le silence pèse dans cette chambre d'hôtel, véritable carcan à l'image d'une société conventionnelle qui emprisonne la jeunesse plus qu'elle ne contribue à son épanouissement. Bientôt la tension et la frustration augmentent chez l'un comme chez l'autre.
Si elle aime sincèrement Edward, Florence n'ose pas lui faire part de sa répulsion physique vis-à-vis de tout ce qui touche à la sexualité.

" Coucher avec Edward ne pouvait en aucun cas représenter le comble du bonheur, c'était le prix à payer pour mériter ce bonheur." p.16

Par peur de le décevoir et de ne pas répondre au devoir conjugal, elle essaie de sauver les apparences comme elle peut jusqu'à ce qu'arrive l'inévitable accident qui les conduira tous deux sur la plage de Chésil, où pour la première fois ils se parleront à coeur ouvert.

" Il avait beau aimer Florence, il aurait voulu la secouer pour la réveiller, la gifler pour la libérer de cette raideur de violoncelliste devant son pupitre, de ces convenances qui prévalaient dans les quartiers du nord d'Oxford, et lui montrer combien c'était simple : une sensualité et une liberté sans limites étaient là, à leur portée, avec la bénédiction du pasteur, en prime - "Je t'appartiendrai corps et âme" -, une liberté coquine de membres dénudés, qui se dressait dans son imaginaire telle une vaste cathédrale aérienne, peut-être en ruine, sans toit, aux voûtes à ciel ouvert, où ils s'élèveraient en apesanteur étroitement enlacés, jouiraient l'un de l'autre et se noieraient, haletants, dans les vagues d'une extase insouciante.
Oui, c'était tellement simple ! Pourquoi n'étaient-ils pas là-haut à cet instant précis, au lieu de rester assis sur ce lit à refouler toutes ces choses dont ils ne savaient comment parler ou qu'ils n'osaient pas faire ?
Qu'est-ce qui les arrêtait donc ? Leur personnalité et leur passé, leur ignorance et leur peur, leur timidité, leur pruderie, leur manque d'aisance, d'expérience ou de naturel, vestige des interdits religieux, leur anglicité, leur classe sociale, et même le poids de l'Histoire. Trois fois rien." p.90

Véritable huis-clos prenant place dans une Angleterre encore rigide et vierge de toute révolution sexuelle, "Sur la plage de Chesil" est un roman prenant de par la tension palpable qui y règne d'un bout à l'autre.
Ian McEwan parvient admirablement bien à se glisser tour à tour dans la peau de ses personnages qui de nos jours feraient davantage penser à des adolescents qu'à des adultes éclairés.
Abordant de front les sujets de l'intimité impossible, de la désillusion, de la culpabilité, de la pression et du manque de liberté exercés par une époque où l'on se marie sans vraiment se connaître, où le sexe demeure tabou et envisageable qu'à l'issue d'un bon mariage, il signe ici un roman psychologique amer, désespéré, et par ailleurs fort réussi.

Une lecture qui m'a réconciliée avec l'auteur !

D'autres avis : Chaplum - Clara - Amanda Meyre - Canel - Keisha - Jules - Kathel

33 commentaires:

  1. Je sais que ce livre a beaucoup plu généralement et pourtant je n'ai pas réussi à en aimer les personnages, ce que je regrette car je reconnais que l'auteur a bien du talent.

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    1. Finalement, l'ambiance de ce roman est plutôt froide, on a pitié de ces 2 personnages plus qu'on s'y attache.

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  2. Depuis j'ai lu Solaire et découvert que l'auteur pouvait faire bien rire aussi!

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    1. Qui sait, ce sera peut-être ma prochaine découverte de l'auteur après "Expiation" qui m'attend encore dans ma PAL ;)

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  3. Je n'avais pas encore vu que toi aussi, tu avais cédé au charme de la citation signée Vargas Llosa : quel formidable discours, n'est-ce pas !

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    1. Oui ! Je ne le connaissais pas avant de le découvrir en introduction d'un carnet de lecture reçu à l'achat de 2 Folio. De quoi me tenir agréablement compagnie pendant un an ^^

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  4. Tu as de la chance. Moi, ce roman n'a pas réussi à me réconcilier avec l'auteur, malgré son écriture magnifique.

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    1. Comme je le disais à Mango, ça peut se comprendre vu le comportement des 2 protagonistes.

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  5. Je n'avais pas du tout aime 'Delire d'amour' (mais adore 'Expiation') et j'avoue que moi aussi ce roman m'a reconciliee avec cet auteur.

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    1. De mon côté j'avais commencé avec le recueil de nouvelles "Psychopolis" et je me rends compte maintenant que j'ai bien fait de ne pas en rester là ;)

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  6. Je n'étais pas très tentée à sa parution, un peu plus maintenant.

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    1. J'ignore si il s'agit du meilleur titre de l'auteur mais en tout cas il se lit bien et le talent est là !

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  7. c'est un livre que j'ai beaucoup aimé et je ne m'imagine pas du tout vivre à cette époque. Moi, acheter des chaussures sans les essayer ça ne plaît pas!!! :o) Le pauvre, il est mal tombé!!

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    1. Cette situation semble très rare à notre époque ! Cet écart est d'autant plus intéressant (et terrible) à découvrir !

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    1. Sans l'avoir adoré, je dois dire que j'ai passé un bon moment de lecture avec ce roman au ton pourtant amer ;)

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  9. Peut-être l'as-tu déjà reçu mais je t'ai proposé un tag sur mon blog: ne te sens pas obligée cependant!

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    1. Comme je le disais chez toi, je me défile pour cette fois ;)

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  10. Sujet intéressant mais ce ne sera pas pour moi une lecture prioritaire. La psychologie des personnages semblent assez fouillée.

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  11. Pas facile de répondre à ce tag. Je l'avais fait début 2011 mais il était plus court à l'époque. Une réponse commune avec toi... "Le confident"

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    1. J'ai trouvé le jeu amusant et "Le confident" représentait vraiment la réponse idéale pour évoquer ma meilleure amie :)

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  12. Merci pour le lien ! Je suis une fan de l'auteur alors j'ai aimé... bien sûr !

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    1. Je suis à 1 titre aimé et 1 pas aimé. Qui sait si en en découvrant d'autres, je ne deviendrai pas fan à mon tour ;)

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  13. J'avais bien aimé ce livre ! Et cette terrible scène ! Culte ;-)

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    1. Terrible pour les 2 de façon différente c'est sûr !

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  14. Rebonsoir, et bien moi au contraire, je n'ai pas aimé cette lecture. L'histoire ne m'a pas "parlé". Je suis restée complètement en dehors. En revanche, j'ai bien apprécié Samedi, Délire d'amour, Expiation (un chef d'oeuvre) et tout récemment Solaire. Bonne soirée.

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    1. C'est un sujet dont il n'est plus beaucoup question à notre époque (heureusement d'ailleurs), les gens se livraient moins facilement et dans le cas de ce livre, ce manque de communication ne rend pas spécialement les personnages attachants. J'ai surtout aimé ce roman pour sa finesse psychologique.
      "Expiation" m'attend encore dans ma PAL, wait and see ;)

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  15. Je n'ai jamais lu ce livre, pas inscrit non plus à ma lal, mais juste en pensée ;-) je me suis dis plusieurs fois comme ça de lire ce livre.

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  16. Je n'aimais pas trop les romans de McEwan avant de finalement lire "Expiation". Alors peut-être continuer avec celui-ci? Merci du conseil.

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  17. Je m'étais vraiment ennuyée pendant ce roman et du coup, pas eu envie d'en lire d'autres de lui

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  18. Cela ne me tente pas plus que ça pour le moment, j'ai vu Expiation et je ne sais pas ça ne m'a pas donné plus envie que ça de découvrir cet auteur. Ton billet pourtant me ferait presque changer d'avis!

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  19. La scène finale est vraiment flippante ! De nos jours, même avec des ados, elle serait inimaginable !

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