5 mars 2012

De très bons livres - Françoise Sagan


Publié en 2008, "De très bons livres" rassemble plusieurs textes et interviews de la romancière Françoise Sagan.

A l'âge de 16 ans, alors qu'elle passe des vacances d'été ennuyeuses au pensionnat, elle sort se promener sur les quais et y rencontre un sans-abri.
Intriguée par cet homme, elle fait le mur pour le retrouver une heure chaque jour de la semaine.
Il lui explique la raison de son choix de renoncer au confort et à la routine pour pouvoir prendre la mesure du moindre instant et ainsi goûter pleinement à l'existence.
S'écarter des sentiers battus, de la voie toute tracée que l'on pensait être la seule.
"Le clochard de mon enfance" fut peut-être le souvenir d'une première révélation quant à la possibilité d'un choix de vie différent mais possible, risqué mais potentiellement heureux.

"J'aimerais écrire de très bons livres" reproduit l'interview de Madeleine Chapsal réalisée en 1957 alors que Sagan venait de publier "Dans un mois, dans un an" et se remettait doucement de son accident de voiture.
Questionnée sur son rapport à la vitesse, à la célébrité, aux autres, à la politique, à l'écriture, elle répond sans filets.

" Je dis que les épreuves n'apportent rien parce qu'elles sont rarement suffisantes pour tarir ces deux tendances profondes que sont : un certain appétit de bonheur et un certain abandon au malheur. Cet équilibre, ou ce déséquilibre, chez une personne, varie peu.
Vous pensez alors qu'on ne change jamais ?
Si, mais pas comme ça, je crois. De toute façon, les changements, dans une vie, sont le plus souvent de surface, de tactique, et seuls les "autres", la rencontre avec les autres, peuvent les provoquer; Stendhal le dit d'ailleurs, " la solitude apporte tout, sauf le caractère". "p.18

"Pourquoi j'ai choisi une provinciale" évoque ses choix narratifs pour son roman "Un peu de soleil dans l'eau froide".

"L'immense famille de la lecture" dit son amour des livres et des auteurs qui lui permettaient de s'absenter un temps de ses tracas, de s'évader d'un quotidien ennuyeux, de goûter à mille autres existences.

" Après une tiède enfance, et avant les brûlantes découvertes, à la puberté, du coeur et du corps, c'est peut-être le plus beau cadeau que peut vous faire la vie : ces kilomètres de peaux, de veines, de nerfs, alignés sagement en petits traits noirs sur des pages blanches, ces cercueils triomphants et croulants de fleurs imprévues : les livres, "les autres". " p.31

Préface d'une réédition en 1985 de la correspondance de Musset et George Sand, " Lettres d'amour, lettres d'ennui" souligne la saveur d'une époque où l'écriture seule comptait, où des amants s'exprimaient avec "effusion" et "grandiloquence", prenant la plume pour y afficher leurs tourments.

Hommages à Fitzgerald et à Sartre, "Fitzgerald le magnifique" et "Lettre à Jean-Paul Sartre" éclipsent les écrivains pour s'intéresser aux hommes qu'ils étaient.

" Vous avez été un homme autant qu'un écrivain, vous n'avez jamais prétendu que le talent du second justifiait les faiblesses du premier ni que le bonheur de créer seul autorisait à mépriser ou à négliger ses proches, ni les autres, tous les autres.
Vous n'avez même pas soutenu que se tromper avec talent et bonne foi légitimait l'erreur. En fait, vous ne vous êtes pas réfugié derrière cette fragilité fameuse de l'écrivain, cette arme à double tranchant qu'est son talent, vous ne vous êtes jamais conduit en Narcisse, pourtant un des trois seuls rôles réservés aux écrivains de notre époque avec ceux de petit maître et de grand valet." p.62

A 50 ans, Sagan publiait "De guerre lasse", l'occasion de revenir sur 30 ans de "phénomène Sagan" dont elle dit ceci dans "Rencontre".

" La presse, les gens, en ont fait peut-être un phénomène. Je suis un écrivain dont on lit les livres. Cela n'a rien de phénoménal. C'est ce qu'on peut appeler un destin si l'on est romantique et un peu emphatique; une carrière, si l'on est cynique et pratique; un accident, si l'on n'aime pas mes livres; une bonne chose, si on les aime; une réussite, si l'on se place du point de vue du succès..." p.73

"De très bons livres" s'achève sur une "Lettre d'adieu" qui résume à merveille le thème de la solitude dans l'amour décliné dans tous ses romans.

" Je te lègue, puisque tu es un homme, les honteux bandages dont tu entouras mes poignets, le soir où je jouai à mourir. Tu penchais la tête, tu tremblais, tu disais "Le sang est rouge à tes poignets, et tes bras sont raides. Il faudrait te reposer, et puis que l'on s'aide."
C'était un cri sincère ou pas, mais un cri ne veut rien dire de plus qu'un sourire.
Il y a des sourires si las qu'ils vous feraient gémir et des cris comme des coups.
Et puis, mon amour, je crois qu'il me reste à te léguer ces mots si lourds d'électricité.
Tu me disais "Tu ne dors pas, tu veilles, tu ne peux pas rêver. Le sommeil est un miel qu'on ne peut refuser. Tout cela n'est qu'un rôle. Je veux te voir dormir. "
Tu avais raison, tu étais raisonnable, moi pas. Mais qui a raison, là, dans ce domaine ? Je te laisse la raison, la justification, la morale, la fin de notre histoire, son explication.
Pour moi, il n'y en a pas, il n'y a jamais eu d'explication au fait terrifiant que je t'aime.
Ni, non plus, pas du tout, mais pas du tout à ce que cela prenne fin. Et nous y sommes..." p.97

Plus j'avance dans ma découverte de ses romans, plus je me rends compte que ses histoires dans le fond m'importent peu, que c'est avant tout la femme que je recherche entre les lignes.
"De très bons livres" la restitue à travers plusieurs époques, sans passer par le prisme de l'analyse, laissant au lecteur toute la latitude nécessaire à l'appréciation de chaque mot.
Je ne saurais dire toute l'admiration que Sagan fait croître en moi de par les réflexions, les émotions, les interrogations suscitées jusqu'ici.
Pour rester fidèle à l'ambition de ce carnet, je vous laisse avec ses propres mots pour juger si ceux-ci valent le coup de gratter le vernis, d'oublier un temps les refrains lancinants sur l'ennui et l'excès, de baisser le volume de la "petite musique" de ses romans pour tendre l'oreille et en saisir chaque variation.

12 commentaires:

  1. Je ne connais pas les écrits de Sagan... je n'ai jamais été trop tentée. Mais peut-être celui-ci me donnerait envie de faire la connaissance de cette dame.

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    1. Je te recommande "Bonjour Tristesse" et "Les bleus à l'âme", superbes tous les deux ;)

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  2. J'ai lu une biographie et des articles qu'elle avait écrit pour différentes revues en plus de certains de ses romans. Une grande dame indémodable!

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    1. Ca devait être "Des yeux de soie" qui rassemble aussi des articles et interviews. Il est dans ma PAL, youhou !

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  3. j'aime bien sagan, je suis assez tentée par ce livre, surtout après ton billet :)

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    1. J'avais l'impression d'entretenir une longue discussion avec cette femme, les textes sont très bien choisis je trouve !

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  4. J'ai toujours préféré ses interviews et ses reportages à ses romans. Elle était extrêmement intelligente et intuitive.

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    1. Je lis ses romans différemment depuis "Les bleus à l'âme" et comme je le disais, les histoires de ses romans en deviendraient presque secondaires.
      Une femme intuitive, c'est vraiment le mot !

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  5. Cela me fait penser que j'ai toujours "Bonjour tristesse" dans ma PAL, aïlle...

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  6. Préparerais tu une thèse sur Sagan ? Je ne connaissais pas du tout ce livre, je note bien sûr pour plus tard !

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  7. Je ne connais que très peu la femme derrière la plume. Je comprends ta démarche auprès d'elle : parfois il y a de formidables rencontres amicales à travers les livres et les époques.

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  8. je le note, j'ai bien envie de lire l'avis de Sagan sur la lecture et les livres !

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