7 février 2011

Un roman français - Frédéric Beigbeder


"Un roman français" est un roman de l'écrivain français Frédéric Beigbeder, auteur de "99 francs", "L'amour dure 3 ans" ou encore de "Windows on the World", publié en 2009.

Le 28 janvier 2008, alors que son frère s'apprête à recevoir la Légion d'honneur, Frédéric Beigbeder se fait interpeller par la police alors qu'il sniffe de la cocaïne sur le capot d'une voiture en compagnie d'un autre écrivain.
S'ensuit dès lors une garde à vue prolongée au cours de laquelle il connaîtra les tourments de l'interrogatoire, de la fouille intégrale et de l'enfermement que sa claustrophobie a du mal à gérer.
Les angoisses montent et se heurtent bientôt à des souvenirs d'enfance que l'auteur pensait avoir oublié. Fouiller et se réfugier dans les méandres de sa mémoire apparaît dès lors comme le seul moyen pour l'écrivain de s'évader de sa sombre cellule.

" Toutes les enfances ne sont peut-être pas des romans mais la mienne en est un. Une fiction triste, une histoire d'amour ratée dont mon frère et moi sommes les fruits. Nous avons vécu un bonheur Canada Dry. C'est une vie qui a l'apparence du bonheur : Neuilly, les beaux quartiers de Paris, de grandes villas à Pau, la plage de Guéthary ou de Bali...ça ressemble au bonheur, on dirait du bonheur mais ce n'est pas du bonheur. On devrait être heureux, on ne l'est pas ; alors, on fait semblant." p.231

"Un roman français" peut être considéré comme un petit ovni dans l'oeuvre de l'auteur. L'usage du mot "roman" dans le titre n'en réfère pas tant au contenu qu'au constat de l'auteur qui déplore que le mensonge de ses parents quant aux circonstances réelles de leur divorce l'ait fait vivre dans une fiction durant de nombreuses années.
Si ses romans précédents laissaient entrevoir autant de biographies déguisées montrant un homme provocateur, arrogant, irresponsable, profondément égoïste et enferré dans un "présent perpétuel", "Un roman français" se présente comme les coulisses de la vie de l'auteur, l'occasion pour lui de convoquer des souvenirs enfouis, de figer son enfance, de s'installer dans le temps, d'accepter de vieillir en somme.

En marge des interrogatoires et des conditions de détention décrites comme inhumaines, l'auteur évoque au détour de flashs le petit garçon et l'adolescent sage, timide et complexé qu'il était, toujours en retrait par rapport à son frère aîné qui s'échinait à mener une vie structurée tandis que lui prenait délibérément la tangente.
Sans renier ses origines et les aspects positifs d'une enfance privilégiée, il aborde également les manques dont il a souffert alors que fils de divorcé, il partageait les modes de vie diamétralement opposés de ses parents et passait son temps entre deux maisons en compagnie de beaux-parents qui se renouvelaient fréquemment.
Il examine les incidences que les non-dits ont pu avoir sur sa vie d'adulte et la façon dont il a reproduit malgré lui un schéma familial marqué par l'absence du père au fil des générations.
Et pourtant, il n'y a ici aucune trace de jugement ni de rancoeur. L'auteur saisit ici l'occasion de rendre hommage à ces ancêtres héroïques morts pour leur pays, à ce frère qu'il aime malgré leurs différences, à ses parents qui l'ont élevé comme ils l'ont pu, à sa fille qui à travers ses questions et ses découvertes lui offre la chance de revivre son enfance.

" Une femme seule qui élève deux enfants, c'est le bagne. Depuis j'ai compris ce qu'est une mère célibataire : c'est quelqu'un qui vous a donné la vie pour pouvoir sacrifier la sienne. Elle a quitté notre père, puis notre beau-père, et à partir de ce moment n'a plus cherché qu'à expier les fautes que nous ne lui reprochions pas. Elle a décidé d'être une femme indépendante, c'est-à-dire une sainte comme son grand-père suicidé à la guerre de 14.
Je sais que beaucoup d'écrivains ont eu des griefs envers leur mère. En ce qui me concerne, il n'y a que gratitude. Son amour était incommensurable. Elle a dû s'apercevoir que nous, au moins, ne la quitterions jamais, ce en quoi elle se trompait." p.248

Bon qu'on se le dise, il s'agit ici d'une autobiographie qui suppose pour une fois un narcissisme pleinement assumé.
Forcément, lorsqu'on entend parler de sa vie, on en vient à parler de soi - logique - comme à évoquer le milieu dans lequel on a grandi pour pouvoir se situer par rapport à ses ancêtres, ses parents, son époque, etc.
Même si je concède que les aspects généalogiques sont un passage obligé lorsqu'on se livre à l'exercice de l'autobiographie, je dois bien reconnaître que ceux-ci m'ont quelque peu ennuyée tant je me désintéresse du milieu mondain et de ses protagonistes.
J'étais avant tout curieuse de connaître le regard que portait Frédéric Beigbeder sur une enfance ma foi idyllique de l'extérieur, à ce qu'il reste une fois qu'est grattée la grosse couche de vernis.
Certains lecteurs ont résumé ce livre à une somme de jérémiades injustifiées. Je ne saurais leur donner raison tant je pense que chaque expérience est vécue différemment par chacun d'entre nous et que chaque souffrance se veut singulière et incomparable.
Ce n'est pas parce qu'une douleur peut être jugée infime en regard d'autres qu'elle ne peut être exprimée. Si c'était le cas, plus personne ne pourrait plus se plaindre dans la mesure où il existe toujours pire ailleurs.
Aussi si je reconnais volontiers que l'auteur ait pu souffrir d'une enfance trop protégée et d'un séjour en prison, je n'ai pas tellement apprécié les mises en parallèle dressées entre sa vie et le sort de ses ancêtres ainsi que d'autres écrivains.
J'ai largement préféré les passages où l'auteur se contentait de sa seule voix, sans avoir recours à des exemples rutilants de l'Histoire qui loin d'appuyer la sincérité de sa démarche lui donnaient un caractère grotesque.
Pour le reste, on retrouve la patte de l'auteur, ses chapitres courts, sa façon de raconter une histoire en l'adjoignant de nombreux référents littéraires, musicaux, cinématographiques, publicitaires, l'abondance de marques qui rappellent ses origines sociales mais un humour cynique malheureusement beaucoup moins présent, comme si l'auteur avait cru jugé bon de modérer ses propos pour être enfin pris au sérieux.
Certes, cette lecture ne fut pas une torture mais je préférais néanmoins quand l'auteur se mettait en scène sous un angle fictionnel.

D'autres avis chez BOB !

"Un roman français" fait partie de la sélection française du Prix QD9 lancé par Cécile.

18 commentaires:

  1. je passe alors, je choisirai un autre titre pour découvrir l'auteur

    RépondreSupprimer
  2. Le sujet m'intéresse... donc pourquoi pas ?

    RépondreSupprimer
  3. Comme toi, j'ai préféré quand l'auteur ne se comparait pas avec l'Histoire. Un livre dont le ton change de ses précédents romans.

    RépondreSupprimer
  4. Cet auteur m'est antipathique et je n'ai pas envie de le lire... Voilà c'est dit !

    RépondreSupprimer
  5. Il faut que je le lise ...

    RépondreSupprimer
  6. Je m'en rends compte qu'au final un an et quelques après il ne me reste pas grand chose de ce livre!

    RépondreSupprimer
  7. @Anne sophie : je te recommande "L'amour dure 3 ans" ;)

    @Irrégulière : le sujet, tu veux dire l'écrivain ou le thème de l'enfance oubliée?

    @Alex Mots à mots : oui, d'ailleurs je serais curieuse de connaître le sujet de son prochain roman...

    @Clara : ah il est difficile de séparer le bonhomme de son oeuvre.
    Dans ce livre-ci, son comportement est justifié même si cela ne veut pas dire qu'on l'excuse pour autant ;)

    @Hambrellie : ah terrible PAL ^^

    @Tiphanie : je me souviendrai sans doute de l'impression générale de l'auteur quant à son enfance mais pour ce qui est des détails généalogiques, je crois que je deviendrai vite amnésique ;)

    RépondreSupprimer
  8. Bon... je ne suis pas attirée par les récits trop nombrilistes !!!

    RépondreSupprimer
  9. @ Moi aussi je préfère de loin les autres Beigbeder... Je maintiens ce que j'ai écrit concernant le côté jérémiades horripilant. Si je suis bien d'accord avec toi sur le fait que toute douleur petite ou grande, superficielle ou pas peut être exprimer en littérature, il n'est pas donné à tout le monde (et, de mon point de vue, pas à Beigbeder dans ce livre en tout cas) de transcender son sujet (lui-même en l'occurence) pour lui donner une portée plus universelle et littéraire (ce que réussit Ernaux par exemple)

    RépondreSupprimer
  10. Je n'ai pas aimé ce "roman" mais je n'aime pas l'auteur, ni ce type d'autofiction.

    RépondreSupprimer
  11. Toujours pas lu cet auteur... Et pas forcément envie de le découvrir tout de suite... :)

    RépondreSupprimer
  12. J'ai eu un vrai coup de coeur pour ce roman. Peut-être parce que je l'ai tout à fait détaché de son auteur ?

    RépondreSupprimer
  13. Morgouille que je ne connais pas m'enlève le paroles que je voulais écrire! :) Moi aussi j'ai aimé ce roman, frôlé le coup de cœur avec lui mais pour autant je ne suis pas sa vie dans les médias et peu importe s'il est si détestable que ça dans la vie pourvu qu'il écrive des livres qui m'intéressent. A l'inverse, que de personnes sympathiques, estimables et tout et tout écrivent des inepties!

    RépondreSupprimer
  14. Eh bien Mango (que je ne connais pas non plus :D), tu résumes exactement ce que j'écrivais pour commencer mon billet sur ce livre (ou sur "Mémoires d'un homme dérangé" mais qu'importe).
    :)

    RépondreSupprimer
  15. Cette autobiographie est sortie dernièrement en poche, mais je ne sais pas si j'aurai le courage de la lire un jour ! Toutefois, je dois lui reconnaître le mérite d'avoir eu le courage et la volonté de lever un coin du voile derrière lequel Beigbeder se cache ... J'ai l'impression qu'il a procédé à une forme d'analyse et de retour sur son existence de privilégié (qu'il n'a pas vraiment cherché) et de se rendre compte qu'il n'avait jamais été complètement heureux !

    RépondreSupprimer
  16. Toujours pas tentée malgré ton beau billet...

    RépondreSupprimer
  17. @Marie : ah dans le cas d'une autobiographie, ça l'est forcément ;)

    @CécileQD9 : C'est vrai que je n'en ai pas retiré grand chose au final d'un point de vue personnel. Au moins ses autres romans, qu'on aime le style de l'auteur ou non, donnaient à réfléchir sur la superficialité de notre époque.

    @Valérie : ah si tu n'aimais déjà pas l'auteur, difficile effectivement d'apprécier ce livre ;)

    @Soukee : à tenter au moins une fois mais oui, rien d'urgent non plus ;)

    @Morgouille : le roman comporte des passages sensibles c'est certain, dommage que ceux-ci soient noyés dans une soupe mondaine :/

    @Mango : oui et en ce sens, ce roman présente l'envers du décor

    @Nanne : sans l'avoir lu, tu as très bien su résumer ce livre ;)

    @Liliba : bah ça n'est pas un indispensable. Disons qu'il présente un certain intérêt pour ceux qui comme moi ont lu ses romans et souhaitaient en savoir davantage sur l'auteur que ce qui est en dit dans les médias ;)

    RépondreSupprimer