"Les Belles Endormies" est un roman, publié en 1961, de l'écrivain japonais Yasunari Kawabata qui obtint le prix Nobel de littérature en 1968.
"Les Belles Endormies" nous emmène à la rencontre d'Eguchi, un vieil homme venu pour la première fois se reposer dans une curieuse demeure.
L'endroit a ceci de particulier qu'il propose aux hommes d'âge (très) mûr de passer la nuit aux côtés d'une jeune femme endormie à l'aide d'un puissant narcotique.
Mais attention, les règles sont strictes. Si les clients peuvent disposer de ces jeunes corps à leur guise, il leur est formellement interdit d'abuser de ces jeunes femmes voire même de tenter de les réveiller.
Troublé par sa première visite, Eguchi retournera plusieurs fois dans la chambre des "Belles endormies"...
J'appréhendais quelque peu cette lecture en raison de son sujet et parce que je commence à mesurer à quel point la littérature japonaise présente un goût certain pour les histoires obscures voire carrément glauques...
Je dois reconnaître que j'ai été agréablement surprise par cette lecture beaucoup plus subtile qu'il y paraît.
Eguchi est un vieil homme qui encaisse mal la solitude liée à la vieillesse. Fier, il se plaît à se convaincre que contrairement aux autres vieillards, il peut encore "se comporter en homme" et posséder une femme. Mais derrière cette vanité apparente se cache l'angoisse de mourir.
Les jeunes femmes diffèrent à chacune de ses visites mais le sentiment ambivalent que ressent Eguchi à leur contact reste le même.
La beauté et la jeunesse de ces corps le ramènent à la vie, rappellent à son souvenir des sensations enfouies et des femmes qu'il a connu autrefois.
Mais la léthargie induite par le sommeil artificiel renvoie Eguchi à sa propre mort, raison pour laquelle il ne peut s'empêcher d'essayer de réveiller ces femmes.
" Il portait déjà, lui aussi, les stigmates de la vieillesse. Il était évident que la fille ne dormait là que par amour de l'argent. Cependant, pour les vieillards qui payaient, s'étendre aux côtés d'une fille comme celle-ci était certainement une joie sans pareille au monde.
Du fait que jamais elle ne se réveillait, les vieux clients s'épargnaient la honte du sentiment d'infériorité propre à la décrépitude de l'âge, et trouvaient la liberté de s'abandonner sans réserve à leur imagination et à leurs souvenirs relatifs aux femmes.
Etait-ce pour cela qu'ils acceptaient de payer sans regret bien plus cher que pour une femme éveillée? Que la fille endormie ignorât tout du vieillard contribuait sans doute à mettre ce dernier à l'aise. Et lui de son côté ne savait rien des conditions d'existence, ni de la personnalité de la fille.
Rien ne le mettait en mesure de le deviner car il ignorait jusqu'à sa façon de s'habiller.
Les vieillards avaient certes un motif élémentaire qui était de n'avoir pas à craindre d'ennuis subséquents.
Mais il y avait aussi cette étrange lueur au fond de leurs profondes ténèbres." p.48
Même si j'ai toujours un peu de mal avec cette image récurrente de la femme soumise véhiculée par la littérature japonaise, je me suis surprise à outrepasser cet état de fait pour apprécier toute l'esthétique de ce roman.
Rédigé dans un style épuré sans être minimaliste, "Les Belles endormies" m'a fait l'effet d'un roman à l'ambiance délicatement sensuelle, axé avant tout sur le langage du corps, les souvenirs charnels et les réflexions intérieures d'un vieil homme au seuil de la mort.
Un joli roman envoûtant et terriblement humain !
7ème lecture pour le Challenge Coups de coeur de la blogosphère lancé par Theoma, "Les Belles Endormies" était le choix de Choco, une lecture qui entre également dans son challenge ainsi que dans le Challenge nécrophile de Fashion - l'auteur s'étant suicidé au gaz...
Effectivement, le livre de Garcia Marquez traite du même sujet et visiblement sur un mode aussi sensuel et sensible, sans vieux vicelard libidineux !
RépondreSupprimerCe roman est tout simplement un chef d'oeuvre. Je veux le relire... :D
RépondreSupprimerEn tout cas, je suis contente que tu ais abordé celui-ci malgré tes réticences, c'est un texte tellement fort et tellement subtil !
J'ai beaucoup aimé ce roman aussi tout autant que "Kyoto" lu précédemment. Je l'ai même admiré tant le sujet qui me paraissait scabreux au départ a été maîtrisé et sublimé par ce romancier,prix Nobel 68!
RépondreSupprimerIl y a longtemps que j'ai lu ce roman avec au départ les mêmes craintes que vous, mais toutes ces craintes disparaissent très rapidement ... comme dit si simplement choco, c'est un chef d'oeuvre!
RépondreSupprimerJe ne sais pas si j'arriverais à outrepasser cette vision de la femme pour ne m'intéresser qu'à l'esthétisme du livre. :/
RépondreSupprimerC'est aussi un auteur que je veux découvrir mais pour lequel j'hésite toujours. Ton avis me rassure.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cette édition !
Histoires glauques, pas toujours. Je trouve cette littérature soit très glauque soit très poétique.
RépondreSupprimerIl faut un jour que je me lance mais je suis assez réticente...
RépondreSupprimerSuicide au gaz, mon Dieu, je ne savais pas !
RépondreSupprimerJ'avais beaucoup aime 'Le lac' lu au lycee et celui-ci est dans ma LAL, apres ce billet, j'ai hate de m'y plonger...
J'ai les mêmes réticences que toi au départ, tu vas peut-être me faire changer d'avis.
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu de littérarure japonaise depuis des mois!
RépondreSupprimer@Ys : ah je ne savais pas que Garcia Marquez en avait écrit un du même acabit. Je vais me renseigner alors ;)
RépondreSupprimer@Choco : oui et si tu te souviens bien,tu étais là quand je l'ai acheté chez le bouquiniste durant le weekend bruxellois.
Tu n'étais pas sûre qu'il me plaise ;)
@Mango : il se pourrait bien que je me penche un jour sur "Kyoto" ;)
@Carmadou : je ne suis pas souvent emballée par un roman japonais je dois dire. Mais là c'est effectivement une réussite !
@Leiloona : c'est vraiment quelque chose qui d'ordinaire me fait hurler. Mais là ça passe, il faut aussi dire que ces femmes sont consentantes...
@Manu : c'est une ancienne édition que j'avais trouvée durant notre fameux weekend ;)
N'hésite pas, je pense que tu pourrais l'aimer !
@Alex : oui et le plus déstabilisant c'est quand le poétique se met au service du glauque...
@Hérisson : je te comprends mais dans ce cas-ci, ce fut vraiment une bonne surprise ;)
@L'Ogresse : ravie que mon billet fasse remonter ce titre dans tes envies ;)
@Aifelle : ah, peut-être c'est mieux que rien ;)
@Clara : le tout est de bien choisir ses titres, pas évident...
Non je ne me souviens pas du tout...
RépondreSupprimer@Doris : rien d'étonnant quand on s'appelle Doris :P
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