18 juin 2011

La mer Noire - Kéthévane Davrichewy


Publié en 2010, "La mer Noire" est le second roman, après " Tout ira bien", de l'écrivaine française d'origine géorgienne Kéthévane Davrichewy.

Pour célébrer les 90 ans de Tamouna, toute sa famille est venue la retrouver dans son petit appartement parisien.
Mais celui qu'elle attend le plus, c'est Tamaz, son amour de jeunesse rencontré là-bas, en Géorgie.
A mesure que la journée s'écoule, Tamouna se souvient de sa terre natale, quittée à contre-coeur sous l'impulsion de son père qui prit soin de faire évacuer toute la famille en France avant de retourner défendre l'indépendance du pays et finalement tomber sous les balles bolchéviques.

L'adolescente âgée de 15 ans à l'époque nous retrace un parcours qui passe d'abord par Leuville, où elle, sa mère et ses soeurs s'installeront avec d'autres émigrés, puis par Paris où, rejointe par ses oncles, tantes et cousines, elle assiste à la création de la crèmerie familiale tout en poursuivant des études.
Tamouna ne cesse de songer à Tamaz, ce jeune homme rencontré au pays juste avant le grand départ. Elle lui écrit tout en sachant que les chances de le revoir sont minimes.
Ses lettres évoquent la douleur du deuil d'un père longtemps porté disparu avant d'être déclaré mort, le déracinement, les difficultés de l'intégration et l'espoir de pouvoir un jour rentrer au pays devenu libre.
Elles dévoilent la solitude née d'un amour sans cesse empêché par la distance, mais ravivé par les souvenirs d'une adolescente qui attendait et qui, arrivée à l'hiver de sa vie, attend toujours le seul qui ait réussi à la toucher.

C'est à partir des lettres de Tamouna à Tamaz (soit à la moitié du récit) que je suis réellement parvenue à entrer dans ce roman.
Avant cela, j'ai bien cru que j'allais rester sur le rivage à contempler de loin cette mer noire qui ne réussissait pas à m'emporter.
Dans mes notes, j'avais même utilisé l'adjectif "constipée" pour qualifier cette écriture sèche et toute en retenue, à l'image même de cette femme cloîtrée chez elle par une insuffisance respiratoire et plus encore par son affection des habitudes, une sorte de fantôme laconique et incapable du moindre geste tendre envers ses proches.
Un personnage d'apparence stricte qui m'a d'ailleurs beaucoup rappelé "Femme du monde" de Didier Goupil.
En tant que lectrice, j'avais la désagréable impression de devoir lui tirer les vers du nez pour lui faire cracher le morceau et la percer à jour.

Ensuite, le vent a tourné. La mise à distance s'est prolongée mais, heureusement, sous une autre forme.
Tamouna est entourée de sa famille pour fêter son anniversaire mais l'on sent bien que son esprit vogue ailleurs, tourné vers ce passé qui la ramène à Tamaz, à leurs chemins de vie respectifs et à la question de savoir si elle le retrouvera enfin après tant d'années.
Je me suis alors surprise à partager son émoi mêlé à l'appréhension des retrouvailles, à espérer comme elle que la vie leur accorde enfin à tous deux cette chance ultime de pouvoir être heureux. Mais l'amour sera-t-il au rendez-vous ?

Comme je l'avais constaté pour "La Boucherie des amants" qui prenait place au Chili et bien que l'auteure ait utilisé son histoire familiale comme matériau pour ce roman, "La mer Noire" ne vous éclairera pas sur les événements qui se sont déroulés en Géorgie.
L'histoire de cet exil pourrait d'ailleurs être transposée dans n'importe quel pays en guerre obligeant ses habitants à fuir.
Au delà de cette thématique de l'exil, "La mer Noire" offre un bel exemple du pouvoir évocateur de la mémoire, voyage et refuge d'une femme déracinée, irrésolue au deuil de son pays, de son amour, de son passé.

" Elle tente de revoir les visages, ceux de Théa, de Nora, et celui de Tamaz, leurs traits sont flous.
Et leurs voix ? Seule celle de Tamaz résonne encore. Les voix s'effacent d'abord. C'est douloureux mais ce qui l'est plus encore, c'est le moment où elles vous reviennent de plein fouet, fugitivement mais aussi clairement qu'un morceau de verre.
Le téléphone sonne. Elle n'a pas envie de décrocher. Elle préfère l'immobilité. Elle a souvent préféré l'immobilité. Son goût pour la contemplation et la rêverie l'a conduite vers sa maladie.
Sa maladie lui ressemble. Cela lui paraît réconfortant.
Parfois, la réalité et l'imaginaire, le passé et le présent se confondent dans ce monde immobile.
C'est ce qu'elle a toujours souhaité. Que ses vies multiples forment un tout." p.110

Si j'ai eu un peu de mal à apprivoiser les phrases courtes et le ton détaché de ce roman, je ne regrette pas d'avoir persévéré car, passé la première moitié, il m'est apparu sous un tout autre jour.
Ca vaut le coup d'essayer, non ? :)

MERCI encore à La plume et la page de m'avoir offert ce roman à l'occasion du Challenge Europe centrale et orientale !

"La mer Noire" était une lecture commune avec Canel, Manu et Anne (De poche en poche) dont je file voir les billets !

D'autres avis : Leiloona - Esmeraldae - Kathel - Alex Mots à Mots - Nanne - Aifelle - Stephie - Keisha

13 commentaires:

  1. Comment se fait-il qu'il ait été si souvent commenté? Je n'en avais encore jamais entendu parler, ni du livre ni de l'auteur d'ailleurs.

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  2. Toujours pas lu...malgré qu'il soit dans ma LAL depuis un bon bout de temps !

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  3. Juste pour dire que la couverture poche est plus flashy que l'autre! ^_^

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  4. On n'a pas tout à fait le même regard sur ce roman. Je trouve qu'on a quand même une bonne explication des événements, même si elle est succincte.
    J'ai aussi été gênée par la narration, mais c'est par le changement de narrateur entre les deux époques et par les multiples personnages dans lesquels je me suis perdue. Mais sinon, j'ai aimé ce roman. Sauf l'histoire d'amour, que je trouve difficilement compréhensible !

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  5. Ah toi aussi, tu as eu du mal avec le style !? ouf ! je croyais que c'était dû à ma lecture précédente. Mais bon, je l'ai qd même repris deux fois ce roman "La mer noire", et même constat déplaisant. D'habitude, les phrases courtes ne me gênent pas, pourtant...
    Le charme n'a jamais opéré pour moi, ennui du début à la fin, sauf lors de la maladie, dans les 40 dernières pages, là j'ai été émue...
    Merci pour cette LC !

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  6. l'avis de manu est très positif également - cela semble effectivement une lecture intéressante

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  7. Je trouve aussi qu'on apprend peu sur la Géorgie et ses pbs politiques, que c'est une histoire d'exil transposable.
    Mais peut-être me référais-je trop à "Le club des incorrigibles optimistes" où on a bcp d'anecdotes sur l'opposition au régime soviétique.

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  8. J'avais hésité, en le voyant en libraire. Je reste curieuse, malgré ton avis en demi-teinte...

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  9. Tu vois,cela fait 5 jours que j'ai terminé de le lire et il reste bien imprégnée dans ma mémoire. Et cela est un signe que c'est un très bon roman. Je crois qu'il faut prendre le temps de l'apprécier et non le lire comme une petite littérature. Merci pour cette lecture commune. Bises.

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  10. @Mango : il a apparemment été distribué à plusieurs blogueuses l'année passée dans le cadre d'une opération Masse Critique.
    Mais il y a tellement de titres qu'il est difficile de se souvenir de tout ;)

    @Clara : il n'est pas bien long mais nécessite tout de même une attention particulière.

    @Keisha : oh moi tu sais les couvertures, ce n'est pas cela qui m'attire le plus (mais j'avoue que j'aime bien les physalis^^)

    @Manu : oui et non. Des événements sont décrits ici et là mais il n'y a pas vraiment de vue d'ensemble sur la politique bolchévique en Géorgie.
    Pour le reste, comme j'ai répondu chez toi, l'identité des membres de la famille m'a semblé secondaire tant le récit se focalise sur Tamouna.
    Pour ma part, c'est surtout le style hâché qui m'a semblé pénible dans la première partie.

    @Canel : nos avis se rejoignent beaucoup ! Cette femme met beaucoup de distance avec le lecteur. C'est quand elle s'adressait à Tamaz qu'elle a surtout réussi à me toucher.
    Je ne suis pas très fan des phrases sujet, verbe, COD mais dans ce cas-ci j'ai vu par la suite que ce choix entendait coller au personnage qui a du mal à respirer du fait de sa maladie.

    @Niki : oui, pas forcément facile à aborder de par son style mais comme je le disais dans mon billet, ça vaut le coup de s'y frotter ;)

    @Canel : je n'ai pas lu le roman de Guénassia mais je pense que ce livre-ci ne se prétend pas exhaustif pour ce qui des conflits en Géorgie.
    Il est surtout question ici de l'impact de l'exil sur la vie de Tamouna et sa famille.

    @Soukee : oui, il y a tout de même de belles choses dans ce livre.
    Cette femme est touchante, à sa manière.

    @Anne : oui vu son format, je pensais le lire en une soirée et finalement j'ai pris plus de temps que prévu à entrer dans la tête de cette femme ;)

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  11. J'ai conservé un souvenir clair et émerveillé de cette lecture ... C'est vrai que le ton détaché peut gêner, voire être rédhibitoire pour certains lecteurs, mais cela ne m'a pas du tout dérangé ! Une très belle rencontre. Heureusement que tu as eu le courage de persévérer pour aller au bout de cette découverte. Tu serais passée à côté d'un bon livre !

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  12. Marrant, ça fait plusieurs fois que je lis que vous attendiez d'en savoir plus sur la Géorgie, comme si c'était un point négatif. ;) Moi de mon côté, j'ai justement aimé cette généralisation sur l'exil, me retrouvant beaucoup plus dans ce livre que s'il avait parlé de la Géorgie exclusivement. :D

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  13. Il est difficle de rentrer dans l'atmosphère du livre, mais une fois qu'on la tien, c'est une histoire très belle.

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