10 juin 2011

La clef/La confession impudique - Junichiro Tanizaki


Publié en 1956 et traduit en français en 1998, "La clef/La confession impudique" est un roman de l'écrivain japonais Junichiro Tanizaki, également auteur de "Le coupeur de roseaux", "Le meurtre d'O-Tsuya", "Le tatouage" ou encore de "Le pont flottant des songes".

Ikuko, 45 ans, et son époux, 56 ans, sont mariés depuis une vingtaine d'années. De ce mariage est née une fille, Tochiko, qui passe son temps à se tenir éloignée du domicile familial.
Il faut dire que l'ambiance à la maison est devenue quelque peu étrange. Ikuko et son mari ont pris de plus en plus l'habitude de convier leur futur gendre, M.Kimura, à des dîners fortement arrosés au terme desquels le couple se retire dans sa chambre jusqu'au petit jour...

Ce roman nous emmène à la rencontre d'un couple dont les détails de la vie conjugale et sexuelle nous sont présentés à travers leurs journaux intimes respectifs.
Le mari d'Ikuko reproche à sa femme sa pudeur et son manque de tendresse, son désintérêt pour les préliminaires et le caractère routinier de leurs ébats tout au long de leurs 20 années de mariage.
De son côté, Ikuko confie le dégoût que lui inspire son mari et la gêne qu'occasionne en elle son insistance fanatique à vouloir la connaître dans ses moindres détails anatomiques.
Nul doute qu'entre ces deux-là résident une suspicion et une incompréhension mutuelles entretenues par toute une série de non-dits qui précipitent le couple dans une relation insidieusement malsaine.
Tous deux persuadés de se lire l'un et l'autre en cachette, ils se servent chacun de leur journal pour s'adresser indirectement leurs reproches et formuler leurs arguments et interrogations quant à leur vie intime.
Comme il est souvent de mise dans les journaux, la forme employée ici est celle du monologue intérieur qui pousse indubitablement le lecteur à prendre parti pour l'un ou l'autre.

Or le lecteur se retrouve rapidement pris entre deux feux.
Si les arguments du mari se veulent recevables, les méthodes utilisées pour arriver à ses fins sont assez discutables...
Profitant qu'Ikuko soit étourdie par l'excès d'alcool, celui-ci tire parti de la situation pour se servir d'elle à sa guise, s'adonnant volontiers à tous les plaisirs d'ordinaire interdits et allant jusqu'à se mettre en danger pour stimuler sa jalousie et a fortiori son désir.
En ce sens, ce roman m'a énormément fait penser à "Les Belles Endormies" de Yasunari Kawabata.
Le Buzz littéraire s'est d'ailleurs livré à une analyse croisée de ces deux romans que vous pouvez retrouver ici.

Bien que j'ai eu un mal fou à adhérer aux faits et gestes des personnages (surtout la fille !), j'ai beaucoup aimé la façon dont Tanizaki aborde la notion de désir (partagé ou non) à travers un point de vue à la fois universel - qui rend compte de toute sa complexité et son ambiguïté -, et résolument asiatique en ce que ce désir mène fatalement à la soumission et au sacrifice.
" A l'époque féodale, la vertu d'une femme voulant qu'elle se soumette absolument à son mari, elle se serait pliée à tous ces désirs, aussi infâmes ou répugnants qu'ils soient, et n'aurait d'ailleurs pas pu faire autrement.
A plus forte raison dois-je l'accepter de mon mari qui, sans les stimulations que lui procurent ces jeux insensés, est incapable d'accomplir l'acte de façon satisfaisante pour moi.

Je ne fais pas que remplir mon devoir. D'un certain point de vue, je demeure une épouse vertueuse et docile et, en échange, j'obtiens de lui qu'il comble mes appétits charnels dévorants.


Cela dit, je me demande pourquoi mon mari ne peut se contenter de me mettre nue, mais veut en plus me prendre en photos et, sans doute pour me les montrer, les fait agrandir et les colle dans son cahier.


Il est le mieux placé pour savoir qu'en moi cohabitent la plus extrême luxure et la plus extrême pudeur." p.72

" La passion violente que suscite la jalousie, l'exacerbation des pulsions sexuelles obtenues grâce au spectacle inépuisable de ma femme nue, tout cela me conduit à une folie qui ne connaît pas de limite.

Pour l'instant, je suis infiniment plus porté sur la chose que ma femme. Quand je pense que, nuit après nuit, je suis plongé dans une extase que je n'aurais même pas osé imaginer en rêve, je ne peux m'empêcher d'être reconnaissant du bonheur qui m'échoit, mais en même temps, j'ai le pressentiment qu'un tel bonheur ne saurait durer, que tôt ou tard je devrai le payer, que minute après minute je rabote mon destin." p.74

Mélange noueux de sensualité et de cruauté, un roman fort qui interpelle et soulève beaucoup d'interrogations sur les mystères de la sexualité et l'importance de la communication au sein du couple.
Ma plus belle découverte en littérature japonaise jusqu'à présent !

"La clé/La confession impudique" était une lecture commune avec Choco dont je file voir le billet !

D'autres avis : Lili Galipette - Liliba

6 commentaires:

  1. Tu es à 300% dans la littérature japonaise!

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  2. Bienvenue dans un monde de perversion ! :)

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  3. Je trouve l'univers des romans japonais assez particulières. Je ne déteste pas, à petites doses.

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  4. Encore un roman sulfureux de cet auteur ! Je note.

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  5. Ayé, j'ai enfin publié mon (long) billet !
    http://legrenierdechoco.over-blog.com/article-la-clef-la-confession-impudique-tanizaki-junichiro-75853580.html

    On se retrouve assez dans nos avis, sauf que pour ma part, je n'ai pas eu l'impression d'être pris à parti par les 2 mariés.
    Mais bon, si c'est ta plus belle découverte japonaise, je n'ai rien à redire ! ;)

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  6. @Clara : 300% c'est un peu beaucoup ^^ Mais c'est vrai que je prends plaisir à tenter de cerner cette littérature ;)

    @Lili Galipette : oui tu l'as dit ! Je vais de surprises en surprises avec ces nippons ^^

    @Alex : il est certain que je ne pourrais pas me cantonner aux romans japonais, ne fut-ce que parce que j'ai aussi envie de rire en lisant et bon...dans ce cas-là la littérature japonaise n'est pas du tout ce qui me vient à l'esprit.

    @Manu : sulfureux c'est le mot, mais pas cru, heureusement !

    @Choco : j'ai vraiment eu l'impression que chacun essayait de se justifier à grand renfort d'arguments pour me convaincre du bien fondé de sa démarche.
    Cela dit, difficile de trancher car ces deux-là plongent dans l'extrême chacun à leur manière...

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