
Suite au commentaire laissé par Liliba, je vous propose de faire voyager ce livre jusqu'à vous.
Inscriptions en commentaires (pour ceux/celles que je connais) :)
" Mais ce que je n'ai supporté, ce qui fut une énorme erreur, c'est d'avoir déplacé les langues de la classe 400 à la classe 800. Et qu'a-t-on mis à leur place ? Qu'a-t-on mis ? Rien.
Ce qui fait que la cote 400, en ce moment, est inoccupée, vide.
Vous êtes d'accord, c'est une ineptie. Moi, cela me donne le vertige, cette cote vacante.
Qu'est-ce qui viendra l'occuper ? Quel domaine de la culture et du savoir humain, que nous n'estimons pas à sa juste valeur, viendra plus tard en prendre possession ? Je préfère ne pas penser à cette cote creuse, ça me fait peur." p.16
" De toute façon, qu'est-ce qu'un Américain sinon un Européen qui a raté le bateau du retour ? Moi, d'ailleurs, je ne voyage plus. Ah, ne parlons pas de bateau, j'ai des bouffées. L'avion ? Jamais ! Vous plaisantez ? Je ne voyage plus. Franchement, ça ne sert à rien.
On n'a jamais assez de temps pour comprendre ce qu'on visite et je ne supporte pas de connaître les choses à moitié. Visiter un musée en deux heures, c'est une imbécilité." p.25
" Excusez-moi si je m'énerve, mais c'est dur d'être minoritaire. Je me sens la ligne Maginot de la lecture publique. Je me sens si seule parfois. Je ne sais pas si vous comprenez. J'en doute." p.42
" Et je fais ce métier depuis vingt-cinq ans, vingt-cinq ans sur le même principe immuable.
Même si on m'appelle en haut à la banque de prêt, ce n'est pas mieux.
Enregistrer les livres au départ ou au retour en faisant bip-bip avec les codes-barres, c'est créatif peut-être ? Bip-bip, "Pour le 26 septembre, au revoir"; bip-bip, "Pour le 14 mai, merci".
Etre bibliothécaire n'a rien de valorisant, je vous le dis : c'est proche de la condition d'ouvrier.
Moi, je suis une taylorisée de la culture." p.12
" Des fois j'ai des accès bizarres. Un jour, par exemple, dans les waters, j'ai lu un graffiti sur le mur : JEUNE HOMME CHERCHE JEUNE FEMME AIMANT CRITIQUE DE LA RAISON PURE POUR AVENTURE KANTIENNE;
Il y avait même un numéro de portable. Vous ne le direz pas au conservateur, mais en dessous, c'est moi qui ai gribouillé en réponse : FEMME MURE CHERCHE HOMME JEUNE APPRECIANT CRITIQUE DE LA RAISON DIALECTIQUE POUR ROMANCE SARTRIENNE;
Evidemment, ce n'est pas à la portée du premier venu. Personne ne m'a répondu. " p.53
" On les appelle les locked in, les "enfermés à l'intérieur", ceux qui ne peuvent rien faire d'autre que cligner des paupières pour vous parler. Je n'ai pas comme eux perdu la mobilité de mes jambes et de mes bras, ni l'usage de la parole, mais considérez-moi comme un locked in. Dans la ville, la multitude n'est là que pour définir et mettre en relief mon incapacité à nouer des contacts avec les autres.
Dans ma solitude, au milieu de la ville, devant mon ordinateur, j'ai parfois l'impression que l'effort que je fais pour raconter ma vie - compte tenu de mes facultés intellectuelles - est équivalent à celui que devrait produire un tétraplégique qui entreprendrait l'ascension de l'Everest. Mais cet effort est la seule chose qu'il me reste. La seule chose qui me permet d'affirmer mon identité et d'être un homme. " p.73
" Hier il faisait pas loin de 40 degrés. C'est la canicule, les vieux tombent comme des mouches et pourtant, il y a toujours autant de vieilles peaux aux cours d'aérobic.
Le fait de nager juste après qu'elles se sont largement ébrouées dans la piscine avec leurs vagins ménopausés a quelque chose de dégoûtant. J'ai fait une allusion plus ou moins fine au type qui surveille le bassin. " Ne vous inquiétez pas on met beaucoup de produits dans l'eau !" m'a-t-il répondu avec un large sourire très maître nageur bien dans sa peau. Cela ne m'a pas rassuré pour autant.
A chaque fois que je bois la tasse, je me demande si je n'ai pas en même temps avalé un bout de muqueuse." p.54
" Personne ne devrait vivre dans une maison de poupée, personne. Or si une femme devient mère sans connaître le vertige de l'amour, elle ressent la maternité comme une dégradation; car ni enfant ni mariage ni amour ne lui suffit, seul le grand amour peut la satisfaire. Or, où était son grand amour ? Où se trouvait son âme soeur ? A Oak Park. Il l'attendait." p.535
" Les draps pesaient sur Olgivanna comme une pierre tombale. Elle ne s'était jamais sentie aussi lasse. "C'est pourtant ta femme, Frank. Comment est-ce possible ? Comment as-tu pu l'aimer ?"
Il ne vint pas à elle, ne lui prit pas la main, ne lui passa pas le bras autour de la taille, ne lui caressa pas les cheveux pour les tirer en arrière afin qu'ils ne lui tombent plus sur le visage : non, il continua de faire les cent pas, et la question, la question de l'amour, ici et maintenant, resta en suspens. Tout à coup, la chambre parut rétrécir, rapetisser.
Olgivanna eut l'impression de se trouver dans une cellule de prison, mais qui était le geôlier? Lui. C'était Frank." p.144
" Trois maîtresses, trois Taliesin. On ne peut qu'imaginer ce qu'Olgivanna dut ressentir face à cette lignée. Compte tenu de son éducation, elle devait certainement connaître la biographie d'Henri VIII d'Angleterre." p.105
" Il paraissait toujours entretenir une relation conflictuelle avec ses clients, devant lesquels il avait la sensation de devoir s'abaisser pour pouvoir pratiquer son art. Il les "blousait" donc avec des surcoûts et leur réclamait avances sur avances : qu'à cela ne tienne, il jugeait que ce n'était que son dû.
Inutile de préciser qu'il abandonnait ces gens et les projets avec eux, qu'il n'avait aucune intention de compléter hormis par procuration.
Comment dit-on, déjà ? Prends le fric et barre-toi ? " p.543
" De toute manière, elle avait des rangements à faire, de ces occupations typiques que lui avait toujours recommandées sa mère, ces mille petites choses de la vie d'une femme qui la dégoûtaient vaguement.
Comme si le temps eût été une bête molle qu'il fallait réduire. Mais elle en venait presque à regretter chez elle l'absence de ce goût.
Peut-être y avait-il effectivement un moment où on ne devait plus attaquer sa vie, mais s'en défendre, comme d'une vieille amie indiscrète.
Y était-elle déjà ? Et elle crut entendre derrière elle un immense soupir, un immense choeur de "déjà". " p.56
" A présent, elle mettait six jours à lire un livre, ne retrouvait pas sa page, oubliait la musique.
Son attention ne s'exerçait plus que sur des échantillons de tissus et sur un homme qui n'était jamais là. Elle se perdait, elle perdait sa propre trace, elle ne s'y retrouverait jamais.
"Aimez-vous Brahms ?" Elle passa un instant devant la fenêtre ouverte, reçut le soleil dans les yeux et en resta éblouie. Et cette petite phrase : "Aimez-vous Brahms ?" lui parut soudain révéler tout un immense oubli : tout ce qu'elle avait oublié, toutes les questions qu'elle avait délibérément évité de se poser.
"Aimez-vous Brahms ?" Aimait-elle encore autre chose qu'elle-même et sa propre existence ? Bien sûr, elle disait qu'elle aimait Stendhal, elle savait qu'elle l'aimait. C'était le mot : elle le savait.
Peut-être même savait-elle simplement qu'elle aimait Roger. Bonnes choses acquises. Bons repères. Elle eut envie de parler à quelqu'un, comme elle en avait envie à vingt ans." p.64
" Les vies se transforment en trajectoires. Les oscillations, les hésitations, les choix contrariés, les déterminations familiales, le libre arbitre réduit comme peau de chagrin, les deux pas en avant trois pas en arrière sont tous gommés finalement pour ne laisser apparaître que le tracé d'une comète." p.227
" De toute façon, elle décréta qu'il ne lui plaisait pas : il était trop grand et n'était pas un assez vieil homme pour lui faire le moindre effet - sa grand-mère Rose Bustamente disait toujours qu'il fallait se choisir un homme beaucoup plus âgé que soi "parce qu'ils en ont fini avec leurs problèmes et peuvent ainsi s'occuper des tiens", elle ne disait jamais ce que les femmes de Vatapuna répétaient sans cesse, qu'elles attendaient d'un homme qu'il soit travailleur, qu'il les aime et les respecte, parce que, quand elle entendait ça, Rose Bustamente levait les yeux au ciel, haussait les épaules et s'exclamait, Autant espérer une pluie d'or du cul d'un âne." p.112
" - Je prépare mon dîner.
- C'est quoi...
- Je suis seul, alors, rien de bien compliqué. Je fais griller du brochet de mer séché, je râpe du gros radis blanc. Et puis de la soupe de miso avec des poireaux et des palourdes. Du tofu, des légumes marinés, des concombres et des algues wakame. Et du riz avec du chou chinois en saumure. C'est tout." p.137
" Mais il est difficile de déterminer où finit la réalité et où commence ce qui relève du fantastique. On peut lire aussi ce texte comme une sorte de mythe ou encore comme une ingénieuse allégorie." p.264