Publiée en 1947, " L'âge des méchancetés" est une nouvelle de l'écrivain japonais Fumio Niwa.
Itami est marié à Senko et...à sa grand-mère Umejo, une octogénaire kleptomane qui vit chez eux depuis 3 mois, se plaint du rationnement et passe toutes ses nuits à leur demander de s'identifier dès qu'ils empruntent le couloir pour se rendre aux toilettes.
Un jour, Itami n'en peut plus et menace de ne plus rentrer à la maison tant qu'Umejo sera sous son toit. Senko demande alors à sa jeune soeur de transporter la vieille femme sur son dos jusque chez leur soeur Sachiko et son mari. Ceux-ci manquent de place mais se retrouvent dos au mur, contraints d'héberger Umejo.
Au bout de quelque temps, la vieille femme commence à se comporter de façon étrange...
" Pourquoi l'être humain ne laisse-t-il pas uniquement de beaux souvenirs ? Alors que la jeunesse et l'âge mûr sont les périodes où apparaît toute la beauté qu'une personne peut avoir, lorsqu'elle meurt après avoir longtemps vécu il ne reste plus de souvenirs de cette jeunesse et de cet âge mûr ; la seule impression qu'elle laisse durablement est celle de l'apparence hideuse qu'elle prend au moment de sa mort." p.84
Bizarrement, si je m'attendais à une histoire scabreuse, je pensais néanmoins qu'elle serait traitée de façon humoristique. C'était oublier que la littérature japonaise fait bien souvent l'économie du rire...
Dès le début, alors qu'Itami se plaint d'Umejo et la traite de tous les noms, j'ai pris cette vieille femme en pitié.
D'accord, elle n'est certes pas facile, elle se plaint, elle vole, elle réveille tout le monde la nuit mais de là à la qualifier de "cancer" qui nuit à leur tranquillité, à la traiter de bonne à rien, à volontairement lui faire mal et à souhaiter sa mort, il y a un pas ! C'est à peine si on la considère comme un être humain. Alors qu'elle a élevé ses petites-filles orphelines, elle ne reçoit de leur part aucune tendresse, seulement le strict minimum exigé par le devoir filial.
Personne ne pense jamais à lui demander pourquoi elle se comporte étrangement.
Le voyage d'Umejo sur le dos de sa petite-fille rappelle d'ailleurs à quel point elle représente un fardeau lourd à porter.
Alors que je tournais les pages, j'ai découvert des passages entiers révélant les opinions de l'auteur sur la vieillesse et le traitement des personnages âgées.
A croire que cette nouvelle n'était qu'un prétexte à faire passer un pamphlet anti-vieux.
Les propos sont bien souvent virulents. A l'époque, le système japonais encourageait les familles à vivre en communauté et à prendre soin des aïeux. Il était de surcroît très mal vu pour une veuve de porter trop longtemps le deuil sans rejoindre son mari dans la tombe, car celui-ci risquait de ne plus pouvoir la reconnaître dans l'au-delà...
L'auteur préconisait quant à lui de prendre exemple sur les hospices à l'américaine.
Il est vrai que la responsabilité d'une personne âgée peut représenter une lourde charge difficile à assumer.
Mais il y a des limites à ne pas dépasser.
" L'essor de l'âme se limite aux cas où l'esprit est encore jeune, avec des possibilités de développement. A quatre-vingt-six ans, la chair seule persiste obstinément et détruit tout, âme, esprit, conscience.
Il existe certes parfois, tel Rohan Kôda, des gens dans la pleine vigueur du vieil âge qui gardent un cerveau de plus en plus aiguisé à mesure qu'ils vieillissent, mais c'est très certainement un cas particulier, un homme sur dix millions.
Les neuf millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres sont tous promis sans exception à quelque analogie avec Umejo.
Ils portent en eux un destin qui les fera un jour devenir un embarras pour leur famille.
Et tant qu'une institution sociale idéale comme l'hospice de vieillards ne sera pas réalisée, le système familial du Japon continuera à produire des vies d'ostentation superficielle, de sentimentalité, de contradictions, de médiocrité pleine de mécomptes et d'excès.
On vivra dans une tromperie continuelle. " p.72
Une théorie sidérante derrière une histoire grinçante qui illustre parfaitement la notion de clivage culturel et qui, à l'heure où le vieillissement de la population ne cesse d'augmenter, ne laissera personne indifférent...
D'autres avis : Manu - Le signet - Liyah
Oui, mais il fait vraiment peur, le regard noir que la couverture.
RépondreSupprimerBrrr, ça fait froid dans le dos. Un récit certes dérangeant mais je ne crois pas avoir envie de découvrir plus loin les idées de l'auteur.
RépondreSupprimerOuais un texte vraiment féroce... Faut dire aussi que ça a été écrit en 1947...
RépondreSupprimerLe respect paraît-il inné des Japonais pour les ancêtres a l'air d'en prendre un sacré coup ! Je préfère passer.
RépondreSupprimerOh oui, glaçant ce petit texte. Mais je pense comme toi qu'il sert à faire passer les idées de l'auteur (qui est mort très vieux rappelons-le !)
RépondreSupprimer@Alex : oui cette vieille femme fait peur ^^
RépondreSupprimer@Zarline : ces idées contrastent tellement avec les préoccupations de notre époque !
@Choco : oui mais je suppose que même à l'époque, l'auteur a du se heurter aux critiques...
@Aifelle : je suppose qu'ils apprécient davantage leurs aînés quand ils ne vivent pas chez eux ;)
@Manu : oui quand j'ai vu qu'il était mort à 101 ans, penses-tu ça m'a fait sourire !
RépondreSupprimerJe me demande dans quelles conditions il a fini sa vie...
En effet c'est bien triste et cet auteur fait peur!
RépondreSupprimerC'est un sujet assez sensible pour moi, mais j'ai bien envie de m'y frotter quand même. Merci pour cette découverte!
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