Paru en 1857, "Madame Bovary" est un roman du célèbre écrivain français Gustave Flaubert, également auteur de "L'Education sentimentale" et de "Salammbô".
"Madame Bovary" retrace le parcours - ou disons plutôt la descente aux enfers - d'Emma Bovary, une jeune femme romantique toujours à l'affût du moindre événement et qui, pour échapper à l'ennui du quotidien, s'abandonne aux rêveries que lui inspirent ses lectures, nourrissant sans cesse l'espoir qu'un jour, le rêve se confonde avec la réalité.
Charles Bovary, médecin à Tostes, est dépêché à la ferme des Bertaux pour remettre en place la jambe cassée de Mr Rouault, le maître des lieux.
Tombé sous le charme de sa fille Emma, Charles s'empresse de l'épouser. Si le couple affiche un bonheur paisible en apparence, il n'en est rien en réalité. Seul Charles est heureux. Emma, elle, ne ressent en rien la passion telle que décrite dans ses lectures.
Les journées se suivent et se ressemblent et, plus le temps passe, plus Emma se détache de ce mari dont le manque de curiosité et d'ambition l'irrite au plus haut point.
Sujette à de fréquentes sautes d'humeur, la jeune femme se laisse tant aller que son mari, dans l'idée qu'un changement de décor lui ferait le plus grand bien, décide de quitter Tostes pour rejoindre Yonville. Emma est alors enceinte.
C'est dans ce bourg qu'Emma connaîtra les joies éphémères de l'adultère auprès de Léon et de Rodolphe. Mais les dettes, engrangées à la mesure de ses caprices, et les déceptions s'accumulent au point de la faire renoncer définitivement à ce bonheur idyllique auquel elle aspirait tant.
" Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement. Comme les matelots en détresse, elle promenait sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque vague blanche dans les brumes de l'horizon.
Elle ne savait pas quel serait ce hasard, le vent qui le pousserait jusqu'à elle, vers quel rivage il la mènerait, s'il était chaloupe ou vaisseau à trois ponts, chargé d'angoisses ou plein de félicités jusqu'aux sabords.
Mais, chaque matin, à son réveil, elle l'espérait pour la journée, et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s'étonnait qu'il ne vînt pas, puis au coucher du soleil, toujours plus triste, désirait être au lendemain." p.73
Je me souviens encore de l'impression d'ennui que m'avait laissé ce roman lu pour la première fois à l'âge de 16 ans. Je n'en avais d'ailleurs gardé qu'un souvenir diffus qui, à peu de choses près, pourrait se résumer aux propos tenus par Jean Teulé lors d'une émission de La Grande Librairie : "Madame Bovary, c'est l'histoire d'une bourgeoise qui s'emmerde en province."
Quand Manu m'a proposé une lecture commune de "Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary" (mon billet sera publié jeudi), j'ai saisi l'occasion de me replonger dans le texte original pour me rafraîchir la mémoire mais aussi pour donner une seconde chance à ce roman dont les nuances, je m'en rends compte, m'avaient échappées à l'adolescence.
A l'époque, j'avais pris en pitié cette pauvre Emma, victime de ce mari qui, faisant tout de travers, ne réussissait pas à la rendre heureuse. Mon avis est à présent beaucoup plus contrasté.
A l'évidence, Emma ne fait pas partie de ces êtres qui peuvent trouver le bonheur en eux-mêmes mais bien de ceux dont la félicité repose entièrement sur l'amour de quelqu'un.
Or cette personne n'est pas son mari.
Certes, Charles Bovary apparaît comme un homme plutôt fade et ennuyeux.
" La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter d'émotion, de rire ou de rêverie. Il n'avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu'il habitait Rouen, d'aller voir au théâtre les acteurs de Paris.
Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d'équitation qu'elle avait rencontré dans un roman." p.48
Mais le dévouement extrême qu'il porte à Emma est si touchant que j'en suis venue à mépriser cette femme de ne pas réussir à l'aimer malgré tout, ou du moins à lui accorder une chance.
Or dès le début, les dés sont pipés.
Au motif de sacrifier sa vie, Emma agit sans scrupules envers sa famille. Egocentrée, elle néglige sa fille, trompe son mari, dilapide son argent et le manipule afin qu'il cède au moindre de ses caprices.
Et Charles, trop aveuglé par son admiration pour elle, lui passe tout, se contente du peu d'affection qu'elle consent à lui donner et ne se rend compte de rien !
L'absence de communication dans ce couple est à ce point flagrante qu'elle en devient désespérante. Extrême dans son indifférence à l'égard de son mari comme dans sa tendresse envers ses amants, Emma ne peut s'exprimer qu'à travers des crises de nerfs et Charles ne pense jamais à lui demander la raison de ses tourments.
Des personnages secondaires beaux parleurs, intéressés et lâches (la palme revenant à Monsieur Lheureux, le boutiquier) aux décors inanimés, tout concourt à pousser Emma à mettre fin à l'agonie de toute une vie pour privilégier la délivrance.
Amateurs de rebondissements et d'action, passez votre chemin. Fin psychologue, Flaubert excelle à faire ressentir progressivement au lecteur l'ennui, la frustration, l'inertie et la platitude d'une existence qui mène au désespoir et au renoncement.
Le style est travaillé, parfois un peu poussiéreux pour le lecteur contemporain mais toujours flamboyant.
Bien que j'aie relevé quelques longueurs (mais quel roman classique n'en a pas?), j'ai réussi à passer au travers, non en sautant des pages comme la première fois, mais en sachant apprécier le travail et le talent de l'auteur à installer et maintenir une ambiance de bout en bout comme à doter ses personnages d'une consistance et d'une trajectoire rectiligne qui les mène exactement là où ils doivent être.
Le roman converge naturellement vers une fin sans réelle surprise (le mot "fatalité" est d'ailleurs prononcé par Charles Bovary dans les toutes dernières lignes) mais néanmoins bouleversante, moins pour Emma que pour Charles (enfin c'est mon avis).
" N'importe! elle n'était pas heureuse, ne l'avait jamais été. D'où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s'appuyait?
Mais, s'il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d'exaltation et de raffinements, un coeur de poète sous une forme d'ange, lyre aux cordes d'ayrain, sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques, pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas? Oh! Quelle impossibilité ! Rien, d'ailleurs, ne valait la peine d'une recherche ; tout mentait ! Chaque sourire cachait un bâillement d'ennui, chaque joie une malédiction, tout plaisir son dégoût, et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la lèvre qu'une irréalisable envie d'une volupté plus haute." p.335
Si vous ne l'avez pas encore vu, je vous recommande l'adaptation cinématographique réalisée par Claude Chabrol en 1991, avec en vedette Isabelle Huppert dans le rôle d'Emma Bovary et Jean Yanne dans celui de l'apothicaire.
Un classique à (re) découvrir ! Je ne suis d'ailleurs pas prête à le quitter de sitôt puisque, comme indiqué au début de ce billet, je compte vous parler bientôt de "Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary" de Philippe Doumenc ainsi que de "Madman Bovary" de Claro.
NDLR : le hasard veut que je publie ce billet aujourd'hui, le jour de la Sainte-Emma. Bonne fête à elles :)
D'autres avis chez BOB !
C'est avant tout un bonheur de plume ! quel virtuose de la langue que ce Flaubert !
RépondreSupprimerCe que j'aime dans les classiques comme celui-ci c'est qu'on peut relire n'importe quel passage et on reste toujours étonné à force de découvrir des détails, des aspects qui nous avaient échappé précédemment! Il faudrait que je regarde le film!
RépondreSupprimerBovary, ma chouchoute !
RépondreSupprimerJe suis contente que le livre t'ait plu.
Et le livre de Doumenc est une réussite !!
Un roman étudié au lycée, puis relu ensuite, oui, cela vaut la peine! J'ai lu aussi le livre de Doumenc (un peu déçue) et relu à cette occasion quelques pages de Flaubert, oui, quel beau style!
RépondreSupprimerPour ma part, mon premier essai, bien qu'étant déjà adulte, a été un échec et je n'ai pu terminer ce roman. Et franchement, je ne pense pas que je lui donnerai une autre chance, il y a tellement de merveilles qui m'attendent, je n'ai pas le sentiment qu'il me manquera quelque chose pour ne pas avoir lu ce classique. Et d'ailleurs la phrase que tu cites de Teulé m'avait bien fait rire car il disait tout haut ce que je pensais tout bas !
RépondreSupprimerComme toi, la Contre-enquête m'a donné envie de relire ce classique. Comme toi je m'étais ennuyée en le lisant à seize ans et l'ai relu avec un œil tout neuf, et bien plus intéressé!
RépondreSupprimerun classique que je n'ai pas encore découvert, mais que ton billet me donne envie de lire. et puis, emma est si celebre ^^
RépondreSupprimerJe salue l'exploit que tu réalises avec ce billet: me donner envie de relire Madame Bovary. Comme toi, j'ai détesté à 16 ans mais j'ai le livre de Doumenc dans ma PAL depuis des lustres et je serais tentée de reprendre les choses par le bon bout avant d'attaquer cette lecture. Bon, c'est inscrit dans mes bonnes résolutions mais de quelle année, ça je ne peux pas encore le dire ;-)
RépondreSupprimerJ'adore ce roman... Et j'avais beaucoup aimé 'Contre-enquête", chroniqué aux touts débuts de mon blog. Par contre, je suis allergique à l'adaptation de Chabrol, que j'ai pourtant essayé de voir plusieurs fois. Je trouve qu'Isabelle Huppert incarne une Emma Bovary trop loin de l'originale et l'esthétique de Chabrol me laisse complètement de marbre...
RépondreSupprimerJ'ai cliqué trop tôt, je n'ai pas eu le temps de signer ;)
RépondreSupprimer@Stephie : oui,tout à fait ! L'intérêt de ce roman réside moins dans son histoire que dans la façon dont elle est racontée
RépondreSupprimer@Mango : oui, c'est certain. Peut-être le relirais-je dans 10 ans ;)
@Lili Galipette : réponse jeudi ^^
@Keisha : je suis contente d'avoir pu relire ce roman malgré mon énorme PAL qui m'attend ^^
@Bladelor : c'est une lecture exigeante qui nécessite de se mettre en condition. J'ai fait le vide autour de moi et réservé 4 jours pleins pour pouvoir apprécier ce roman.
Aussi je comprends tout à fait que tu n'aies pas réussi à en venir à bout ;)
@Gwenaelle : en y pensant, je ne comprends pas pourquoi les écoles imposent ce genre de romans à des ados.
Difficile à 16 ans de pouvoir s'identifier à ce personnage et à comprendre ses tourments.
Je suis bien contente d'avoir pu passer outre mon découragement initial.
@Anne-Sophie : il y a tellement de classiques qu'on aimerait découvrir pour combler nos lacunes ;)
@Zarline : apparemment il n'est pas nécessaire de relire le roman original pour apprécier la Contre-enquête. Mais j'ai malgré tout eu envie de me replonger dans cet univers ! Je compte également relire "Mrs Dalloway" avant de découvrir "Les heures".
@Soukee : le début du film est assez brutal pour qui sort tout juste du roman.Les premières scènes passent sous silence plusieurs événements et s'enchaînent sans transition.En même temps, il est difficile de mettre en images un roman si dense !
Bien que j'ai été surprise par certaines réactions au début du film (que je me représentais autrement dans le roman), j'ai beaucoup aimé Isabelle Huppert en Emma Bovary. Elle campe à merveille ces personnages de femme grave, torturée intérieurement (c'est d'ailleurs son registre de prédilection).
mon premier roman de "grand" lu trop tôt (à 12 ans je crois!) mais relu ensuite pendant mes études ! il faudrait que je le relise encore ! l'adaptation de Chabrol est magnifique car très fidèle je trouve à l'univers du roman et le reste de tes lectures est parfait !
RépondreSupprimerUn classique à redécouvrir tu l'as dit ! Lu au lycée (je crois), une lecture d'adulte ne ferait pas de mal et tu a su donner très envie :)
RépondreSupprimerJe l'ai lu adulte pour ma culture générale et je n'ai pas trop adhéré. Bon, je n'ai pas eu le courage de le relire comme toi :-)
RépondreSupprimerJ'espère être à temps pour demain car je viens seulement de commencer "Contre-enquête" :-/ Je te tiens au courant !
Je l'ai lu jeune comme toi, et je m'étais ennuyée. Je l'ai relu il y a deux-trois ans et je l'ai trouvé aussi ennuyeux, tout en admirant le style de Flaubert. Mais je n'ai pas la moindre empathie avec Emma et j'ai été plus choquée que la première fois par son indifférence vis-à-vis de sa fille.
RépondreSupprimerUn grand classique que j'avais bien aimé.
RépondreSupprimerC'est un livre que je compte relire très bientôt. Tout comme toi, je l'avais lu au collège...
RépondreSupprimerMon dieu, cette relecture remonte à tellement longtemps !! Quelle nostalgie ; j'avais adoré ce roman. J'aurais presque peur de le relire de peur d'être déçue et de ne pas retrouver le plaisir qu'il m'avait procuré...
RépondreSupprimerAnne (De poche en poche)
@George : ah oui effectivement 12 ans c'est beaucoup trop tôt...
RépondreSupprimerHeureusement que tu as l'occasion de le relire plus tard ;)
@Choco : mais auras-tu le temps de le relire avec tous ces romans français qui ont envahi ta PAL? ^^
@Manu : je ne l'ai pas encore terminé non plus mais j'ai toute la soirée devant moi ;)
Préviens-moi si tu es à cours de temps ;)
@Aifelle : oui, l'égoisme d'Emma m'était complètement passé au-dessus de la tête lors de ma première lecture.
J'ai été sensible à sa détresse mais absolument pas à ses agissements ! Son mari et sa fille n'avaient pas à en faire les frais.
@Mélusine : j'ai été surprise de mon engouement pour ce livre !
@Belledenuit : ah une même lecture à plusieurs années d'intervalle peut réserver bien des surprises ;)
@Anne : j'ai moi aussi des livres lus jeunes qui m'avaient laissé un souvenir fort que je souhaite garder intact ;)
"contre-enquête" est excellent
RépondreSupprimerJe l'ai lu deux fois, à 14 ans et à 15, et les deux fois je l'ai trouvé ennuyeux. Je pense que si je le relisais maintenant j'apprécierais plus la plume de Flaubert, mais je ne me sens pas de me relancer dans cette lecture!
RépondreSupprimerVoici un classique que j'avais beaucoup aimé et que je devrais relire
RépondreSupprimerMeme lecture que toi et tres envie d'une relecture depuis quelques semaines (depuis la conference de Posy Simmonds a Londres qui en parlait avec passion et qui disait a quel point ce roman avait influence son adolescence - elle trouvait tres rock n roll q'un classique ne finisse pas par un mariage !). J'attends cette contre-enquete qui m'intrigue enormement !
RépondreSupprimerC'est un roman que j'adore et que j'ai relu je ne sais combien de fois. Mais loin de trouver poussiéreuse la plume de Flaubert,je la trouve très belle, très forte, précise, irréprochable. Je n'ai pas aimé l'adaptation de Chabrol que je trouve assez plate. Quant au roman de Doumenc, ce n'est pas un grand livre mais on le lit par curiosité car l'idée est amusante!
RépondreSupprimerPourquoi on fait lire "Madame Bovary" à des élèves de seize ans? Pour la même raison qu'on leur fait lire "La Princesse de Clèves"! Parce que madame Bovary leur parle d'eux-mêmes.
"Madame Bovary" peint ceux qui attendent trop de la vie, qui ne sont jamais satisfaits de leur sort, qui désirent toujours plus, qui sont déçus par la vie parce qu'elle n'est pas à la hauteur de leur idéal. "Le Bovarysme" est une "maladie"plus répandue que l'on ne croit et toujours actuelle.
A l'époque de Flaubert, cela montrait bien, en plus, le statut de la femme qui ne pouvait rien réaliser par elle-même (à moins d'être George Sand!! c'est à dire une femme exceptionnellement douée et intelligente).
La femme était sous la tutelle de son mari et dépendait de lui juridiquement et financièrement. Tous les métiers d'importance lui étaient interdits; souvent, elle ne recevait qu'une instruction médiocre comme Emma dans son couvent. Ce n'est qu'à travers leur mari que la femme pouvait parfois voir ses aspirations satisfaites. Or Emma n'a pas de chance, son mari n'a pas l'envergure qu'elle lui souhaiterait, ses amants non plus , d'ailleurs! Il faut reconnaître qu'elle est entourée d'hommes médiocres.