"Femmes" est un roman de l'écrivain roumain Sebastian Mihail publié en 1933 et paru en français en 2007 aux éditions de l'Herne. Il est suivi du récit "Fragments d'un carnet trouvé".
Comme le titre le laisse aisément deviner, il est ici question de femmes.
Renée, Marthe, Odette, Emilie, Maria...Toutes ont croisé la route, toujours sous la forme d'allers-simples, du jeune Stefan Valeriu.
Seule Arabella, une intrigante artiste de cirque, réussit à le retenir... Mais pour combien de temps?
Quand Babelio a proposé ce roman dans le cadre de son opération Masse Critique, j'ai tout de suite été intriguée par ce titre simple et évocateur.
Toutes les femmes qui peuplent ce récit ne sont que de passage dans la vie et le coeur de ce jeune dandy froid, insaisissable et qui, en bon manipulateur qu'il est, sait se montrer attentif aux détails, cerner les moindres faiblesses pour pouvoir mieux en jouer. Toujours l'air de rien, soufflant le chaud et le froid jusqu'à ce qu'elles cèdent ou que du moins, le doute s'immisce en elles.
" Dommage qu'il ne pleuve pas. Tête nue, le col ouvert, les manches retroussées, il resterait sous la pluie, adossé à un tronc d'arbre, il la laisserait dégouliner dans ses cheveux, sur son front, sur ses joues, il finirait par sentir qu'il est pareil à l'herbe, qu'il s'intègre à la nuit de la terre, à son insensibilité absolue, qu'il échappe à jamais aux scrupules et aux remords, à l'obsession des fenêtres chichement éclairées, là-haut, où la pathétique Renée brûle d'un amour excessif." p.60
" J'avoue avoir d'instinct un léger goût pour la cruauté. Sans aller jusqu'à la torture, j'aime bien, lorsque je fais la fête, trouver un objet de jeu, la cible accessoire de quelques méchancetés.
C'est vulgaire, je le sais. Mais c'est ainsi. Ce soir-là, je n'eus pas à inventer la cible, elle s'imposait. Je ne fis d'ailleurs qu'assister, amusé, à un jeu auquel les autres, Mado la première, auraient joué de toute façon, avec ou sans moi." p.89
Mais que reste-t-il passé ces histoires éphémères si ce n'est ce qu'elles eurent en commun, lui, Stefan Valeriu?
Au fil de cette galerie de portraits féminins se dessine donc celui du jeune homme décrit tour à tour par un narrateur externe, par lui-même ou par l'une de celles qui lui aura préféré un autre.
J'ai été particulièrement sensible à ce passage dans lequel Maria explique à Stefan sa relation avec Andrei, l'homme qui partage sa vie.
" Faire durer! Voyez-vous, cela a dû être dans mes rapports avec Andrei, mais également avec tout le monde et avec la vie-même, mon erreur la plus grave. Faire durer ! Je suis prise d'effroi à l'idée que quelque chose peut être anéanti, qu'un objet, un être humain, un sentiment ou juste une habitude peut disparaître du jour au lendemain; je ne suis obsédée, dans le passage des choses, que par leur éternité possible, par le signe qui pourrait les arrêter, les faire demeurer.
Ce qu'il y avait de déchirant pour moi dans la présence d'Andrei, c'était son air incessant de provisoire, son air de type entré par hasard dans une maison, le chapeau sur l'oreille, sans savoir s'il allait repartir, s'il allait revenir, s'il allait rester. J'étais parfois tentée, de manière puérile, de lui poser la main sur l'épaule et de lui demander le plus sérieusement du monde :
- Tu es là?
N'allez pas croire que mon désir de permanence était tyrannique ou même exigeant.
Je savais bien qu'Andrei devait remuer, trahir et - comment vous l'expliquer? - je pense que c'est précisément pour cela que je l'aimais, car il était du côté du vent et du grand large, tandis que j'étais du côté de l'attente et de l'éternité. " p.130
Jusqu'à l'arrivée d'Arabella, les portraits esquissés me firent l'effet d'une masse opaque et indifférenciée. Aucune de ces femmes ne semblaient avoir laissé une empreinte. Qu'elles lui aient ou non accordé leurs faveurs, toutes ont fini par partir sans que Stefan ne cherche à les retenir.
On ne sait pas vraiment comment Arabella réussit à faire la différence. Sans doute Stefan traversait-il à ce moment-là une phase de lassitude qui le faisait pencher vers la sécurité.
Tous deux s'installent ensemble immédiatement. Arabella se plaît en maîtresse de maison, ce qui ne semble pas déranger Stefan. Mais au bout de quelques mois, l'argent vient à manquer et Arabella lui soumet l'idée d'un duo scénique. Le succès est au rendez-vous.
Mais si Stefan se plie volontiers à toutes les exigences de sa compagne, on ressent dès le départ qu'il y est à peine plus attaché qu'à ses précédentes conquêtes.
Chassez le naturel...comme on dit.
De l'indignation que suscitait en moi les agissements de Stefan, je suis passée à la pitié, plaignant cet homme hermétique à tout sentiment et enclin à zapper une femme du jour au lendemain.
"Fragments d'un carnet trouvé" est composé de plusieurs extraits d'un journal trouvé par l'auteur.
Difficile de résumer le contenu de ce que Mihail qualifie lui même d' "Etrange lecture, fatigante par endroits, avec des passages obscurs, des annotations étrangères ou absolument contraires à ma pensée".
Pourquoi les éditions de l'Herne ont-elles pris le parti de joindre ce récit au roman? Pour ma part, j'y ai vu une pièce jointe, une façon d'envisager ce qui pourrait être l'envers du décor de la vie de Stefan, le pendant de son indifférence, la solitude.
" Si j'ai vécu ma vie telle qu'elle fut, bonne ou mauvaise, si je me suis plongé dans toutes ses humiliations, si je me suis soumis à toutes ses misères, celles que je connais et celles que j'ignore, si j'ai consenti à endosser les guenilles de cette triste existence, ce fut parce que j'étais sûr que personne ne saurait, et si on le savait que personne ne comprendrait ceci : je resterai finalement seul, plus seul qu'un astre dans le ciel, plus seul qu'un boeuf dans son étable." p.224
J'ai trouvé intéressant le choix d'un schéma narratif qui offre des points de vue à la fois différents - chaque chapitre étant consacré au portrait d'une femme - et convergents en ce qu'ils permettaient d'inscrire le personnage de Stefan dans la durée.
Si l'écriture froide de l'auteur calque parfaitement à la personnalité de son personnage, j'ai trouvé qu'elle contribuait également à me maintenir à distance.
Ainsi, même si cette lecture fut loin de me laisser sans réaction, je ne pense pas qu'elle me laissera autre chose qu'une contagieuse indifférence.
D'autres avis : Alexiel - Le journal de Chrys - csapin
Un grand MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !
ohlala, pas un livre pour moi !
RépondreSupprimerS'il ne t'a pas séduite plus que cela,je ne vais donc pas le noter.
RépondreSupprimerje ne dis rien mais je n'en pense pas moins... si tu vois ce que je veux dire... ;)
RépondreSupprimerOuais pareil que Choco !
RépondreSupprimerEn plus, qu'est-ce que c'est que ce bouquin ! Rien qu'à lire ton billet, envie de lui mettre des claques à ce Stephan !
Ben zut, moi qui cherche de bons auteurs roumains à découvrir (passionnée par ce pays)... tant pis, ce ne sera pas celui-ci !
RépondreSupprimerCa me fait un peu penser à La passion des femmes de Sébastien Japrisot que j'ai beaucoup aimé à l'adolescence. Le portrait d'un homme par plusieurs femmes (une par chapitre, je crois). Tiens tu m'as donné envie de le relire.
RépondreSupprimerça a l'air spécial, mais contrairement aux autres blogueuses, je pourrais me laisser tenter... à voir !
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