"Une affaire de charme" regroupe 7 nouvelles - rédigées entre 1891 et 1934 - de l'écrivaine américaine Edith Wharton, notamment auteure des recueils "Les lettres" et "Le miroir" mais aussi de "Xingu", d'"Ethan Frome" ou encore des célèbres romans "Le Temps de l'Innocence" et "Chez les Heureux du Monde".
"La vue de Mrs Manstey" ou le quotidien d'une veuve esseulée, femme d'habitude qui se raccroche depuis 17 ans à la vue sur les cours voisines que lui offre sa fenêtre. Un petit monde sur le point de lui être enlevé.
Dans "La plénitude de la vie", il est question d'une femme qui, le jour de sa mort, rencontre l'Esprit de vie mais surtout son âme soeur, cet homme qu'elle n'attendait plus et qui surpasse en tous points son piètre mari. Mais alors que cet homme parfait lui propose de s'établir ensemble au Paradis, voilà qu'elle hésite...
" Mais j'ai souvent pensé que la nature d'une femme est semblable à une grande maison avec de nombreuses pièces : il y a le vestibule, que tout le monde traverse pour entrer et pour sortir; le grand salon, où l'on reçoit les visites formelles; le petit salon, où les membres de la famille vont et viennent à leur guise; mais au-delà, bien au-delà, il y a d'autres pièces dont on ne tourne pas peut-être jamais les poignées de porte; personne ne sait y aller, personne ne sait où elles mènent; et dans la chambre la plus reculée, le saint des saints, l'âme se trouve seule dans l'attente d'un bruit de pas qui n'arrive jamais." p.25Dévasté par la mort de son épouse, Mr Grançy se réfugie dans le travail et s'enfuit à l'étranger durant 5 ans. De retour dans sa maison de campagne, il fait appeler son ami peintre Claydon et lui demande de retoucher le portrait qu'il avait fait de sa femme des années plus tôt, afin que celle-ci vieillisse en même temps que lui...Claydon a bien du mal à transformer son chef d'oeuvre en "Tableau mouvant".
"Je m'aperçus que, comme la plupart d'entre nous dans les moments d'extrême tension morale, il prenait une attitude, il se comportait comme il pensait qu'on devait le faire en face d'un désastre.
La posture instinctive du chagrin est un compromis instable entre l'incrédulité et la prostration; et l'orgueil incite à affronter plus dignement un pareil ennemi." p.38
Margaret Ransome, femme droite et dévouée à son brillant mari, s'étonne de cette nouvelle jeunesse et des élans fougueux que lui inspire...un autre homme, plus jeune et plus romantique.
Trouvera-t-elle en lui "Le prétexte" à quitter son mari ?
" D'abord, ses journées furent fiévreuses et ses nuits, de longues veilles figées. Ses pensées ne furent plus avilies et défigurées par une idée de "culpabilité". Elle avait maintenant honte d'avoir honte. Ce qui s'était produit était aussi éloigné de la sphère de son mariage qu'une transaction dans les étoiles.
Cela lui avait simplement fourni une vie secrète aux joies incommunicables, comme si toutes les sources perdues de sa jeunesse avaient formé un étang caché où elle pouvait désormais revenir, et se baigner." p.72
"Le diagnostic", implacable, laissé par mégarde par son médecin fait prendre conscience à Paul Dorrance que la mort est peut-être un peu plus douce lorsqu'un proche vous tient la main.
Il épouse donc en dernier recours sa maîtresse qu'il fréquente depuis 15 ans. Mais la médecine est loin d'être une science exacte...
" Elle lui obéit à la lettre; elle veilla à son confort, lui épargna les fatigues et les agitations inutiles, lui présenta soigneusement, sur le plateau brillant de sa vigilance, les fleurs du voyage débarrassées de leurs épines.Nalda Craig ne prendra pas la fuite avec son amant avant d'être passée chez le coiffeur pour "La permanente" du mercredi. A son arrivée au salon de coiffure, voilà qu'un doute l'assaille : ne serait-on pas jeudi ? Le bateau de son amant serait-il donc parti sans elle ?
Les qualités qui avaient fait d'elle une maîtresse parfaite - l'effacement de soi, le sens de l'opportunité, l'art de n'être présente et visible que lorsqu'il le lui demandait - faisaient d'elle (il devait le reconnaître) une épouse idéale pour un homme exclusivement rivé à la contemplation de sa propre fin." p.95
" Il est toujours périlleux de retourner un sentiment dans tous les sens; surtout quand ce sentiment est le bonheur. Le bonheur doit rester semblable à une brise printanière caressant la fenêtre, venant on ne sait d'où, portant le parfum de fleurs invisibles. On ne peut pas le détailler, ni le résumer, comme une opération d'arithmétique..." p.121La question de l'avenir des membres de la famille Kouradjine pourrait bien être résumée à "Une affaire de charme". C'est du moins ce que pense James Targatt, époux de Nadeja Kouradjine qui fatigué d'héberger et d'entretenir toute la famille de son épouse, se met en tête de les marier chacun à d'illustres personnalités.
A cheval sur deux siècles, ces nouvelles illustrent pourtant en condensé ce thème cher à Wharton qu'est l'institution hypocrite et ennuyeuse du mariage, particulièrement dans les cercles huppés de la société new-yorkaise. Lorsqu'elles n'apparaissent pas fièrement en public au bras de leurs maris, ces femmes mariées se dévoilent au lecteur sous leur vrai jour. Frustrées, esseulées, instrumentalisées, cupides, indécises, certaines se résignent à leur sort sans broncher, d'autres rêvent à un autre, à un ailleurs, sans pour autant se donner les moyens d'en changer...
Car aussi cynique que soit l'auteure, le mot de la fin se veut bien souvent impitoyablement désabusé.
J'ai particulièrement apprécié "La vue de Mrs Manstey", mise en scène terrible d'une fin de vie solitaire, "Le tableau mouvant", ré-interprétation réussie du Portrait de Dorian Gray, "Le diagnostic" et "Une affaire de charme" pour leur touche humoristique et faussement légère. Des romans miniature dont la brièveté ne m'a pas empêchée de piocher de jolies citations ici et là et qui ne font que renforcer mon envie de découvrir les romans d'Edith Wharton.
D'autres avis : Mango - Lili Galipette