"Délicieuses pourritures" est un roman paru en 2002 et signé par l'écrivaine américaine Joyce Carol Oates, notamment auteure de "Confessions d'un gang de filles", "Blonde" ou encore "Les femelles".
Louvre, Paris, 11 février 2001. Il a suffi que Gillian Brauer tombe sur un totem aborigène pour que ressurgissent les souvenirs d'événements survenus 25 ans plus tôt.
Alors qu'elle y poursuivait ses études, le campus féminin de Catamount fut le théâtre d'une vague d'incendies d'origine mystérieuse doublés d'actes désespérés de la part de jeunes filles fascinées par le charisme hypnotique de leur professeur de poésie, Andre Harrow.
Depuis que celui-ci a décidé de leur faire partager publiquement leur journal intime, les élèves sont prêtes à toutes les confessions pour s'attirer les faveurs du maître et obtenir une chance de participer au stage que lui et sa femme sculptrice ne destinent qu'aux plus méritantes.
Gillian donnera-t-elle dans la surenchère pour se rapprocher du couple ?
"Délicieuses pourritures" apparaît comme un très bon choix de titre pour ce court roman aussi malsain qu'intriguant.
Présenté à la façon du journal de Gillian, il nous décrit sans concession 4 mois de la vie de la jeune fille et de ses camarades.
Sous le couvert de profils à peine esquissés, l'auteure brosse le portrait d'une masse de jeunes filles fragiles au passé violent, à la féminité encore hésitante, que le pouvoir impressionne, fascine et aveugle au point de consentir à servir de jouets laissés entre les mains d'adultes aussi manipulateurs que pervers.
" J'étais trop déroutée que pour répondre à ce baiser. C'était une réaction animale, irréfléchie. Comme si j'avais oublié que cet homme, qui me touchait enfin comme j'en rêvais depuis des mois, était Andre Harrow...
Un vertige me prit et, sans douceur, M.Harrow me maintint debout. "Gillian? Hé! Je plaisantais."
Il était furieux. Mais amusé. Il était assez mûr pour être amusé. Il m'empoigna avec fermeté par le coude et me ramena vers le campus. Il se montrerait protecteur, à présent.Il se montrerait abrupt et brusque. Il fournirait le récit, l'interprétation de ce qui s'était passé, ainsi qu'il le faisait dans ses conférences et ses ateliers.
"C'était un regrettable malentendu, Gillian. Rien de plus."
Comme si il m'avait frappée au lieu de m'embrasser." p.60
Au sein de sa salle de cours qui lui tient lieu de harem, Andre Harrow règne en père tyrannique auprès de ces jeunes esprits malléables qu'il entraîne insidieusement dans une féroce compétition.
" La tenue de notre journal se mit à nous obséder. Au point de nous faire négliger nos autres cours. Les ateliers de poésie d'Andre Harrow duraient plus que les deux heures prévues, souvent au delà de trois heures, et nous laissaient épuisées; ils avaient lieu le mardi et le vendredi, et devinrent peu à peu le point central de nos existences. L'atmosphère y était tendue, électrique. Aucun professeur ne nous écoutait avec la concentration, avec l'attention d'Andre Harrow. Certaines d'entre nous lisaient d'une voix forte et dramatique, d'autres d'une voix basse et timide. Parfois M.Harrow nous interrompait d'une exclamation : "Très beau" ou : "Relisez, s'il vous plaît.Loin de se contenter de fermer les yeux sur les vices de son mari, Dorcas y participe activement et y voit là l'occasion de pimenter son art comme sa vie de couple.
Mais très souvent il trouvait notre travail décevant. "Gonflant", comme il disait peu élégamment. Il abattait son poing sur la table de TP, faisant trembler nos gobelets de café en polystyrène et nos stylos, comme s'il se sentait personnellement insulté.
Qu'un homme adulte, un professeur d'université, accorde autant d'intérêt au travail d'étudiantes de troisième année..., cela ne nous paraissait pas étrange et déroutant, mais merveilleux.
Ou, quoique étrange et déroutant, merveilleux tout de même.Au moins intéresse-toi à moi. Si tu ne peux m'aimer. Au moins ne m'ignore pas." p.68
J'ai trouvé ce personnage d'autant plus choquant qu'il s'agit d'une femme qui a l'âge d'être mère et à qui l'instinct protecteur fait cruellement défaut. Entre ses mains, les jeunes filles se voient déshumanisées, réduites à de simples poupées de porcelaine avec lesquelles elle prend plaisir à jongler. Et tant pis si certaines d'entre elles se brisent en cours de route.
Au milieu de cette folie ambiante, il y a Gillian, cette jeune fille intelligente dont on espère qu'elle sortira du lot pour sauver toutes les autres qui à force de jouer avec le feu, y ont laissé leur innocence.
Ce court roman m'a laissée sans voix. A maintes reprises, j'ai eu la sensation de suffoquer en même temps que je continuais de tourner les pages, impatiente que tout cela prenne fin, que ces jeunes filles soient délivrées de cette perversion en vase clos dont rien n'est jamais filtré à l'extérieur.
Une écriture qui sans se révéler crue fait montre d'une froideur saisissante mais diaboliquement efficace.
Une auteure que je serais curieuse de relire mais pas tout de suite. Je préfère laisser reposer le tout et respirer un grand coup avant de replonger...
D'autres avis : Ys et Delphine en ont parlé récemment ainsi que beaucoup d'autres chez BOB !
"Délicieuses pourritures" était une lecture commune avec Choco et ma première participation au Challenge Oates lancé par George.