28 février 2013

Les Lettres de Pelafina - Mark Z. Danielewski


Publié en 2000 et traduit en français en 2003, "Les lettres de Pelafina" est un recueil de lettres présent à l'origine au sein du roman "La Maison des feuilles" de l'écrivain américain Mark Z. Danielewski.

Ces lettres furent rédigées entre le 28 juillet 1982 et mai 1989 à l'asile psychiatrique Three Attic Whalestoe par une pensionnaire du nom de Pelafina.
Malgré la distance qui les sépare, Johnny, son jeune fils confié à une famille d'accueil, est tout ce qu'il lui reste.
Dans ses premières lettres, Pelafina tente de le consoler, lui dit toute la fierté qu'il lui inspire et l'encourage à se montrer fort. Un soutien indéfectible pour compenser l'absence.
Puis aux lettres enjouées, souvent rédigées à plusieurs semaines d'intervalle, succèdent les premiers doutes, les contradictions, les mauvais rêves, les pensées confuses, les supplications, la paranoïa vis-à-vis du nouveau directeur, les aveux de culpabilité, et surtout la peur d'être remplacée voire oubliée...

" Chaque fois que j'ai demandé à ton père ce qu'il voulait pour son anniversaire, il m'a répondu immanquablement de la même façon. Savais-tu qu'il s'était fait retirer son appendice ?
Il était jeune quand on le lui a enlevé.
Il me disait toujours pour plaisanter qu'il voulait le récupérer. C'était sa façon à lui de dire "rien".
En fait, c'était une invitation à lui offrir quelque chose qui excède l'horizon de son imagination et de son désir. Sa façon de dire moi.

Tout mon amour à mon petit qui a encore son appendice. Et peut-être d'autres." p.54

Bien que l'on devine que son fils lui répond parfois, le présent recueil ne contient que les lettres de Pelafina. Un choix qui laisse entrevoir une solitude d'autant plus criante que ces lettres sonnent tel des monologues désespérés.
Derrière cette plume exubérante et théâtrale se cache un profond besoin de se sentir aimée.
Ce lien qu'elle s'acharne à vouloir conserver avec son fils est peut-être encore la seule chose qui la raccroche à une certaine lucidité.
Mais l'on peut aussi s'imaginer à quel point son instabilité psychologique doit être un poids pour son fils, trop jeune sans doute pour comprendre ses appels à l'aide.
D'autant qu'en femme intelligente qui connaît le latin et les mythologies anciennes, Pelafina accumule les messages codés, pas toujours évidents d'ailleurs à décrypter pour le lecteur.
Dans le fond, comprendre chaque mot choisi par Pelafina n'est pas le plus important, tant l'auteur réussit avec talent à nous faire rentrer dans l'esprit de cette femme perdue.
Une femme qui perd pied au fil du temps, glissant peu à peu vers une folie qui la laisse seule avec elle-même.

" Aujourd'hui je me demande comment faire naître en toi l'ultime quiétude ? Tu es déjà né de moi une fois. Penser que je ne puis le refaire me déchire, à moins qu'une telle délivrance ne soit possible qu'en me délivrant moi de toi et non toi de moi.
Je ne sais pas. Mes projets sont de monstrueux marécages et mes efforts des eaux troubles. Tout ce que j'ai jamais voulu c'est te voir transporté, de joie, en un lieu agréable, sous une meilleure étoile; penché sur ton avenir loin de mon ombre épouvantable.
Certes j'ai failli. Je ne vois rien d'autre à dire. Rien d'autre à faire. Je n'ai rien. Je ne suis rien.
Seul mon amour pour toi dément ces mots. " p.98

 Quelqu'un parmi vous a-t-il lu "La Maison des feuilles" ?





25 février 2013

Les curieuses rencontres du facteur de Skogli - Levi Henriksen



Publié en Norvège en 2008 et disponible en français depuis septembre 2012, "Les curieuses rencontres du facteur de Skogli" est le second roman, après "Du sang sur la neige", de l'écrivain et musicien norvégien Levi Henriksen.

Après avoir surpris sa femme avec un autre le jour de leurs noces de bois, Simon Smidesang tire une croix sur son mariage et sa carrière de journaliste pour se retirer dans le petit village de Skogli.
Il y accepte un poste de facteur et choisit de s'installer dans la maison de ses grands-parents, avec pour seul bagage l'urne contenant les cendres de son père.
Simon n'aspire plus qu'à couler des jours paisibles et à oublier tout ce qu'il a laissé derrière lui pour se concentrer pleinement sur son nouveau projet : la construction d'un sauna.
Au fil de ses tournées de facteur, il fera la connaissance de plusieurs villageois au comportement atypique : Bjorkli, le couvreur qui ne tient pas en place et passe son temps à fuir sa femme, Andreas Hemingby, vieux bonhomme un peu barré qui prend grand soin de son jardin, Sophie By et ses "fantassins", ainsi que de l'intrigante Ginni Bang, jeune femme vivant en ermite dans une maison décrépite...

Si je devais définir mon impression sur ce roman en deux mots, je choisirais certainement...fade et gentillet.
Le village de Skogli est assurément un "endroit que Dieu a caché" et où il ne se passe pas grand chose.
Dès lors, comme on peut s'en douter, les voisins passent leur temps à s'épier comme à guetter le moindre non-événement. Du fait de son statut de facteur, Simon est amené à cotoyer quotidiennement tout ce petit monde. Chaque habitant de Skogli et de ses environs possède ses habitudes et ses petits secrets, même si il se laisse parfois aller à quelques confidences auprès de Simon, toujours prompt à tendre l'oreille comme à rendre service.
Simon est heureux de pouvoir se sentir utile à autrui et son projet de sauna lui procure l'agréable sensation de construire quelque chose de ses mains.

Exactement comme avec "La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry arriva le mardi", j'ai eu du mal à croire à tant de gentillesse au sein de la communauté de ce village. Les personnages, malgré leurs secrets, m'ont semblé bien lisses et prévisibles. On ne peut pas dire que je me sois attachée à eux, sauf peut-être à Andreas Hemingby et son histoire de clou porte chance.
Au final, ce roman s'est révélé sans grande surprise, trop "propret". Le point de départ de cette histoire aurait pourtant pu déboucher sur des portraits décapants et plein d'humour mais il aurait alors fallu que l'écriture de l'auteur bénéficie de l'éclat qui, selon moi, fait malheureusement défaut à ce roman.

Je remercie néanmoins Abeline et les de m'avoir envoyé ce roman








24 février 2013

La mort s'invite à Pemberley - P.D James (livre audio)


Publié en anglais en 2011 et traduit en français l'an passé, "La mort s'invite à Pemberley" est la suite criminelle, imaginée par la romancière anglaise P.D James, au célèbre classique "Orgueil et préjugés" de Jane Austen.

Bien des années après que Lydia Bennett se soit enfuie avec George Wickham et que Jane et Lizzie aient trouvé en Bingley et Darcy deux maris aimants, voilà que, la veille du bal d'automne de Lady Anne, un terrible accident vient troubler le calme de Pemberley.
Durant le dîner réunissant les Darcy, les Bingley, Giorgiana Darcy, le colonel Fitzwilliam et le jeune avocat Henry Alveston, l'attention des convives se porte tout à coup sur la route du bois qu'emprunte un cabriolet malmené par la tempête faisant rage.
Du véhicule émerge une Lydia plus hystérique que jamais, clamant haut et fort qu'à la suite d'une série de coups de feu, Wickham est mort de la main de son ami le capitaine Denny.
Wickham est-il vraiment mort ? Pemberley et ses habitants se relèveront-ils de l'enquête et du procès à venir ?

Lorsque j'ai eu vent de la sortie de ce roman en mars dernier, j'ai beaucoup hésité à me le procurer, craignant surtout que P.D James (que je ne connaissais pas alors) dénature l'univers austenien au profit d'une enquête policière tirée par les cheveux.
Je remercie Audiolib de m'avoir donné l'occasion de constater que j'avais doublement tort, tout d'abord parce que P.D James a vraiment su selon moi se réapproprier la langue et l'esprit de Jane Austen, mais également en raison de l'aspect policier du roman qui s'est avéré beaucoup moins complexe que prévu.

Le roman s'ouvre sur un rappel des faits et des personnages d'Orgueil et Préjugés à qui P.D James offre une "seconde vie" en imaginant ce que chacun est advenu. Ces supposés chemins de vie prêtent parfois à sourire mais concordent toutefois avec les traits de caractère de chaque protagoniste.
En Jane résident encore la même douceur et la même bienveillance qu'autrefois. Bingley se distingue toujours par sa jovialité. Si Darcy se montre moins secret qu'auparavant, il n'en reste pas moins cet homme taciturne soucieux de préserver sa famille.
Bien que mariée, Lydia n'a toutefois rien gagné en sagesse ni en retenue. De même, Lady Catherine est restée fidèle à elle-même.

" Je n'ai jamais approuvé les agonies qui n'en finissent pas. Dans l'aristocratie, c'est de l'affectation. Dans les classes inférieures, ce n'est que prétexte pour se dérober au travail (...) Les gens devraient prendre la décision de vivre ou de mourir et faire l'un ou l'autre avec le moins de désagrément possible pour autrui."

Le seul personnage qui semble avoir changé est Lizzie, toujours curieuse, intègre et perspicace mais très embourgeoisée (le couple ne voit les enfants que lors des visites à la nursery), constamment exténuée et effacée tout au long d'une histoire qui semble avant tout une affaire d'hommes !
J'ajouterais que le couple qu'elle forme avec Darcy m'a déçue dans le sens où je me disais qu'une fois le mariage consommé, ils se tutoieraient et adopteraient un comportement moins guindé. Or il n'en est rien ici.
La première partie est donc principalement consacrée aux personnages et aux retentissements que provoque l'accident en chacun d'eux. Emergent de douloureux souvenirs et de vieilles rancunes que même le bonheur conjugal n'a pas réussi à effacer.
Comment Darcy aurait-il pu oublier la trahison de Wickham qui fut autrefois un frère pour lui ? Il découvre qu'il ne suffit pas d'éloigner un homme pour le rayer de son existence. Ainsi, certaines responsabilités se rappellent-elles à lui.

A l'accident succède une enquête judiciaire malheureusement bâclée faute de preuves ou d'indices probants. Seuls quelques témoignages éclairent quelque peu les circonstances de l'accident mais sans pour autant en faire toute la lumière.
Le lecteur assiste rapidement au procès lors duquel, à part une audition inattendue, les témoignages sonnent comme de faibles redites.
Beaucoup d'espace est consacré aux rumeurs de la foule avant que n'arrive un premier coup de théâtre.
Trop d'éléments sont restés inexpliqués et ce n'est que dans les dernières pages du roman que les langues se délient, donnant lieu à une série de révélations coup sur coup expliquant le rôle de chacun dans l'affaire.

Voici une lecture qui avait très bien commencé mais qui malheureusement s'est avérée décevante pour moi à partir de l'ouverture de l'enquête. Une enquête qui n'a cessé de piétiner jusqu'à un dénouement crédible mais décidément trop maladroitement précipité.
J'ai regretté ce manque de possibilité laissé au lecteur de pouvoir deviner la suite de l'histoire.
Comme je l'ai dit plus haut, P.D James maîtrise selon moi les différentes composantes de l'univers austenien. Stylistiquement ce roman est irréprochable et l'on peut d'ailleurs compter sur la voix de Guila Clara Kessous (plus d'une vingtaine de personnages à elle seule, il fallait le faire !) pour reléguer cette espièglerie d'entre les lignes et favoriser une écoute très agréable.
Mais là où le bât blesse, c'est lorsque l'auteure glisse de cet univers vers son univers propre qui est celui des romans policiers.
Une transition malheureusement bancale, comme si "la reine du crime" s'était tellement laissée posséder par l'univers d'Austen qu'elle en avait tout simplement oublié son intrigue.
Je ne saurais dire si les amateurs d'Austen y trouveront leur compte. En revanche, je pense que les lecteurs du genre policier risquent de sortir déçus de cette lecture.


MERCI à de m'avoir envoyé ce livre audio !