Publié en 1992 et traduit en français l'année suivante, "Reflets en eau trouble" est un roman de l'écrivaine américaine Joyce Carol Oates, notamment auteure des romans "Blonde", "Les Chutes", "Délicieuses pourritures" ou encore de "Premier amour".
Un soir de 4 juillet un peu trop arrosé, une voiture démarre en trombe vers l'embarcadère de Brockden avec à son bord un sénateur américain et Kelly Kelleher, jeune partisane rencontrée quelques heures auparavant.
Tous deux n'embarqueront jamais dans le ferry. Au terme de ce qui devait être un raccourci, le véhicule quitte précipitamment la route pour échouer au fond d'un marais.
Si le politicien réussit à rejoindre la surface, Kelly est quant à elle prise au piège dans l'habitacle de la voiture.
C'est dans cette eau sombre que la jeune femme verra ses dernières heures défiler avant de trouver la mort.
" Ils foncent, rebondissent sur les ornières de la route, la lune brille au-dessus de leurs têtes, baiser enfiévré sur la bouche, et la minute d'après c'est la lutte pour la vie, il lui donne un coup de pied pour s'échapper, convulsé de terreur, il ne savait pas ce qu'il faisait, c'était de la panique aveugle, elle comprenait.
Elle comprenait. Elle gardait confiance.
Elle se rappelait maintenant qui il était : le Sénateur.
Elle sentait la pression de ses doigts sur ses épaules nues, son haleine, elle respirait une odeur de bière, d'alcool...elle n'était pas une mauvaise fille, elle expliquerait les raisons de sa conduite avec le Sénateur, ainsi tout semblerait, tout serait évident, attendu, banal." p.88
Remplacez "sénateur américain" par "Edward Ted Kennedy", frère cadet des célèbres Bob et John et sénateur du Massachussets et "Kelly Kelleher" par "Mary Jo Kopechne" et vous obtenez une histoire vraie qui avait défrayé la chronique américaine à la fin des années 60.
A l'issue de l'enquête sur l'accident, malgré un rapport attestant clairement que le sénateur avait préféré retourner à la soirée d'où il venait pour appeler son avocat plutôt que les secours ou la police, celui-ci ne fut sanctionné que par 2 mois de prison avec sursis, autant dire peanuts pour un délit de fuite.
L'enquête avait par ailleurs établi que Mary Jo Kopechne aurait survécu quelques temps dans l'eau grâce à la présence d'une poche d'air et que sa vie aurait sans doute pu être sauvée si les secours avaient été avertis directement.
Je ne suis guère étonnée que cette affaire ait retenu l'attention de cette romancière dont bon nombre de romans portent en eux la désillusion d'une jeune femme face à l'indifférence et la cruauté de l'homme de pouvoir.
Dans la peau de Mary Jo Kopechne s'est glissée Kelly Kelleher, jeune femme présentée comme brillante, impliquée politiquement et grande admiratrice du grand homme qui l'enverra droit dans le marais...
Alors qu'elle se débat pour rester en vie, les souvenirs remontent à la surface (si je puis dire) en autant de portraits de famille et d'instantanés illustrant la complicité immédiate unissant Kelly à ce sénateur dont elle reste persuadée qu'il reviendra lui porter secours (que nenni).
C'est certain, il viendra pour elle, elle qu'il a choisie parmi toutes les autres (dans un moment d'ébriété) et elle s'en sortira, croit-elle, toute sotte qu'elle est.
Oates pointe ici du doigt la naïveté d'une jeune femme vis-à-vis d'un homme qu'elle admire au point de lui attribuer des qualités de superhéros qu'il ne possède apparemment pas.
Peut-on néanmoins en déduire que l'auteure ait réussi à s'emparer de ce drame au point d'en faire une métaphore sur "le déclin moral, spirituel et intellectuel de la société américaine" comme le souligne la quatrième de couverture ?
Bof...
Je ne pense pas que j'aurais davantage apprécié ce court roman en ignorant qu'il était basé sur un fait réel mais, en connaissance de cause, j'ai nettement eu l'impression que l'auteure se trompait d'histoire.
Plutôt que de faire revivre au lecteur les dernières heures de cette pauvre femme, ce roman aurait selon moi gagné en force si il avait choisi d'évoquer l'après - la défense de Ted Kennedy, l'enquête, la faible sentence prononcée à son égard - pour aborder de front le thème du rêve américain englouti.
Si cet accident jeta définitivement un voile sur son accès à la présidence, il n'a tout de même pas empêché cet homme de rester sénateur pendant plus de 40 ans (!).
Par ailleurs, même si je pense que l'auteure souhaitait faire valoir la voix de cette jeune femme, la réhabiliter dans son statut de victime et lui rendre justice à sa manière, je n'ai pas réussi à m'imprégner de son récit.
Trop confus peut-être, trop répétitif certainement, avec ses multiples retours en arrière précisant 10 fois le déroulement de l'accident, revenant sur la rencontre entre Kelly et le sénateur pour "replonger" dans cette eau noire qui entraîne 10 fois la mort de la jeune femme mais jamais totalement sauf à la toute fin...
Vu l'oeuvre abondante de cette auteure, je m'attendais à rencontrer quelque "râté".
Néanmoins, ma PAL et moi ne lâchons pas l'affaire pour autant ;)
Un autre avis : Pimprenelle