31 mars 2011

L'homme est un grand faisan sur terre - Herta Müller


Publié en 1986 et traduit en français deux ans plus tard, "L'homme est un grand faisan sur terre" est le troisième roman de l'écrivaine roumaine Herta Müller.

Dans un petit village de Roumanie, sous la férule de Ceausescu, vivent le meunier Windisch, sa femme et sa fille Amélie.
Tous les trois aspirent à des jours meilleurs et comptent sur les livraisons de Windisch au maire pour obtenir un passeport qui leur permettrait d'émigrer. Mais les jours passent et le meunier finit par constater que son voisin le mégissier a plus de chance que lui...

Il y a deux ans, j'aurais été bien en peine de vous renseigner sur l'identité d'Herta Müller.
J'aurais sans doute évoqué une célèbre marque de charcuterie pour faire diversion...Bref.
Si le nom d'Herta Müller nous est aujourd'hui connu, c'est parce que cette écrivaine roumaine s'est vue décerner le Prix Nobel de Littérature en 2009.
Je n'ai pas pour habitude de laisser les mentions de prix littéraires guider mes choix de lecture mais lorsque je suis tombée par hasard sur ce titre chez mon bouquiniste, je me suis dit pourquoi pas ?
En vérité, j'aurais mieux fait ce jour-là de me commander un sandwich dinde-mayo plutôt que de flâner au milieu des livres...

J'ai rapidement été déconcertée par ce roman, aussi bien par le fond que par le style.
Le roman se compose de chapitres courts qui présentent de brèves scènes du quotidien de Windisch et de son entourage. Je n'ai pas vraiment ressenti de fil conducteur entre ces différentes scènes et les échanges entre les différents protagonistes m'ont fait l'effet de dialogues de sourds.
Cela dit, je reconnais que cette constatation est à prendre avec des pincettes étant donné que je n'ai pas réussi à venir à bout de ce roman.
Je n'ai ressenti aucune émotion durant ma lecture. Le style sec, saccadé, froid et les descriptions factuelles de l'auteur ont fini par mettre à mal ma curiosité au bout de la page 39 (oui seulement, je sais que je manque sans doute d'indulgence mais que voulez-vous, ça ne passait pas...) :

" La nuit était à son apogée. Elle poussait le ciel hors du village. Il était minuit. La Commission d'une nuit d'été fixait le ciel qui était déjà à demi vide. Sous le sac l'instituteur regarda l'heure. Il était minuit passé. L'horloge du clocher n'avait pas sonné.
Le curé avait arrêté l'horloge. Ses roues édentées ne devaient pas mesurer le temps du péché.
Le silence devait accuser le village.
Au bourg personne ne dormait. Les chiens étaient dans la rue. Ils n'aboyaient pas. Les chats étaient dans les arbres. Ils regardaient, eux aussi, avec leurs yeux de vers luisants.
Les gens étaient restés chez eux. Les mères faisaient les cent pas, leurs enfants dans les bras.
Elles avaient allumé des chandelles, les enfants ne pleuraient pas." p.39

Un abandon et un rendez-vous manqué avec cette auteure...

29 mars 2011

Les Belles Endormies - Yasunari Kawabata


"Les Belles Endormies" est un roman, publié en 1961, de l'écrivain japonais Yasunari Kawabata qui obtint le prix Nobel de littérature en 1968.

"Les Belles Endormies" nous emmène à la rencontre d'Eguchi, un vieil homme venu pour la première fois se reposer dans une curieuse demeure.
L'endroit a ceci de particulier qu'il propose aux hommes d'âge (très) mûr de passer la nuit aux côtés d'une jeune femme endormie à l'aide d'un puissant narcotique.
Mais attention, les règles sont strictes. Si les clients peuvent disposer de ces jeunes corps à leur guise, il leur est formellement interdit d'abuser de ces jeunes femmes voire même de tenter de les réveiller.
Troublé par sa première visite, Eguchi retournera plusieurs fois dans la chambre des "Belles endormies"...

J'appréhendais quelque peu cette lecture en raison de son sujet et parce que je commence à mesurer à quel point la littérature japonaise présente un goût certain pour les histoires obscures voire carrément glauques...
Je dois reconnaître que j'ai été agréablement surprise par cette lecture beaucoup plus subtile qu'il y paraît.
Eguchi est un vieil homme qui encaisse mal la solitude liée à la vieillesse. Fier, il se plaît à se convaincre que contrairement aux autres vieillards, il peut encore "se comporter en homme" et posséder une femme. Mais derrière cette vanité apparente se cache l'angoisse de mourir.
Les jeunes femmes diffèrent à chacune de ses visites mais le sentiment ambivalent que ressent Eguchi à leur contact reste le même.
La beauté et la jeunesse de ces corps le ramènent à la vie, rappellent à son souvenir des sensations enfouies et des femmes qu'il a connu autrefois.
Mais la léthargie induite par le sommeil artificiel renvoie Eguchi à sa propre mort, raison pour laquelle il ne peut s'empêcher d'essayer de réveiller ces femmes.

" Il portait déjà, lui aussi, les stigmates de la vieillesse. Il était évident que la fille ne dormait là que par amour de l'argent. Cependant, pour les vieillards qui payaient, s'étendre aux côtés d'une fille comme celle-ci était certainement une joie sans pareille au monde.
Du fait que jamais elle ne se réveillait, les vieux clients s'épargnaient la honte du sentiment d'infériorité propre à la décrépitude de l'âge, et trouvaient la liberté de s'abandonner sans réserve à leur imagination et à leurs souvenirs relatifs aux femmes.
Etait-ce pour cela qu'ils acceptaient de payer sans regret bien plus cher que pour une femme éveillée? Que la fille endormie ignorât tout du vieillard contribuait sans doute à mettre ce dernier à l'aise. Et lui de son côté ne savait rien des conditions d'existence, ni de la personnalité de la fille.
Rien ne le mettait en mesure de le deviner car il ignorait jusqu'à sa façon de s'habiller.
Les vieillards avaient certes un motif élémentaire qui était de n'avoir pas à craindre d'ennuis subséquents.
Mais il y avait aussi cette étrange lueur au fond de leurs profondes ténèbres." p.48

Même si j'ai toujours un peu de mal avec cette image récurrente de la femme soumise véhiculée par la littérature japonaise, je me suis surprise à outrepasser cet état de fait pour apprécier toute l'esthétique de ce roman.
Rédigé dans un style épuré sans être minimaliste, "Les Belles endormies" m'a fait l'effet d'un roman à l'ambiance délicatement sensuelle, axé avant tout sur le langage du corps, les souvenirs charnels et les réflexions intérieures d'un vieil homme au seuil de la mort.
Un joli roman envoûtant et terriblement humain !

7ème lecture pour le Challenge Coups de coeur de la blogosphère lancé par Theoma, "Les Belles Endormies" était le choix de Choco, une lecture qui entre également dans son challenge ainsi que dans le Challenge nécrophile de Fashion - l'auteur s'étant suicidé au gaz...



27 mars 2011

Court, noir, sans sucre - Emmanuelle Urien


" Court, noir, sans sucre" est un recueil de nouvelles de la française Emmanuelle Urien, publié en 2005 et réédité en 2010.

" Le bon âge pour mourir, c'est quand le vide s'installe à la place du coeur et qu'il creuse tout autour à chaque instant qui passe." p.13

15 nouvelles choc, courtes, noires et garanties sans sucre ni édulcorant pour aborder la mort, volontaire ou non, et le renoncement.
Au détour des pages se glissent des parents inconsolables depuis la perte de leur enfant, des épouses qui se gâchent en attendant leur mari, des femmes qui luttent pour faire entendre leur voix et des enfants effrayés.
Bien que j'ai aimé chacune de ces nouvelles, j'ai été particulièrement conquise par "Assistance technique", "Les mouches", "La place du mort" et bouleversée par " Le chemin à l'envers" et "La vie au gramme près", portrait d'une femme anorexique qui expérimente l'art de souffrir...

" Amélie a renforcé les bras et les jambes de ses sculptures avec du fil de fer, et pendant quelques jours, les silhouettes ont tenu bon. Amélie résistait elle aussi. A la fatigue, car elle ne dormait plus, elle n'avait plus le temps, elle sentait approcher la fin.
A la faiblesse qui lestait son corps pourtant si léger à présent, et l'entraînait vers le sol où elle se réveillait parfois après un malaise, secouée de nausées.
Tout cela, cependant, concourait à la naissance d'une nouvelle oeuvre, dans les cris étouffés, les larmes, la souffrance et leur probable corollaire, l'accomplissement de soi.
Elle y était presque, à quelques grammes près." p.85

Emmanuelle Urien nous dépeint un monde sans pitié dans lequel gravitent des personnages impuissants et livrés à eux-mêmes, submergés par une tristesse qu'ils peinent à faire entendre et qui se heurte bien souvent à l'indifférence générale.
En chacun d'eux réside une part d'ombre habilement saisie par l'auteur au détour de phrases courtes qui tranchent dans le vif et de chutes implacables, sans appel.
J'en reste sans voix...

" Parce que c'est bien gentil, le bonheur : ça s'installe un temps, ça prend ses aises, et puis un jour ça vous plante là, et vous n'êtes pas plus avancée.
Voilà comment Jeanne voit les choses, elle n'en démordra pas. Alors non, vraiment, elle ne veut rien fréquenter d'approchant? Mieux vaut s'aguerrir. Se frotter aux peines du quotidien, petites et grandes, pour endurcir la peau et épaissir la corne.
Après, plus rien ne vous touche, c'est comme ça que l'on fait de vieux os." p.108

Un grand MERCI aux éditions de m'avoir offert ce livre !

D'autres avis chez BOB !

26 mars 2011

Au fil de la vie - Rainer Maria Rilke


"Au fil de la vie" est un recueil, publié en 1898, composé de 11 nouvelles signées de l'écrivain et poète autrichien Rainer Maria Rilke, célèbre pour son roman "Elégies de Duino" et "Lettres à un jeune poète", sa correspondance de plusieurs années avec un jeune officier.

Dans "La fête de famille" et "L'anniversaire", un homme et une femme célèbrent chacun à leur manière l'énième anniversaire de ce frère parti trop tôt.
"Le secret" nous dépeint l'étrange amitié qui lie Clotilde et Rosine, cette dernière étant fermement décidée à découvrir ce que son amie dissimule dans un coffret verrouillé.
"La fuite" évoque le désir de liberté de Fritz et Anna, un jeune couple forcé de se fréquenter en cachette de leurs parents.
"Toutes en une", "L'enfant Jésus" et "Unis" nous font faire connaissance avec Betty, Werner et Gerhard, trois jeunes gens malades qui cherchent le réconfort au gré de leur imagination.
Dans "Bonheur blanc", Théodor Fink appréhende de revoir son frère mourant et fait une bien étrange rencontre.

Frères et soeurs en deuil, vieilles filles, jeunes malades au bord de la mort. Les personnages qui peuplent ces nouvelles ne sont guère heureux.
Tous partagent la peur de l'inconnu, de cette mort qu'ils attendent et redoutent.
Ils ont perdu cette étincelle qui les raccroche à la vie et se retrouvent seuls avec leurs angoisses, sans Dieu pour les secourir.
" Qu'est-ce que la piété? Le plaisir qu'on prend à des églises sombres et à des arbres de Noël illuminés, la gratitude que l'on éprouve pour un quotidien tranquille que ne vient troubler aucune tempête, l'amour qui a perdu son chemin et qui cherche, qui tâtonne dans l'infini sans rivages.
Et une nostalgie qui joint les mains au lieu de déployer ses ailes." p.129

Le style de Rilke est teinté d'une mélancolie poétique. En revanche, je cherche encore l'humour promis par le résumé du livre...
L'écriture est assurément belle, sans doute un peu trop travaillée car j'ai eu l'impression que l'émotion s'effaçait au profit de phrases bien tournées. Je n'ai pas réussi à être transportée par ces nouvelles, si ce n'est par "L'enfant Jésus", l'histoire d'un conte de Noël qui a mal tourné...

" La mort est un changement de numéro. La petite Elisabeth était maintenant couchée dans la chambre du bas dont elle avait souvent vu, de sa fenêtre, les murs extérieurs blancs.
Elle avait rapetissé et prenait, avec ses pieds refroidis, peu de place dans le simple lit de bois auquel était déjà fixé le nouveau numéro. Le numéro de la tombe, là dehors.
Celle-ci était déjà prête; mais elle n'était pas noire et béante comme la gueule d'un animal monstrueux. L'arrivée de la nuit commençait d'y tisser un linceul de neige chatoyant de blancheur, rendant l'endroit aussi gracieux et attirant que le petit lit d'un enfant de riches.
Et la petite Betty dans sa chambre silencieuse était couchée si câline et si confiante qu'on eût pu croire qu'elle le savait.
Ses petites mains d'une blancheur de cire tenaient, comme pour jouer, une petite croix de bois, sa chevelure rayonnait comme une auréole depuis le nuage de dentelle de son oreiller mortuaire, et autour de ses lèvres minces et pâles s'épanouissait un sourire mélancolique : c'est ainsi qu'une couronne d'immortelles enlace une page de missel jaunie." p.92
Un autre avis : Jules

24 mars 2011

Le Koala tueur et autres histoires du bush - Kenneth Cook


"Le Koala tueur et autres histoires du bush" est un recueil de 15 nouvelles nées sous la plume de l'écrivain australien Kenneth Cook, célèbre pour son roman "Cinq matins de trop".

J'avais pour la première fois entendu parler de ce recueil chez Keisha et attendais donc impatiemment sa sortie en Poche. Après lecture, je peux vous dire que plus jamais je ne songerai à un koala autrement qu'en pensant à Freddy Krueger...
A travers le récit de 15 rencontres toutes plus invraisemblables les unes que les autres, l'auteur nous emmène explorer l'outback australien et ses terres arides, peuplées de créatures pour le moins étranges.
Serpents venimeux, crocodiles en rut, koalas aux griffes acérées, pachydermes constipés, cochons kamikazes ou chameaux dressés au racket, autant d'animaux fourbes et fermement décidés à faire de sa vie un enfer.
" Je fus alors confronté, pour la première fois de ma vie, à l'une des choses les plus redoutables en ce bas monde : l'haleine de chameau. Représentez-vous l'odeur du contenu d'un estomac de vautour, celle d'un pauvre chat mort depuis des lustres dans une fosse d'aisances et celle d'un curry indien en décomposition quatre jours après avoir été ingurgité. Combinez toutes ces odeurs et le résultat évoquera un Chanel n°5 comparé à une haleine de chameau." p.118
Les habitants du Bush ne sont pas en reste. Aborigènes rusés ou scientifiques excentriques principalement rencontrés autour d'un verre au pub, chacun d'entre eux réussit à convaincre l'auteur de les suivre malgré ses craintes et le danger qui rôde...
" - Roger, lui dis-je en articulant bien, étant donné le fait que nous nous trouvons dans une toute petite embarcation ridiculement surchargée, que nous sommes entourés de falaises qu'un lézard peinerait à escalader, dans un lagon infesté de femelles crocodiles avec un mâle en rut qui peut rentrer à tout instant - compte tenu de tout ça, tu ne crois pas que nous devrions nous magner de foutre le camp?
Roger m'observa en fronçant les sourcils.
- Tu sais, tu n'as peut-être pas tort, concéda-t-il. Ca pourrait devenir dangereux." p.31

Je suis tombée sous le charme du style enlevé, vif et foncièrement drôle de cet écrivain curieux et naïf qui, bien souvent poussé par l'excès d'alcool, envoie promener ses appréhensions pour se laisser entraîner dans de nombreuses mésaventures.
A chaque fois, il se fie à la bonne foi de son interlocuteur qu'il accepte de suivre à titre d'observateur, une décision qu'il regrettera amèrement à de nombreuses reprises lorsque le danger le forcera à intervenir au péril de sa vie. Et ce qui pour lui relève du cauchemar éveillé retranscrit "en direct" avec force détails, se trouve être un régal pour le lecteur !

" Parmi mes nombreux défauts, je suis affligé de l'incapacité de distinguer les personnes saines d'esprit des fous à lier. Peut-être la différence est-elle minime, peut-être suis-je moi-même légèrement demeuré. Dans un cas comme dans l'autre, ce défaut me précipita vingt mètres sous la surface calcinée du centre de l'Australie, sur le point d'éclater en mille morceaux ou d'être enterré vivant, voire les deux à la fois." p.175

Comme le dit l'auteur, "dans tout périple se cache une bonne histoire". Qu'importe que la véracité de ces histoires ait été discutée, je peux vous dire que je ne regrette pas le voyage !

D'autres avis chez BOB !


17 mars 2011

Un jour - David Nicholls


"Un jour" est le troisième roman, publié cette année, de l'écrivain et scénariste britannique David Nicholls.

Edimbourg, 1988. Emma et Dexter sont diplômés et passent la nuit ensemble après la fête de fin d'année.
Issue d'une famille modeste, elle est bohème, cynique, complexée, passionnée et soucieuse de changer le monde. Lui vient d'un milieu bourgeois, il est superficiel, égocentrique, chaud lapin, nonchalant, paumé et sur le point de parcourir le monde.
Rien ne destinait ces deux-là à se revoir. Et pourtant, de cette nuit du 15 juillet 1988 découlera un chassé-croisé qui durera près de 20 ans...

Emma et Dexter sont deux jeunes gens brillants à l'avenir prometteur. Malheureusement, la vie est un parcours semé d'embûches et tous deux en feront les frais.
Dexter voyage beaucoup et, dévoré par l'ambition de réussir et de briller en société, devient animateur télé. Il accumule les conquêtes, sombre dans l'alcool et trouve le réconfort auprès d'une femme castratrice qui lui donne un enfant mais ne le rend pas vraiment heureux.
Emma rame comme serveuse dans un restaurant mexicain puis se lance dans l'enseignement, tout en gardant à l'esprit son rêve de devenir écrivain.
Entre un comique râté et un proviseur infidèle, sa vie sentimentale est plutôt creuse, chose que ses amis se chargent bien de lui rappeler (ah c'est que le compteur tourne !)

" Qu'est-il arrivé à ses amis, bon sang? Encore récemment, ils étaient drôles, sociables et intéressants. Ils sont désormais hagards, irritables, les yeux cernés et cloîtrés dans des pièces malodorantes. Les conversations qu'elle entretient avec eux se résument à des propos extatiques sur la croissance de leur enfant. Oui, Bébé grandit, et alors? Il ne va quand même pas rétrécir !
Elle ne veut plus avoir à pousser des cris de joie en regardant ramper leur progéniture comme si c'était un événement inattendu. Que croyaient-ils? Que leur enfant allait se mettre à voler?
Elle n'éprouve aucune émotion particulière à humer l'odeur que dégage un nourrisson : elle l'a fait une fois, et n'éprouve pas le besoin de le refaire. Ca sentait le cuir de bracelet-montre - rien de plus." p.384

Raconter 20 années de vie de deux personnages peut sembler laborieux mais l'auteur a opté pour l'ellipse narrative en structurant son récit de manière à ce que chaque chapitre évoque une année écoulée.
Ce genre de structure peut sembler rigide mais elle présente l'avantage de maintenir l'attention du lecteur comme de mettre en évidence les changements opérés dans la vie de chacun de ces personnages.
"Un jour" rend compte de l'histoire de deux êtres en quête d'eux-mêmes et qui se tournent autour sans oser faire face aux véritables sentiments qui les unissent.
Alors qu'ils pourraient être ensemble, ils passent leur temps à se lancer des piques pour faire diversion.
S'ajoute à cela le clivage social qui les sépare, leurs rencontres mutuelles, leurs disputes, leurs façons de vivre diamétralement opposées et leurs chemins de vie toujours vécus en décalage (à croire qu'ils ne peuvent jamais être heureux en même temps!).
Et pourtant, Emma et Dexter finissent toujours par retrouver ce lien étrange, savant mélange d'amour et d'amitié.

" "Table 5, indiqua Dexter.
- Et moi, 24 ! répliqua Emma. La 5 n'est pas loin de la table des mariés. La 24 est tout au fond, près des toilettes chimiques.
- Ne le prends pas mal. Tilly ne l'a sûrement pas fait exprès !
- Tu as vu le menu? Qu'y a-t-il comme plat principal?
- La rumeur publique annonce du saumon.
- Du saumon. Du saumon, du saumon et encore du saumon ! J'en mange tellement à tous ces mariages que je vais finir par remonter le courant, moi aussi !
- Viens à la table 5. On échangera les étiquettes - personne ne s'apercevra de rien !
- Tu veux trafiquer le plan de table? Méfie-toi. On exécute pour moins que ça. J'ai cru voir une guillotine en arrivant, tout à l'heure. "
Dexter éclata de rire. "On se retrouve après, d'accord?
- T'as qu'à venir me chercher.
- Toi aussi. Tu viendras me chercher?
- C'est mieux si c'est toi qui viens.
- Ou toi." p.344

Une histoire convenue et pas très plausible me direz-vous, avec en filigrane une énième réflexion sur la pression sociale et la difficulté de poser des choix et de s'engager aux âges-clé.
En somme, un scénario digne des comédies romantiques du samedi soir passé entre copines célibataires ( une adaptation cinématographique de ce roman sortira d'ailleurs en septembre de cette année).
Certes, je ne me suis pas ennuyée pour autant. Le roman souffre de quelques longueurs malgré le choix narratif de l'auteur mais le style est vif et teinté d'humour, particulièrement dans les dialogues entre Emma et Dexter.
Une lecture facile, agréable sans être transcendante.

D'autres avis : Aifelle - Saxaoul

Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

13 mars 2011

Un certain sourire - Françoise Sagan


"Un certain sourire" est le deuxième roman de Françoise Sagan, publié en 1956 soit deux ans après "Bonjour Tristesse".

Dominique, étudiante en droit à la Sorbonne, entretient une liaison avec Bertrand depuis un an.
Entre eux, ce n'est pas la folle passion mais Dominique s'en accommode.
Un jour, Bertrand lui présente Luc, son oncle voyageur qui est marié à Françoise. Le charme opère et les deux couples se fréquentent de plus en plus souvent. Même si Dominique apprécie énormément Françoise, elle ne peut s'empêcher de penser à Luc, cet homme plus âgé, séduisant et sûr de lui et qui a su la troubler en ce qu'il partage avec elle ce même ennui pour l'existence.
" Bertrand était mon premier amant. C'était sur lui que j'avais connu le parfum de mon propre corps. C'est toujours sur le corps des autres qu'on découvre le sien, sa longueur, son odeur, d'abord avec méfiance, puis avec reconnaissance." p.15

C'est en 3 parties et à travers la voix de Dominique que l'histoire se déploie. Comme dans "Bonjour Tristesse", on retrouve ce triangle amoureux en huis-clos avec en son centre ce même personnage de la jeune femme insouciante et lascive, blasée avant l'heure, en proie à la solitude d'une vie qui lui semble vide et ennuyeuse.

" La confiance, la tendresse, l'estime ne me paraissaient pas dédaignables et je pensais peu à la passion. Cette absence d'émotions véritables me semblait être la manière la plus normale de vivre.
Vivre, au fond, c'était s'arranger pour être le plus content possible. Et ce n'était pas si facile." p.18

Livrée à elle-même, peu sûre d'elle et de son physique, elle trouve du réconfort auprès d'adultes plus âgés qui la revalorisent, la prennent en charge et la couvrent d'attentions.
Françoise se comporte avec Dominique comme le ferait une mère, la complimente, lui fait des cadeaux et la jeune femme éprouve d'autant plus de remords à désirer son mari.

" Elle avait des rides assez sévères au coin des yeux. J'y posai mon index :
" Moi, je trouve ça merveilleux, dis-je tendrement.
Toutes les nuits, tous les pays, tous les visages qu'il a fallu pour avoir ces deux minuscules petites lignes là...Vous y gagnez. Et puis ça donne l'air vivant. Et puis, je ne sais pas, moi, je trouve ça beau, expressif, troublant. J'ai horreur des têtes lisses. " p.47

Mais Luc sait se montrer à la fois persuasif et déconcertant. Il joue les indifférents et fixe les règles tout en faisant en sorte que Dominique s'attache à lui.
Dominique est partagée entre l'envie et le désir coupable. Elle n'a pas été habituée à devoir prendre des décisions.
Elle aime Luc, se surprend à imaginer la vie qu'ils auraient pu avoir mais n'entreprend rien, se contentant des moments qu'il consent à lui offrir.
" Je mentais. J'aurais voulu lui dire que je mentais et qu'à la vérité j'avais besoin de lui, mais tout cela, dès que j'étais à son côté, me semblait irréel. Il n'y avait rien; il n'y avait rien eu que quinze jours agréables, des imaginations, des regrets. Pourquoi être ainsi déchirée? Douloureux mystère de l'amour, pensais-je avec dérision.
En fait je m'en voulais, car je me savais assez forte, assez libre, assez douée pour avoir un amour heureux." p.111

On retrouve dans les propos de la narratrice cette mise à distance par rapport aux événements qui donne cette impression d'indifférence feinte. Sagan possède cette façon singulière de nous raconter une histoire un peu comme si de rien n'était, par le biais de personnages "spectateurs" qui semblent ne jamais réellement prendre part à leur vie, comme si tout leur échappait hormis la solitude et cette souffrance qu'ils retournent bien souvent contre eux-mêmes plutôt que d'en faire le reproche à autrui.
Les personnages de Sagan sont complexes : ils ont de quoi accéder au bonheur mais n'y parviennent jamais réellement. Si l'ennui qui les guette fait l'ambiance des romans de Sagan, l'auteure parvient à lui donner suffisamment de consistance que pour nous le transmettre sans nous en détourner.
En un mot, je continuerai à lire Sagan avec bonheur !

D'autres avis : Choco - Cécile QD9

11 mars 2011

Bouquiner - Annie François


"Bouquiner" est un essai de la française Annie François publié en 2000.
Comme l'indique le sous-titre, l'ouvrage se présente comme une autobiobibliographie dans laquelle l'auteure dresse l'inventaire de ses habitudes de lectrice et nous entretient de son rapport aux livres.

A travers une cinquantaine de courts chapitres correspondant chacun à une thématique, Annie François explique ses mille et une façons de s'approprier les livres.
Chez elle, les livres sont partout, sur les marches des escaliers, dans la salle de bains et il lui est inconcevable de se déplacer sans un livre sous la main !
Pas question de corner les pages ou d'utiliser un signet, elle aime manipuler ses livres en leur cassant le dos et en marquant de son ongle ses passages préférés (voilà de quoi faire hurler certains lecteurs, dont moi^^).
" Je répugne au marque-page, mais mes livres sont fourrés d'articles, de vieilles lettres, de listes de courses. Saisis au hasard, ils exhalent leurs secrets oubliés. Libérés de l'étreinte de leurs voisins, ils se regonflent de souvenirs aussi puissants que la dédicace de l'auteur ou du donateur.
Ils vivent doublement, de leur histoire et de la mienne." p.14

Elle n'écrit pas son nom sur ses livres mais y appose un cachet. Elle se débarrasse des jaquettes dès que possible car elle ne supporte pas les illustrations ni les photos d'auteur.
Difficile pour elle de consentir à prêter ses livres tant ils sont personnalisés de bien des manières. Du coup elle préfère les acheter pour les offrir.
Mais quand il s'agit d'acquérir de nouveaux titres :

" Pour offrir, il faut acheter. Donc aller dans une librairie. De petite, voire minuscule surface. J'opère un savant roulement, à la manière des pauvres qui répartissent prudemment leurs ardoises entre tous les commerçants du quartier.
Je n'y vais que quand j'ai un titre en tête. Même dans ce cas, je ressors avec au moins trois livres. Sinon, comme le boulimique évite la devanture des pâtisseries, je me détourne de la vitrine des librairies pour éviter les fringales d'entraînement, les achats compulsifs qui ne feraient qu'augmenter l'immense pile d'attente (NDLR : PAL ^^) qui vacille près du lit : sûr, les ouvrages se vengeraient en me dégringolant dessus pendant mon sommeil (hommage à Niki ^^)." p.39
Ca vous dit vaguement quelque chose? :)
En découvrant ce profil de lectrice, je me suis bien évidemment reconnue sur la plupart des points (quel soulagement, on se sent moins seule !) mais pas tous (je serais bien incapable de lire en marchant, d'arracher les pages d'un livre au fil de ma lecture pour alléger son poids ou de lire des biographies d'auteurs que je n'aime pas pour le simple plaisir de pouvoir médire davantage).
Mais "Bouquiner" n'en reste pas moins un portrait singulier pimenté de nombreuses références littéraires et anecdotes sur le quotidien de l'auteure.
Annie François est une lectrice éclectique mais qui sait ce qu'elle veut. Le propos est souvent ouvertement drôle, d'une précision catégorique mais toujours tendre et passionné.
J'ai beaucoup aimé les passages qui dénotent une vision sensuelle, organique du livre présenté comme un être vivant capable d'émettre un son et de produire une odeur.

"Bouquiner" est un essai qui fera sourire, déconcertera et consternera tout lecteur compulsif (et un brin fétichiste) digne de ce nom mais qui ne pourra le laisser sans réaction !
" Car le lecteur en apnée est imprévisible : un petit baiser dans le cou peut le faire sauter au plafond. C'est un asocial, un solitaire, une sorte d'autiste.
Essayez de l'empêcher de finir son paragraphe : l'être le plus amène s'ensauvage.
Tant qu'un lecteur n'a pas reposé son livre de plein gré, c'est un individu potentiellement dangereux." p.73

D'autres avis chez BOB !

10 mars 2011

Un challenge Nick Hornby? Evidemment !

Sofynet a eu l'excellente idée de lancer un challenge dédié à Nick Hornby ! J'avais dit et répété que je ne m'inscrirais plus à aucun nouveau challenge cette année mais là je n'ai pas pu résister...

3 catégories sont proposées :

- About a boy : lire un livre, voir au moins une adaptation.
- Slam : lire deux livres et voir au moins une adaptation
- High Fidelity : lire trois livres ou plus et voir au moins une adaptation

Le challenge prendra fin le 31 mars 2012.

Vous retrouverez toutes les infos en cliquant sur le logo ci-dessous. Rejoignez-nous !

9 mars 2011

Papillon - Yukio Mishima


"Papillon" se compose de deux nouvelles publiées en 1948 et tirées du recueil "Une matinée d'amour pur" de l'écrivain japonais Yukio Mishima.

"Papillon" évoque l'amour de l'officier Kiyohara pour la jeune Hanako avec laquelle il assista avant la guerre à une représentation de Madame Butterfly. Le souvenir de cet émouvant récital se confond avec la réalité de sa propre vie lorsque bien des années plus tard, il revoit la jeune femme désormais mariée.

Dans "La lionne", Shigeko décide de faire souffrir Hisao, son mari volage avec qui elle a eu un fils, lorsqu'elle apprend son intention de la quitter pour Tsuneko, la fille de son patron.

Mishima a choisi de reprendre à son compte deux célèbres tragédies pour aborder dans ces nouvelles le thème de l'amour passionnel et non-partagé.
" Mais ne rien vouloir croire, ce n'est pas ça, l'amour. Admettre le désintérêt de son mari conduit parfois à douter de son propre amour. En ce monde, croire seulement en l'amour est un doux rêve. Passe encore s'il s'agit d'un amour réciproque, mais si l'un n'est pas aimé par l'autre..." p.71

La première revisite Madame Butterfly de Puccini, l'histoire de Cio-Cio-San (Papillon en japonais), une jeune geisha tombée amoureuse d'un marin de passage du nom de Pinkerton.
Alors que tous deux sont mariés et parents d'un enfant, Pinkerton s'en va pour ne revenir que 3 ans plus tard, marié à une américaine.
Madame Butterfly n'encaisse pas le choc et choisit de se suicider.

"La lionne" s'inspire quant à elle de la tragédie grecque "Médée" d'Euripide. Totalement éprise de Jason qu'elle aidera à obtenir la Toison d'Or, Médée sacrifie tout à son amour et n'hésite pas à trahir les siens.
Mais lorsqu'elle apprend que Jason a jeté son dévolu sur la fille du roi Créon, elle décide de se venger de la pire des manières.

Les personnages en souffrance occupent le devant de la scène. Entièrement dominés et guidés par la violence de leurs sentiments, ils trouvent refuge dans la nostalgie ou, au contraire, dans la cruauté, non par fatalité mais par choix.
Fidèle à lui-même, Mishima dresse ici une vision désenchantée du genre humain dans le Japon d'après-guerre.
" Elle était belle sans aucun doute. Mais c'était la beauté d'une femme dont la confiance en son apparence avait été anéantie par un homme, une beauté insaisissable, une beauté à laquelle plus rien ne s'appliquait. Les cernes noirs de ses yeux clamaient assez nettement sa terrible souffrance. Shigeko avait fini par avoir l'habitude déplaisante de voir les gens comme à travers des paupières mi-closes." p.65

Mon avis sur ce recueil est mitigé, comme c'était le cas pour "Dojoji et autres nouvelles". "Papillon" est assurément plus originale que "La lionne" mais j'ai eu un peu de mal à différencier les époques et à distinguer la cantatrice d'Hanako dans l'histoire. Même si en la relisant une seconde fois, j'ai compris que cette impression de flou était voulue, j'ai trouvé dommage que le sens de l'histoire ne me soit pas apparu directement.
"La lionne" est une nouvelle assez terrifiante mais dont l'issue se révèle sans surprises tant le profil de Shigeko multiplie les indices quant aux événements à venir.

Je me rends compte que la littérature japonaise me renvoie toujours à ce même sentiment d'inaccessibilité. Les romans et nouvelles que j'ai lus jusqu'à présent m'ont tous à la fois intrigué et perturbé, sans que je n'arrive jamais vraiment à me l'expliquer.
Je crois que ce qui me dérange notamment dans la littérature japonaise (et la littérature asiatique en général) est cette éternelle mise en scène de la mort.
Tout semble calculé, ritualisé. Les suicides exigent une préparation au préalable, les meurtres sont prémédités.
Les personnages qui peuplent cette littérature sont souvent torturés par une lourde souffrance mais parviennent pourtant à agir de sang-froid, n'outrepassant jamais les limites de la dignité, si bien que j'ai souvent l'impression d'un manque de naturel, de spontanéité.
En termes de communication, cela se traduit par une absence totale d'épanchement, un goût prononcé pour le secret, le repli sur soi, la fermeture à l'autre, les actes symboliques prévalant bien souvent sur les mots.

Cela étant dit, je ne renonce pas aux romans japonais pour autant. Je continuerai à en lire avec curiosité car, malgré mes réserves, j'aime la confrontation culturelle et les réflexions que suscitent en moi mes lectures de "touriste" :)

7 mars 2011

La Boucherie des amants - Gaetano Bolan


"La Boucherie des amants" est le premier roman, publié en 2005, de l'écrivain chilien Gaetano Bolan.

Au coeur du petit village chilien de Tocopilla, la boucherie de Juan abrite clandestinement les esprits échaudés d'une poignée de révolutionnaires comme les corps enflammés de l'institutrice et du boucher dont la liaison comble de bonheur son jeune fils Tom qui a toujours secrètement rêvé d'avoir enfin une maman.
Malgré les limites imposées par le couvre-feu, les mystérieuses disparitions et fermetures de commerces, la vie continue malgré tout et il règne dans le village une ambiance bon enfant faite de joies simples et de relations complices entre ses habitants. Or la révolution est bel et bien en marche et quand rôde le danger, c'est chacun pour soi...
"Mais l'enfant regardait la nuit; Tom adorait la pluie. Il sortit de la boucherie et se remit à gambader comme un fou. Là où d'autres se seraient perdus, comme égarés par ce labyrinthe de gouttes furieuses, lui savait d'instinct s'orienter, déjouant les pièges de notre bon orage chilien.
Et à voir ainsi le gamin danser sous l'eau belle, faisant du déluge une joie de marelle, on eût dit que la pluie lavait tous les méfaits des hommes." p.36

Je serais sans doute passée à côté de ce titre sans m'y arrêter (ou peut-être rien qu'une seconde, le temps de m'imaginer avec effroi que Christine Angot avait remis le couvert avec Doc Gynéco pour sortir une suite) si je n'avais lu le mois dernier les avis enthousiastes de plusieurs blogueuses que je remercie pour cette jolie lecture.
Bon, qu'on ne s'y trompe pas, si vous cherchez une lecture instructive pour vous éclairer sur le régime Pinochet, passez votre chemin car vous n'apprendrez pas grand chose quant aux spécificités de ce pouvoir totalitaire.
"La Boucherie des amants" apparaît plutôt comme un roman d'ambiance rédigé sous forme de conte au ton poétique et faussement naïf qui m'a rappelé le style de Philippe Claudel dans "La petite fille de Monsieur Linh".
Qui dit court ne dit pas forcément bâclé. L'auteur a pris le parti d'aller à l'essentiel et a réussi au détour de quelques instantanés à offrir un aperçu suffisamment évocateur du quotidien oppressant d'un petit village.
J'ai été touchée par cette galerie de personnages au coeur pur, les courageux comme les lâches, ainsi que par la sensibilité amère qui se dégageait de ce joli récit.

" Les mille et une vies volées, au Chili comme ailleurs, ne le furent-elles que pour être écrites par des poètes ayant grand peine à contenir leur lyrisme? Ou ces destinées ne furent-elles que pétales de fleurs tombés en neige lente sur le linceul du souvenir? " p.90

D'autres avis : Clara - Stephie - Pimprenelle - Canel

5 mars 2011

Un soupçon légitime - Stefan Zweig


"Un soupçon légitime" est une nouvelle inédite signée Stefan Zweig - probablement rédigée par l'auteur en 1939 et traduite en français en 2009.

Betsy et son mari, un couple de retraités fraîchement installés dans une petite maison près de Bath, voient débarquer de nouveaux arrivants avec lesquels ils nouent rapidement des liens.
Attristés par la solitude de leur voisine Ellen dont le mari John passe la journée au travail, le couple les persuade d'adopter un chien pour tenir compagnie à la jeune femme.
Mais, dès l'arrivée du jeune Ponto, les choses prennent un tournant inattendu. John, d'un tempérament déjà propice à l'excès, s'accapare l'animal pour l'entourer d'une affection démesurée. Le chiot grandit et se montre de plus en plus tyrannique...

Bon sang de bonsoir ! J'ai eu du mal à rédiger ce billet et ce pour au moins deux raisons...
Tout d'abord parce qu'il m'a fallu trouver un moyen de ne pas spoiler l'histoire comme l'a fait le quatrième de couverture mais aussi parce que me voilà bien forcée de reconnaître que pour une fois - et je n'aurais pas cru la chose possible - Stefan Zweig m'a déçue :/
Je suis tentée de croire que si l'auteur s'est abstenu de faire publier cette nouvelle de son vivant, ce n'était sans doute pas sans raison.
Malheureusement, il y a toujours des éditeurs prêts à écumer les fonds de tiroir pour publier des textes inédits qui se vendront sur la seule base de la réputation de l'auteur.
Et ça marche ! Je dois avouer que Stefan Zweig est pour ainsi dire le seul auteur dont j'achète les écrits presque à l'aveuglette, avec cette certitude de ne jamais être déçue, quelque puisse être le sujet de l'oeuvre en question.
J'étais tombée sur cette nouvelle il y a quelques semaines et je n'avais pas pu résister, certaine qu'elle ne ferait pas long feu dans ma PAL.
Et voilà que hier justement, alors que je tentais d'analyser le comportement exclusif et jaloux de mon chat ("Cette fille débloque complètement ma parole!"), cette nouvelle s'est rappelée à mon souvenir !

Il est ici question d'un homme excessif par nature qui va jeter son dévolu sur un chien - Ponto - au point de l'idolâtrer et de laisser l'animal régner en maître dans sa maison.
Le chien sent l'emprise qu'il exerce sur son maître et s'habitue tellement à être l'objet de toutes les attentions qu'il joue de son pouvoir en vrai despote.
Malheureusement, dès lors que son maître reporte son affection ailleurs du jour au lendemain, le chien ne comprend pas ce qui se passe, ruse pour attirer l'attention jusqu'à commettre l'irréparable.

Dans cette nouvelle, le chien apparaît bel et bien comme un personnage à part entière que l'auteur, connu pour la finesse psychologique de ses portraits, caractérise si précisément que cet animal nous apparaît sous un jour étonnamment humain.
Bien sûr une bête reste une bête et la fin de cette nouvelle - malheureusement on ne peut plus prévisible - se charge bien de nous le rappeler en faisant de ce chien un véritable psychopathe !
Et c'est là que le bât blesse ! Si je reconnais que les animaux peuvent ressentir de la jalousie et se laisser volontiers guider par leur instinct pour défendre leur territoire, je déplore que l'auteur ait choisi de forcer le trait en prêtant à ce chien de mauvaises pensées tellement humaines que j'en suis presque arrivée à oublier le caractère tragique de cette histoire.
Bien sûr on retrouve avec plaisir l'élégance du phrasé et le vocabulaire étoffé de l'auteur. Le personnage de John, le maître, rappelle le goût de Zweig pour ces personnages de monomaniaques qui aiment toujours plus que de raison et ne peuvent exprimer leur passion que dans la démesure, s'abandonnant entièrement à une obsession qui les consume au point de les asservir.
Mais franchement, si vous voulez découvrir Zweig ou continuer à l'apprécier, prenez n'importe quelle nouvelle mais pas celle-ci...


3 mars 2011

Bons baisers de Cora Sledge - Leslie Larson


"Bons baisers de Cora Sledge" est le second roman, publié cette année, de l'américaine Leslie Larson.
Parce que sa famille s'inquiète de sa santé physique et mentale, Cora Sledge, 82 ans, se voit contrainte de quitter sa maison pour rejoindre une résidence médicalisée.
Il faut dire qu'il était temps que Cora cesse de brûler la chandelle par les deux bouts : entre ses 136 kg et son addiction aux médicaments et aux cigarettes, elle n'aspirait plus qu'à une chose : finir ses vieux jours dans sa maison en compagnie de sa chienne.
Alors qu'elle peine à accepter cette nouvelle vie en communauté, elle fait la rencontre de Marcos et de Vitus, deux hommes qui, chacun à leur façon, l'aideront à remonter la pente pour lui offrir une seconde jeunesse et, qui sait, un plan ...

" Beaucoup de gens pensent que les vieux sont une bande de zombis desséchés qui n'éprouvent plus aucun sentiment.
Bon, eh ben, moi, je peux vous dire que la soif d'amour ne disparaît jamais. Et même qu'elle devient encore plus forte. Nous avons vu beaucoup de choses, traversé des épreuves, et nous nous raccrochons à l'essentiel. Manger, dormir, aimer.
Nous n'avons plus de temps à perdre. Nous avons besoin de plus d'amour, d'amour véritable, parce que nous avons moins de distractions qui nous empêchent de réfléchir à ce qui nous manque. Pas de gosse, pas de boulot, pas de vaines occupations. Nous voulons juste que quelqu'un nous regarde et sache qui nous sommes." p.126

"Bons baisers de Cora Sledge" ou le portrait d'une octogénaire hors du commun et c'est peu de le dire...
Surnommée "Crapaud" dès son plus jeune âge en raison d'un physique peu avantageux, Cora n'a pas connu le luxe de pouvoir faire ses propres choix dans la vie. Mais elle s'est pourtant toujours montrée capable de rebondir à sa manière, se contentant des décisions que ses proches prenaient pour elle.
Au bout du rouleau et trahie par les siens, elle se met en tête de rédiger un journal pour y raconter sa solitude passée et présente, confesser de douloureuses blessures coupables comme pour décrire un quotidien loin d'être rose et qui comporte son lot d'intrigues et de chamailleries.
La vie de Cora va prendre un nouveau tournant lorsqu'elle tombe amoureuse de Vitus, un homme qu'elle choisit pour la première fois de sa vie et au contact duquel elle ressent l'envie de se reprendre en mains.

" J'en ai plus que marre des couleurs pastel, des élastiques à la taille et des trucs lâches en tricot.
Pourquoi, passé la soixantaine, devrait-t-on revenir aux couleurs de bébé? Rose et bleu layette, jaune pâlichon et mauve à dégueuler. Ici, on ne voit que ça : des vieilles dames qui ont l'air de pastilles de menthe ou de dragées. Ces pauvres teintes affadies sont d'un déprimant achevé.
Moi, je veux des motifs. Des fleurs. Des rayures, des triangles, des pois. Des imprimés audacieux. Et des couleurs vives. De l'écarlate, du bleu-vert, du pourpre. Du fuchsia, du rouge coquelicot, du rose pastèque, du vert chartreuse ! Mais, bien sûr, une grosse dondon est censée porter des couleurs sombres. Du noir, du bleu marine, du marron caca. Et basta. Sinon, on risquerait de la remarquer." p.147

Je me suis plongée avec délice dans le journal de cette dame âgée qui se révèle une fine observatrice dotée d'une vivacité d'esprit et d'un humour mordant.
L'auteure nous offre un personnage rayonnant aux antipodes du cliché de la vieille femme sénile, une femme combattive et pleine de ressources, bornée quand il s'agit d'obtenir ce qu'elle veut et qui ne mâche pas ses mots.
Malheureusement, à force de vouloir la rendre attachante et proche de nous, l'auteure s'est selon moi quelque peu égarée sur le chemin de la crédibilité.
Si je crois qu'on peut tomber amoureux et avoir des envies à tous les âges, j'ai toutefois eu toutes les peines du monde à me représenter cette femme s'exprimant avec une telle modernité et agir avec une pareille fougue en regard de son âge et de sa faible condition physique.
Je manque peut-être d'imagination ou d'informations sur le sujet mais j'ai vraiment tiqué sur l'usage de certains mots comme sur une scène hautement érotique durant laquelle Cora enjambe fougueusement un homme 20 ans plus jeune tout en lui susurrant ses envies à l'oreille.
L'idée ne me choque pas en soi mais il ne faut quand même pas oublier que Cora est censée avoir 82 ans, peser plus de 100 kg, qu'elle peut à peine se déplacer et souffre d'une insuffisance respiratoire. Alors je ne sais pas pour vous mais pour moi, la pilule n'est pas passée. Certes le coeur n'a pas de limites mais s'agissant du corps, c'est une autre histoire.
Durant ma lecture, j'ai repensé au film "Cocoon" et à ses petits vieux rajeunissant au contact d'oeufs extraterrestres. Or j'avais pris ce film pour ce qu'il était - un film de science-fiction - ce qui n'est pas le cas ici.
Certes "Bons baisers de Cora Sledge" m'a fait passer un bon moment de lecture. J'ai souri plus d'une fois à cette idée séduisante du pouvoir de l'amour au delà des âges et de cette vieillesse qui a encore de beaux jours devant elle mais avec toutefois un sentiment surnaturel de "trop beau que pour être vrai" qui ne m'a pas quittée...

D'autres avis : Jules - Antigone - Clarabel - Aifelle

Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !