Publié en 2008, "La Fausse Veuve" est le premier roman de la journaliste française Florence Ben Sadoun.
" Aucun son ne sort de votre gorge. C'est moi qui joue tous les rôles, et tu ne t'en rends même plus compte. Mais tu as continué à me vouvoyer en clignant. Presque jusqu'à la dernière minute de notre histoire." p.36
Attirée par le thème et la très belle citation en exergue tirée de la chanson "Le bonheur" de Léo Ferré ("Madame, Le chagrin ça n'est pas grand chose. Madame, C'est du bonheur qui se repose. Alors. Il ne faut pas le réveiller."), j'ai acheté ce livre il y a 2 ans, ignorant tout du caractère autobiographique et du buzz médiatique ayant entouré ce "roman" au moment de sa parution.
Ce n'est qu'après avoir tourné la dernière page du livre et jeté un oeil sur le net que j'ai appris que l'auteure avait largement puisé dans son histoire personnelle pour rédiger ce texte.
Ainsi, la narratrice ne serait autre que l'auteure elle-même s'adressant à Jean-Dominique Bauby, journaliste et auteur du roman autobiographique "Le Scaphandre et le Papillon", qui fut son amant 10 ans plus tôt.
Marié, il avait apparemment quitté sa femme pour pouvoir vivre sa relation adultère au grand jour.
Malheureusement, les deux amants ne goûteront pas longtemps à cette nouvelle liberté puisque 9 mois plus tard, le journaliste sera victime d'un AVC qui le plongera dans un état végétatif qualifié de "locked-in syndrome".
A partir de ce moment-là, tandis que l'épouse légitime reprend ses droits, la narratrice endosse le double rôle de "fausse veuve". Maîtresse insignifiante aux yeux de l'entourage et des médecins, elle passe la plupart de ses journées à faire le deuil de son histoire révolue, au chevet d'un homme à moitié mort, aux facultés intellectuelles intactes mais désormais incapable de se mouvoir et de s'exprimer autrement qu'en clignant d'un oeil.
Elle revient sur cette liaison largement vécue dans la clandestinité et dont elle est "la seule survivante". Une relation pas franchement romantique mais dans laquelle leurs ego se complaisaient et continuaient de s'enliser tous deux.
" Tu m'envoies une lettre sadique par fax, et pas dans mon bureau mais dans celui de la direction. Bravo, deux coups au lieu d'un. Dans ta lettre, forcément écrite à la main par une autre, il y a une phrase dont la cruauté est exacerbée par cette écriture étrange et par ce tutoiement inconnu de nous : "Un an, ça suffit pour les petites jalousies en ce qui te concerne et les petites mesquineries en ce qui me concerne." Tu as trouvé un nouveau moyen d'exercer ta violence sans bouger un petit doigt.
Tant que tu me fais du mal, tu vis. Ca veut aussi dire que tu m'aimes, alors je vis. Et si tu vis, je vous aime. Tous les moyens sont bons pour faire vibrer une relation amoureuse impossible.
N'importe quoi pour maintenir en mouvement cette histoire immobile.
Tu aimes me voir pleurer un peu, beaucoup, me voir sourire aux autres hommes et voir l'effet que cela leur fait tant que je reste à toi. Mon sourire, mon arme de guerre.
Tu me le réclames comme si tu appuyais sur la touche "sourire" de ton clavier personnel.
Tu aimes aussi me mettre en colère, me rendre follement jalouse. Ton plaisir, ce sont toutes ces femmes autour de toi qui se chamaillent ton amour, deux clignements pour un non, un clin d'oeil pour un oui." p.60
Elle se rappelle cette femme toujours en retrait qu'elle fut autrefois pour protéger sa vie à lui, oscillant entre le vouvoiement adressé à l'homme public et le tutoiement réservé à l'amant.
Se mêlent les souvenirs d'enfance qui convergent vers le portrait d'une femme ni vraiment juive ni marocaine, jamais à sa place nulle part.
Pourquoi Florence Ben Sadoun a-t-elle choisi de publier ce récit 10 ans après les faits sinon pour revendiquer la place qu'elle occupait dans la vie et "l'entre-deux-vies" de cet homme à qui elle semble pourtant tellement en vouloir ?
Si j'ai au départ adhéré au choix original de l'alternance entre le tu et le vous pour caractériser la nature "schizophrène" de la relation adultère, j'ai fini par me lasser de ce qui se transforme selon moi en une manie stylistique pas toujours justifiée.
" Votre pauvre papa, cet éternel dandy, beau seigneur et grand vieillard, qui ne voulait pas que ton immobilité figeât ma vie, et que ta disparition ne la ralentisse.
Je crois qu'il n'a pas pu prononcer le mot "mort". C'est le seul de ta famille à qui tu m'avais présentée fièrement comme la femme qui t'avait rendu le sourire et l'envie d'écrire.
Il m'a donné une place particulière, très près de lui, peu de temps avant de s'étouffer de chagrin de t'avoir perdu.
Lui qui avait manifesté un courage et une sagesse hors pair pendant votre maladie jusqu'au matin où il a appris votre mort. Seul." p.72
Mais ce qui m'a surtout dérangée dans ce livre au bout du compte, c'est le manque de spontanéité et de tendresse, la jalousie mal placée vis-à-vis des infirmières doublée d'un soupçon de cruauté de la part de cette femme qui se pose sans cesse en victime et ne s'apitoie que sur elle-même, occultant l'immense détresse qu'a du éprouver cet homme luttant avec lui-même.
En 10 ans, Florence Ben Sadoun a certainement eu le temps de ressasser, et non de s'abandonner à sa douleur, de triturer les mots jusqu'à être totalement gagnée par l'amertume.
Certains passages sont certes stylistiquement percutants mais là où je m'attendais, si pas à une déclaration d'amour, à un témoignage émouvant tout du moins, je me suis retrouvée à lire une revanche personnelle de l'auteure vis-à-vis de tous ces gens qui l'ont écartée mais surtout à l'égard de cet homme qui, n'y pouvant malheureusement rien, a fait obstacle une seconde fois à leur relation.
Finalement, j'ai trouvé le titre on ne peut plus approprié.
D'autres avis : Liliba - Cécile QD9 - Lili Galipette - Ys - et bien d'autres liens ici