16 mai 2014

Le Message - Andrée Chedid


Publié en 2000, "Le Message" est un roman de la romancière et poétesse Andrée Chédid (mère de Louis Chedid et grand-mère de Mathieu Chedid dit M.).

Alors que Marie arpente les rues désertes pour rejoindre Steph et sceller leur amour, elle est touchée dans le dos par la balle d'un franc-tireur.
Anton et Anya, un couple d'octogénaires sur le point de quitter ce pays ravagé par la guerre, lui viennent en aide.
Médecin à la retraite, Anton constate que la blessure est profonde, mortelle même.
Tandis qu'il veille sur elle, Marie demande à Anya de porter son message à Steph afin qu'il vienne la retrouver.
Mais Steph, pensant qu'elle ne viendra pas, s'est engouffré dans un bus qui quitte le pays...

" Comment définir cette contrée, comment déterminer ses frontières ? Pourquoi cerner, ou désigner cette femme ? Tant de pays, tant de créatures, subissent le même sort.
Dans la boue des rizières, sur l'asphalte des cités, dans la torpeur des sables, entre plaines et collines, sous neige ou soleil, perdus dans les foules que l'on pourchasse et décime, expirant parmi les autres ou dans la solitude : les massacrés, réfugiés, fusillés, suppliciés de tous les continents, convergent soudain vers cette rue unique, vers cette personne, vers ce corps, vers ce coeur aux abois, vers cette femme à la fois anonyme et singulière.
A la fois vivante et blessée à mort.
Depuis l'aube des temps, les violences ne cessent de se chevaucher, la terreur de régner, l'horreur de recouvrir l'horreur.
Visages en sang, visages exsangues. Hémorragies d'hommes, de femmes, d'enfants,... Qu'importe le lieu ! Partout l'humanité est en cause, et ce sombre cortège n'a pas de fin.
Dans chaque corps torturé tous les corps gémissent. Poussés par des forces aveugles dans le même abîme, les vivants sombrent avant leur terme. Partout. " p.29

Je ne connaissais pas encore la plume d'Andrée Chedid et comme ce titre-ci me faisait de l'oeil, je n'ai pas vraiment hésité à me le procurer.
"Le Message" prend place dans un contexte de guerre volontairement flou - ce qui donne au récit une portée universelle - au sein duquel l'auteure ancre une histoire singulière.
Marie et Steph se sont rencontrés durant l'enfance, perdus de vue pendant 10 ans avant d'enchaîner les périodes de querelles et de réconciliations.
Cette ultime rencontre devait les rapprocher pour toujours mais c'est malheureusement un destin tragique qui les attend.
Dès le début, lorsque Marie est blessée et que ses jours sont comptés, le récit prend de la vitesse.
Anya se hâte de partir à la recherche de Steph, Gorgio - un franc-tireur qui passait par là - court chercher une ambulance.
Cette impression d'urgence contraste avec la douleur physique de Marie - dont le corps s'abandonne lentement à la mort - et l'évocation de ses souvenirs heureux avec Steph.
Le temps s'étire, sans pour autant rendre le récit ennuyeux, d'autant que les chapitres sont très courts.

Bien sûr, j'ai aimé ce couple solide formé par Anton et Anya et ces amants maudits que sont Marie et Steph.
Mais le personnage qui m'a tout de même semblé le plus intéressant est Gorgio.  Tête brûlée, il s'est engagé dans le camp ennemi par opposition à son père mais ne s'est jamais vraiment posé de questions quant aux conséquences de cette décision.
Réfugié en haut d'un bâtiment abandonné d'où il fait le guet et tire sur ce qui bouge encore, il passe son temps libre à découvrir la littérature et ses enseignements.
J'ai aimé suivre son cheminement à travers des citations recueillies dans des livres mais aussi sa prise de conscience lorsqu'il se voit directement confronté à la douleur et à la mort.
Anton, Anya, Marie, Steph, Gorgio sont des personnages unis par un lien invisible : ils se reconnaissent en tant qu'êtres humains et semblent partager une solidarité dans la douleur.
De quoi trancher un peu avec le pessimisme auquel on est tenté de céder durant la lecture.

Un récit poétique et simplement beau.

Si vous avez d'autres titres d'Andrée Chedid à me recommander, je suis preneuse :)

14 mai 2014

Groenland Manhattan - Chloé Cruchaudet


Publié en 2008 et récompensé par le Prix René Goscinny, "Groenland Manhattan" est un album de l'illustratrice française Chloé Cruchaudet, qui a notamment réalisé la série Ida (voir ici et ) et l'album "Mauvais genre".

Groenland, 1897. Comme chaque année, le Commandant Robert Peary, faute de trouver le Pôle Nord, s'apprête à ramener une météorite au Museum d'histoire naturelle.
Pour faire sensation, il propose à un groupe d'Inuits de l'accompagner à New-York. Curieux, Minik et son père embarquent pour l'Amérique, un continent dont ils ne savent absolument rien.
Logés et nourris par le Museum, ils sont étudiés par une poignée de scientifiques et tombent mystérieusement malades. Livré à lui-même, Minik est confié à la famille du directeur du Museum (il prendra ainsi le nom de Wallace) alors qu'il n'aspire qu'à rentrer chez lui.

"Groenland Manhattan" s'inspire de personnages réels et de tristes faits ayant pris place dans cette Amérique marquée par la Conquête de l'Ouest.
Le récit commence "gentiment" même si l'on sent déjà que Peary fait peu de cas des "Esquimaux" et les appâte avec des vivres sommaires.


Les points de vue de Peary et des Inuits les uns sur les autres s'avèrent plutôt amusants à découvrir.
Mais à peine rentré à New-York, Robert Peary s'en désintéresse totalement et s'occupe de sa promo : seule compte sa carrière, la reconnaissance de ses pairs et du grand public.


Abandonnés à leur sort, Minik et ses compagnons sont traités comme des bêtes de cirque et sans respect aucun. Autant dire qu'au nom de la science, certains prennent tout ce qu'ils peuvent prendre et se permettent des choses qu'ils ne tolèreraient jamais pour l'un d'entre eux.
J'ai été émue et révoltée d'un bout à l'autre de ma lecture par le parcours chaotique de Minik (dont je n'avais jusqu'ici jamais entendu parler), ce petit garçon déraciné et privé d'innocence, coincé entre souvenirs et choc culturel et qui ne parvient pas à se défaire d'une éducation occidentale reçue contre son gré.


Contrairement à la série Ida, ce sont les tons froids (à la limite du terne) qui dominent ici, tant au Groenland qu'à New-York car le contexte dans lequel s'inscrit cet album ne pouvait donner lieu qu'à une ambiance glaciale.
Comme indiqué dans mes billets sur la série Ida, j'ai toujours un peu de mal à apprécier les expressions des personnages, parfois "défigurés" dans le trait.

"Groenland Manhattan" est le récit d'une histoire singulière mais laquelle figure parmi les nombreuses dérives du colonialisme.
"Mauvais genre", "Ida", "Groenland Manhattan". Ce n'est pas la première fois que l'auteure nous rappelle que la différence est malheureusement souvent le siège des inégalités.
En se protégeant derrière la science ou une quelconque autorité supérieure conférée à la naissance, plusieurs générations d'hommes se sont laissées aller à tous les abus dans leur rapport à l'autre.
L'histoire de Minik dresse le triste constat qu'on peut briser une vie sans recourir à une arme.

Un album fort, assurément.


D'autres avis : Choco - Noukette - Keisha - Géraldine - Theoma


11ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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12 mai 2014

La Belle et la Bête - Cécile Roumiguière et Aurélia Fronty



Paru le 18 octobre 2013, "La Belle et la Bête" est un album signé par Cécile Roumiguière, auteure jeunesse, et Aurélia Fronty, illustratrice jeunesse.

Après Madame de Beaumont, Jean Cocteau, Gabrielle de Villeneuve ou encore Disney, cet album au format à l'italienne revisite le célèbre conte, qui prend place à Venise.
Un marchand d'étoffes vit à la campagne avec ses 3 filles : alors que les deux aînées ne songent qu'à leur apparence et à leurs sorties, Belle, la cadette de nature modeste, passe son temps en compagnie des animaux.
Lorsque leur père perd sa marchandise et se retrouve ruiné, Belle est la seule à se porter volontaire pour aménager le jardin en potager et ainsi faire vivre la maisonnée.
Entretemps, le marchand apprend que ses tissus ont été retrouvés et part alors à Venise les récupérer. Contrairement à ses soeurs qui exigent monts et merveilles, Belle demande à son père de lui ramener une simple rose.
Arrivé à Venise, leur père constate que sa marchandise est abîmée donc invendable. Désespéré, il reprend sa route, s'égare dans la forêt puis trouve refuge dans une demeure effrayante.
Le lendemain, sur le chemin du retour, il cueille une rose pour Belle et fait la rencontre de la Bête...

Vous connaissez certainement la suite :)
Cette version de la Belle et la Bête, tout en étant une ré-écriture, reste fidèle dans l'essentiel à l'histoire originale. Chose que j'ai appréciée car, La Belle et la Bête étant mon conte Disney préféré, je n'avais pas spécialement envie de découvrir une histoire toute autre.
Un passage m'a quelque peu déconcertée : au cours d'un de leurs dîners, la Bête demande à la Belle de coucher avec lui. Elle refuse et il lui répond qu'il lui reposera la question tous les soirs.
Alors bon, je sais que coucher peut vouloir dire "partager la couche" sans pour autant inclure des relations sexuelles mais peut-être l'auteure aurait-elle pu remplacer ce terme par dormir (selon moi moins ambigu et plus approprié pour des enfants de 8 ans et plus) ?
Ce détail mis à part, j'ai adoré le personnage de la Belle et sa soif de connaissance !


Certes, la bibliothèque version Disney reste quand même plus impressionnante :)



Côté dessin, j'ai globalement aimé la proposition féérique d'Aurélia Fronty : ce choix de couleurs très vives, ces motifs végétaux et ces illustrations au trait naïf débordant (pas assez) du cadre.
J'ai juste moins accroché à cette représentation très kitsch de la Bête, qui prend les traits du lion de Venise, et offre un contraste visuel assez étrange par rapport aux autres illustrations.

Un bel objet livre (la couverture et la tranche bleue donnent l'impression d'avoir un tableau entre les mains) et une réécriture moderne qui rend un bel hommage au conte original.

La présentation de l'album 



MERCI à Babelio et aux éditions Belin de m'avoir envoyé cet album dans le cadre de l'opération Masse Critique jeunesse.