31 mars 2010

Soie - Alessandro Baricco


"Soie" est un roman de l'écrivain italien Alessandro Baricco publié en 1996.
Lavilledieu, 1861. Hervé Joncour a 32 ans et exerce la profession de négociant séricicole.
Chaque année, parce que les élevages européens sont infestés, Hervé s'en va quelques mois, le temps de franchir la Méditerranée et de ramener des oeufs sains dont la vente leur assure, à lui et à sa femme Hélène, une vie paisible le reste de l'année.
Mais l'infection se propage au-delà de l'Europe et le seul territoire encore en mesure de lui fournir des oeufs viables est le Japon, une contrée encore hostile à la venue de l'étranger.
Hervé n'a pas d'autre choix que de voyager vers l'inconnu. Les expéditions se soldent par de francs succès, faisant d'Hervé un homme riche.
Mais une guerre se déclare au Japon et pourtant Hervé ne peut se résoudre à rester au pays, d'autant que là-bas, à des milliers de kilomètres de lui, réside une femme qui a su le troubler...

Il peut m'arriver parfois de ressentir une envie subite et précise de relire un livre que j'ai particulièrement aimé. La chose est rare, tant je privilégie les lectures qu'il me reste encore à découvrir, mais se produit de temps à autre.
Dans ces moments-là, je laisse tout en plan. La vaisselle, le ménage, parfois même le repas, se voient dès lors remis à plus tard.
C'est ainsi que j'ai laissé le temps suspendre son vol il y a quelques jours et que j'ai décidé de relire "Soie". Et, une chose en entraînant une autre, j'en ai profité pour découvrir le film qui en avait été tiré et sorti en août dernier.
Mais le livre d'abord, toujours.

Et là, alors que je m'apprête à vous vanter les mérites de ce livre qui m'a tant émerveillée, je me rends compte que j'ai du mal à en parler. J'ai l'impression que quoi que j'en dise, mes propos ne pourront jamais être à la hauteur de l'oeuvre.
Mais si je me contentais de vous dire "Lisez-le", je ne sais pas si ces 3 syllabes suffiraient à elles seules à vous faire vous précipiter en librairie pour acquérir ce petit bijou.
Considérez donc ce billet comme un essai, une tentative presque désespérée de vous faire découvrir ce qui est assurément l'une de mes plus belles lectures.

"Soie", c'est l'histoire d'un couple qui traverse le temps et les absences. Hélène est une femme qui aime son mari au point de le laisser partir tout en guettant impatiemment son retour, souffrant en silence de le retrouver plus absent à chaque retour qu'il ne l'était avant de partir.
C'est un être tout en dévotion mais néanmoins une épouse qui est loin d'être crédule.
Hervé aime sa femme mais c'est un homme qui ne s'ancre nulle part, partagé entre deux mondes, le réel symbolisé par le quotidien avec Hélène, cette facette de sa vie qu'il pense acquise et éternelle, et l'inaccessible incarné par cette femme mystérieuse dont il ne sait rien.

"Etendue près de lui, la tête posée sur ses genoux, il y avait une femme. Ses yeux n'avaient pas une forme orientale, et son visage était celui d'une jeune fille. Baldabiou écouta, en silence, jusqu'à la fin, jusqu'au train à Eberfeld. Il ne pensait rien. Il écoutait. Il eut mal d'entendre, à la fin Hervé Joncour dire doucement - Je n'ai même jamais entendu sa voix. Et un instant plus tard : - C'est une souffrance étrange. Doucement - Mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais. " p116
Hervé Joncour est un homme qu'on aurait envie de secouer comme un prunier, une sorte d'âne de Buridan qui subit sa vie au lieu de la prendre en main. On peut se demander si il a un jour été heureux tant son esprit ne semble jamais connaître la tranquillité.
" A acheter et à vendre des vers à soie, Hervé Joncour gagnait chaque année une somme suffisante pour assurer à sa femme et à lui-même ce confort qu'en province on tendrait à nommer luxe. Il jouissait avec discrétion de ses biens, et la perspective, vraisemblable, de devenir réellement riche, le laissait tout à fait indifférent. C'était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre. On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie." p.13
La force de ce roman réside sans doute dans sa capacité à dire beaucoup en peu de mots, à faire parler les silences, à laisser le lecteur imaginer ce qu'il souhaite de la vie de chacun des personnages dont les états d'âme se devinent plus qu'ils ne s'étalent.
Le style est épuré, tout en concision. Les chapitres numérotés et espacés rappellent les haïku japonais.
Pas de fioritures s'illustrant dans des descriptions sans fin des aller-retour d'Hervé. Juste la redondance de quelques phrases rappelant ces longs trajets jusqu'au bout du monde (mais qui sonnent pourtant comme de fausses routines).
L'histoire de ce roman a beau être triste, on en ressort étrangement serein, métamorphosé, peut-être même grandi.
Loin pourtant de verser dans une fable moralisatrice sur l'importance des priorités dans l'existence, "Soie" touche à l'essentiel en initiant une profonde réflexion sur la place que tiennent nos proches dans notre vie et qu'il ne faut jamais tarder à aimer.
Tout est inscrit entre les lignes, remis entre les mains du lecteur. Et c'est bien là ce qu'il y a de magique avec ce livre. Il y a autant de lectures qu'il y a de lecteurs et plusieurs lectures pour chacun d'entre eux.
C'est sans doute pour cette raison que ce livre peut être relu et conseillé à souhait : parce qu'il touche à l'infini. Mille merci Monsieur Baricco.

Un livre tout simplement Magnifique. Bref. Lisez-le :)


Le film

Evidemment, en tenant compte de mon haut degré d'appréciation du roman, mes attentes vis-à-vis de l'adaptation cinématographique n'en pouvaient être que proportionnelles.
J'éprouvais également une certaine curiosité à l'égard de ce film qui se défendait de pouvoir transposer en 1h47 une oeuvre courte et dense en même temps.
Ce n'est qu'après m'être insurgée contre le choix des acteurs ("Keira Knightley l'insipide, ai-je bien lu? Non c'est pas possible! Michael Pitt et sa tête de jeune riche toxico? Naaaaa!) que j'ai découvert les premières images du film.
Les dialogues (peu nombreux dans le livre) ont été fidèlement retranscrits et l'esprit du roman fut globalement respecté ( je dis globalement parce que le réalisateur n'a quand même pas pu s'empêcher de vouloir "combler les trous" ici et là).
Hormis deux erreurs de casting confirmées (cf. les deux susnommés), j'ai bien aimé le jeu des acteurs et plus particulièrement la prestation d'Alfred Molina (aka le mari de Frida Kahlo dans le film éponyme) dans le rôle de Baldabiou et de...heu...(excusez du peu, les noms asiatiques c'est pas ma tasse de thé au jasmin) dans celui de Madame Blanche.
Le réalisateur a toutefois pris quelques libertés en jugeant bon de faire joujou avec la chronologie (ce qui en soi n'était pas dérangeant) mais s'est également permis de couper tout l'aspect, si pas sensuel, érotique, de la lettre adressée par... (ah merde je ne peux pas dévoiler l'identité de l'expéditeur, je vous spoilerais votre bon plaisir) à Hervé.
Du coup, l'histoire s'achève dans un esprit bon enfant, mièvre, moralisateur, bref toutes les facilités auxquelles échappait le livre.
Moralité (et généralité) : préférez-lui le roman. Néanmoins, pour qui n'a pas lu le roman, ce film reste passable...




D'autres avis chez BOB !

"Soie" était ma première lecture dans le cadre du Challenge Lunettes noires sur Pages blanches organisé par Fashion.

30 mars 2010

La bibliothèque idéale ou quand les écrivains parlent...des écrivains

Depuis maintenant quelques jours, je voix fleurir ici et là des billets dédiés au Salon du Livre qui se tenait à Paris le weekend dernier.
L'émission "La Grande Librairie" a décidé de célébrer l'événement en lui consacrant son émission du 25 mars. Durant près de 90min, quelques écrivains ont été invités à dépoussiérer, en leur donnant parfois un éclairage nouveau, les livres qui d'une manière ou d'une autre avaient influencé leur parcours d'écrivain, ou tout simplement leur vie de lecteur.
C'est ainsi que les spectateurs ont pu entendre Charles Dantzig évoquer Rimbaud "le sale type" ou Alain Mabanckou (qui défendait également, et à juste titre, les auteurs de langue française et pas seulement les auteurs français...) qualifier Verlaine de "poète français le plus africain".

A noter : les interventions de Jean Teulé (qui a des avis très personnels et très orientés cul sur la littérature) qui résume "Madame Bovary" à "l'histoire d'une bourgeoise qui s'emmerde en province" ou encore de Véronique Ovaldé pour qui "Le Petit Prince" est un livre déprimant et Saint-Exupéry un pédophile (hum...c'est quand même beaucoup se permettre...).
J'ai quand même bien ri du dessin de Jules illustrant les propos de l'auteure et intitulé "Décime-moi un mouton"...

J'ai passé un bon moment à écouter ces écrivains débattre sur des classiques (ou "des morts" comme le disait Régis Jauffret) en faisant état des livres indispensables et des "livres que c'est pas la peine".
Pour visionner l'émission, le lien est ici
Et pour la liste des livres évoqués, c'est par

29 mars 2010

Soins intensifs - Alan Bennett


"Soins intensifs" est un court roman publié en 2006 et signé Alan Bennett, acteur, romancier et scénariste britannique, célébré par la blogosphère pour son roman "La reine des lectrices".
Le récit nous emmène au chevet d'un homme sur le point de passer l'arme à gauche suite à une attaque cardiaque et dont le fils Denis a souvent imaginé la mort.
Animé par un certain sens du devoir filial, Denis décide d'accompagner son père dans ses derniers instants. Mais il semblerait que la mort soit plus lente à venir que prévu...

Lorsque j'ai aperçu ce roman chez un bouquiniste, j'ai songé à l'enthousiasme général ayant fait suite à la lecture de "La reine des lectrices" par plusieurs blogueuses et je me suis donc précipitée pour acheter ce roman-ci.
Le récit s'ouvre sur une réunion des parents à laquelle assiste Denis Midgley, un prof d'anglais pour le moins désabusé par ses années d'enseignement. En plein milieu de ce défilé de parents peu conventionnels, Denis apprend que son père a subi une attaque cardiaque dont il ne se relèvera sans doute pas et se rend d'urgence à l'hôpital.
Arrivé au service des soins intensifs, Denis y revoit sa tante Kitty, une commère raciste et insupportable qui passe son temps à parler d'elle ou à évoquer des détails sur les autres qui n'intéressent personne. Autant dire qu'aucun membre de la famille ne peut la supporter.

" Il arrivèrent à l'entrée des Soins intensifs et son oncle s'immobilisa, la main en appui sur le mur, afin de désengourdir sa jambe.
- Ta tante Kitty est là? demanda-t-il.
- Oui.
- Je l'aurais parié. La mort attire les charognards.
Tante Kitty se leva et refit son numéro de soeur éplorée, trop bouleversée pour prononcer un mot.
- Salut, Kitty, lança Ernest.
- J'avais toujours pensé que je partirais la première.
- Cela reste une possibilité. Il n'est pas encore enterré." p.59
Du début à la fin, qu'il s'agisse des différents membres de la famille en visite ou du personnel hospitalier (et même des parents d'élèves au début du récit), l'univers de Denis semble être peuplé de personnages tous plus grotesques les uns que les autres.
L'indifférence de tous ces personnages au sort du mourant est assez frappante et traitée avec un certain humour noir.

" - Notre métier consiste à maintenir les malades en vie aussi longtemps que possible, dit le jeune médecin en regardant sa montre. Pas à les livrer à l'heure dite aux familles. (" Il y en a vraiment qui nous prennent pour la compagnie nationale des chemins de fer", ironisa-t-il quelques heures plus tard en partageant une cigarette avec une infirmière, après leur petit quart d'heure de récréation sexuelle.) " p.90
" Une infirmière pénétra dans la chambre.
- On prétend qu'il faut leur parler, lui expliqua Midgley. J'ai lu un article à ce sujet dans le Reader's Digest. Je l'ai d'ailleurs trouvé dans la salle d'attente, ajouta-t-il comme si cela constituait un argument supplémentaire.
L'infirmière renifla d'un air sceptique.
- On dit la même chose pour les plantes, dit-elle en reposant le vase d'oeillets sur le rebord de la fenêtre. Mais dans le cas présent, je crains que cela soit insuffisant. " p.101
Quant à Denis, je n'ai pas ressenti de réel attachement de sa part pour son père. J'ai surtout eu l'impression que sa présence à son chevet relevait davantage de l'obligation que de l'amour filial.
Il est d'autant plus perturbant de ne pas connaître les raisons qui motivent ce fils à se donner bonne conscience alors qu'il semble détester son père.
J'ai eu la désagréable impression d'avoir été parachutée dans une histoire dont il manquait le début.
Je dirais donc que ce qui sauve le roman, c'est l'humour implacable et acide dont use l'auteur pour évoquer l'attente et l'hôpital, théâtre où se côtoient la vie et la mort et dont la fréquentation peut susciter des réactions bien étranges.
J'ai d'ailleurs bien ri en lisant ce passage.

"- Allo, Neil? Salut. Je t'annonce que tu es tonton. Oui, tonton. Aujourd'hui, à l'instant même. Oui, à 17h35. Devine. (Il attendit.) Non, une fille. Non. Je suis aux anges. Tu peux dire à Christine qu'elle a une nièce, à partir d'aujourd'hui. Oui, et que Joséphine a une petite cousine.
Alors, qu'est-ce que ça fait d'être tonton? Allez, au revoir.
Midgley se leva et alla attendre devant la cabine. Le jeune homme inséra une nouvelle pièce et composa un autre numéro. C'était une manière de propager une nouvelle qui convenait aussi bien aux départs qu'aux arrivées, songea Midgley.
" Allo, Margaret? Je t'annonce que tu es veuve, depuis tout à l'heure. Oui, veuve. Cet après-midi même, à 14h30. Alors, comment se sent-on après avoir perdu un être cher? "
- Betty? lança le jeune homme. Félicitations. Nous allons pouvoir t'appeler tata Betty, désormais. Je ne vais pas te faire deviner, ajouta-t-il précipitamment. C'est une fille. Susan est aux anges. Et moi aussi, cela va sans dire.
Son enthousiasme décroissait visiblement à chaque nouvel appel. Midgley songea que ce bébé était déjà en train de devenir un boulet, alors qu'il n'y avait pas deux heures qu'il était né." p52
J'ai toujours autant envie de découvrir "La reine des lectrices" ! J'ai hâte d'y retrouver l'humour de l'auteur tout en espérant une histoire mieux ( ou plutôt davantage) construite.

D'autres avis : Cunéipage - Lelitoulalu

27 mars 2010

Le Secret - Frédéric Lenoir


"Le Secret" est un conte philosophique de l'écrivain et philosophe français Frédéric Lenoir publié en 2001.
Pierre Morin a 19 ans. C'est un rêveur, un amoureux de la nature et un jeune homme gentil, désintéressé, un garçon "à part", si naïf que les villageois le soupçonnent de ne pas avoir toute sa tête.
Un jour, Pierre est retrouvé inanimé dans un champ où il a passé deux jours. Le garçon a cette lueur dans les yeux qui fait dire aux gens qu'il doit avoir un secret à cacher.
Personne ne le prend au sérieux jusqu'à ce qu'il hérite de la maison et des terres d'une vieille dame à qui il avait rendu une bourse pleine d'argent perdue quelques temps plus tôt.
Dès le moment où Pierre accède à la richesse et à ses privilèges, les villageois changent d'attitude à son égard et le prennent en sympathie, prêts à tout, y compris à donner leurs filles en mariage, pour s'enrichir. Le scandale éclate lorsque Pierre manifeste son intention d'échanger ses terres et sa somptueuse maison contre une terre abandonnée et sans valeur où il aime passer ses nuits. Cette transaction semble tellement ridicule aux villageois qu'ils décident de mener l'enquête et de découvrir le secret que le jeune garçon s'évertue à cacher près de la vigne...

Difficile de ne pas s'attacher à ce jeune héros, tour à tour vilain petit canard et objet de toutes les convoitises, si gentil que cela en devient suspect aux yeux des villageois, alors que le lecteur se surprend à vouloir sauver ce jeune homme de toute cette cupidité ambiante.

" Sur la place, l'orchestre accueillit les villageois et le maire inaugura fièrement le bal au son de l'accordéon. Bien qu'il ne fût pas bon danseur, Pierre se laissa entraîner par la fougue de Lisa.
Bien vite, quelques bonnes rasades de vin aidant, il réussit à vaincre sa timidité naturelle et ne quitta plus la piste, éclairée par une multitude de lampions. Les jeunes filles se pressèrent pour danser avec lui et, à ceux qui s'étonnaient du succès de ce jeune homme simple et un peu gauche, les vieilles femmes se chargèrent d'expliquer qu'il venait d'hériter d'une grande maison bourgeoise et d'une douzaine d'hectares." p.70

Pierre se montre fermement décidé à ne pas dévoiler ce qu'il cache dans la vigne et le moins que l'on puisse dire c'est que le lecteur se surprend, non sans en éprouver une certaine culpabilité, à vouloir également percer le fameux secret, tant celui-ci doit lui sembler merveilleux (et qui m'a surprise je dois bien l'avouer).
"Le Secret" est donc plus qu'un conte aux allures de fable, il contient en lui une intrigue qui pousse le lecteur à tourner les pages pour en avoir le coeur net.

"Une certaine lassitude, doublée d'une réelle exaspération, gagna les esprits. Quelques-uns se demandèrent s'il ne fallait pas exiger des explications du jeune homme, tandis que d'autres mettaient en doute l'existence du magot. Le village se divisa sur ce point. Au fil des semaines, le clan des sceptiques gagna du terrain, et certains villageois commencèrent à regretter d'avoir bu leurs meilleurs vins avec celui qu'ils considéraient maintenant comme un escroc." p.122

Un petit roman tout en poésie qui sonne à la fois comme une fable visant à dénoncer l'injustice et la cupidité des hommes et comme une ode à la gentillesse, une parenthèse dans ce monde de brutes transcrite dans un style qui m'a rappelé un je ne sais quoi de Philippe Claudel.

D'autres avis : Xiane - Maggie - Sandrine


Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

25 mars 2010

L'ombre du vent - Carlos Ruiz Zafon


"L'ombre du vent" est un roman de l'écrivain espagnol Carlos Ruiz Zafon, publié en 2004 et comportant une suite intitulée "Le Jeu de l'ange" et sortie en 2009.
Un extrait faisant office de pitch selon moi.

" Bea m'écoutait avec une attention qui ne laissait transparaître ni prévention ni jugement. Je lui révélai ma première visite au Cimetière des Livres Oubliés et la nuit passée à lire L'Ombre du Vent. Je lui parlai de ma rencontre avec l'homme sans visage et de cette lettre signée Pénélope Aldaya que je portais toujours sur moi sans savoir pourquoi. Je lui racontai comment je n'avais jamais réussi à embrasser Clara Barcelo ni aucune autre, comment mes mains avaient tremblé en sentant le frôlement des lèvres de Nuria Monfort sur ma peau quelques heures plus tôt.
Je lui dis comment, jusqu'à ce moment-là, je n'avais pas compris que cette histoire était une histoire de gens seuls, d'absences et de disparitions, et comment, pour cette raison, je m'étais réfugié en elle au point de la confondre avec ma propre vie, comme quelqu'un qui s'échappe d'une page de roman parce que ceux qu'il a besoin d'aimer sont seulement des ombres qui vivent dans l'âme d'un étranger." p.198

Eté 1945. Ce roman nous emmène à Barcelone à la rencontre d'un père et de son fils Daniel partis visiter le Cimetière des Livres Oubliés, un sanctuaire abritant plusieurs centaines de milliers d'ouvrages abandonnés faute de lecteurs.
Daniel, autorisé à choisir un livre, jette son dévolu sur un ouvrage de Julian Carax intitulé "L'ombre du vent".
Ce que Daniel ignore encore à ce moment-là, c'est que sa rencontre avec ce livre signera à tout jamais la fin de la vie telle qu'il la connaissait, une vie pleine de secrets et de personnages intrigants qui vaudront à Daniel de mener une enquête durant plusieurs années...

Je ne vais pas y aller avec le dos de la cuillère, j'ai beaucoup aimé ce roman ! Dès les premières pages, je me suis sentie happée par les mystères entourant les différents personnages rencontrés par Daniel.
Des personnages bien construits mais tous torturés (parfois un peu trop, aucun ne semblait avoir eu une vie paisible et dénuée de drames).
J'ai été particulièrement frappée par le côté mystérieux de toutes les femmes intervenant dans ce récit. Il n'y en a d'ailleurs pas une dont Daniel ne soit pas, à un moment donné, tombé amoureux ( ce qui m'a parfois un peu exaspérée j'avoue).
J'ai apprécié que l'auteur distille les éléments de l'enquête au fil des pages (à défaut de tout dévoiler d'un coup) et les emboîte les uns dans les autres (même si, du fait d'une lecture étalée en plusieurs jours, j'ai eu un peu de mal à m'y retrouver :/)
Une fois que l'on s'est accroché à ce roman, on ne peut plus en sortir avant la fin ! D'autant plus que, du fait de la mise en abîme (le roman dans le roman), j'ai réellement ressenti l'obsession de Daniel pour ce livre et cette impression d'être la seule personne à en détenir encore un exemplaire, unique clé de l'intrigue.
En plus d'être une intrigue fouillée, "L'ombre du vent" est également un véritable hommage aux livres et à la lecture.

"Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une âme. L'âme de celui qui l'a écrit, et l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. Chaque fois qu'un livre change de mains, que quelqu'un promène son regard sur ses pages, son esprit grandit et devient plus fort." p12
Comment ne pas aussi souligner l'importance de l'humour à travers le personnage de Fermin Romero de Torres, compagnon d'enquête de Daniel et ami dévoué et, il faut bien le dire, plutôt déjanté (il m'a fait penser à l'âne dans Shrek).

" La télévision est l'Antéchrist, mon cher Daniel, et je vous dis, moi, qu'il suffira de trois ou quatre générations pour que les gens ne sachent même plus lâcher un pet pour leur compte et que l'être humain retourne à la caverne, à la barbarie médiévale et à l'état d'imbécilité que la limace avait déjà dépassé au Pléistocène. Ce monde ne mourra pas d'une bombe atomique, comme le disent les journaux, il mourra de rire, de banalité, en transformant tout en farce et, de plus, en mauvaise farce." p.120

"
Les femmes, à part quelques exceptions comme votre voisine Merceditas, sont plus intelligentes que nous, ou en tout cas plus sincères avec elles-mêmes quand il s'agit de savoir ce qu'elles veulent. Ca n'a rien à voir avec ce qu'elles vous disent, à vous ou au reste du monde. Vous affrontez une énigme de la nature, Daniel.
La femme, c'est Babel et labyrinthe. Si vous la laissez réfléchir, vous êtes perdu.
Souvenez-vous en : coeur chaud, tête froide. L'a b c du séducteur." p.211

Un livre que j'ai donc beaucoup apprécié et qui, selon moi, ne finira pas au Cimetière des Livres Oubliés. Je le relirai certainement avant de découvrir "Le Jeu de l'ange"!



Merci à Abeille pour cette lecture commune !

Tout plein d'autres avis chez BOB !

23 mars 2010

Le Magasin des Suicides - Jean Teulé


"Le Magasin des Suicides" est un roman publié en 2007 et signé Jean Teulé, écrivain français, auteur de "Je François Villon" ou encore de "Le Montespan".
Ce roman, précis d'humour noir, nous fait partager le quotidien d'une famille peu ordinaire. Les Tuvache à savoir Lucrèce, Mishima, Vincent, Alan et Marilyn portent bien leurs prénoms car ils sont les "malheureux" propriétaires d'un magasin dédié aux articles servant à se donner la mort.
Dans ce magasin, pas question de dire "bonjour" et "au revoir" aux clients mais plutôt "mauvais jour" et "adieu". Bonbons au cyanure, cordes pré-nouées, parpaings en ciment pour faciliter la noyade ou la défenestration, kit de suicide Turing, si vous cherchez à en finir, vous êtes au bon endroit !
Mais faire de la mort son fonds de commerce, est-ce vraiment une vie?

Voilà déjà un bon bout de temps que ce petit roman traînait dans ma PAL, et ce n'était pourtant pas faute d'avoir envie de le découvrir après tous les avis positifs lus ici et là.
Aussi, quand Clara m'a proposé d'en faire une lecture commune, j'ai sauté sur l'occasion, chose que je ne regrette absolument pas étant donné que j'ai passé un excellent moment avec ce livre !
Il faut dire que ce roman avait tout pour me plaire. Tout y est tellement gros que l'histoire en devient absurde et qu'on en oublie que le sujet de départ est pourtant loin d'être drôle.
Un passage m'a valu un éclat de rire dans le métro tout à l'heure, au grand étonnement de mes voisins de banquette qui ont dû se demander comment il était possible de faire preuve d'un tel mauvais goût en regard du titre du livre en question...
Une dame demande à Mme Tuvache ce que font tant de tableaux représentant des pommes dans le magasin.
Celle-ci lui rétorque que c'est à cause d'Alan Turing, l'inventeur de l'ordinateur qui, pour se suicider, avait enduit une pomme de cyanure, l'avait posée sur un guéridon avant de la peindre et de la manger ensuite. Le fameux logo Apple représentant une pomme croquée serait en fait un hommage à Turing (quand je pense que je croyais qu'il s'agissait d'une référence à Adam et Eve et à la tentation...).
Bref, voici le passage expliquant ce qu'est le kit de suicide Turing.

" Dans cette pochette plastique transparente, vous voyez que vous avez une petite toile montée sur châssis, deux pinceaux (un gros, un fin), quelques tubes de couleurs et bien sûr la pomme. Attention elle est empoisonnée!... Et ainsi, vous pouvez vous tuer à la manière d'Alan Turing. La seule chose qu'on vous demandera, si vous n'y voyez pas d'objection, c'est de nous léguer le tableau. On aime bien les accrocher, là. Ca nous fait des souvenirs. Et puis c'est joli toutes ces pommes alignées sous le plafond. Ca va bien avec le carrelage de Delft au sol. On en a déjà soixante-douze. Quand les gens attendent à la caisse, ils peuvent regarder l'expo." p.60

J'ai trouvé la famille Tuvache (qui m'a d'ailleurs énormément fait penser à la famille Adams) très attachante en dépit de son penchant pour le macabre et particulièrement l'un des deux fils qui a toujours des idées de suicide à la Mac Gyver et le père de la suite dans les idées.
" Je voulais installer une boîte à lettres où les clients auraient glissé une missive pour expliquer leur geste. C'était une bonne idée, non? Les parents du suicidé, amis si il y en a, auraient pu venir consulter le courrier du défunt qui leur était adressé. Je me dis que sans doute ensuite, dans la peine, en visitant les rayonnages ils auraient peut-être acheté quelque chose pour eux. J'avais prévu des semaines de promotion : la semaine du chanvre, etc. Pour la fête des amoureux, un tarif pour deux. " p.145
La famille Adams mais aussi un mélange de Neil Gaiman et de Tim Burton pour ce qui est de l'ambiance macabre (sans être glauque) et de Roald Dahl pour le côté très déluré et un brin enfantin malgré le thème.
Je n'ai donc pas été plus étonnée que cela d'apprendre que Patrice Leconte avait entamé l'adaptation de cette histoire en film d'animation.














Rendez-vous au printemps 2012 pour l'adaptation ciné...



Merci à Clara pour cette lecture commune !

D'autres avis chez BOB !

22 mars 2010

Papoua - Jean- Claude Derey


"Papoua" est un roman de l'écrivain-ethnologue-psychologue-cinéaste-journaliste français Jean-Claude Derey publié cette année aux éditions Alphée.
Comme le titre le laisse deviner, ce récit d'aventures nous plonge au fin fond de la Papouasie (connue aussi sous le nom de "Nouvelle-Guinée", pays situé au nord de l'Australie) où nous faisons la connaissance d'un jeune narrateur, François, en passe de devenir le premier prêtre papou.
Le jeune homme sera amené à accompagner Monseigneur, son père d'adoption, en mission chez les Fouyoughé, un peuple cannibale habitant la chaîne des Etoiles.
Cette expédition sera l'occasion pour François (et pour le lecteur) de confronter sa vision à celle d'un peuple dont le mode de vie se veut radicalement différent du sien...

Autant le dire d'emblée, je n'ai pas choisi ce livre. D'ailleurs, si je l'avais aperçu en librairie, je l'aurais à peine regardé, le temps de me dire "oh quelle belle couverture!" et je serais passée à autre chose.
Quoiqu'il en soit, voici une belle couverture, à mi-chemin entre un cliché "Geo magazine" et une photo Toscani.
Bref. Passé l'effet "oh c'est zoli", j'ai découvert (avec horreur) le quatrième de couverture qui mentionnait un récit d'aventures avec pour toile de fond le sujet de la religion (beurk).
J'ai reposé le livre en me disant "Cynthia, mais qu'est-ce qui t'a pris de t'inscrire à ce partenariat mystère et d'ainsi accepter de recevoir un livre sans savoir à l'avance de quel genre il s'agirait?".
C'est donc la mort dans l'âme (bon d'accord j'exagère un chouia) que j'ai commencé ce roman. Les 100 premières pages étaient loin de me rassurer. Il n'y fut pratiquement question que de Malin et de sexe abordé de façon...assez crue et parfois "surjouée"...

" Elle mordillait ma verge en agaceries d'incisives, lui causant d'une voix rauque, basse, comme à un suspect dans une cave, sur une chaise en fer, qui refuse de donner le nom de ses complices.
Elle l'agitait entre ses paumes, avant de la coincer entre ses pieds, et sa langue papillonnante me suppliait, retiens-toi encore, c'est meilleur! Bander et éjaculer riment avec l'éternité ! Imagine, t'es aveugle, sans chien, sans canne blanche, trop bête pour apprendre le braille, tu erres dans une nuit noire ! Et soudain, tu découvres sous la moustiquaire ta Juliette, ton nouveau monde, ton Amérique à toi, à renvoyer au piquet celle de Christophe Colomb ! " p.74
Soit. Après ces histoires de "sève", de "noisettes", de "lait" arrive la seconde partie consacrée à la rencontre du jeune homme et du prêtre avec les Fouyoughé, qui sont un genre d'irréductibles gaulois en version pagnes et gouache.
Comme nous le signale l'auteur au début du récit, nous sommes dans "l'île la plus inhospitalière du monde" et dans cette fameuse région montagnarde appelée chaîne des étoiles, la population y apprécie particulièrement les gigots...humains.
Nous sommes donc loin du Mythe du bon sauvage à la Montaigne...
La rencontre entre le prêtre (qui pratique la médecine avec les moyens du bord...) et le chamane (qui attend de voir ce qui se passe quand on jette un corps dans la rivière) sera l'occasion d'aborder le choc des cultures et d'opposer points de vue "païen" et catholique.
Entre les uns, cannibales et "barbares" et les autres qui prêchent tout en pêchant, j'avoue que je suis complètement restée en dehors de ce récit. Je l'ai donc abandonné à la page 219 (sur 360), à bout de ma dernière once de curiosité.
Il faut dire que ce genre de passage n'était pas pour me motiver...

" Mais la femme? Une créature impure par nature. Elle fuit au quartier du bas, près de la rivière, pour accoucher dans un abri de branchages.
Elle enfante seule, debout. Pendant que le mari, lui, se roule dans la case, en proie à d'intolérables douleurs.
On l'éponge, on lui offre du cochon grillé, des fruits, l'eau la plus fraîche. On l'entoure d'attentions, on s'apitoie.
Pendant ce temps, la mère donne le bébé en pestiférée. Elle brûle l'abri précaire, enterre le placenta, sacrifie le bébé si c'est le premier au profit d'un porcelet.
La femme? Un mal inévitable. Une créature dangereuse, frivole qui doit occuper sa juste place, au bout d'une laisse ! se plaint Baïva. Elle pollue. " p.178

En quelques mots, j'aurais préféré être consultée un minimum sur mes goûts (à défaut de laisser le choix entre plusieurs titres) avant de recevoir un livre, cela m'aurait évité une déception et aurait sûrement davantage fait plaisir à quelqu'un d'autre.
Ce roman n'est pas foncièrement mauvais mais il n'était absolument pas pour moi.

Un grand MERCI toutefois à et aux éditions Alphée de m'avoir offert ce livre !

20 mars 2010

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme - Stefan Zweig


"Vingt quatre heures de la vie d'une femme" est une nouvelle de l'écrivain autrichien Stefan Zweig parue en 1927.
Ce court récit nous emmène au large de la côte d'Azur, dans une pension de famille où séjournent plusieurs couples de riches notables.
Tout semble se passer pour le mieux jusqu'à ce qu'un événement inattendu vienne semer la zizanie dans la pension : Madame Henriette, l'une des épouses, s'en est allée sans crier gare, laissant mari et enfants pour batifoler avec un mystérieux inconnu.
Tous les pensionnaires s'interrogent; les langues se délient et les médisances vont bon train. Seul le narrateur et une dame âgée prendront le parti de la "mauvaise épouse". S'entame alors entre eux un débat suivi de ce qui sonne peut-être bien comme une confession...

Ce récit s'ouvre assez rapidement sur la disparition de Madame Henriette que le narrateur (qui comme souvent pourrait être l'auteur lui-même) ne décrit que très brièvement avant de céder la place à une narratrice, une vieille dame anglaise qui prétend avoir un secret qu'elle souhaite partager avec lui.
S'ensuit le long monologue de cette femme, devenue veuve à 40 ans et qui, jusqu'à sa rencontre avec un jeune homme désoeuvré, portait infailliblement le deuil de son mari.
Celle-ci raconte à son interlocuteur/au lecteur comment en 24 heures, sa vie, ses convictions, sa raison ont pu être évincées d'un seul coup par une rencontre improbable, cause d'un sentiment à la fois désarçonnant et angoissant.

" Mais ce n'était pas un évanouissement véritable, dans lequel on n'a plus conscience de rien; au contraire : avec la rapidité d'un éclair, tout fut pour moi aussi conscient qu'inexplicable et je n'eus plus que le désir de mourir de dégoût et de honte à me trouver ainsi, tout à coup, avec un être absolument inconnu, dans le lit étranger d'un hôtel borgne et des plus suspects.
Je m'en souviens encore nettement : le battement de mon coeur s'arrêta, je retins mon souffle comme si j'avais pu par là mettre fin à ma vie et surtout à ma conscience, à cette conscience claire, d'une clarté épouvantable, qui percevait tout et qui, cependant, ne comprenait rien." p.77

Je poursuis, toujours avec plaisir, ma découverte de Zweig et le moins que je puisse dire est qu'encore une fois je n'ai pas été déçue.
Zweig nous parle ici d'amour et de jeu de hasard avec, au confluent de ces deux thèmes, la passion, toujours envisagée par l'auteur dans son sens premier.
Une passion fulgurante, extrême, qui emporte tout sur son passage. Une véritable fièvre, source de troubles physiques, de confusion de l'esprit et qui balaie en un instant toute forme de raison.
L'auteur avait déjà abordé la passion du jeu dans "Le Joueur d'échecs" ainsi que la passion amoureuse dans "Lettre d'une inconnue" ou encore "La Confusion des sentiments".
" Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" fait cohabiter ces deux aspects. Deux êtres succombent chacun à une passion qui leur fait à la fois office de remède et de poison tant celle-ci alimente leur feu tout en les faisant courir à leur perte.
Les deux êtres dont il est question dans ce récit aiment chacun quelque chose/quelqu'un mais ne se rencontrent pas. Chacun reste enfermé dans sa bulle, animé par une douce folie dont il est à la fois maître et victime.

" Je ne compris pas ce qu'il voulait dire. Je remarquai seulement que le jeu l'avait enivré, que cet insensé avait tout oublié, son serment, son rendez-vous, l'univers et moi. Mais même dans cet état de possession, la lueur d'extase qu'il venait d'avoir en me voyant était si séduisante que, malgré moi, je suivis le mouvement de ses paroles et que je lui demandai avec intérêt de qui il voulait parler." p.114

Outre le parfait récit de la confusion causée par une passion dévorante, plus je lis Zweig, plus je me rends compte que ce qui me touche le plus dans son traitement de ce thème, c'est l'extrême solitude dans laquelle vivent ces personnages, abandonnés à eux-mêmes à cette dépendance qui les dépasse et les enchaîne à l'objet de leur passion.
Privés de lui, loin de s'en libérer, ils le réclament. En sa présence, ils souffrent de ne pouvoir en sortir car la passion ne connaît jamais le répit.
A travers ses nouvelles, l'auteur semblait vouloir dire à quel point la passion pouvait être ambivalente. Tantôt gage de bonheur, tantôt promesse d'une existence malheureuse, elle est en tout cas selon lui un sentiment auquel personne ne semble pouvoir échapper.

" Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé." p.123

Une nouvelle à lire absolument ! Faites plus simple, lisez tout Zweig ^^

PS : pour ceux qui se posaient la question, la peinture représentée en couverture est une toile signée Gustav Klimt et intitulée "Portrait de Sonja Knips".

"Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" était une lecture commune avec Manu et Clara dont je file découvrir les billets !

D'autres avis chez BOB !

17 mars 2010

Blog - Jean-Philippe Blondel


Après "Au rebond" et "Un endroit pour vivre", "Blog"est le troisième roman jeunesse de Jean-Philippe Blondel publié ce mois-ci chez Actes Sud junior.
"Blog" est l'histoire d'un ado de 15 ans dont le père découvre et lit en cachette le blog. Mais le père se laisse facilement démasquer par son fils qui décide de ne plus lui adresser la parole, estimant que son père est allé trop loin en violant son espace privé, son intimité.
A défaut de se confondre en excuses ou de tenter de racheter sa confiance, son père joue profil bas et dépose un soir une boîte en carton contenant ses anciens journaux intimes d'adolescent.
Son fils ouvrira-t-il la boîte de Pandore?

Inutile de dire que ce gros titre vert flashy et pour le moins évocateur m'a rapidement tapé dans l'oeil en librairie, d'autant que l'auteur a déjà souvent été cité par la blogosphère et que je brûlais d'envie de le découvrir.
"Blog" me laisse une impression mitigée. Dans les faits, j'ai réellement eu le sentiment d'entrer dans la tête d'un adolescent et de partager ses préoccupations.
Je me suis assez bien reconnue dans ses propos, même contradictoires, sur son rapport au blog.

"C'est pour ça aussi, le blog. J'en suis conscient. Pour conserver. Parce que j'ai peur que tout ne nous échappe. Ne nous file entre les doigts. Et qu'un jour, nous nous retournions et que nous nous apercevions soudain que nous évoluons au milieu d'un désert et que le point de départ, notre oasis, est inatteignable désormais.
J'écris des trucs comme ça, sur mon blog. Parfois trop ampoulés. Trop dramatiques. Trop littéraires. A d'autres moments, trop factuels, trop-près-du-gazon. Je mélange tout - c'est une sorte de marmite dans laquelle je touille tous mes ingrédients, en espérant savoir en tirer une saveur unique. Et surtout inoubliable. " p.30
" Dans presque un an, il abandonnera son journal, en plein milieu, sans aucune explication. Je le comprends. Parfois, on en a juste marre d'écrire. Parfois, on n'en a plus besoin. Vivre suffit. Tout le reste paraît vain. Ridicule. Désolant. Pour qui se prend-t-on? Et à quoi est-ce que ça peut servir, toute cette prose? Depuis que j'ai cessé d'alimenter mon blog, toutes ces questions-là me hantent. Je ressens un manque, mais en même temps, je me sens soulagé. Je me suis débarrassé d'une contrainte. Je suis plus libre qu'avant. " p.73

L'ado (il n'a pas de nom) découvre que son père l'espionne par l'intermédiaire de son blog et forcément il lui en veut (à mort-à donf-à fond les ballons-exag, biffez la mention inutile).
Forcément c'est la fin du monde et il ne veut plus lui parler. Bon j'avoue qu'en son temps, j'aurais sans doute fait la même chose. Sauf qu'à mon époque (j'ai l'impression de parler comme une poudre Guerlain), les blogs n'existaient pas et qu'on se contentait des journaux intimes à cadenas (très faciles à ouvrir...).
Or, il y a tout de même une petite différence entre le journal intime (fermé à clé et planqué à l'abri des regards indiscrets) et le blog personnel qui, bien que pouvant être limité à la lecture de quelques personnes, reste tout même un espace accessible par le web.
Dans le cas présent, le père ne s'est même pas servi de ce qu'il avait appris contre son fils (pour le punir ou lui faire avouer des bêtises) mais bien pour se rapprocher de lui et lui faire des cadeaux.
Franchement, j'ai eu envie de dire à cet ado qu'il avait bien de la chance que son père se casse le *** à savoir ce qu'il aime alors que beaucoup d'autres pères ne s'en soucient pas le moins du monde (ingrat va, nomého!).
Raison pour laquelle j'ai trouvé que l'ado dramatisait un peu trop la situation en qualifiant le geste de son père de "viol virtuel".
Bref, le père va tout de même tenter de se faire pardonner en livrant à son fils les écrits de sa jeunesse à savoir ses journaux intimes datant de l'époque où il avait l'âge de son fils.
Outre un grand secret que je ne révélerai bien entendu pas ^^, tous ces journaux permettent au jeune homme de se rendre compte que même son père a été jeune un jour, que lui aussi a fait des conneries, a connu des amourettes, s'est pris des vents et qu'ils ont sans doute beaucoup plus de choses en commun qu'il ne le pensait.
Il va découvrir tout un pan de la vie de son père qu'il ne soupçonnait pas et se rapprocher de lui par l'intermédiaire de ce personnage, Philippe, son père plus jeune.

Tout ça est bien joli mais j'émets toutefois une sérieuse réserve à ce roman. J'ai trouvé cet ado très réfléchi pour son âge. J'ai trop senti l'adulte qui se cachait derrière tous ces raisonnements, ces remises en question sur la vie, sur la fragilité, sur l'amour.
De plus je ne pense pas qu'une ado de 15 ans prononcerait des phrases telles que " Je pensais que tu te glorifiais de ne pas être comme les autres garçons"...
J'ai plus eu l'impression de lire un adulte se souvenant de son adolescence qu'un adolescent racontant directement les faits ( ce qui est censé être le cas dans le livre).

Un avis moit-moit mais qui ne m'empêchera pas de découvrir la plume de Blondel, mais pour adultes cette fois.

D'autres avis : Les jardins d'Hélène - Saxaoul

Et parce que je pense que le sujet et l'auteur intéresseront sans doute plusieurs d'entre vous, je me suis dit que ce livre pouvait bien voyager.
Inscriptions en commentaire ;)

A voyagé jusque chez Bladelor, Stephie, Lasardine, Restling, Doriane, George et Cacahuète.

15 mars 2010

Le Challenge 2 euros en quelques chiffres...


Il y a tout juste 5 mois, je proposais un challenge dédié à ces petits ouvrages que sont les Folio et Librio à 2 euros.
Le moins que je puisse dire est que j'étais loin de me douter à ce moment-là que ce défi récolterait tant d'inscriptions et autant de participations.

Aussi, même si ce challenge reste ouvert puisqu'aucune date limite n'a été fixée, ai-je décidé de rendre en quelque sorte hommage à votre assiduité (et par la même occasion vous remercier de ne pas m'avoir laissée dans le vent en ce fameux jour du 15 octobre 2009^^).

Bref. Voilà ce que donne le Challenge 2 euros jusqu'à présent :

- 62 (+ moi) participants inscrits
- 36 challengers confirmés
- 93 participations
- 59 auteurs différents
- 71 titres différents

Félicitations particulières à Soukee qui en a déjà lu autant que moi soit 8 ^^
Bravo aussi à Raison et sentiments (6), Sarawasti (5), Mina (5), Mango (4), CécileQD9 (4), George (4), Sandrine (4) et bien sûr à tous/toutes les autres qui ont d'ores et déjà réussi leur challenge !

N'hésitez pas à continuer si l'envie vous titille ! Au cas où vous chercheriez un titre, le récapitulatif du challenge est disponible ici.

Le Petit Prince - Antoine de Saint-Exupéry


"Le Petit Prince" est un conte philosophique de l'écrivain Antoine de Saint-Exupéry et publié en 1943.
Est-il encore besoin d'en résumer l'histoire? Le narrateur est un pilote d'avion qui échoue dans le désert du Sahara. " S'il vous plaît...dessine-moi un mouton !" C'est au travers de cette phrase étrange que le pilote se fait aborder non pas par Mylène Farmer, mais par un petit blondinet devenu légèrement autiste à force de tourner en rond sur son astéroïde B612.
Le narrateur rend hommage à ce jeune garçon qui, soucieux de découvrir les autres astéroïdes, a entrepris un long voyage lors duquel il a successivement rencontré un roi, un vaniteux, un buveur, un businessman, un allumeur de réverbères, un vieux géographe, un serpent, une fleur, un aiguilleur, un marchand, et bien sûr un renard qu'il apprivoisera.


D'abord excédé par l'insistance du garçon à ce qu'on réponde à ses questions alors qu'il ne répond pas à celles des autres, l'homme nouera avec lui une tendre amitié et découvrira que le petit prince a beaucoup de choses à lui apprendre sur le monde des adultes et ses incohérences.

" La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite fut très courte mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie :
" Que fais-tu là? dit-il au buveur, qu'il trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.
- Je bois, répondit le buveur, d'un air lugubre.
- Pourquoi bois-tu? lui demanda le petit prince.
- Pour oublier, répondit le buveur.
- Pour oublier quoi? s'enquit le petit prince qui déjà le plaignait.
- Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en baissant la tête.
- Honte de quoi? s'informa le petit prince qui désirait le secourir.
- Honte de boire! " acheva le buveur qui s'enferma définitivement dans le silence.
Et le petit prince s'en fut, perplexe.
"Les grandes personnes sont décidément très très bizarres" se disait-il en lui-même durant le voyage." p.44

Une lecture et des illustrations à l'aquarelle tout en simplicité et en poésie que j'ai pris beaucoup de plaisir à redécouvrir !

En plus d'être une lecture commune avec Lili Galipette, "Le Petit Prince" est le second livre lu pour le Challenge Coups de coeur de la blogosphère organisé par Theoma. Il s'agissait du coup de coeur d'Ori.
Il est également ma 10ème lecture pour le Challenge J'aime les classiques de Marie-L.

14 mars 2010

Cet homme-là, Eve de Castro


"Cet homme-là" est le nouveau roman de l'écrivaine française Eve de Castro, paru aux éditions Robert Laffont.
Au fil des chapitres, le lecteur découvre l'enfance puis le quotidien de Marie del Prato et de Romeo Ange. Elle est française et a reçu une éducation stricte. Elle a appris sur le tard que son père n'était pas son vrai père. Elle est un brillant écrivain. Lui est mauricien. Son père frappait et malmenait sa mère. Il n'a pas de diplôme et n'a d'autre ambition que celle de vivre au jour le jour.
Ces deux-là vont s'aimer en dépit de nettes différences d'éducation, de milieu, de culture. Mais, alors qu'ils semblaient avoir reconnu en l'autre le remède à ce qui leur manquait tant dans la vie, tous deux vont se déchirer jusqu'à s'empoisonner l'existence...

Le roman est divisé en deux parties. "Enfances" se présente comme une série de "morceaux choisis", souvenirs d'enfance répartis dans de courts chapitres consacrés en alternance à Marie et à Roméo.

" Pendant cette semaine écoulée, Roméo n'a pas vu Jésus à ses côtés, pas dans la joie, pas dans le découragement, pas dans l'inquiétude, et le vent du cyclone souffle à son oreille : Jésus, il fait comme ton père, il vit chez les autres.
Quand le vent souffle comme ça, la mer se met à rugir et Roméo devient sourd. Il ne veut pas écouter la parole du Seigneur, il ne veut pas enrichir son amour. Son amour, il le garde pour sa mère qui est démariée. En plus, une divinité faite homme, un père sans corps qui est son propre fils avec corps et en même temps un esprit saint pour l'éternité, c'est incompréhensible et Roméo n'arrive pas à croire ce qu'il ne comprend pas." p.58

J'ai beaucoup aimé cette partie qui déploie au fil des pages le trop rapide passage à l'âge mûr et son lot de souvenirs (et dans ce cas-ci de traumatismes) qui forgent la personnalité adulte.
Bien que je l'ai estimée nécessaire à la compréhension de la suite de l'histoire, j'ai toutefois trouvé cette partie un peu trop longue (la moitié du roman tout de même) et j'avoue m'être impatientée à l'idée de "vraiment entrer dans le roman".

En débutant la seconde partie intitulée "Spirales", j'avais une toute autre idée de ce qu'il en était réellement. Cette couverture rouge-vif m'avait laissée croire à une histoire de passion destructrice mais j'étais loin d'en soupçonner le tournant insidieux.
Marie a l'impression de tout faire pour que Roméo se sente à l'aise en tentant de gommer les différences qui les opposent. Lui de son côté a le sentiment de ne pas être assez bien pour elle mais au lieu de lui faire part de sa frustration, Roméo se conduit en véritable salaud.
Alors qu'il vit à ses crochets, il joue les ingrats. Au fil des jours, il s'immisce dans ses affaires et se permet de plus en plus de choses jusqu'à la casser dans son être.

" Roméo prétend "tenir à elle envers et contre tout", mais il ne supporte pas son éducation, ses rigidités, ses contradictions, ses incohérences. Ses contraintes logistiques, ses évasions mentales, sa santé capricieuse. Les mots et les élans qui scandent en elle des mesures dissonantes.
Son désir d'être prise en charge, d'être prise en mains, d'être prise tout court, et son obstination à porter la culotte.
Marie s'est lancée à corps et âme perdus dans l'aventure de cet amour. Elle y a entraîné ses trois enfants. Elle a laissé Pauline et Charles s'éprendre d'un père de substitution qu'elle pensait indéfectible. En l'imposant à Côme, elle a détérioré ses relations avec ce fils lié à elle par une confiance, une intimité, une complicité exceptionnelles.
Depuis qu'elle connaît Roméo, elle ne croit plus être une femme parfaite, elle a abandonné ses certitudes et la vitrine derrière laquelle elle se mettait en scène.
En échange, elle voudrait simplement être respectée et acceptée. Elle voudrait un compagnon qui ne hausse pas la voix. Qui se réjouisse de ce qu'elle offre au lieu de regretter, ce dont, en la choisissant, il se prive." p.253
L'auteur parle d'abord de "maltraitance émotionnelle" avant d'évoquer la perversion narcissique et son pendant, la dépendance affective.
Marie s'accroche à cet homme qui souffle le chaud et le froid en même temps et de son côté lui n'arrive pas à réellement la quitter. Tous deux ne parviennent pas à lâcher prise, à renoncer définitivement l'un à l'autre, chose qui est d'autant plus troublante pour le lecteur que, pris à témoin, il ne peut pas réellement comprendre ce qui les lie si ce n'est comme le dit l'auteure :

" Le principe du bouquin, d'après ce qu'il a compris, c'est de montrer que quand ils étaient mômes, ils se sont construits autour de vides, de manques, et que ce qui les a accrochés l'un à l'autre, c'est l'intuition qu'ensemble ils allaient combler ces manques-là, ces vides-là, et se guérir mutuellement de ce qu'ils n'avaient pas vécu ou mal vécu." p.306

Pour moi ce livre fut criant de vérité à bien des niveaux. J'ai été sensible à la prose de l'auteure, à sa façon si juste de décrire les ravages causés par un amour torturé et de coller au plus près aux angoisses de la femme passionnée (et délaissée).
J'ajouterais toutefois que l'appréciation de ce roman n'est pas garantie tant elle dépendra du vécu de chaque lecteur/trice.
Un roman que de mon côté je ne suis pas prête d'oublier...

D'autres avis : Lolo - Jostein - Sita - Valérie - Anneso - Gio - Lilith

Un grand MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !

7 mars 2010

Embuscade à Fort Bragg - Tom Wolfe


"Embuscade à Fort Bragg" est un court roman publié en 1996 et rédigé de la plume de l'écrivain américain Tom Wolfe, également auteur de "Moi, Charlotte Simmons" et du célèbre "Le Bûcher des Vanités".
Ce roman nous emmène au Fort Bragg, une base militaire établie en Caroline du Nord, qui fut le théâtre du meurtre de Randy Valentine, un jeune homosexuel battu à mort par 3 G.I.
Irv Durtscher, producteur d'un célèbre show télévisé, s'empare de l'histoire et décide de tendre une embuscade aux 3 hommes dans le but de leur faire reconnaître les faits...

"Embuscade à Fort Bragg" est, malgré son court format, un roman assez explicite quant au pouvoir de manipulation des médias.
Le récit débute sur les chapeaux de roue. Les conversations compromettant les 3 soldats ont déjà été enregistrées et le producteur ainsi que la présentatrice de l'émission "Day&Night" sont en train de les visionner.
Les déclarations laissent entrevoir des hommes vraisemblablement homophobes et pour le moins rustres et vulgaires.
Attirés dans un van truffé de caméras par une stripteaseuse engagée par la chaîne, ils tombent dans le panneau et rencontrent Mary Cary Brokenborough, la présentatrice de l'émission, qui tente de leur faire avouer leur culpabilité.
La confrontation prend un tournant inattendu car les 3 hommes se montrent moins bêtes que prévu.
Mais le grand Irv Durtscher en a vu d'autres et est bien décidé à leur faire dire ce qu'il souhaite à grand renfort de scènes coupées et de montages.

"Moi, Irv Durtscher, je suis le véritable artiste de l'ère moderne, le producteur, le metteur en scène, celui qui peut d'un seul et même coup ramener une audience prodigieuse et satisfaire la gloutonnerie de bénéfices de la chaîne - tout en faisant avancer la cause de la justice sociale...
Le grand truc désormais, dans les magazines télé, c'étaient les opérations venimeuses et perverses, nécessitant des préparatifs inouïs, caméras cachées et micros planqués, pour incriminer des gens en enregistrant leurs affirmations sur bande vidéo, et le cas présent en était l'illustration parfaite." p.18

"
On continue à voir remuer les lèvres de Ziggefoos, mais on n'entend pas ce qu'il dit sur le couple d'homos sur le toit qui "grognent et gémissent", ni sur la manière dont ils étaient "nus comme deux gogos" ni sur l'un d'entre eux qui "enculay l'aut' à mort". A la place, on entend Mary Carry qui dit "Les deux enfants étaient perplexes. Et donc...".
Puis la voix de Ziggefoos revient : "Alors on a r'veillé l'vioque, l'a r'gardé par une f'nêt et y dit bondieud'bondieu, les gars, c'est des tantouzes."
La voix de de Ziggefoos est à nouveau submergée par la musique, et on entend Mary Carry déclarer, d'une voix de stentor : "Telle fut la première et inoubliable leçon de Virgil Ziggefoos...enseignée par son propre père...lui apprenant l'horreur...et l'abomination _ Mary Carry donnait tant de puissance ironique à l'intonation de ces mots que pas même le cerveau le plus faiblard de toute l'Amérique ne risquait de la louper _ de l'amour homosexuel. " p.123

Des premières conversations enregistrées à la diffusion de l'émission, tout se passe très vite. Le roman est construit en 4 parties qui défilent sous les yeux à la manière de 4 épisodes télévisés. Je me suis retrouvée à tourner les pages frénétiquement pour savoir si oui ou non les 3 soldats allaient craquer et tout avouer.
La tentation est grande de les désigner comme coupables tant ceux-ci se montrent carrés et grossiers (cette sensation est d'autant plus accentuée que leurs propos sont reproduits en langage "rural" parfois difficile à suivre).
Or le lecteur ne saura jamais de source sûre si ces 3 hommes ont bel et bien assassiné Randy Valentine.
D'ailleurs tout le monde se fiche de la victime comme de la cause homosexuelle. La seule chose qui compte n'est pas LA vérité mais l'aveu des 3 soldats.
On ne s'attache pas plus aux 3 "acteurs" de ce récit (le producteur, la présentatrice et la stripteaseuse) qui sont des personnages en quête de pouvoir, de cette gloire qui nécessite une reconnaissance de la part d'un public.
Aux commandes de ce trio se trouve un producteur sans scrupules dont l'ambition est entièrement tournée vers les chiffres d'audience quitte à instrumentaliser tout et tout le monde pourvu que le sensationnalisme soit prévu au programme.

" Et maintenant, sur l'écran, de retour à New-York, apparaît le grand vainqueur, Mary Carry Brokenborough, derrière son pupitre futuriste dans le poste de commandement de la chaîne.
L'expression sur son visage : la Justice Triomphante personnifiée. Elle entame sa conclusion - qu'elle avait ré-enregistrée - et qu'Irv avait écrite - le jour-même, un peu plus tôt." p.118

Un roman efficace et au thème très actuel en ce qu'il dénonce cette tendance des médias à construire des vérités en recourant au sensationnalisme et à la manipulation d'informations et de témoignages.
J'ai particulièrement aimé les deux dernières parties opposant les vrais propos des 3 soldats à la déconstruction de ces mêmes propos et au recours aux scènes coupées par le producteur.

A lire si le sujet vous botte !


Un grand MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !

6 mars 2010

Foire du Livre 2010 - Bruxelles

Bon sang, si je m'attendais ! J'aurais pu faire dédicacer plein de livres de ma bibliothèque si je m'étais renseignée à l'avance sur les noms des écrivains présents à cette Foire du Livre/au Temple.
Pas de dédicaces donc cette année mais des photos tout de même !

Bernard Werber


















Eric-Emmanuel Schmitt

















Amélie Nothomb

















Frédérique Deghelt


















Claudie Gallay, Frédérique Deghelt et Cécile Ladjali












Chloé Delaume


















David Foenkinos


















Frédéric Beigbeder

















J'ai également pu croiser le regard bleu piscine de Nicolas Fargues, les bouclettes de Thomas Gunzig ainsi que l'auteur Yasmina Khadra qui est en fait un homme et non une femme comme je le pensais... (j'avais eu le même coup l'an passé avec Fred Vargas...).
J'ai passé une super après-midi à cette Foire du Livre ! Mes jambes en sont ressorties plus lourdes, mon portefeuille plus léger (aïe la PAL!) et l'envie d'écrire plus pressante encore.
Pour la petite histoire, j'ai croisé cet après-midi l'un des rédacteurs du magazine "Ecrire" qui m'a dit se souvenir de ma nouvelle publiée dans leur numéro cet été. Il m'a demandé où en étaient mes projets d'écriture et mazette, ça m'a fait tout bizarre...

5 mars 2010

Chagrin d'école - Daniel Pennac


"Chagrin d'école" est un essai de l'écrivain français Daniel Pennac, publié et détenteur du prix Renaudot en 2007.
L'auteur revient sur ses années passées sur les bancs de l'école, sur cette étiquette de cancre qui le poursuivit durant toute sa scolarité et lui valut un passage en pensionnat, sur la lecture, sur ces quelques professeurs qui l'ont sauvé de leurs enseignements et sur cette volonté de devenir à son tour, bien des années plus tard, enseignant.

L'auteur nous livre au détour d'anecdotes son expérience d'enfant en difficulté scolaire, la douleur de vivre en marge du savoir et de ses camarades ainsi que l'incompréhension et les réactions de ces générations entières de parents inquiets que leurs enfants ne fassent rien de leur vie plus tard.
A la lumière de cette tranche de vie et en tant que "rescapé" comme il le dit lui-même devenu professeur, il partage ses vues sur un enseignement qu'il conçoit comme tributaire d'une faculté d'écoute et d'accompagnement.
" Je me faisais l'effet d'un maître-nageur. Les plus faibles avançaient en peinant, la tête hors de l'eau, segment par segment, accrochés à la planche de mes explications, puis ils nageaient seuls, quelques propositions d'abord, jusqu'à s'offrir bientôt une longueur de paragraphe, sans lire, de tête." p.165

Je trouvais intéressant de mettre en parallèle l'expérience du cancre et celle du professeur, toutes deux vécues par la même personne et présentées comme étant les deux faces d'une pièce.
Malheureusement - et ce sentiment ne m'a pas quittée durant toute ma lecture - j'ai ressenti un profond décalage entre la "cancre attitude" vécue par Pennac et le constat d'échec scolaire actuel.
Et au vu de ce qui se raconte autour de moi, notamment par des ami(e)s profs, à défaut d'utiliser le terme de "maître-nageur" pour qualifier le professeur actuel, je serais tentée de lui préférer celui de "gardien de zoo" tant les évocations telles que "ne savent pas se tenir tranquilles" ou "insultent et balancent des craies" affluent dans les discussions...
Je ne pense pas qu'à l'époque actuelle, l'enseignant que Pennac était autrefois récolterait tant d'attention de la part d'un élève en lui parlant grammaire (à cet effet, j'ai d'ailleurs trouvé certains passages assez "geek" et longs...) ou "pensée magique"...

Aussi, bien que j'ai adhéré à plusieurs idées de l'auteur ( l'utilité en français d'apprendre certains textes par coeur pour mieux en mesurer l'intensité comme c'est le cas pour le théâtre, la comparaison des élèves habillés par les marques en hommes/femmes sandwiches ou encore l'importance de casser le prisme de l'échec par l'encouragement), j'ai trouvé que les pistes qu'il proposait étaient quelque peu naïves voire dépassées vu le contexte actuel.
Bien que j'ai nettement préféré la partie consacrée au "Pennac cancre" qu'au "Pennac prof", j'ai ressenti à travers l'écriture de l'auteur une vraie âme de pédagogue ainsi qu'une infinie tendresse pour ces générations de jeunes qui furent ses élèves.

Les chapitres sont plutôt courts en ce qu'ils contiennent un bon nombre d'anecdotes entremêlées de contenu à caractère plus "sociologique" et teintées de petites touches d'humour.

" Quand j'étais adolescent, nous étions au moins deux à le faire exprès : Pablo Picasso et moi. Le génie et le cancre. Le cancre ne faisait rien et le génie faisait n'importe quoi, mais exprès, tous les deux. C'était notre seul point commun. " p.202

"
- Les profs, ils nous prennent la tête , m'sieur !
- Tu te trompes. Ta tête est déjà prise. Les professeurs essayent de te la rendre." p.227

Une lecture intéressante et qui fut loin d'être déplaisante même si, vu le sujet, j'ai eu l'impression d'être restée en retrait.
Il faut dire que je ne suis ni professeur, ni mère, ni amie d'une mère d'adolescent. Je n'ai pas non plus été un cancre à proprement parler. J'étais très bavarde, facilement distraite mais malgré mes faiblesses en math et en sciences, je réussissais toujours à garder la tête hors de l'eau ou presque...

"Quelle que soit la matière qu'il enseigne, un professeur découvre très vite qu'à chaque question posée, l'élève interrogé dispose de trois réponses possibles : la juste, la fausse, l'absurde. J'ai moi-même passablement abusé de l'absurde pendant ma scolarité." p.178

Il ne fut pas le seul. Je me souviens de quelques exemples, notamment lors d'un cours de physique durant lequel ma prof tentait tant bien que mal de m'expliquer heu...je ne sais plus quoi...Bref elle me dit "Mais enfin Cynthia, ça n'est pas compliqué! Tu as 8 morceaux de saucisson. Tu en places 3 dans un tunnel et 5 dans un autre, combien y a t-il de morceaux au bout du compte?".
J'avais trouvé sa question tellement débile et insultante en regard de ma volonté à comprendre son cours que je lui ai répondu "Je ne sais pas madame, je n'ai jamais croisé de saucisson dans les tunnels...".

Hum...Soit. Peut-être envisagerais-je ce livre d'une toute autre façon d'ici quelques années...

D'autres avis chez Bob !

L'interview de l'auteur et 3 extraits lus

"Chagrin d'école" était une lecture commune avec Abeille et Bladelor dont je file lire les billets !