Publié aux USA en 2009 et paru en français le 8 mars dernier, "Le Temps du déluge" est un roman de l'écrivaine canadienne Margaret Atwood, notamment auteure de "La servante écarlate", "Le dernier homme" ou encore "Captive".
En l'an 25, la Terre a vu sa population décimée par un virus foudroyant surnommé le Déluge des airs. Seules deux femmes, Toby et Ren, semblent y avoir survécu.
Barricadée dans l'immeuble dont la toiture abritait autrefois le Jardin d'Edenfalaise, Toby se rappelle la perte de son existence officielle et la fuite pour échapper à la fureur de Blanco et rejoindre les Jardiniers de Dieu.
Extrémistes verts chapeautés par Adam 1er, les membres de cette communauté luttaient activement pour la restauration de l'équilibre de la Terre, la fin du gaspillage des ressources et la protection de toutes les créatures de Dieu.
Il fut un temps où Ren vivait elle aussi parmi les Jardiniers, avant que sa mère ne décide de retourner à Sentégénic.
Enfermée à Zécailles où elle travaillait comme prostituée de luxe, elle se demande à quoi ressemble à présent le Monde Exfernal... Y a-t-il d'autres rescapés ?
Ma lecture du "Dernier homme" m'avait laissée dans l'ignorance de ce qu'étaient au juste les Jardiniers de Dieu.
Ma curiosité fut cette fois satisfaite car il est ici principalement question de cette communauté.
Sous l'égide d'Adam 1er relégué par plusieurs Adam et Eve, les Jardiniers de Dieu cultivent une aversion pour tout ce qui déroge au respect de la nature et des animaux.
Toute utilisation de protéines animales sous quelque forme que ce soit est jugée sacrilège et contraire aux voeux végans.
Pas question pour les femmes de se couper les cheveux. L'hygiène se réduit à une douche et un changement de vêtement par semaine afin de ne pas gaspiller l'eau.
Il est formellement interdit de jurer et dans le souci de ménager les arbres, défense de laisser de quelconques traces écrites.
Chaque jour de l'année donne lieu à une célébration ponctuée d'un discours d'Adam 1er et d'un chant issu des Cantiques dont le contenu a principalement trait aux ennemis, à l'arrivée imminente de l'Apocalypse, à la mort et évidemment à Dieu.
Je dois bien reconnaître que cet aspect-là, beaucoup plus accentué que dans "La servante écarlate", a quelque peu plombé ma lecture. Il faut dire que j'ai depuis toujours un problème avec tout ce qui touche au religieux et au mystique.
Là pour le coup, j'étais plus que servie et j'avoue avoir traversé certains passages en diagonale...
" A en croire Adam Premier, la Chute de l'Homme était multidimensionnelle. Les primates ancestraux avaient commencé par tomber des arbres; puis ils avaient chu du statut de végétariens à celui de carnivores. Et ensuite de l'instinct à la raison, et de là à la technologie; des signaux élémentaires à la grammaire complexe, et de là à l'humanité; de l'absence de feu à l'utilisation de celui-ci, et de là à l'usage des armes; et du rut saisonnier à une sexualité débridée.
Puis ils avaient renoncé à vivre dans la joie de l'instant pour s'abîmer dans la contemplation angoissée du passé enfui et de l'avenir lointain." p.198
C'est là mon seul bémol car pour le reste, j'ai à nouveau pris plaisir à m'immerger dans cet univers mêlant fiction et considérations économiques, politiques, sociologiques et religieuses ancrées dans notre réalité.
Encore une fois, Margaret Atwood a pris soin de caractériser ses personnages par le prisme de leur vie intérieure, de manière à pouvoir examiner toutes les facettes de ce sentiment de solitude qui les tenaille dans l'enfermement comme dans leurs relations aux autres.
J'ai aimé voir Toby et Ren se construire par rapport à un passé commun difficile, leur débrouillardise et leur force face à la rudesse des hommes, leur intelligence instinctive qui les tenait éloignées d'un endoctrinement total.
J'ai également retrouvé Jimmy/Snowman, personnage central du "Dernier homme" auquel la fin ouverte réservait un sort incertain.
Véritables témoins de leur temps, Toby, Ren, Snowman ont du mal à trouver leur place à Sentégénic, siège de l'opulence malsaine et du bonheur factice, comme dans cette vie monacale faite de privations et instiguée par les Jardiniers de Dieu.
Dans un milieu comme dans l'autre, le fanatisme règne en maître, les instincts sont réprimés alors qu'à l'extérieur des murs, au sein des plèbezones occupées par les déserteurs, les prostituées, les trafiquants, règne l'anarchie la plus totale.
A croire que les Hommes se veulent tout simplement incapables de modération.
Toby, Ren et Snowman cotoient ces différents milieux sans toutefois y adhérer pleinement, un retrait qui confère à leur vision du monde une certaine neutralité et permet par conséquent au lecteur de juger par lui-même.
"Le dernier homme" et "Le Temps du Déluge" peuvent se lire indépendamment.
Toutefois les deux romans, prenant place à la même époque, se complètent à merveille et participent à la construction d'un univers fictionnel mais pourtant si troublant (car pas si éloigné du nôtre) qui vaut vraiment la peine d'être découvert à travers une vue d'ensemble.
Je pense que vous apprécierez d'autant plus ces deux romans si vous n'espacez pas trop leur lecture.
" En vérité, la plupart des gens ne s'intéressent pas aux autres Espèces, du moins quand les temps sont durs. Ce dont ils se soucient avant tout, c'est de ne pas mourir de faim, ce qui est bien naturel : leur vie en dépend, après tout. Mais de quoi se soucie Dieu ? Notre évolution nous a conduits à croire en des dieux, ce qui nous confère sans doute un avantage évolutionnaire.
Une vision trop matérialiste des choses - celle qui veut que nous soyons le résultat d'une expérience conduite par une protéine animale, par exemple - apparaît comme trop désespérante à la majorité des gens et les conduit au nihilisme.
Conclusion : nous devons encourager la populace à aller dans un sens favorable à la biosphère en lui faisant comprendre que Dieu nous a confié la Terre et qu'Il compte sur nous pour l'entretenir.
- En introduisant Dieu dans l'histoire, tu introduis aussi un châtiment, avait fait remarquer Toby.
- En effet, avait admis Adam Premier. Mais je n'ai pas besoin de te dire que, même sans Lui, il y a quand même un châtiment.
Sauf que les gens sont moins susceptibles d'y croire. S'il doit y avoir châtiment, ils préfèrent qu'il y ait un bourreau. Les catastrophes arbitraires, ça ne leur plaît pas." p.249
L'avis de Keisha
MERCI aux de m'avoir offert ce livre !