"L'annulaire" est un court récit, paru au Japon en 1994 et traduit en français en 1999, de l'écrivaine japonaise Yoko Ogawa, notamment auteure de "La Formule préférée du professeur", "Parfum de glace", "Cristallisation secrète" ou plus récemment de "Les Tendres plaintes".
Employée dans une usine de fabrication de sodas, une jeune femme est victime d'un accident de travail qui lui fait perdre l'extrémité de son annulaire gauche.
Amputée d'une partie d'elle-même, elle entreprend de trouver un autre emploi et se fait rapidement embaucher dans un curieux laboratoire tenu par un naturaliste, M. Deshimaru.
Son travail consiste à recevoir les gens désireux de commander un spécimen.
Ils confient ainsi aux bons soins du laboratoire des objets de toute nature (des ossements, une partition de musique, des champignons, une cicatrice,...) souvent liés à un souvenir émotionnel fort qu'ils souhaitent oublier et que le laboratoire se charge de naturaliser et de consigner précieusement.
Si la jeune femme apparaît curieuse et fascinée par son travail, elle se montre tout autant intriguée par cet homme mystérieux qu'est le professeur...
J'ai toujours eu du mal à apprécier les romans (et les films) japonais. Cela tient principalement au fait que les histoires qui y sont contées sont souvent insaisissables voire dérangeantes, autant dans le fond (pour l'instant je n'ai lu que des drames...) que dans la forme (une écriture froide qui laisse place aux non-dits).
Cela dit, comme je ne demande qu'à être détrompée, je poursuis tant bien que mal ma découverte d'auteurs japonais. Ainsi, après Junichiro Tanizaki et Yukio Mishima, j'ai tenté une première incursion dans l'univers particulier de Yoko Ogawa.
On ne sait pas grand chose sur la jeune fille qui nous conte son histoire - pas plus que sur M.Deshimaru d'ailleurs - si ce n'est qu'avant de rejoindre le laboratoire, elle travaillait dans une usine de limonade, qu'elle a perdu une partie de son annulaire dans une machine et qu'elle est depuis incapable de boire un verre de soda sans imaginer son morceau de doigt flottant à la surface...
" - Alors ton annulaire ne sera jamais plus comme avant, c'est ça?
J'ai acquiescé en appuyant ma joue contre sa blouse blanche au niveau de sa poitrine.
Il n'a rien dit de plus. Nous étions restés tellement longtemps sans bouger que j'avais l'impression d'avoir été transformée en un specimen incorporé à lui." p.50
Le lecteur se voit parachuté au milieu de ce laboratoire, un ancien pensionnat pour jeunes filles à peine visité par quelques clients venus y déposer leurs souvenirs pénibles comme si il s'agissait d'un confessionnal. Il y règne une ambiance propice au mystère comme au rapprochement des deux personnages principaux.
La narratrice se retrouve ainsi sous la coupe de ce professeur autoritaire et fétichiste qui lui offre des chaussures et l'emmène régulièrement visiter la salle de bains...
" (...) jusqu'à présent je n'ai jamais eu de relation avec quelqu'un à qui j'aurais pu donner le nom d'amoureux. Je suis seulement sûre du sentiment et de la situation qui font que je n'arrive pas à le quitter. Si je désire être près de lui, ce n'est pas par facilité, je suis liée à lui d'une manière beaucoup plus essentielle et radicale." p.91
"L'annulaire" est avant tout une histoire de huis-clos qui aborde le thème du souvenir et de la soumission. Portée par une écriture ciselée, minutieuse, elle intrigue par son ambiance envoûtante en exerçant au fil des pages une étrange fascination.
Difficile d'en dire davantage sur les 95 pages qui constituent ce récit comme de me prononcer sur le talent de l'auteure. J'en sais cependant assez que pour avoir envie de continuer à la lire !
Le film
Comme j'étais curieuse de savoir de quelle façon le cinéma français avait pu s'emparer de ce court récit pour en faire un film d'1h40 et reprendre à sa sauce cette ambiance typiquement asiatique, je n'ai pas hésité à me le procurer.
Sorti en 2005 sur nos écrans, "L'annulaire" met en vedette l'actrice aussi japonaise que vous et moi Olga Kurylenko, mannequin et actrice que vous avez notamment pu apercevoir en James Bond girl dans "Quantum of Solace" ou encore dans le clip de Seal "Love's divine".
Comme je m'en doutais, j'ai relevé plusieurs différences notables entre le film et le récit d'origine.
Alors que le livre passait sous silence le nom de la narratrice et attribuait une identité au professeur, un choix qui évoquait la soumission de la jeune femme au maître, les rôles semblent être inversés dans le film où l'on découvre une jeune femme nommée Iris et un professeur frenchy au nom inconnu.
Là où le récit était pour ainsi dire exclusivement centré autour du huis-clos, le film semble vouloir faire sortir l'héroïne de cette ambiance confinée.
Nombreuses sont les interactions de la jeune femme avec le monde extérieur. Celle-ci partage une chambre de motel avec un inconnu qu'elle n'aperçoit qu'à travers quelques chassés-croisés, se promène dans les rues, se balance le long d'un harnais sur les docks.
Le film prend également pas mal de libertés concernant "l'intrigue" entourant ce récit.
J'ai ainsi pu remarquer que le scénario tendait à "combler les trous" de l'histoire d'origine en ajoutant un enfant qui sort d'on ne sait où et ne sert à rien ou en intégrant certains éléments censés faciliter la compréhension de l'histoire mais qui au final n'apportent rien si ce n'est un certain ennui.
Peut-être n'aurais-je pas du passer directement du livre à cette adaptation car j'ai eu le sentiment que le film, en cherchant à s'approprier le corps de l'histoire, l'avait dépossédée de son âme.
Quand le cinéma occidental tente de s'emparer du style asiatique pour le remanier à sa sauce, ça peut faire des dégâts. Ce film en est la preuve formelle.
D'autres avis : Leiloona - Marie - Yv - Katell - Calypso
"L'annulaire" était une lecture choisie dans le cadre d'un hommage à Yoko Ogawa proposé par Pimprenelle.
Une première pour le challenge de Miss Choco :)
Et ma 5ème participation au challenge lancé par Fashion.