En librairie depuis le 15 avril, " Tous crocs dehors " est un recueil de nouvelles nées sous la plume du français Lunatik.
"Tous crocs dehors" comporte 17 nouvelles ainsi que 3 textes que je qualifierais d'hommages. Deux d'entre eux, très sensuels et faisant office d'interludes, s'adressent à des femmes tandis que le dernier - qui clôture d'ailleurs le recueil de façon très habile - apparaît comme un adieu, une mise à distance de l'auteur à son héros.
Il est très rare qu'un recueil de nouvelles emporte mon adhésion dans son intégralité. J'ai ainsi pu constater qu'au sein de celui-ci, certaines nouvelles sortaient vraiment du lot, allant jusqu'à me faire l'effet de véritables coups de coeur.
Ce fut le cas de "Venez me chercher" - un texte émouvant sur l'adoption -, d'"Une affaire de priorités" et de "Plumes d'anges et poule au pot" - deux histoires terribles chacune à leur manière, l'une poussant à devenir parano, l'autre à se tourner vers le végétarisme - et surtout de "Raconte-moi une histoire" qui, à travers les mots d'une adolescente, présente une version assez cocasse du "Petit Chaperon Rouge".
" Il était une fois en de lointaines contrées, genre au fin fond de la Creuse, une fille qui ne connaissait pas grand chose de la vie. Elle habitait dans un bled paumé et elle s'habillait comme une plouc.
Elle n'était pas con, elle était même souvent première de sa classe mais en matière de fringues, elle avait des goûts de chiottes. Et c'était pire encore depuis qu'elle avait assisté à un spectacle des Wriggles.
- C'est quoi les Warg-trucs?
- Tu sais, c'est les types habillés tout en rouge qui chantent des belles chansons rigolotes. Je t'ai emmenée au concert cet été, tu te souviens?
- Ah oui oui, même qu'ils avaient des capuches et qu'ils sautaient partout.
- Ouais, voilà c'est ça.
Bon, ben la fille-là, elle est fan des Wriggles et elle s'habille pareil : pantalon de survêt et sweat à capuche rouge pétant. Du coup, tout le monde la surnomme le Petit Chaperon rouge, parce qu'en plus, elle fait un peu nabot pour son âge.
Dans les bouquins pour les mômes, on lui donnerait dix ans mais en fait elle en a presque quinze.
Elle vit avec son père, qu'est divorcé, et elle va souvent voir sa grand-mère, qui crèche pas loin dans une vieille caravane. Ils n'ont pas beaucoup de thune dans la famille.
Un jour, son père lui dit : "Ca fait longtemps que t'es pas allée visiter Mémé. Elle serait contente de te voir un peu. T'as qu'à lui amener le reste de nouilles dans un Tupperware."
Alors la voilà partie, sac au dos, avec ses nouilles à la tomate plus deux ou trois bricoles dont elle sait que Mémé est souvent à court : de la colle à dentier, un rasoir Bic pour ses poils de menton, le télé Z de la semaine, un paquet de clopes et du PQ parfumé." p.13
Mais attention toutefois ! Car si celle-ci fait montre d'une douce cruauté, les autres nouvelles se veulent globalement beaucoup plus amères.
" A mon retour, ton ventre s'est arrondi. J'ai commencé par compter les semaines, pour savoir, pour être sûr. J'aurais préféré éviter le cliché numéro 139 bis, celui qui fait mal aux tripes et qui a les yeux de mon meilleur pote.
Je me console dans l'alcool; au moins, tu es là. A chaque nouveau départ, tu es un peu plus belle, je me sens un peu plus con.
Au deuxième coucou dans mon nid, je décide d'assurer moi-même ma descendance.
Le prochain marmot que tu ramèneras de la maternité aura mes cheveux noirs et mon nez busqué, il aimera les tempêtes, il voudra être marin, comme son père, il comprendra les départs." p.6
Dans un style mordant teinté de cynisme, l'auteur excelle à malmener ses personnages, figures souvent égarées, solitaires, animées par une colère intérieure et un sentiment d'injustice qui les amènent à vouloir rétablir l'équilibre, en recourant à la plus implacable des vengeances.
Les situations qu'ils traversent se révèlent violentes à différents niveaux, ce qui réserve des chutes extrêmes et souvent choc dont on ne se relève pas facilement.
Seule ombre au tableau, la nouvelle " La fille au bout du quai", que j'ai trouvé bâclée et en contraste total avec le reste du recueil (enchaînement maladroit entre les idées et style pauvre).
Une "erreur de parcours" qui ne devrait toutefois pas vous détourner de ce puissant recueil !
Un grand MERCI aux éditions de m'avoir offert ce livre !