28 avril 2010

40 ans, 6 morts et quelques jours... - Victor Rizman


" 40 ans, 6 morts et quelques jours..." est le premier roman de l'écrivain français Victor Rizman, publié en mars par Emotions Works.
Le jour de son anniversaire, un quadragénaire décide qu'il est temps pour lui de mettre un peu de piment dans sa vie. Il prend un appartement en cachette de son épouse et de sa fille et se crée un faux profil féminin sur un site de rencontres. Il y fera notamment la connaissance de SOLEILROUGE...
Le journaliste Vulcain Sanglar (alias "Le Sanglier") reçoit des cadeaux pour le moins étranges qui le mettront bientôt sur la piste d'un tueur en série...Le Scarabée.
Pendant ce temps-là, le capitaine Joël Schmitt et l'agent Sanka s'échinent à mener l'enquête.
Aucun cadavre, aucune disparition signalée, pas d'autres indices que ceux laissés volontairement par le Scarabée. Comment résoudre cette suite de 6?

"40 ans, 6 morts et quelques jours..." met en parallèle 3 existences qu'une série de meurtres va rapprocher. Tout au long du récit, nous allons donc suivre l'évolution des 3 personnages principaux ou du moins ce que l'auteur veut bien nous en dire.
Il n'y a en effet aucun second niveau de lecture visant à établir une complicité avec le lecteur, l'auteur s'amusant à tirer les ficelles à l'instar du personnage principal, le Scarabée.
Le Scarabée est un publicitaire, homme marié et père de famille en proie à une crise de la quarantaine plutôt hardcore associée à la recherche d'adrénaline.
Personnage central du roman, il est le seul qui s'exprime directement à travers le "je" et manipule les autres personnages. Malgré ses agissements, il m'a immédiatement plu car j'ai retrouvé en lui l'humour sarcastique et la vision du métier d'Octave Parango, alias le héros de "99 francs" (en moins libidineux), mais aussi la finesse et le sang froid de Fabrice Valantine, personnage de "Fume et tue" (version sans tabac).

" Depuis de nombreuses années, mon agence élabore des concepts pour le petfood. Et si ce n'est pas un sacerdoce, c'est très compliqué de vendre une boîte de bouffe survitaminée à une population égoïste, en lui masquant la faim dans le monde, les restos du coeur, les SDF,...C'est là que mon métier trouve tout son sens et sa grandeur. Je me demande souvent à quoi servent les yorkshires et autres bichons. Si les gens aiment les petites choses vivantes, élever des bactéries devrait leur suffire. " p.14

"
Coincée dans le hall, ma femme tente de rentrer un deuxième jambonneau dans la manche de son manteau. Elle doit m'apercevoir dans son brouillard psychotrope pour me dire "Je vais à la jardinerie chercher un petit arbuste pour remplacer le buis qui est mort cet été. Je voudrais refaire un topiaire et comme la Sainte-Catherine approche...". Son effort lui coupe la respiration. Le temps de faire une pause pour récupérer, elle rajoute : "Je serai là pour midi et je passe au twirling la récupérer."
Elle finit sa gymnastique d'intérieur et sort s'occuper de ses projets horticoles. J'aurais aimé la regarder partir et être jaloux de sa beauté, pouvoir douter de sa destination. Peine perdue, quand le cynisme remplace l'amour, il ne reste plus qu'emballage et charcuterie. Qu'elle s'occupe de tailler des caniches dans ses buis. C'est le moment, à la Sainte-Catherine tout prend racine. Enfin peut-être pas cette année." p.122

Sanglar est un journaliste en manque de reconnaissance qui voit en cette suite de meurtres l'occasion rêvée de faire enfin la couverture du journal grâce à ses articles sur le Scarabée.
Autant dire qu'il a tout intérêt à captiver ses lecteurs le plus longtemps possible, ce qui revient pour lui à souhaiter que l'affaire ne soit pas trop rapidement résolue. C'est un personnage étrange, crade et qui entretient une relation malsaine avec sa grand-mère morte.
Le capitaine Schmitt est un homme au passé nébuleux, hanté par son échec dans l'affaire "Human Bomb" et par la disparition de sa famille.

Scarabée, Sanglar, Schmitt (et même SOLEILROUGE), des personnages en quête de reconnaissance, des prénoms en -s qui sonnent comme une allusion aux serpents, animaux à sang froid, allusions au sang, au sexe, aux scandales, autant de termes évoquant la tendance au sensationnalisme de plus en plus présent dans la presse.

J'ai beaucoup aimé la construction de ce récit dont les chapitres sont divisés entre le Scarabée et les autres personnages. Au centre de ce roman, le thème de la manipulation (le recours aux milieux de la presse et de la publicité ne relève évidemment pas du hasard).

" Voir Babe le cochon parler sur grand écran devrait rendre suspectes les images merdiques d'un barbu qui menace l'Occident au fond d'une grotte. Mais non, je vois donc je crois. C'est ça le problème, vous voulez tous croire, pas savoir. " p.247

Tout comme son personnage, l'auteur a fait en sorte de tenir son lecteur en haleine tout en jouant avec ses croyances, non sans humour puisqu'il est allé jusqu'à reproduire le site créé par son personnage pour promouvoir son roman. Sans compter que les informations sur l'auteur sont plutôt rares sur le net...Victor Rizman a donc magistralement réussi son coup !
Si je retrouve un bocal renfermant une jambe de poupée dans ma boîte aux lettres, je saurai que l'auteur est passé par ici ^^

Bon, je ne mâcherai pas mes mots, ce roman m'a sans nul doute fait l'effet d'une pépite ! D'ailleurs je l'ai tellement aimé que je souhaite le partager avec vous en faisant de lui un livre voyageur. Inscriptions en commentaire ;)

A voyagé jusque chez Clara, Mango et Sandrine.

Voici la video-promo du livre. Elle ne plaira peut-être pas à tout le monde mais je vous assure que le roman vaut vraiment le détour !



Le site du livre

Un grand MERCI à Victor Rizman et Emotions Works de m'avoir offert ce livre !

D'autres avis : Saxaoul - Heclea

25 avril 2010

Quand souffle le vent du nord - Daniel Glattauer


"Quand souffle le vent du nord" est un roman de l'écrivain autrichien Daniel Glattauer, paru en avril aux éditions Grasset.
Parce qu'elle a fait une erreur en tapant l'adresse email du magazine dont elle voulait résilier l'abonnement, Emmi reçoit un message de Leo.
L'histoire aurait pu s'arrêter là si la jeune femme n'avait pas oublié de supprimer Leo de ses contacts, ce qui l'aurait empêchée de lui faire parvenir un second email visant cette fois à lui souhaiter "Joyeux Noël et bonne année de la part d'Emmi Rothner"comme à tout son répertoire.
De ce malentendu naîtra une relation virtuelle entre les deux protagonistes qui, malgré les aléas de leurs vies respectives, prendront le temps de se connaître par écrans interposés.
A quoi cette correspondance les mènera-t-elle?

Voici un roman épistolaire un peu particulier puisqu'il ne contient pas de lettres mais des emails échangés entre Leo et Emmi, deux personnages dont l'humour et la spontanéité tendent immédiatement à rendre attachants.
Je vous rassure tout de suite, il n'est pas question ici de smileys, de lol ou de "kikou sa va bien é twa?" Non, en fait la structure de ce roman aurait très bien pu être celle d'un roman épistolaire traditionnel, auquel cas il aurait suffi d'y intégrer des dates.
Enfin presque. Car nous sommes ici dans l'instantané. Nul besoin d'avoir à subir les caprices de la poste, de chercher une bouteille sur une plage ou de guetter l'arrivée d'un canasson.
Un clic sur "nouveau message" et la réaction du correspondant survient pour ainsi dire en temps réel. Présenté comme ça, ça a l'air plutôt facile...

Emmi et Leo vont rapidement entrer dans la vie de l'autre, non par la voie habituelle d'une rencontre de visu avec déballage de cv's et apparats sur mesure, mais par la petite porte qui mène tout à droit à leur intimité.

" Vous êtes comme une deuxième voix en moi, qui m'accompagne au quotidien. Vous avez fait de mon monologue intérieur un dialogue. Vous enrichissez ma vie spirituelle. Vous remettez en question, vous insistez, vous parodiez, vous vous opposez à moi. Je vous suis reconnaissant pour votre esprit, pour votre charme, pour votre vivacité, et même pour votre "mauvais goût"." p.119

Ils s'attacheront l'un à l'autre, ils souffriront de leur impatience à l'attente du prochain message, ils se bouderont, souffleront le chaud et le froid en repoussant sans cesse la terrible question de la rencontre.
Emmi et Leo sont deux êtres qui, pardonnez-moi l'expression, "tournent autour du pot", bien planqués derrière leurs écrans. Leurs échanges ont instauré une dépendance malgré l'absence de contact visuel et fait d'eux les prisonniers de ces mots dont ils sont tombés amoureux.

" Ecrire, c'est comme embrasser, mais sans les lèvres. Ecrire c'est embrasser avec l'esprit." p.136
Leur relation est à ce point sublimée qu'ils craignent que celle-ci souffre d'une rencontre réelle.
Parce que se voir impliquerait de repartir à zéro, en intégrant à leurs conversations une voix, un visage, des expressions et qu'il suffirait qu'une seule de ces composantes se révèle différente de leurs fantasmes pour que la désillusion participe de ce rendez-vous.

" Nous faisons route vers le désenchantement. Nous ne pouvons pas vivre ce que nous écrivons. " p.250

Mais malgré toute la tendresse que j'ai ressenti à l'aune de leurs échanges, ces deux-là m'ont aussi vraiment agacée à force d'hésitations et de discussions sur ce-qui-pourrait-être-mais-ne-sera-pas-à-moins-que.
Si ça ne tenait qu'à moi je les aurais traînés de force dans une pièce pour les obliger à se regarder et commencer à vivre ! Parce qu'après tout, quel est l'intérêt de trouver la personne idéale si celle-ci demeure inaccessible? (et là on me souffle en coulisses qu'un idéal est par essence inaccessible, adieu Keanu).

Une suite est déjà sortie en Allemagne. Bien sûr que je la lirai si elle sort en français. Car malgré son côté "trop beau que pour être vrai" (ne faites pas attention, c'est la vieille chouette qui parle) et l'agacement qu'ont suscité en moi les deux gugusses, j'ai dévoré ce roman d'une traite.
Je n'ai qu'un seul voeu à formuler pour cette suite mais je vais laisser the King parler pour moi.



D'autres avis : Mango - Lael - Lasardine - Sandrine - Bladelor - Stephie - Keisha - Cuné - Celsmoon - Fashion - Leiloona - Antigone - Clara - Gio - Aifelle

Découvrir le premier chapitre ici

Un grand MERCI à Aline Gurdiel et aux de m'avoir offert ce livre !

24 avril 2010

Tous les matins du monde - Pascal Quignard


"Tous les matins du monde" est un roman de l'écrivain français Pascal Quignard, publié en 1991.
Nous sommes au 17ème siècle. Monsieur de Sainte Colombe ne se remet pas de la mort de son épouse qui l'a laissé seul avec leurs deux filles. L'homme passe ses journées dans sa cabane et y joue de la viole des heures durant, refusant à maintes reprises de se rendre à la cour pour y divertir le roi.
Un jour, un jeune homme du nom de Marin Marais vient à frapper à sa porte et l'enjoint d'accepter de le prendre comme élève. Or les deux hommes nourrissent des conceptions bien différentes de ce que doit être la musique.

Voici un court roman qui traite avant de tout de la musique et de l'importance qu'elle revête pour les différents personnages. Monsieur de Sainte Colombe lui a dédié sa vie. C'est un homme taciturne entièrement tourné vers son art et pour le moins asocial. Nostalgique d'un passé qui n'est plus, il passe des journées entières à jouer de la viole ou à parler au fantôme de sa femme dont la mort l'a laissé inconsolable.

" Voilà la cabane où je parle !
Il s'était mis de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque.
Il se redressa. Il tenait les paupières baissées. Il ne vit pas que la barque avait disparu. Il reprit au bout d'un certain temps, les larmes glissant sur ses joues :
"Je ne sais comment dire, Madame. Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids." p.79
Marin Marais cherche dans la musique la fortune et la gloire à la cour de Versailles. Rapidement éconduit par l'homme qu'il aurait tant souhaité avoir pour maître, il trouve refuge dans les bras de sa fille, Madeleine de Sainte Colombe, qui semble détecter en lui un talent qu'elle est prête à révéler à l'aide des enseignements dispensés par son père. Madeleine et Marin passeront des heures à guetter le maître dans sa cabane, à l'affût de sonorités que Marin reproduira par la suite en son nom. Mais le jeune homme se lasse rapidement de Madeleine qui ne souffrira jamais son départ.
Il ne souhaite qu'une seule chose : les partitions du génial Sainte Colombe. Malheureusement pour lui, le vieux musicien ne conserve aucune trace de son art. Il ne restera plus à Marais que ses oreilles pour pleurer (oui oui c'est possible!)

" Tous les matins du monde sont sans retour. Les années étaient passées, Monsieur de Sainte Colombe, à son lever, caressait de la main la toile de Monsieur Baugin et passait sa chemise.
Il allait épousseter sa cabane. C'était un vieil homme. Il entretenait aussi des fleurs et des arbustes qu'avait plantés sa fille aînée, avant qu'elle se pendit. " p.107

N'ayant à mon compte aucune sensibilité musicale particulière, je pensais néanmoins pouvoir distinguer dans l'agencement des mots une quelconque mélodie... J'y ai vu des notes ça oui mais aucun enchaînement, aucune musicalité. Des phrases hâchées. Une histoire précipitée par plusieurs sauts chronologiques. Même pas le temps de tendre l'oreille que j'avais déjà tourné la dernière page, incapable de dégager une seule émotion de cette lecture. Sans compter que les personnages, tous en souffrance, m'ont davantage invitée à broyer du noir qu'à m'épancher sur leur sort.
Je me suis donc jetée sur le film, curieuse de savoir si il parviendrait à me rendre l'ouïe.

Le film

"Toute note doit finir en mourant." C'est sur cette réplique, prononcée par un Gérard Depardieu tout en costume d'époque et perruque à grappes, que s'ouvre le film. La vie de Marin Marais touche à sa fin et c'est au cours d'une leçon de musique qu'il enseigne à ses élèves qu'elle fut sa vie dans l'ombre de Monsieur de Sainte Colombe.
C'est sous les traits du fils Depardieu que nous retrouvons Marin bien des années plus tôt, alors qu'il manifestait à Sainte Colombe son désir de devenir un grand violiste.
Comment exprimer mes premières impressions sur ce film? Je ne sais pas si l'on peut imputer la remarque qui suit au fait que je sois directement passée du livre à son adaptation mais j'ai ressenti d'emblée l'impression que les acteurs se contentaient de réciter leur texte à défaut de l'interpréter. J'en ai même ri, c'est tout dire...





Les rares dialogues présents dans le livre ont pour ainsi dire été reproduits à la virgule près. Mis à part la performance de Gérard Depardieu qui campe décidément très bien les personnages en costume, je n'ai guère été sensible au jeu des acteurs.
En revanche, j'ai cette fois entendu de la musique ! Une musique mélancolique, à l'image d'un dernier chant de cygne, qui a réussi à donner un sens nouveau aux nombreux silences communs à tous les personnages.
Musique que je guettais avec l'espoir de sortir de la torpeur...et de la déprime mêlée à l'ennui mais qui n'a pas suffi à elle seule à renverser la vapeur.
"Tous les matins du monde" est d'après moi un film qui s'écoute plus qu'il ne se regarde.
Inutile toutefois de préciser que je suis loin d'avoir été conquise par l'histoire...





D'autres avis : Lili Galipette - Karine:) - Lilly - Emilie - Abeille et d'autres encore chez Bob !

22 avril 2010

Intrusion - Elena Sender


"Intrusion"est le premier roman de la française Elena Sender, grand reporter au magazine "Sciences et Avenir".
Ce thriller nous plonge dans la vie de Cyrille Blake, brillante psychiatre à l'origine du Mésératrol (ou kryptonite du bonheur) et du Centre Dulac, établissement qu'elle a fondé pour venir en aide aux personnes à problèmes "mineurs" (dépressions saisonnières, ruptures sentimentales,...).
Un jour, un jeune homme du nom de Julien Daumas se rend en consultation chez Cyrille qu'il semble déjà connaître. Or si Julien conserve d'elle un souvenir bien précis datant de son internement pour tentative de suicide 10 ans plus tôt, c'est le trou noir du côté de Cyrille.
Intriguée et déboussolée, elle décide de mener l'enquête sur cet inconnu et sur cette tranche de vie oubliée...

Je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais c'est le troisième roman que je lis qui traite de la mémoire et d'une femme qui perd la boule ! Après "Robe de marié" (mais aussi "La Vie d'une autre"), j'ai donc entrepris la lecture de ce foisonnant thriller.
Je me suis ainsi familiarisée avec le personnage de Cyrille Blake, une femme présentée comme équilibrée, combattive, investie et attachée à son boulot et à son mari plus âgé qu'elle, lequel est en passe d'obtenir le prix Nobel.
Or la venue de Julien Daumas viendra troubler cette joyeuse harmonie et amènera Cyrille à replonger dans un pan de son passé dont sa mémoire ne semble pas avoir gardé la moindre trace, épisode d'autant plus troublant qu'il se manifeste chez une personne ayant consacré sa vie au cerveau humain.

" La mémoire était un pivot dans le processus d'"accès au bonheur", envahissante ou incomplète. C'était le grenier indispensable où se cachaient nos paradis perdus et nos malheurs.
Sans mémoire, l'homme n'était plus qu'une enveloppe vide. Elle eut soudain l'impression d'avoir cent vingt ans. " p.135
Très vite et malgré une grande confusion, Cyrille décide de prendre les choses en main, fermement décidée à ne pas se laisser déstabiliser par un patient à côté de ses pompes.
C'est une femme rationnelle et pragmatique, déterminée à appliquer sur elle-même ses propres méthodes, à chaque problème sa solution.
Mais malheureusement pour elle, elle va devoir composer avec des événements inattendus, tragiques et inexpliqués.
Alors qu'elle pensait pouvoir s'en sortir seule, il lui faudra compter sur l'aide d'autres personnes en sachant toutefois séparer le bon grain de l'ivraie...

J'ai trouvé ce récit très fouillé pour un premier roman. Les chapitres sont nombreux mais le roman peut selon moi être scindé en deux parties : le problème et sa solution.
La première partie m'a paru un peu trop longue. L'auteure nous fait part de l'état d'esprit de Cyrille et appuie ses descriptions de monologues intérieurs assez redondants et typiques de la psy qui s'auto-analyse. Comme d'autres avant moi, j'ai relevé quelques invraisemblances et des réactions pas très logiques de la part de Cyrille (quand je pense à tout le temps qu'elle passe à dormir malgré ce qui lui arrive !). Certains clichés aussi (comme le coup du seau de Ben&Jerry's contre la déprime^^).
Le récit est bien documenté et laisse volontiers la place au jargon scientifique de Cyrille (et de l'auteure) que j'ai trouvé très intéressant dans la mesure où celui-ci était illustré et servait avant tout l'intrigue et non le déballage de connaissances de l'auteure ( je reste toutefois sceptique quant à l'utilisation de l'IRM ouverte, y a-t-il un psy dans la salle pour confirmer?).
L'intérêt de ce roman réside donc à mon sens dans son aspect documentaire et dans le déploiement de l'intrigue (moins dans l'identification du coupable, à ce niveau-là c'était cousu de fils blancs...).
La plume de l'auteure est efficace et suffisamment habile que pour encourager le lecteur à poursuivre sa lecture. Je ne me suis ennuyée à aucun moment même si j'ai fait preuve d'une certaine réserve quant à certains aspects décrits plus hauts.
Bref, un avis en demi-teinte...

" L'adrénaline était le meilleur antidote naturel à la dépression, elle saturait momentanément le cerveau, et le stimulait. Elle conseillait de se plonger sous une douche froide ou de faire quelque chose de totalement nouveau, d'adresser la parole à un voisin inconnu...Bref, un acte qui pouvait relancer la machinerie des méninges jusqu'à la prochaine alerte. Cyrille sortit de sa petite valise son bandonéon de voyage. Elle libéra les soufflets et ouvrit en grand la fenêtre qui donnait sur la rue et son brouhaha. Elle prit une bonne inspiration et se mit à jouer un paso doble endiablé." p.225

D'autres avis : Aifelle - Keisha - Soukee - George - Stephie - Keisha - Pimprenelle - Cunéipage - Mango - Hérisson - Clara


Un grand MERCI à de m'avoir offert ce livre !


20 avril 2010

L'enfant sans nom - Amy MacKinnon


"L'enfant sans nom" est le premier roman de l'américaine Amy MacKinnon, publié en 2008 aux USA et paru cette année aux éditions 10/18.
Clara Marsh exerce la mystérieuse profession de thanatopractrice. Mais la mort n'est pas seulement son métier, c'est tout un univers dans lequel elle a trouvé refuge et qu'elle ne quitte que pour retrouver son jardin qu'elle entretient avec passion.
La jeune femme passe donc le plus clair de son temps entre les plantes et les morts auxquels elle administre les derniers soins de rigueur : habillement, maquillage, coiffure, sans oublier le petit bouquet choisi par elle avec attention. Une sorte de dernier hommage.
Clara respecte à ce point la mort qu'elle ne souffre qu'on la dérange, estimant là qu'il ne sert à rien de déterrer des êtres ayant suffisamment souffert de leur vivant.
Aussi, quand l'inspecteur Sullivan vient à lui reparler du meurtre d'Aimée X, une petite fille retrouvée morte 3 ans auparavant, la jeune femme décide de ne pas lui révéler qu'une tache de naissance dont elle seule eut connaissance aurait pu facilement identifier "l'enfant sans nom".
Mais la petite Trecie disparaît à son tour dans les mêmes circonstances. Clara est bien décidée à la retrouver, quitte à revoir certains de ses principes...

Découvrir "L'enfant sans nom" c'est accepter d'entrer dans un univers singulier où les morts tiennent une place de choix parmi les vivants. Clara Marsh fait partie de ces êtres qui se partagent entre deux mondes : la mort symbolisée par le funérarium, lieu de travail et domicile (elle vit à l'étage du dessus), et l'autre formé par son jardin et sa serre, "cette pièce (qui) est du côté de la vie".
Hormis le propriétaire du funérarium et son épouse qui lui tiennent lieu de famille, la jeune femme laisse peu de place aux vivants dans son quotidien. Clara est une femme mystérieuse qui traîne derrière elle un lourd passé. Elle nous apparaît comme extrêmement sensible et angoissée et l'on devine au fil des pages que de terribles événements l'ont traumatisée et littéralement éteinte.

" Tous les jours, au boulot et dans ma vie, je dois en quelque sorte redresser les torts commis par d'autres. Et la plupart du temps, ce monde, mon monde, est tellement accablé de maux que parfois j'ai du mal à faire confiance aux gens bien." p.256

Le quotidien de Clara va basculer le jour où la petite Trecie, qui lui fait étrangement penser à elle plus jeune, disparaît. Commence alors une enquête qui fera ressurgir en Clara beaucoup de souvenirs enfouis et des angoisses, autant de démons intérieurs contre lesquels elle peine à lutter.
Au delà de l'enquête sur la disparition de Trecie, ce roman nous entraîne dans la quête de Clara et nous fait comprendre pourquoi cette jeune femme s'est tant repliée sur elle-même.
Mais malgré le portrait dressé ici, je ne parlerais toutefois pas de roman macabre. Voilà une femme anesthésiée par la mort dont elle a fait son univers mais pour laquelle elle n'éprouve aucune fascination. Il y a cette part de vie en elle, son désir de sauver cette petite fille, ses fleurs (dont elle détaille chacune des significations) et son attirance pour un homme qui nous laissent croire qu'elle dispose encore d'une chance d'être heureuse pourvu que la bonne personne lui tende la main.

Finalement, j'ai trouvé l'enquête bien dérisoire et même très convenue. Je crois que ce roman vaut surtout la peine d'être lu pour la finesse apportée dans la psychologie du personnage de Clara.
Les chapitres se partagent entre l'enquête et les souvenirs de la jeune femme mais on ressent très vite quel aspect domine le roman, d'autant que le narrateur n'est autre que Clara.
Bref, si vous cherchez une intrigue avec gros rebondissements à la clé, passez votre chemin.
En revanche, si c'est un roman d'ambiance (particulière certes) qui vous fait envie, je vous le recommande chaleureusement !

" - Alors, vous croyez à quoi?
Je regarde de nouveau la boîte, puis par la fenêtre, l'entrée de service du funérarium, et plus loin le cimetière de Colebrook :
- Je crois que c'est important de respirer.
Mike relève tout à coup la tête, et ses yeux s'accrochent à moi. Je voudrais me retourner, mais il tire fermement sur le lien qui nous rattache.
- Respirer?
- Oui.
Je ne sais pas pourquoi je continue, mais personne ne m'a jamais posé la question et c'est tout ce que je puis lui répondre.
- Quand on se concentre sur sa respiration, on a juste conscience de l'instant. Et c'est bien là tout le ce qu'on possède : un instant. Lorsqu'on cesse de respirer, on cesse d'exister.
Les yeux de Mike sont grands ouverts. Si je pouvais me détourner, je ne verrais pas sa lèvre qui tremble, mais il tire encore davantage sur le lien :
- Vous avez du mal à respirer parfois?
- Oui, c'est toujours difficile.
- Moi aussi. " p.106

D'autres avis : Clarabel - Laure - Mic - Stelou

Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !


18 avril 2010

Mortelle est la nuit - Isaac Asimov


"Mortelle est la nuit" et "Chante-cloche" sont deux nouvelles extraites du recueil "Histoires mystérieuses"(1954) de l'écrivain américain d'origine russe Isaac Asimov, célèbre pour ses oeuvres de science-fiction et particulièrement son "Cycle de Fondation".
"Chante-cloche" nous fait faire la connaissance du pilote spatial Louis Peyton, un cinquantenaire qui a pour habitude peu commune de passer chaque mois d'août dans l'abri anti-atomique qui lui sert de lieu de villégiature.
Sauf que cette année, il part en voyage...sur la Lune, accompagnant un certain Cornwell dans une quête qui fera leur richesse à tous les deux. Mais alors que satisfaits de leur mission, ils s'apprêtent à plier bagage, Cornwell se fait désintégrer.
La police enquête sur ce qui pourrait bien être le premier meurtre spatial. Mais comment coincer le coupable avec certitude? Seul le Dr Urth, extraterrologiste pourra élucider ce mystère...

"Mortelle est la nuit" . Venus des 4 coins de l'univers pour assister à une grande convention d'astronomie, Kaunas, Ryger et Talliaferro profitent de l'occasion pour se retrouver entre anciens camarades de classe qui ne se sont plus revus depuis 10 ans.
Contrairement à eux, Villiers n'a pas réussi à obtenir son diplôme d'astronomie. Le voilà justement qui interrompt la réunion des 3 compères, affirmant qu'il est sur le point de révéler une découverte capitale pour l'histoire de l'astronomie : le transfert de masse.
Malheureusement, le futur Spok n'aura pas le temps de mettre son projet à exécution puisqu'il trouvera la mort dans la nuit. C'est à nouveau le savant Dr Urth qui sera chargé de confondre le meurtrier parmi les 3 seuls coupables potentiels.

Pourquoi ai-je voulu lire ces nouvelles alors que je suis une totale quiche en matière de science-fiction? Principalement parce que le recueil se défendait de mêler science-fiction et enquête policière.
Ma lecture avait bien commencé. Je découvrais les premières pages de "Chante-cloche" avec curiosité, en essayant de ne pas buter sur chaque mot qui résonnait étrangement à mon esprit de néophyte. Vous arrive-t-il d'emprunter le stratojet agravifique pour vous rendre au travail? Où préférez-vous l'aéroglisseur subgravifique?
Bref. Si cette première nouvelle m'a bien plu, c'est sans doute parce qu'en dépit de théories scientifiques dont quelques éléments m'échappent encore, j'y trouvais encore certains repères. Nul besoin d'être détenteur d'un diplôme en sciences pour comprendre comment le meurtrier a cru s'en tirer à bon compte.

Mais les choses se sont plus ou moins corsées lorsque j'entrepris la lecture de "Mortelle est la nuit" qui me fit dire que je n'étais décidément pas la lectrice visée par ce genre de récit.
En l'espace de quelques pages, je me suis retrouvée catapultée au milieu d'une réunion de scientifiques/geeks évoquant des théories dont mon esprit ne fut pas en mesure de saisir toute la complexité. Ou plutôt si, j'ai bien compris que tout cela était fort compliqué...
J'ai ressenti la désagréable impression que l'auteur s'était servi d'une enquête policière pour étaler son savoir, ce qui a eu pour effet de me tenir en quelque sorte à distance de l'enquête.
" Ryger lui-même consentit à parler de Cérès après avoir écouté le dialogue chuchotant de ses compagnons. Le gros problème était celui du cycle de rotation de la planète. Une période de deux heures. Ce qui signifiait que la vitesse angulaire des astres qui passaient dans le ciel était douze fois supérieure à ce qu'elle était sur la Terre. Il fallait tout multiplier par trois, les télescopes, les radioscopes et autres bidules, pour avoir une continuité dans l'observation tellement leur passage était accéléré.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas implantés sur un pôle, s'enquit Kaunas.
- Cette solution serait valable pour Mercure et pour le Soleil, répondit Ryger sur un ton impatient. Même aux pôles, il y a distorsion et on ne peut étudier que cinquante pour cent du ciel. Evidemment, si le Soleil éclairait toujours la même face de Cérès comme il en va sur Mercure, nous aurions en permanence un ciel nocturne sur lequel les étoiles tourneraient lentement avec une période de trois ans." p.90

Dans les deux cas, j'ai toutefois fort apprécié le personnage du Dr Urth, un savant-fou faussement inoffensif, à l'esprit plus fin que son anatomie le laisserait croire et qui vient ajouter un côté un brin déluré aux deux récits.

En somme, une lecture pas impossible mais plutôt ardue que les fans du genre sauront mieux que moi apprécier à sa juste valeur. Quant aux autres, je leur souhaite de pouvoir s'accrocher...



16 avril 2010

Robe de marié - Pierre Lemaître


"Robe de marié" est le second roman de l'écrivain et scénariste français Pierre Lemaître, paru en 2009. L'auteur a également publié "Travail soigné" et "Cadres noirs"(sorti cette année).
Sophie Duguet a la trentaine, une petite vie en apparence tranquille qu'elle partage en grande partie avec Léo, un petit garçon de 6 ans dont elle a la charge.
Mais très vite le lecteur apprendra qu'elle souffre d'une distraction maladive. Rien de grave au début, une montre et des clés qui se perdent et ressurgissent dans un endroit où elle n'aurait pas pensé chercher, une voiture qui semble se déplacer toute seule, des rendez-vous manqués.
Surmenage? Peut-être. Mais les choses vont s'aggraver, impliquant Sophie dans plusieurs vols à l'étalage, l'envoi de lettres anonymes ainsi que dans le meurtre du petit Léo.
Comment en suis-je arrivée là? se demande Sophie qui n'a aucun souvenir d'avoir consciemment participé à ces épisodes.
D'où lui viennent ces pertes de mémoire? Serait-elle devenue folle?
Déboussolée, la jeune femme envisage la seule solution à sa portée, fuir, car la police, elle, ne l'oubliera pas...

Bon sang mais quel bouquin !! Difficile de le résumer sans en dévoiler les ficelles. Et quelles ficelles ! Je ne m'en suis pas encore remise !
Pour préserver l'intrigue, je ne compte pas trop m'étendre sur ce livre. Le roman est divisé en 4 parties, la première étant destinée à nous familiariser avec le personnage principal.
Sophie n'est ni plus ou moins une femme comme vous et moi. Son quotidien va basculer en l'espace de quelques mois, suite à l'enchaînement de plusieurs événements terriblement étranges et qui pèsent comme une malédiction sur la vie de la jeune femme.
Sophie périclite dangereusement, éprise de terribles crises d'angoisse qui la conduisent chez un thérapeute.
Mais les choses sont loin de s'arranger. La jeune femme ne semble plus avoir aucune prise sur sa vie et le lecteur assiste innocemment à sa descente aux enfers dont il ignore encore la cause.
Jusque là, pas de quoi fouetter un oeuf (laissons les chats tranquilles) mais juste assez que pour nous donner envie d'en savoir plus.

Et c'est là qu'arrive la seconde partie pour le moins désarçonnante puisqu'elle fait écho à la première en mettant en lumière les causes de ce tournant dramatique dans la vie de Sophie.
Et la sauce prend sous le couvert d'une révélation déstabilisante et malsaine.
Une chose est certaine, si l'auteur sait ménager son suspense, il n'épargne en rien son lecteur.
Celui-ci va se sentir terriblement mal à l'aise, comme si il participait en quelque sorte à la folie de Sophie. Mais malgré tout, on tournicote les pages frénétiquement, trop impatient de découvrir le dernier acte de cette tragédie.
J'ai bien failli manquer ma station de métro hier matin pour tout vous dire (heureusement que la voix "suave" de madame STIB a su me remettre sur le droit chemin du boulot)!
Je suis tombée sous le charme de cette écriture toute en finesse et la construction habile de ce polar me laisse encore sans voix. De quoi me réconcilier avec le genre (et me rendre encore plus parano que je ne l'étais déjà) !
Machiavélique, terrible (dans tous les sens du terme), tout simplement GENIAL ! Un récit qui fiche une peur bleue et pourtant un coup de coeur ni plus ni moins !

" J'ai peur. Tous les morts remontent. La nuit. Je peux les compter, un à un. La nuit, je les vois assis à une table, côte à côte. La nuit. En bout de table, Léo, avec son lacet autour du cou.
Il me regarde avec un air de reproche. Il demande : "Tu es folle, Sophie? Pourquoi m'as-tu étranglé? Tu es folle, c'est vrai?" et son regard m'interroge et me transperce. Je connais son air dubitatif, il penche la tête un peu sur la droite avec l'air de réfléchir. "Oui, mais ce n'est pas nouveau, elle a toujours été folle", dit la mère de Vincent.
Elle se veut rassurante. Je retrouve son air mauvais, ce regard de hyène, sa voix pointue.
" Avant de commencer à tuer tout le monde, à détruire tout ce qu'il y a autour d'elle, elle était déjà folle, je l'avais dit à Vincent, cette fille est folle..."
Pour dire ça, elle prend son air pénétré, elle ferme les yeux longuement en parlant, on se demande si elle va les rouvrir ou non quand elle parle, elle passe la moitié du temps les paupières fermées à regarder au dedans d'elle-même.
"Tu me hais, Sophie, tu m'as toujours haïe, mais maintenant que tu m'as tuée..."
Vincent ne dit rien. Il secoue sa tête décharnée comme s'il demandait pitié. Et tous me regardent fixement. Ils ne parlent plus.
Je me réveille en sursaut. Quand c'est comme ça, je ne veux plus me rendormir. Je vais à la fenêtre et je reste des heures à pleurer et à fumer des cigarettes.
J'ai même tué mon bébé." p.94

Découvrir les premières pages ici

On me souffle en coulisses que ce roman a reçu en ce mois de mars le Prix des Lecteurs 2010 du Livre de Poche- section polar. Un prix amplement mérité !

D'autres avis : lagrandestef - Gio - Praline - Sandrine - Liliba - Kathel - Ys - Stephie - Pimprenelle - Cunéipage - Canel - Jess

"Robe de marié" était une lecture commune avec Manu, Clara, Calypso, Lasardine, Val, Cacahuète, Mélo, Mystix, Livresque, Deliregirl, Axielle et Kactuss.
Qui ai-je oublié?

14 avril 2010

La moustache - Emmanuel Carrère


"La moustache" est le troisième roman, paru en 1986, de l'écrivain et réalisateur français Emmanuel Carrère, également auteur de "La classe de neige", "L'Adversaire" et plus récemment du roman "D'autres vies que la mienne".
Un homme curieux de connaître les réactions de sa femme et de son entourage se rase la moustache. Mais l'effet de surprise manque cruellement de surprise puisque personne ne semble apercevoir le changement.
A moins que cet homme ne se soit fait prendre à son propre jeu? Retournement de situation ou pire... complot?
Seul contre tous, voilà un homme qui devra faire des pieds et des mains pour que triomphe sa vérité...

"Que dirais-tu si je me rasais la moustache?" C'est sur cette suggestion pour le moins banale que débute ce récit.
Agnès et son mari forment un couple solide, sans nuages. Tous deux se connaissent bien et ont apprivoisé leurs défauts. Ou du moins le croyaient-ils avant que leur quotidien ne tourne au vinaigre suite à un événement qui aurait pu être ordinaire et qui pourtant sera le point de départ d'un drame.
Voyant que sa femme et ses amis n'adoptent pas la réaction espérée, l'homme songe à une énorme machination. La confiance se perd, le doute s'installe, des détails autrefois insignifiants apparaissent comme autant de failles capables de faire voler en éclats ce quotidien qu'il croyait maîtriser.
Cet homme se fait-il suffisamment confiance que pour aller à l'encontre de tous ses proches?

Emmanuel signe là un autre roman sur le thème de l'aliénation. Mais contrairement à "L'Adversaire"où celle-ci était présentée comme consciente, elle est ici beaucoup plus insidieuse.
Le lecteur la ressentira de l'intérieur, comme plongé dans le corps de cet homme confus qui semble ignorer jusqu'à sa propre identité. Il tournera les pages, avide de savoir qui a tort et raison, suivant cet homme dans ce qui lui apparaîtra comme une crise de paranoïa aïgue, et partageant ses interrogations et ses craintes.
Il assistera, impuissant, à l'effondrement progressif de toutes ses certitudes et, tout comme lui, ignorera jusqu'à la fin qui possède la vérité.
Une question subsistera toutefois à l'issue de la lecture : pourquoi?

Un récit très habilement mené sur un sujet qui fait froid dans le dos. Qui aurait pensé qu'une simple histoire de rasage se terminerait de la sorte?

" En y réfléchissant, dans l'eau qui refroidissait, il comprenait avec déplaisir ce qui l'avait le plus troublé dans la scène de la veille : pour la première fois, Agnès avait introduit un des numéros de son cirque mondain dans leur sphère protégée. Pire encore, afin de lui donner plus de poids, elle avait exploité pour faire ce numéro le registre de voix, d'intonations, d'attitudes, réservé au domaine tabou où cessait en principe toute comédie.
Violant une convention jamais formulée, elle l'avait traité comme un étranger, inversant les positions en sa défaveur avec toute la virtuosité acquise à force de pratiquer ce sport, et de façon presque haineuse : il se rappelait son visage chaviré d'angoisse, ses larmes.
Elle avait vraiment paru effrayée, elle l'avait vraiment, en toute conviction, accusé de la persécuter, de l'effrayer délibérément, sans raison. Sans raison, justement...Pourquoi avait-elle fait cela? De quoi voulait-elle le punir? Pas d'avoir rasé sa moustache, tout de même." p.41

"La moustache" était une lecture choisie dans le cadre d'un hommage à Emmanuel Carrère, proposé par Pimprenelle.


Clara avait également opté pour ce titre. D'autres peut-être?

12 avril 2010

L'élégance des veuves - Alice Ferney


"L'élégance des veuves" est le second opus de la romancière française Alice Ferney, également auteure de "Grâce et Dénuement", "La Conversation amoureuse" ou encore de "Paradis conjugal".
Ce roman s'attache à nous faire partager l'existence de plusieurs femmes aux destins croisés.
Dévastée par la mort de son mari, Valentine se replie dans son chagrin. Seuls les rires de ses enfants lui permettent d'échapper quelque peu au deuil. Mais certains d'entre eux viennent à quitter le monde à leur tour. Que faire? Continuer à vivre malgré tout. Si peu pour soi, tant pour les autres. Ses enfants. Ceux qui sont encore là, bien vivants, et qui ont besoin d'une mère.
Parmi eux, son fils Henri et son épouse Mathilde qui à son tour enfantera, malheureusement trop.
Son amie Gabrielle partagera avec elle les joies de la grossesse et verra quelques-uns de ses enfants et son mari perdre la vie sous ses yeux.
Et ainsi va la vie. Avec son lot de fatalité, de drames et d'existences achevées trop tôt.

Difficile je pense de rentrer de plein pied dans ce récit si l'on est ni épouse ni mère.
Il semble y avoir si peu de place pour l'amour parmi les couples qui occupent ce récit. Les hommes épousent des femmes parce qu'il leur faut bien des corps à engrosser, relégués à de simples géniteurs, spectateurs de leur vie de famille plutôt qu'acteurs.

" Il avait dit : Gabrielle, je ne veux pas dire encore que je vous aime, mais j'ai la résolution et l'ardeur pour le faire, c'est la seule chose qui compte.
Vous non plus d'ailleurs n'en êtes pas vraiment à l'amour. Car maintenant nous ne sommes que des étrangers l'un à l'autre. Nous apprendrons. Ce n'est pas un paradoxe vous savez. L'amour n'est jamais donné, et si l'on croit cela, il faut s'en détromper.
Car lorsque par un heureux hasard il l'est, ce n'est jamais que pendant quelques jours.
Quelques jours partagés, quelques contraintes, quelques gênes, qui suffisent à le reprendre pour peu que la volonté ne s'en mêle pas.
(...) J'aime ce grand front pâle que vous avez, et votre visage qui ne sourit pas beaucoup (il avait rougi en baissant les yeux). Il me semble déjà les voir se pencher sur moi quand je serais mourant. C'est à quoi je pense quand je pense à vous. " p.53

Ils ne connaissent leurs enfants qu'à travers ce que leur en disent leurs épouses, le soir à l'heure du repas. Pas le temps d'apprécier les joies de la naissance qu'un autre enfant est déjà mis en route.
Les femmes semblent s'accommoder de l'égoïsme de leurs époux. A vrai dire, elle n'ont pas beaucoup le temps d'y penser, trop occupées à assumer ce rôle de mère qui définit à lui seul leur existence de femmes.

" En une année, celle de ses vingt ans, elle fut fiancée officiellement, mariée religieusement, installée bourgeoisement, ardemment fécondée et douloureusement accouchée : la vie de Valentine commençait à être ce qu'elle devait être." p.12

Puis leurs conjoints disparaissent comme ils sont venus, les renvoyant à leur solitude.
Mariées, elles ont fait le deuil de leur jeunesse et de leur vie de femme. Veuves, elles ont perdu leur figure d'autorité et avec elle le pouvoir d'enfanter. Il ne leur reste plus que leurs enfants et leurs amies. Entre elles, elles se serrent les coudes et affrontent ensemble les caprices de la vie.
Et les enfants dans tout ça? Mathilde et Gabrielle en comptent 16 à elles deux. Le lecteur a tôt fait de se perdre entre tous ces prénoms et ces profils à peine esquissés.
On les devine impuissants face au désir de maternité obsessionnel de leurs parents et témoins de leurs échecs et on ne peut s'empêcher de penser que ce sont eux qui font le plus preuve d'élégance.

J'avoue avoir eu du mal à ne pas juger ces hommes et ces femmes qui font fi des conséquences de leurs actes, se laissant aller à leurs pulsions au détriment de leurs enfants.
Ce n'est pas tout de procréer, il faut pouvoir prendre la suite.
Néanmoins je dois reconnaître que ce court roman a su me faire traverser le cycle de la vie de ces personnages. Même si je n'ai pas approuvé leur façon de vivre, j'ai partagé leurs peines et leurs angoisses.
L'auteure a réussi à m'émouvoir, tant son récit fait la part belle aux sentiments plutôt qu'aux faits qui s'enchaînent très rapidement.

Un court roman sur la fatalité, le cycle de la vie, le renoncement, l'enfantement.
Je le recommande à toutes les femmes en ajoutant qu'il leur faudra choisir le bon moment pour en mesurer toute la force.



D'autres avis : Laure - La Librivore - Mango - Lou

10 avril 2010

Bordélique instinct ou les gestes qui sauvent - Cynthia Gazouilla

Voilà c'est décidé j'avoue tout ! Certains commentateurs avisés ont réussi à démasquer le dessein réel de mon billet de samedi dernier : faire parler de moi mais surtout de mon premier roman, paru aujourd'hui même aux éditions Harlequin.
Le moment est donc venu de vous dévoiler la magnifique couverture et le résumé de ce que les vrais critiques qualifient déjà en toute objectivité de "sulfureux roman policier à vocation sociologico-littéraire"



" A San Francs-la-Passe, Catherine Tramefatal, romancière de jour et prostituée de nuit, se voit soupçonnée du meurtre de son amant, le célèbre fermier Johnny Bouse, assassiné à coups de fer à repasser dans des circonstances similaires à celles décrites dans l'un des manuscrits de la jeune femme.
La romancière a-t-elle préféré la réalité à la fiction pour devenir l'auteure de ce crime? C'est ce que tentera de découvrir Nick Lapolis, immigré grec reconverti en agent fédéral à la petite semelle, qui prend son pied à serrer les meurtrières nymphomanes dans de sombres ruelles.
Le flic que l'on nomme désormais "l'homme qui tire plus vite que son ombre" est fermement disposé à utiliser matraque et menottes pour réussir à pincer cette mante religieuse sur les lieux mêmes de son crime.
Mais alors qu'il est sur le point de la coincer ventre à terre, Nick se fait désarmer par Catherine, bien décidée à battre le fer tant qu'il est chaud. Tel est pris qui croyait prendre.
Pieds et poings liés, Nick devra passer au plan Q si il veut parvenir à reprendre le dessus sur la romancière : en l'étreignant si fort que les draps s'en souviennent... "

Ce que mes amis journalistes en ont pensé :
Un roman profond évoquant avec brio les nombreuses aventures d'une prosti-romancière, véritable récit d'anticipation qui laisse entrevoir à toutes les ménagères que derrière ce qui semble être une banale arme de crime se cache en réalité une redoutable arme de guerre. Tout simplement magistral.
Vanity Fer

De l'action. Du danger. De l'électroménager. Du cul. Que demande le peuple?
Femme actuelle

Loin de sombrer dans la facilité, ce guide de survie à l'usage de toutes les femmes de notre génération combine parfaitement sociologie et intrigue policière. Un suspense à couper le souffle pour ce roman à glisser entre toutes les mains

Fer mieux, le magazine des lectrices du dimanche
Et comme je suis fer-play, la critique d'une blogueuse analphabète :

Je n'ai rien compris aux dessous de cette intrigue. Un fer à repasser non mais franchement ! Et pourquoi pas un Babyliss tant qu'à friser le ridicule? Qu'elle planche plutôt sur sa pile de linge, ça au moins elle sait y fer !

" Bordélique instinct ou les gestes qui sauvent" - Cynthia Gazouilla, disponible dès le 10 avril dans toutes les bonnes librairies et grandes surfaces.




L'oeuvre que voici s'intitule "Préjugés défroissés". Elle a été réalisée à l'aide de mon livre de chevet, que dis-je, ma bible, "La maîtresse de maison" par la Baronne Staffe, laquelle a passé sous une lumière tamisée un instant Kodak des plus romantiques avec mon fidèle compagnon de tous les instants, j'ai nommé mon Philips EasyCare 3240 rose (pink pour les ménagères hype).
Un clin d'oeil à Cécile de Quoi de 9 qui a lancé l'idée d'un "autoportrait (au livre et au fer à repasser)" (bon d'accord on voit pas ma tronche...) mais aussi à Liliba, Emmyne, Calepin, Cécile, et Véronique qui y ont répondu avec beaucoup d'humour ;)

8 avril 2010

Fourrure - Adélaïde de Clermont-Tonnerre


"Fourrure" est le premier roman de la française Adélaïde de Clermont-Tonnerre.
Le récit s'ouvre sur le décès de Zita Chalitzine, romancière à la vie décousue récemment accusée par la presse de supercherie littéraire.
Alors qu'elle n'avait plus remis les pieds chez sa mère depuis 12 ans, sa fille Ondine découvre un manuscrit dans l'appartement parisien. Trop remontée contre cette femme qui n'a jamais joué son rôle de mère, Ondine perd pied et confie ce roman qui pourtant lui était destiné à son jeune beau-père.
Pierre, qui avait épousé Zita la veille de son décès, s'attelle à la lecture de ce dernier roman qui relate sans ambages des pans entiers, et jusque là insoupçonnés, de la vie de son épouse.
Quelqu'un connaissait-il réellement Zita Chalitizine?

Les romans évoquant les vies d'écrivains aussi fictives soient-elles ont toujours éveillé mon attention. Pourquoi? Car ces personnages particuliers sont souvent présentés comme des êtres mystérieux, torturés, marginaux, légèrement ou foncièrement autistes et parce que leur nature même laisse croire à des intrigues à rebondissements.
Voici un roman qui nous plonge d'entrée de jeu dans la vie de Zita. Pas de chichis (j'ai l'impression que c'est souvent le cas dans les premiers romans). Le roman débute de façon très factuelle : la découverte du corps sans vie de la romancière fait scandale alors même que la paternité de ses oeuvres se voyait contestée par la presse quelques jours plus tôt.
Un décès à l'origine de sentiments contrastés. Oscillant entre indifférence et colère qu'elle exprime dans une langue assez brute de décoffrage, Ondine semble déterminée à rayer définitivement sa génitrice de ses préoccupations contrairement à Pierre, que la nouvelle a dévasté et dont la tendresse à l'égard de la romancière, de 20 ans son aînée, est distillée à toutes les pages.
J'ai beaucoup aimé ce passage qui fait la part belle à la femme mûre.

" Pierre avait aimé leur différence d'âge. Les vingt ans qui les séparaient la rendaient moins forte, plus accessible. Lorsqu'il tenait Zita contre lui, en pleine lumière, les marques que le temps avait laissées sur son visage l'émouvaient, comme les cicatrices d'une guerrière.
Sa vie se lisait sur sa peau et il la trouvait belle. Les hommes qui prétendent aimer la jeunesse ne font que s'aimer eux-mêmes, songea-t-il. Lui n'éprouvait pas le besoin de projeter l'encre de ses fantasmes sur la page blanche de femmes en devenir. Un être malléable ne lui inspirait pas de désir : c'était conquérir du vide. Il préférait les femmes que la vie avait polies et marquées, celles dont on touche, comme sur un livre en braille, les humiliations et les plaisirs au coin de la bouche et des yeux. Il aimait qu'avec un corps il y ait une âme un peu lasse et fourbue qui vienne se lover contre lui. Il l'aimait elle, Zita. Avec son passé, ses blessures, ses lâchetés et ses effrois. " p.28
La mise à disposition d'"En mémoire de moi", autobiographie de Zita et véritable roman dans le roman, sera l'occasion pour la romancière de dévoiler à sa fille l'identité de son père mais également d'évoquer non sans franc-parler son enfance, sa jeunesse écoulée trop vite auprès de Madame Claude, ses petits bonheurs, ses furieuses envies de liberté, ses déceptions, ses coups de gueule envers la haute parisienne des années 70 et ses rencontres avec des écrivains, notamment avec Romain Kiev à qui l'on prétend qu'elle aurait servi de prête-plume.

" Pourquoi les hommes aiment-ils les garces dans mon genre? Parce qu'elles les soulagent. Avec les femmes bien, ils sont débiteurs. Rien de plus annihilant que cette prison de l'amour et de la perfection dont elles ligotent leurs maris et leurs amants. Elles les écrasent de culpabilité, dissolvent leur confiance, sapent leur virilité. Auprès de ces mantes religieuses sapées de sainteté, ils n'ont pas d'excuses. Pas le droit d'être ratés, fragiles ou infidèles.
Avec une femme comme moi, ils sont libres. Libres d'être aussi salauds que je le suis. Libres d'être eux-mêmes, avides et conquérants, sans loyauté et sans fardeau. Pourquoi croyez-vous qu'ils continuent à tomber dans mes filets? Parce que je n'en ai pas. " p.483

Le récit alterne entre les chapitres du roman de Zita et les découvertes d'Ondine et de Pierre. J'ai apprécié la façon de Zita de s'exprimer sans détours sur des sujets houleux, un peu moins ses descriptions parfois tirées en longueur de la bourgeoisie parisienne et de son hypocrisie sociale (ce milieu ne m'attire décidément pas).
Les personnages sont bien marqués, le décor est (on ne peut plus) planté, le récit se veut accrocheur et servi par une écriture vive et étonnamment sensible.

Pas un coup de coeur pour moi mais une auteure que je n'hésiterai pas à relire.

Une interview de l'auteure ici

D'autres avis : Evertkhorus - Soukee - Will - Constance93 - Sophie - Marine


Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

6 avril 2010

Mon cher frère - Hakan Bravinger


"Mon cher frère" est le premier roman du suédois Hakan Bravinger, éditeur et auteur de deux recueils de poésie.
"Mon cher frère" est une saga familiale centrée autour des deux frères Bjerre qui se vouent l'un à l'autre une haine sans demi-mesure. Nous sommes en 1913, époque à laquelle la psychanalyse n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements.
Andreas, criminologue de son état et éternel angoissé, tente tant bien que mal de finir son livre composé d'entretiens avec des prisonniers condamnés à purger de lourdes peines contrairement à son frère Paul, psychanalyste émérite, qui semble réussir tout ce qu'il entreprend.
Autour de ces deux hommes gravitent deux femmes, Madeleine et Gunhild, qui tenteront tant bien que mal de réconcilier les deux frères. Y parviendront-elles à force de persuasion et d'amour?

Lorsque j'ai aperçu ce livre dans les partenariats proposés par Livraddict, je me réjouissais à l'idée de découvrir l'histoire de ces deux frères, d'autant plus que le quatrième de couverture signalait qu'il s'agissait d'un roman épistolaire, genre dont je suis particulièrement férue.
En effet, le récit se voit jalonné de documents et de lettres qui viennent appuyer les faits relatés et donnent au roman un aspect "authentique".
Comme l'indique mon résumé, nous voici donc en présence de deux frères littéralement rongés par une haine viscérale. Aussi, si l'on ne devait assigner à ce roman qu'un seul et unique but, ce serait celui d'expliquer au lecteur les raisons ayant amené les deux frères à construire leurs vies sur base de scissions familiales.
Le roman débute en 1925 par l'annonce du décès d'Andreas Bjerre et de sa femme Madeleine et remonte progressivement le fil du temps à partir de 1913 pour refermer la boucle en 1925.

Comme il est de mise dans bon nombre de familles, les parents Bjerre ont à la fois accouché d'un fils "parfait", s'illustrant brillamment à la fois dans sa carrière et dans son mariage et d'un autre, canard boîteux qui a du mal à démarrer sa vie du bon pied.
Au fur et à mesure du récit, le lecteur se rend compte que papa et maman ont chacun leur préférence, ce qui n'est pas sans causer des frustrations aux deux fistons.
N'ayant heureusement jamais connu de tels emportements avec mon propre frère, j'ai eu du mal à réellement rentrer dans cette histoire. Bien que j'ai pu en saisir les raisons, je ne m'imagine toujours pas comment il est possible d'y consacrer (et d'y gâcher) toute sa vie, de s'acharner de la sorte sous le couvert de liens de sang.
On ne peut qu'être chagriné de constater que ce sont bien souvent les proches (parents, enfants, épouses) qui en pâtissent le plus comme c'est le cas dans ce récit.
Mais jusque là, tout va bien. Il me faut reconnaître que les sentiments des deux frères sont transcrits avec justesse et permettent parfaitement au lecteur de mesurer toute la complexité qui sied aux relations fraternelles conflictuelles.

Mais, car il y en a un (aie aie aie pas frapper Mr Bravinger, je ne parle pas le suédois).
Bien que la haine opposant les frères Bjerre soit le sujet principal de ce roman, je m'étais attendue à ce que leurs professions respectives soient davantage explorées par l'auteur.
Hormis la célèbre conférence de 1913 à laquelle se distingue Paul Bjerre, les trop brèves incursions de Lou Salomé et de la bande à Sigmund et l'entretien d'un tueur mené par Andreas (et dont la mort par pendaison sera présentée comme un échec supplémentaire pour le Bjerre maudit), je n'ai pas trouvé de réelles pistes quant aux travaux des frères Bjerre.

Ce roman s'avère donc une déception partielle (par rapport à l'idée que je m'en faisais au départ je précise).
Un profond récit sur l'hérédité, les relations familiales toxiques mais à mon sens trop anecdotique que pour contenter les amateurs de psychologie.

" Gunhild a fini par me rejeter, c'était inévitable. Mes tentatives de réconciliation n'ont mené, selon toi, qu'à davantage de reproches et d'aigreurs. J'étais un croisement d'agitateur et de bourgeois, tu as toujours eu du mal à le comprendre : l'agitateur qui était en moi voulait détruire tout ce que le bourgeois s'efforçait de construire.
La partie a été beaucoup plus facile pour toi. Tes recherches, tes travaux ont toujours été au service de ton amour de l'humanité. Pour toi, l'homme est une créature admirable, qui mérite la considération. Tu as toujours estimé que moi, j'avais choisi au contraire de m'en moquer." p.203

D'autres avis : Clara - Jostein



Un grand MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

5 avril 2010

L'homme est un animal doué de raison (quoique) - suite et fin

Suite à la parution de mon billet samedi matin, j'ai reçu un nombre incroyable de commentaires et d'emails de lecteurs qui se sont montrés choqués par la virulence (entre autres choses, pour une liste exhaustive, j'en appelle à la liste des noms en -isme) des propos de Mr Derey.
Afin de dissiper quelques doutes, je précise que l'identité de l'auteur s'est vue bel et bien confirmée et qu'il n'a jamais été question d'un poisson d'avril de ma part.
Certaines personnes ont par ailleurs pris l'initiative de contacter la maison d'édition afin de lui exprimer leurs ressentiments et un groupe de soutien a été créé sur Facebook.
J'ai également reçu bon nombre de suggestions ( je ne possède malheureusement aucune table bancale sous laquelle glisser un livre et l'autodafé ne fait pas partie de mes us et coutumes) qui ont largement contribué à égayer mon weekend.
Comment pourrais-je expliquer mon sentiment face à tant de marques de gentillesse?

En décidant de diffuser le contenu des emails envoyés par Mr Derey, je n'avais aucune idée de l'élan de solidarité que ce billet déclencherait et j'en suis ô combien émue et ravie !
Ravie que la liberté d'expression soit encore érigée au rang de droit tel que défini par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (et à Mr Derey qui a vraisemblablement égaré son humanité dans la brousse, je me permets d'attirer l'attention sur le H majuscule).
Les nombreuses réactions recueillies ici sont autant de témoignages de la vive indignation des lecteurs dès lors que ce droit indéfectible se voit décrié par quelques individus qui le considèrent comme exclusivement réservé à l'élite littéraire (auteurs, journalistes, critiques, éditeurs) et pour le coup spolié aux personnes qui leur permettent de prétendre au statut privilégié qui est le leur.

J'en veux une nouvelle fois pour preuve ce courriel envoyé par les éditions Alphée et qui m'a été transféré (et non envoyé par les éditions mêmes) par Bladelor.

Chère Cynthia,si vous permettez que je vous appelle ainsi. En tant qu'éditeur du livre de jean-Claude DEREY, je souhaite vous présenter mes excuses pour cette réaction épidermique et malencontreuse. Le fait d'être l'auteur n'explique pas tout et nous devons autant que faire se peut raison garder.
Toutefois et sans vouloir entrer dans une polémique stérile je souhaiterais attirer votre attention sur le livre et sur l'auteur.
D'abord l'auteur ; Jean-Claude DEREY est un véritable écrivain qui a publié plusieurs dizaines de livres, tous orientés sur un genre que vous n'aimez pas si j'ai bien compris. Et bien sûr c'est votre droit. Mais d'une façon générale l'auteur est un être sensible qui essaye de tout donner à travers sa plume, il se met à chaque fois en danger et se faire éditer c'est chercher implicitement une reconnaissance. Alors JC Derey mauvais ? J'attire votre attention sur le fait que le jury du prix RENAUDOT a sélectionné le dernier ouvrage que j'ai publié "LE QUART D'HEURE COLONIAL" dans sa sélection l'année passée. Ce sont eux des critiques littéraires et des spécialistes. Cela n'excuse pas l'emportement et l'agressivité de Jean-Claude mais un auteur et encore plus un écrivain joue sa peau à chaque nouvelle parution. Si vous relisez les critiques d'une certaine époque votre échange semblerait un peu fade (eh oui) par rapport à ces critiques et écrivains du début du XXéme siècle. (je pense en particulier au journal de Léautaud ou plus récemment à celui de Marc-Edouard Nabe).
Quant au livre "PAPOUA" je suis assez consterné que vous le "descendiez" de cette façon. Mais le thème religieux (à l'envers) vous a peut-être gêné ? Bien sûr, c'est votre droit de ne pas aimer voire détester un livre. Mais dans la mesure où aujourd'hui le fait de communiquer aux autres, par cette voie merveilleuse d'internet, votre critique personnelle, vous donne aussi une responsabilité qui n'est pas seulement gratuite. Je ne sais si vous avez rencontré plusieurs écrivains confirmés. Pour ma part, j'ai publié plus de quatre mille textes d'auteurs. Je puis vous assurer que tous, oui tous, sont d'une très grande fragilité par rapport à leur oeuvre. Ce sont des êtres hyper sensibles qui mettent tellement dans leurs écrits une part d'eux-même, une partie de leur vie. J'ajouterai que pour ce livre des producteurs de cinéma ont été particulièrement touchés et nous discutons de projets également audiovisuels. Le livre est-il si mauvais que cela ? Pourquoi aurions nous publié un texte qui en littérature aujourd'hui ne rapporte pas de l'argent mais au contraire pénalise souvent financièrement l'éditeur ? J'ai heureusement les témoignages de nombreux lecteurs qui ont été enthousiasmés par ce livre.
Encore une fois je regrette profondément ce "dérapage" et je vous demande de nous en excuser. Editer devient de plus en plus difficile pour des éditeurs indépendants qui sont écrasés par des grands groupes financés par des moyens industriels qui nous rendent très fragiles. Notre devise "LA PASSION D'ÉDITER" est le seul argument que je souhaiterais avancer.
De plus, arrive à grande vitesse le livre numérique qui va bouleverser notre profession et surtout celle des écrivains qui deviennent anxieux et fébriles. J'ose espérer avoir été compris par vous et vos amis qui vous lisent. Pour terminer sur une note positive, car au delà de la polémique légitime que vous avez constatée, c'est avant tout l'écrit et la lecture qui sont le ciment de ce qui nous relient. Et c'est bien ainsi.
Bonnes lectures à venir
Bien cordialement
Jean-Paul B.


Mr B., est-il besoin de vous rappeler que nous, lecteurs, sommes les individus qui participent directement à l'exercice de votre profession et que sans nous, nos yeux, nos coeurs, il n'existerait personne pour s'enquérir de vos livres?
Que dès l'instant où nous dédions notre temps et notre argent à vos pages, nous bénéficions autant que vous du droit d'en juger et de nous exprimer sur un espace qui nous est propre?
Vous paraît-il concevable qu'en dehors de votre cour des grands, il existe des individus (en ce compris des ménagères débiles et frustrées), passionnés de lecture et désireux de partager leurs déceptions au même titre que leurs impressions sur les livres qui les font vibrer?
Non monsieur, je pense que votre conception unilatérale de la littérature ne saurait admettre quelques avis contraires, particulièrement lorsque ceux-ci émanent de personnes que vous jugez indignes de toucher à vos publications et que vous censureriez allègrement si l'occasion vous en était donnée.

En mettant exclusivement en avant la position de votre auteur et la popularité dont il fait l'objet, vous ne faites que circonscrire le débat autour de lui et de votre maison d'édition, occultant qu'une lectrice ait pu être "dérangée" par les propos de celui-même dont vous défendez vaille que vaille la sensibilité.
Je suis d'autant plus outrée par vos énumérations pédantes qu'elles affichent un tel mépris pour les lecteurs, relégués à des moutons de Panurge censés aimer vos livres ou se taire si leurs avis vont à l'encontre de votre "Passion d'éditer".
Et que sous le couvert de cette devise somme toute hypocrite, vous sous-entendiez que la liberté d'appréciation et d'expression est un privilège et non une évidence accessible à tous, me révulse.

Monsieur je n'ai pas aimé votre livre et c'est là mon droit. Un droit dont je continuerai à user ici et que vos tentatives d'intimidation n'ébranleront guère.
Continuez donc à destiner vos livres à des êtres factices dénués de tout esprit critique et, à défaut de parvenir à leur inculquer l'humilité, tâchez pour l'heure de tenir vos vulgaires auteurs en laisse plutôt que de vous essouffler à vouloir couper la bride à des lecteurs qui n'ont que faire de votre suffisance.

Ami(e)s lecteurs/rices et blogueurs/ses, vos réactions sont la preuve vivante (toute cette "affaire" a bien largement dépassé selon moi le cadre strictement virtuel) que la blogosphère a encore de beaux jours devant elle et que la liberté d'expression est un droit que nous revendiquons et qu'il nous est cher de défendre !
Merci à tous de lui avoir consacré de votre temps et de votre plume !!!

(A venir : une critique hautement littéraire du mode d'emploi de mon fer à repasser)