30 novembre 2012
Une Place à Prendre - J.K Rowling
En librairie depuis le 28 septembre dernier, "Une Place à Prendre" est le premier roman pour adultes de la romancière britannique J.K Rowling, célèbre dans le monde entier pour sa saga Harry Potter.
A Pagford, petit village du sud-ouest anglais niché entre 3 collines et surmonté d'une ancienne abbaye, le jour de son anniversaire de mariage, Barry Fairbrother succombe à une rupture d'anévrisme.
La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et tous les habitants éprouvent un sentiment mêlé d'horreur et d'excitation à l'idée que la place de Barry au conseil paroissial demeure à présent vacante.
Les candidats ne manquent pas. Le défunt était un homme charitable mais si certains entendent poursuivre l'oeuvre de Barry, d'autres au contraire fondent l'espoir de pouvoir enfin fermer la clinique de désintoxication Bellchapel qui nuit tant à l'image du village.
A l'approche de l'élection, tous les coups sont permis pour s'attirer la faveur de la majorité...
J.K Rowling se savait attendue au tournant et c'est au bout de 5 années de silence littéraire qu'elle nous revient avec un roman bien différent de la série Harry Potter.
Certes Pagford, à l'image de Poudlard, apparaît comme une communauté repliée sur elle-même et abritant son lot de secrets et de convoitises. Plus de Moldus ni de sang-mêlés ici, mais des classes sociales divisées dont les plus favorisées ne se cachent pas d'un certain élitisme voire même de racisme.
Si l'auteure a indubitablement changé de registre et de palette, passant d'un univers imaginaire créé de toutes pièces à un réalisme brut, on la retrouve tout de même dans cette écriture dense et cette minutie apportée dans la psychologie de ses personnages.
Le récit commence en force puisqu'une dizaine de personnages sont déjà esquissés dans les 50 premières pages. Comme d'autres lecteurs avant moi, je me suis sentie flouée par cette présentation vertigineuse.
Mais heureusement, chacun des personnages se voit ensuite creusé au fil des chapitres et j'ai ainsi fini par trouver mes marques.
Le poste libéré par la mort de Barry se retrouve au centre des préoccupations de chaque famille, alimentant les conflits et révélant toute l'hypocrisie, intime et sociale, dont est capable chacun (l'auteur use d'ailleurs avec humour de l'italique pour trahir le double discours).
Toute cette tension ambiante finit par se répercuter d'une façon ou d'une autre sur les conjoints et des adolescents déjà mal dans leur peau, encaissant la violence psychologique et physique (mon dieu comme j'ai détesté Simon Price !!!).
Entre les pauvres, présentés comme rustres et vulgaires, et les classes supérieures qui ne sont guère mieux loties, j'ai achevé ma lecture avec l'impression que tout le monde était logé à la même enseigne.
La moralité ne connaît pas les classes et ce n'est qu'après avoir perdu chacun un peu de leur honneur et de leurs acquits, après avoir pris part à une tragédie, que quelques consciences s'éveilleront peut-être.
Loin de nous offrir le charmant portrait d'une petite communauté soudée, J.K Rowling nous dépeint la mentalité de village au plus mauvais sens du terme, avec ses ragots, ses bassesses et ses chacun pour soi.
Bien que l'auteure ait pris soin d'égayer un peu ce sombre tableau par des touches d'humour ici et là (ah le cercueil en osier, la chanson de Rihanna et les répliques de la gentille garce Samantha Mollisson !), le roman m'a quand même laissé un sacré goût amer...
Alors oui j'ai aimé une "Place à Prendre" malgré un début laborieux et ce contexte pesant qui a souvent contribué à freiner ma lecture. Un 16/20 pour J.K Rowling qui mérite bien sa place dans la littérature pour adultes !
MERCI à Oliver et à Price Minister de m'avoir offert ce roman à l'occasion des Matchs de la Rentrée littéraire !
D'autres avis : Soukee - Argali - Manu - Stephie - Mango - Sandrine - Noukette
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26 novembre 2012
L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde - Robert Louis Stevenson
Publiée en 1886, "L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde" est une nouvelle écrite par l'écrivain écossais Robert Louis Stevenson, également auteur du célèbre "L'Ile au Trésor".
Dr Jekyll et Mr Hyde ou le récit d'une expérience qui a mal tourné.
A Londres, au cours d'une année non précisée mais que l'on devine située à la fin du 19ème siècle, le notaire Mr Utterson s'entretient avec son cousin du mystérieux Mr Hyde, un être aussi laid que malfaisant que celui-ci affirme avoir vu agresser une petite fille avant de se retrancher dans la demeure du bon Dr Jekyll.
Utterson n'est pas au bout de ses surprises puisqu'il apprend que son vieil ami le Dr Jekyll vient de léguer tous ses biens à Mr Hyde dans le cas où il lui arriverait malheur endéans les 3 mois.
Inquiet, Utterson se rend alors chez le Dr Lanyon, un ami commun, qui lui affirme que lui et Henry Jekyll se sont disputés pour cause de différents scientifiques.
Et tandis qu'Utterson tente de comprendre ce qui peut bien avoir poussé son ami à héberger cet ignoble individu, plusieurs meurtres sont perpétrés en ville...
" Permettez que j'emprunte mon propre chemin de ténèbres. J'ai attiré sur moi un châtiment et un péril qu'il m'est impossible de nommer. Je suis le plus grand des pêcheurs, je suis également la plus grande des victimes.
Je n'aurais jamais cru que le monde puisse renfermer un endroit de souffrances et de terreurs aussi déshonorantes. Vous ne pouvez faire qu'une chose pour soulager mon destin, Utterson, c'est respecter mon silence." p.69
L'histoire du Dr Jekyll et de Mr Hyde a donné lieu à de nombreuses (ré)interprétations. Pour ma part, la seule que je connaisse pour l'avoir vue un millier de fois date de 1990 et consiste en un téléfilm dans lequel Michael Caine campait magistralement le personnage du Dr Jekyll.
Je me souviens de ces vendredis soirs passés devant la télé avec mon frère chez mon père où nous venions un weekend sur deux. Il arrivait fréquemment que nous enregistrions les films pour les revoir ensuite. Trompant la vigilance de mon père qui tombait de sommeil au bout du premier film de la soirée, nous restions tous deux scotchés à l'écran, attendant impatiemment le second film, beaucoup plus trash que le premier :)
J'ai ainsi vu à l'âge de 8 ans "Carrie au bal du Diable", adaptation du roman de Stephen King qui m'a véritablement traumatisée (bon sang la scène avec la mère et les couteaux de cuisine ! Pendant longtemps, je n'ai plus osé regarder le socle à couteaux de notre propre cuisine, comprendra qui pourra ^^), "Misery"( ah les pauvres jambes de Paul Sheldon !) et bien d'autres encore parmi lesquels figure "Jekyll &Hyde".
Ce n'était pas le film le plus gore du lot et pourtant c'est sans doute celui qui aura le plus
Malgré mon vif intérêt pour ce film, je n'avais toutefois jamais poussé la curiosité jusqu'à chercher l'histoire originale, préférant conserver intacts mes souvenirs VHS.
Allez savoir pourquoi j'ai fini par me décider, réalisant qu'à l'instar de "Dracula" ou de "Frankenstein", il est finalement des histoires que l'on connaît sans vraiment les connaître, parce qu'on en a vu une adaptation ciné ou qu'on en a tellement entendu parler par d'autres.
En faisant une recherche sur les différentes éditions existantes, je suis tombée sur la présente couverture qui m'a tout de suite tapée dans l'oeil (ce qui m'arrive plutôt rarement dans la mesure où je ne considère pas l'esthétique d'un ouvrage comme un facteur déterminant à son achat).
Comble de chance, j'ai justement pu acquérir dans la même collection (Marabout Fantastic) "Dracula" et "Frankenstein".
Etant donné que Marabout a décidé de ne plus rééditer cette collection, à moins d'avoir beaucoup de chance dans votre librairie, je vous conseille de vous orienter vers Am****ou autre si vous souhaitez acquérir l'un de ces ouvrages.
Sur ce, il serait peut-être temps que je vous explique en quoi l'histoire du Dr Jekyll et de Mr Hyde m'a plu et continue de me plaire.
Plus j'y pense, plus je me dis que ce n'est pas tant l'aspect épouvante (les lecteurs assidus de ce blog savent que je ne suis pas naturellement attirée par le genre) que tout le questionnement psychologique et éthique entourant le Dr Jekyll/Mr Hyde qui fait mon intérêt pour cette histoire.
Stevenson entretient un certain mystère autour de ce Dr Jekyll, médecin respectable et aimé de tous que l'on s'attend, vu l'époque, à voir marié et père de famille.
Or il n'en est rien (le personnage joué par Cheryl Ladd dans le téléfilm a donc été créé de toutes pièces) et l'on devine déjà chez le médecin un certain goût pour la réclusion.
Bien qu'à l'aise en société, le Dr Jekyll occupe son temps libre à des recherches de l'ordre du transcendantal et du mystique, ce qui n'est pas du goût de tout le monde, particulièrement de celui de ses confrères.
Comme il le dit lui-même dans sa confession qui parachève la nouvelle, il s'est toujours intéressé à la "nature duelle de l'être humain", estimant que chacun possède en lui une part de bien et une part de mal indissociables.
Tiraillé lui-même par ces deux composantes de l'âme, il décide un jour de se prendre lui-même pour sujet d'expérimentation, usant d'une obscure chimie qui lui permet ainsi de créer ou plutôt de révéler Mr Hyde.
Le premier résultat dépasse ses attentes. Libre et en sécurité dans cet autre corps inconnu de tous, délesté de sa vertu et du contrôle de soi, Henry Jekyll peut ainsi agir à sa guise et assouvir ses pulsions longtemps réfrénées, en dépit et aux dépens des autres.
" Comme je l'ai dit, les plaisirs que, sous mon déguisement, je me hâtai de chercher étaient immondes, inutile d'employer un autre mot. Mais entre les mains d'Edward Hyde, ils ne tardèrent pas à virer au monstrueux.Mais, comme on pouvait s'y attendre, ça dérape. Le médecin est allé trop loin et finit par devenir esclave d'une expérience - cette "double vie irréversible" - qu'il ne maîtrise plus.
Lorsque je revenais de mes expéditions, j'étais souvent en proie à une sorte d'étonnement face à ma dépravation par procuration. Le démon familier que j'avais extirpé de mon âme et lâché en toute liberté à ses propres réjouissances était empreint d'une malignité et d'une bassesse absolues; la moindre de ses actions, la moindre de ses pensées étaient centrées sur lui-même; il se repaissait avec une avidité bestiale du plaisir que lui procuraient toutes les tortures imaginables qu'il infligeait aux autres; il était implacable comme une statue de marbre.
Parfois, Henry Jekyll était horrifié par les crimes d'Edward Hyde, mais la situation échappait aux lois humaines, ce qui apaisait insidieusement sa conscience.
Après tout, c'était Hyde, et lui seul, qui était coupable. Jekyll n'avait pas changé; il se réveillait toujours doté des mêmes qualités apparemment intactes; il s'empressait même, quand cela était possible, de réparer le mal fait par Hyde. Ainsi sa conscience sommeillait. " p.128
C'est bien cette perte de contrôle (il ne décide plus quand il est bon ou mauvais), et non un élan de remords face à ses crimes, qui place le Dr Jekyll face à un second dilemme. Après s'être interrogé sur la façon de dissocier le bien du mal au sein d'un seul être, il se demande à présent comment éradiquer définitivement le second...
Comme le Dr Jekyll, je suis d'avis que chaque individu possède une part de bien et de mal différemment réparties en fonction de chacun. Je pense aussi qu'aucun individu ne peut se targuer de n'avoir jamais commis aucun pêché quel qu'il soit, cédé à la moindre lâcheté ou proféré moins d'un mensonge, d'une menace ou d'une toute petite mauvaise pensée à l'égard de quelqu'un.
De là à dire que chacun de nous est un serial-killer qui se cherche, bon quand même... :)
Je recommande donc ce coup de coeur (mais ça vous l'aurez aisément deviné) pour son ambiance nébuleuse qui n'est pas sans rappeler celle de "Jack l'Eventreur" (même époque, même ruelles sombres londoniennes, même climat de tension), son écriture très visuelle qui vous happe de gré ou de force et pour la grande habilité de son auteur à se plonger au coeur de la noirceur de l'âme humaine.
A bon entendeur :)
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17 novembre 2012
Petit oiseau du ciel - Joyce Carol Oates
Publié aux USA en 2009 et disponible en français depuis le 4 octobre dernier, "Petit oiseau du ciel" est le dernier roman de l'écrivaine américaine Joyce Carol Oates, notamment auteure des romans "Délicieuses pourritures", "Viol, une histoire d'amour", "Premier amour" , "Reflets en eau trouble" ou plus récemment du recueil de nouvelles "Le Musée du Dr Moses".
Le 12 février 1983 dans la petite ville de Sparta, Zoe Kruller est retrouvée morte étranglée dans son lit, le corps recouvert de talc.
Les rumeurs enflent. C'est qu'aux dires de certains, avec ses fréquentations et son train de vie douteux, Zoë allait finir par s'attirer des ennuis.
Très vite, les soupçons se portent à la fois sur son mari Delray Kruller, connu pour son caractère emporté et sa violence envers sa femme, et sur son amant Eddy Diehl, mari et père de famille respectable.
L'affaire restera irrésolue de même que les noms des suspects ne seront jamais blanchis.
La victime laisse derrière elle deux foyers animés par la haine vis-à-vis du camp adverse, brisés et divisés par le drame. Chacun se replie dans sa douleur.
Bien qu'il n'ait jamais été reconnu coupable, Eddy Diehl est chassé de sa maison par sa femme Lucillle qui, rongée par la honte, ne pardonne pas l'adultère, divorce et, sur ordonnance du tribunal, empêche son ex-mari de s'approcher de ses enfants.
" La trahison est ce qui fait mal. La trahison est la blessure la plus profonde. La trahison est ce qui reste de l'amour, quand l'amour a disparu." p.20
Si son frère Ben se rallie à sa mère, la jeune Krista Diehl veut croire à l'innocence de son père qu'elle continue de voir en cachette jusqu'à ce que le malheur frappe à nouveau.
" Les mystères avec lesquels on vit, enfant. Jamais élucidés, jamais résolus. Parfaitement banals, insignifiants. Comme un minuscule caillou logé dans votre chaussure, qui vous fait marcher de travers." p.97
Perdue, Krista s'amourache davantage du bad boy du lycée qui n'est autre qu'Aaron Kruller, le fils de Zoe Kruller qui retrouva sa mère étranglée dans sa chambre.
S'ensuit une confrontation intense que tous les deux n'oublieront jamais, même 17 ans plus tard lorsque Krista, partie loin de Sparta des années plus tôt, trouve un jour Aaron sur le pas de sa porte...
Aaaaaaaaah je ne me lasse décidément pas de Oates, de ces ambiances floues et malsaines dont elle a le secret, de ces situations qui ne devraient pas être mais flirtent pourtant avec l'interdit. Le contexte est pour ainsi dire toujours le même : une petite ville de l'Etat de New-York assombrie par la drogue, la corruption, l'alcool, les rumeurs, le racisme des Blancs vis-à-vis des Indiens, la violence d'adolescents qui ont grandi trop vite; une ville semblant être taillée pour la tragédie.
Et au milieu de tout ce foutoir, deux familles rivales, deux adolescents qui ne devraient même pas s'adresser un regard.
"Two households, both alike in dignity, In fair
La comparaison shakespearienne s'arrête là. La relation entre Aaron et Krista, si elle a tout d'impossible n'a rien de franchement romantique et renvoie plutôt à une spirale de sentiments contradictoires : fascination virant à l'obsession, désir déroutant de possession, source de tension, de frustration, de danger.
Krista sait qu'Aaron est le seul qui puisse la ramener à la vie, tout comme il pourrait la lui reprendre.
Mais contrairement à ce que le laisse croire la quatrième de couverture, cet aspect-là ne constitue pas le sel du roman, pas plus d'ailleurs que l'aboutissement de l'enquête sur le meurtre de Zoé Kruller (le coupable n'étant dévoilé que dans les toutes dernières pages).
Non, fidèle à elle-même, Oates s'attache surtout à la façon dont un drame intime brise et façonne plusieurs existences.
Au travers des voix d'Aaron et de Krista, elle tisse entre eux ce lien ténu qui tient dans leur histoire commune, dans leur relation particulière avec leurs pères, tous deux lunatiques et autoritaires, clamant leur innocence, dans l'effet de la rumeur et du doute sur leurs vies, dans ce même goût pour le danger et ce dégoût pour cette injustice au centre de leurs vies qui les empêche d'aller de l'avant.
Si vous cherchez une belle histoire d'amour ou un thriller haletant, passez votre chemin.
"Petit oiseau du ciel" apparaît avant tout comme un roman caractérisé par une psychologie
MERCI à Babelio de m'avoir envoyé ce roman !
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6 novembre 2012
Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka
Publié aux USA en 2011 et disponible en français depuis le 30 août dernier, "Certaines n'avaient jamais vu la mer" est le second roman, après "Quand l'empereur était un dieu" de l'écrivaine américaine d'origine japonaise Julie Otsuka.
Agées de 12 à 37 ans et vierges pour la plupart, au moment d'embarquer dans un bateau pour San Francisco, non seulement certaines n'avaient jamais vu la mer mais toutes ces jeunes femmes n'avaient jamais vu les vrais visages de leurs futurs maris, japonais tout comme elles venus trouver exil aux USA.
A bord, elles s'échangent les portraits et les lettres envoyées par ces hommes bien sous tous rapports, pensent à leurs soeurs vendues comme geishas et à leurs parents restés au pays, s'interrogent sur leur capacité à pouvoir satisfaire un homme et trouvent un peu de réconfort en songeant aux perspectives prometteuses que leur apportera leur nouvelle condition.
Autant dire que la déception sera lourde au terme de cette longue traversée de l'Océan Pacifique...
Ni belles carrières ni foyers confortables. Manipulées par de fausses promesses, abusées dès la première nuit sans tendresse ni respect, certaines d'entre elles cèdent rapidement au désespoir.
Mais la plupart s'accroche, basculant parfois dans la prostitution, travaillant aux champs ou à la ville comme femmes de ménage au service des Blancs vis-à-vis desquels elles s'arrangent pour demeurer invisibles.
Et elles ne seront pas au bout de leur peine. Car bientôt il se murmure que les USA entrent en guerre et qu'ils envisagent la déportation en masse...
" Nous nous jetions à corps perdu dans le travail, obsédées par l'idée d'arracher une mauvaise herbe de plus. Nous avions rangé nos miroirs. Cessé de nous peigner. Nous oubliions de nous maquiller.Bien que d'origines et de milieux sociaux différents, toutes ces femmes sont logées à la même enseigne, toutes à la fois esclaves de leurs maris qui décident pour elles et des Blancs pour lesquels elles se tuent à la tâche.
Quand je me poudre le nez, on dirait du givre sur une montagne.
Nous oubliions Bouddha. Nous oubliions Dieu. Nous étions glacées à l'intérieur, et notre coeur n'a toujours pas dégelé. Je crois que mon âme est morte.
Nous n'écrivions plus à notre mère. Nous avions perdu du poids et nous étions devenues maigres. Nous ne saignions plus chaque mois. Nous ne rêvions plus. N'avions plus envie. Nous travaillions, c'est tout.
Nous engloutissions nos trois repas par jour sans dire un mot à nos maris pour pouvoir retourner plus vite aux champs.
"Une minute de gagnée, c'est une mauvaise herbe arrachée", cette pensée ne me quittait plus l'esprit.
Nous écartions les jambes pour eux tous les soirs mais nous étions si fatiguées que nous nous endormions avant qu'ils aient fini. Nous lavions leurs vêtements une fois par semaine dans des baquets d'eau bouillante. Nous leur préparions à manger. Nous nettoyions tout pour eux. Les aidions à couper du bois.
Mais ce n'était pas nous qui cuisinions, lavions, maniions la hache, c'était une autre. Et la plupart du temps nos maris ne s'apercevaient même pas que nous avions disparu." p.47
Sans pathos, en prenant soin d'aller à l'essentiel, Julie Otsuka a donc choisi de leur donner la parole à toutes, au travers de ce "nous", pour évoquer leur histoire commune.
Et pourtant de cette même histoire se détachent autant de singularités, de nuances que l'auteure a choisi d'énumérer, passant ainsi du collectif au particulier pour donner vie à chacune de ces femmes.
Un procédé contesté par certains lecteurs qui ont jugé ces énumérations fastidieuses à la lecture mais que pour ma part j'ai trouvé fort efficace tant il m'a semblé que cette accumulation contribuait à donner plus de relief et de poids au sujet comme à amplifier mon sentiment de consternation au fil des pages.
Ce roman-témoignage aurait pu être un coup de coeur si il n'y avait pas eu cette seconde partie, reprenant le même procédé mais cette fois consacrée au point de vue américain.
Je suis d'avis que l'indifférence américaine était déjà comprise entre les lignes de la première partie et je n'ai donc pas trouvé que la seconde partie apportait un plus au récit.
Que sont devenus ces milliers de Japonais ? Où ont-ils été emmenés ? Peu d'Américains semblent s'être posés la question ou du moins, pas fort longtemps.
Malgré ma réserve quant à la seconde partie, je recommande cette lecture courte mais intensément grave dédiée à un volet si peu connu de l'Histoire !
"Certaines n'avaient jamais vu la mer" vient d'être récompensé, à juste titre, du prix Fémina étranger.
D'autres avis : Kathel - Canel - Theoma et bien d'autres ici
3 novembre 2012
La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry arriva le mardi - Rachel Joyce
Publié aux USA en 2012 et disponible en français depuis le 13 septembre dernier "La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry arriva le mardi" est le premier roman de l'écrivaine anglaise Rachel Joyce.
Par une paisible matinée d'avril, Harold Fry, retraité depuis 6 mois, reçoit un courrier de Queenie Hennessy, une ancienne collègue qu'il n'a plus revu depuis 20 ans et qui lui annonce qu'elle souffre d'un cancer en phase terminale.
Bouleversé par la nouvelle, Harold décide de répondre à sa lettre. Mais comment trouver les mots justes pour remercier cette femme qui lui a sauvé la mise il y a bien longtemps avant de disparaître ?
Sur un coup de tête, Harold entreprend de parcourir plus de 800 km à pieds pour rejoindre Queenie à qui il a fait promettre de rester en vie jusqu'à son arrivée.
Parviendra-t-il à gagner ce pari un peu fou avec lui-même ? Arrivera-t-il à temps pour revoir Queenie ?
Harold menait jusque là une vie bien rangée et retirée des autres, dans une maison aux rideaux toujours tirés auprès de sa femme Maureen avec laquelle il ne partage plus grand chose et qui lui préfère les conversations téléphoniques avec leur fils.
C'est sans doute la première fois de sa vie qu'Harold, d'ordinaire taciturne et dépourvu de la moindre assurance, laisse tout en plan et improvise un voyage de cette envergure.
L'entreprise est d'autant plus folle qu'Harold n'est plus de première jeunesse et qu'il ne possède pas le moindre équipement pourtant nécessaire à son expédition.
Avec pour seul bagage un lourd sentiment de culpabilité et des mannes entières de souvenirs, parfois heureux mais souvent amers, il traverse les villes à son rythme et multiplie les rencontres jusqu'à attirer l'attention d'un journaliste qui lui consacre la Une.
D'autres pélerins, admiratifs de sa noble cause, se joignent alors à lui (j'ai pensé à Forrest Gump !) mais Harold est déterminé à achever seul ce qu'il a commencé, d'autant que Queenie n'est peut-être pas le seul prétexte à cette longue marche de 87 jours...
Harold est un personnage assurément attachant autant par sa fragilité et son manque de confiance en lui que par la solide détermination qui l'anime et concourt à faire de lui un homme nouveau.
Alors qu'il avait jusque là l'impression d'être passé à côté de sa vie, de son couple et de son fils, il va s'épanouir, revisiter le passé et son trop plein de non-dits mais surtout se faire face et se pardonner.
Bien que ne faisant pas partie du voyage, sa femme Maureen évolue également à mesure que l'absence de son mari se fait plus longue, au point d'envisager leur couple sous un nouvel angle.
Bien sûr, on se demande tout du long pourquoi Harold tient tant à revoir Queenie et quelle est la nature de ce précieux service qu'elle lui a rendu avant de s'en aller pour ne jamais revenir.
Pourquoi Harold et sa femme ne parviennent-ils plus à se parler ? Cette révélation-là tarde à venir et tombe finalement comme un cheveu dans la soupe...
Si Rachel Joyce dissèque avec finesse et réalisme les aspérités d'un couple au seuil de la rupture, elle dresse un portrait très propret et assurément flatteur de l'Angleterre et de ses habitants toujours prêts à rendre service à Harold.
Comme d'autres avant moi, j'ai eu du mal à croire à tant de bonté humaine (pas une racaille à 1000km à la ronde !) et si j'ai tenu bon jusqu'à la fin de cette lecture, ce fut surtout grâce à la touchante obstination d'Harold.
D'autres avis : Lili Galipette - Liliba - Noukette - Mango - Keisha - Alex - Kathel - Jules
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